Il faut aborder ce sujet avec le plus grand pragmatisme en fonction des objectifs que nous nous sommes assignés, qui sont au nombre de trois.
Premier objectif : raccourcir les délais de traitement de la demande d’asile, afin d’humaniser la procédure. En l’état actuel des choses, ces délais sont de vingt-quatre mois, ce qui place les demandeurs d’asile dans une situation de très grande vulnérabilité et de précarité.
En réduisant ces délais, nous avons également la volonté de faciliter le processus de reconduite à la frontière de ceux qui ont été déboutés du droit d’asile. En effet, plus le délai de traitement de la demande est court, plus la reconduite dans des conditions humanisées est possible. Et il n’y a pas de soutenabilité de l’asile – il n’y en a pas, ce n’est pas vrai ! – si les personnes qui sont déboutées du droit d’asile et qui n’ont pas la possibilité de relever du séjour en France pour d’autres motifs ne sont pas reconduites à la frontière !
Deuxième objectif, qui, j’en suis convaincu, rassemble une très large majorité des membres de cet hémicycle pour avancer ensemble par-delà ce qui peut nous séparer : faire en sorte que l’asile reste conforme à la tradition de la France. J’ai entendu les propos de Roger Karoutchi, qui s’est beaucoup exprimé au nom de son groupe au cours des derniers jours, j’ai entendu les orateurs des groupes écologiste, socialiste, communiste républicain et citoyen. Certes, nous avons des visions différentes de la politique migratoire, mais je crois que nous sommes tous attachés à ce que l’asile reste conforme à la tradition de notre pays. Et c’est parce que nous voulons qu’il en soit ainsi que nous souhaitons qu’il fonctionne correctement. Donc, ne politisons pas à l’excès ce débat !
Troisième objectif : traiter cette question avec la plus grande rigueur intellectuelle et juridique. Or Valérie Létard a choisi de présenter son amendement et d’exposer ses motivations de cette façon. C’est là la bonne manière d’aborder ce sujet ! Il s’agit non pas d’instrumentaliser celui-ci à des fins d’annonces ou de positionnements politiques, mais de faire en sorte d’humaniser les choses.
C’est dans cet état d’esprit que je veux présenter l’amendement du Gouvernement. Si je suis défavorable à l’amendement adopté par la commission des lois lors de ses travaux, c’est pour deux raisons très simples.
D’abord, la disposition qui en est issue ne fonctionne pas, car elle pose énormément de problèmes sous l’angle juridique.
Ensuite, et c’est une raison qui devrait nous mobiliser collectivement et nous permettre de trouver un accord, eu égard à la complexité juridique des procédures que cette mesure créerait, le dispositif de reconduite des déboutés du droit d’asile serait si compliqué que l’OQTF ne serait pas exécutable. Autant dire que la commission atteindrait un objectif exactement inverse à celui qu’elle s’était fixé !
L’amendement n° 238 a pour objet de supprimer la disposition introduite par la commission des lois conférant, « sauf circonstance particulière », à une décision définitive de rejet de l’OFPRA le caractère d’une OQTF.
Cette proposition a été examinée avec une grande attention par mes services. Or l’étude que ceux-ci ont menée – je me réfère notamment à un rapport demandé à l’Inspection générale de l’administration, l’IGA, qui prouve que nous avons étudié le dossier, que nous ne sommes pas du tout butés, bornés ! – a révélé que la mise en œuvre de cette mesure était soit juridiquement soit opérationnellement très complexe pour au moins trois raisons qui ont conduit le Gouvernement à l’écarter.
Tout d’abord, première raison, ce serait – vous l’avez dit, madame Létard – un mélange des genres entre l’appréciation du bien-fondé d’une demande d’asile – laquelle est du ressort exclusif de l’OFPRA, le cas échéant de la CNDA – et l’appréciation du droit au séjour qui relève, elle, de la compétence préfectorale.
Je voudrais poser des questions très simples : qui serait juge de la « circonstance particulière » justifiant qu’un débouté du droit d’asile se maintienne sur le territoire ? L’OFPRA ? Je ne le crois pas. La CNDA ? Je ne le sais pas. En tout cas, légalement, aucune de ces autorités n’a accès aux éléments que le demandeur d’asile pourrait faire valoir en matière de séjour en France et aucune n’est compétente pour les apprécier. Examiner si un étranger a été persécuté dans son pays d’origine et apprécier si sa situation, par exemple, familiale en France, justifie qu’il ne soit pas éloigné sont deux missions totalement différentes, qui ne relèvent pas des mêmes instances et des mêmes compétences.
Ensuite, deuxième raison, alors même que la demande d’asile est finalement rejetée, la situation du demandeur a pu connaître des changements tels qu’il peut prétendre à un titre de séjour pour un autre motif – professionnel, familial, lié à la santé… Quel serait alors – je pose la question aux auteurs de l’amendement adopté par la commission des lois – le fondement de l’OQTF, qui, à peine prononcée, serait déjà illégale ? Dans une telle circonstance, des conditions matérielles nouvelles ouvrant un droit au séjour, l’OQTF prononcée au terme du refus de l’asile devient immédiatement illégale. Faudrait-il alors aller devant le juge administratif pour faire annuler cette décision ?
Surtout, troisième raison, la mesure adoptée par la commission des lois est beaucoup plus compliquée que le droit actuel et va à l’encontre des objectifs de simplification et de réduction des délais visés par le Gouvernement.