Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui a pour objectif de mettre fin à l'incertitude juridique entourant depuis l'an dernier les projets d'aménagement engagés par les sociétés d'économie mixte dans le cadre de conventions publiques d'aménagement.
En effet, en l'état actuel du droit, ces conventions passées pour la réalisation des opérations d'aménagement ne sont soumises à aucune obligation de publicité ni de mise en concurrence.
L'article L. 300-4 du code de l'urbanisme dispose que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics peuvent confier l'étude et la réalisation d'opérations d'aménagement à toute personne publique ou privée y ayant vocation.
Mais il prévoit également que les dispositions de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ne sont pas applicables aux conventions publiques d'aménagement, c'est-à-dire aux conventions passées avec un établissement public ou une SEM.
Il était donc urgent de modifier le régime juridique de passation de ces conventions publiques d'aménagement. Cela l'était d'autant plus que la Cour de justice des communautés européennes, dans sa décision Telaustria du 7 décembre 2000, a posé le principe de l'obligation de respecter les règles minimales de publicité et de mise en concurrence lorsque sont conclues des concessions de service public.
Elle précise que les règles régissant la passation des conventions d'aménagement par les collectivités territoriales n'étaient pas compatibles avec les règles fondamentales du Traité, lequel garantit la neutralité à l'égard du statut public ou privé des entreprises et impose aux pouvoirs adjudicateurs de respecter des principes de non-discrimination et d'égalité de traitement.
La cour administrative d'appel de Bordeaux s'inscrit dans la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes en affirmant, dans un arrêt Sogedis du 9 novembre 2004, qu'une concession d'aménagement, alors qu'elle n'entre pas dans le champ d'application de la loi Sapin, n'est toutefois pas exclue du champ d'application des règles fondamentales posées par le traité de l'Union et doit respecter les obligations minimales de publicité et de transparence propres à assurer l'égalité d'accès à ces contrats.
Les conventions d'aménagement qui ont déjà été conclues se trouvent donc dans une situation juridique incertaine, puisque la jurisprudence de la cour administrative d'appel fait peser sur elles un risque d'annulation non négligeable. Cette incertitude juridique posant évidemment problème aux collectivités territoriales et aux SEM qui les ont conclues, il était urgent d'adapter notre législation en la matière.
Le texte qui nous est soumis procède à une modification du code de l'urbanisme. Dans un premier temps, il supprime la distinction qui existait entre les conventions d'aménagement conclues avec une personne publique, les conventions publiques d'aménagement, et les conventions passées avec une personne privée, les conventions ordinaires.
La suppression de toute distinction entre les cocontractants d'une concession d'aménagement répond, certes, à l'exigence de non-discrimination édictée par la Cour de justice des communautés européennes Mais en soumettant les concessions d'aménagement à un régime unique ouvert à la concurrence, le Gouvernement applique strictement les principes d'une concurrence libre et non faussée, ce qui pose la question de la mise en concurrence des SEM avec le secteur privé.
Désormais, l'attribution des concessions d'aménagement sera soumise par le concédant à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes.
Mais plutôt que de préciser et de détailler dans la loi les conditions d'attributions des concessions, le Gouvernement a fait le choix de renvoyer à un décret pris en Conseil d'Etat.
Ce choix est regrettable, car nous aurions voulu connaître les conditions de publicité exigées pour l'attribution d'une concession d'aménagement. En ce sens, nous saluons l'initiative du rapporteur, monsieur Sueur, qui a déposé un amendement visant à préciser la procédure de publicité. Nous aimerions que le Gouvernement soit plus clair et s'engage précisément à ce sujet.
Nous souhaitons que l'attribution des concessions d'aménagement se fasse dans le cadre d'une procédure qui soit analogue à celle de la loi Sapin et qui respecte ainsi les principes de transparence et de non-discrimination.
Le vide juridique entourant la conclusion des conventions d'aménagement serait ainsi comblé. Les dispositions du code de l'urbanisme se trouveraient en conformité non seulement avec les exigences de la Commission européenne qui, à deux reprises, a notifié à la France l'obligation de revoir sa législation en matière de passation des conventions d'aménagement, mais aussi avec la jurisprudence dégagée par la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Par ailleurs, si l'article 2, qui traite des modalités de mise en oeuvre des concessions d'aménagement, ne pose pas réellement de problème, il me semble important de m'arrêter quelques instants sur l'article 3. Celui-ci, dans le texte proposé pour l'article L. 300-5-2 du code de l'urbanisme, dispense des règles de publicité et de mise en concurrence les « concessions d'aménagement conclues entre le concédant et un aménageur sur lequel il exerce un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services et qui réalise l'essentiel de son activité avec lui ou, le cas échéant, les autres personnes publiques qui le contrôlent ».
Ce type de concessions est encore appelé « in house ». Cette disposition ne fait que reprendre la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, et plus particulièrement l'arrêt Teckal du 18 novembre 1999. Selon cet arrêt, les directives communautaires relatives aux marchés publics ne s'appliquent pas lorsque, pour répondre à ses besoins, la collectivité publique recourt à ses propres services ou à une entité juridique distincte constituant un simple prolongement administratif.
Mais la portée de cet arrêt a été réduite par l'arrêt Stadt Halle du 11 janvier 2005. La Cour de justice des communautés européennes a en effet considéré que la participation, fût-elle minoritaire, d'une entreprise privée dans le capital d'une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut en tout état de cause que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services.
Les contrats passés entre une collectivité territoriale et une société d'économie mixte locale ne pouvant entrer dans le champ des prestations « in house », ils ne sont donc pas exemptés des règles de publicité et de mise en concurrence. En effet, les SEM doivent nécessairement contenir dans leur capital une partie, ne serait-ce qu'infime, de capital privé.
Cet état de fait pose la question de sociétés qui seraient détenues à l00 % par des personnes publiques, et dont l'Assemblée nationale proposait la création sous la dénomination de « sociétés publiques locales ». Si les amendements du rapporteur sur ce sujet ont été retirés en séance, je tiens néanmoins à exprimer mon point de vue, qui va d'ailleurs rejoindre celui de notre rapporteur.
La création de sociétés publiques locales n'est pas sans soulever un certain nombre de problèmes. Si le champ d'application de telles sociétés serait au départ limité à l'aménagement, cet outil serait vraisemblablement vite étendu à d'autres domaines, comme le logement ou encore la santé.
Nous pourrions alors assister, comme M. le rapporteur le souligne à juste titre, à un démembrement progressif des services des collectivités territoriales, ce qui n'est évidemment pas souhaitable.
Des amendements ont été déposés en ce sens. Nous espérons que les débats permettront d'éclairer le Sénat sur l'opportunité ou non de créer de telles sociétés.
Quoi qu'il en soit, ce texte permet de mettre fin à une situation d'insécurité juridique préjudiciable à la mise en oeuvre des opérations d'aménagement. Il était donc nécessaire de mener une réflexion sur ce point. C'est la raison pour laquelle les membres du groupe CRC se prononceront favorablement sur ce texte.