Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner la proposition de loi de nos collègues députés Élisabeth Pochon et Bruno Le Roux.
Ce texte vise à permettre la réouverture des délais d’inscription sur les listes électorales pour l’année 2015 en revenant de façon exceptionnelle – c’est peut-être l’un des enjeux du débat – sur le principe de la révision annuelle des listes électorales prévu par l’article L. 16 du code électoral.
Cette proposition de loi, qui a été adoptée à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une « niche » socialiste à l’Assemblée nationale, s’appuie sur les conclusions du rapport établi par Mme Pochon et M. Warsmann, lequel a permis à l’opposition et à la majorité d’aboutir à des conclusions communes. Il faut le souligner, car, sur ces questions, plus la majorité et l’opposition seront d’accord, moins il sera possible ensuite d’accuser quiconque de faire du tripatouillage électoral.
De manière consensuelle, les auteurs de ce rapport ont estimé que les contraintes pesant sur le calendrier d’inscription sur les listes électorales et sa complexité étaient l’une des sources déterminantes de l’éloignement de certains électeurs potentiels des urnes. Il est vrai que cette raison n’explique pas à elle seule l’abstention, mais – cela a été dit – les 6 millions de Français mal inscrits pèsent sur le taux d’abstention, dans lequel ils sont comptabilisés. En permettant de réduire le nombre de personnes mal inscrites, on diminuera le taux d’abstention. Surtout, on favorisera la participation de nos concitoyens aux scrutins. Un tel objectif est d’ailleurs partagé, je l’ai constaté, sur toutes les travées de notre assemblée.
Favoriser l’inscription des citoyens sur les listes électorales et leur participation aux élections sont des enjeux essentiels dans un système démocratique. Il s’agit de faire en sorte que les citoyens soient bien au cœur du processus démocratique, et donc électoral.
Les auteurs de la proposition de loi ont considéré – mais nous le savions – que l’année électorale 2015 allait être particulièrement difficile, compte tenu du report des élections régionales au mois de décembre.
Lorsque nous avons débattu de la loi portant redécoupage des régions, nous aurions pu pressentir que ce report allait poser des difficultés d’inscription sur les listes électorales. Il aurait été plus simple de trouver une solution à l’époque et de l’intégrer dans le texte de loi.
Malheureusement, ni le Gouvernement – nul n’est parfait ! –, ni les députés, ni les sénateurs n’ont perçu ce problème. C’est pourquoi la présente proposition de loi revêt aujourd’hui un caractère essentiel pour régler ce problème ponctuel.
En outre, au-delà de ce cas particulier, le Gouvernement comme le Parlement souhaitent pouvoir régler cette difficulté d’inscription de manière pérenne. L’exécutif sera ainsi à l’écoute des propositions formulées par Mme Pochon et M. Warsmann, et une proposition de loi sera déposée avant la fin de l’année devant le Parlement pour revoir les modalités d’inscription sur les listes électorales, avec l’objectif défini par le Président de la République de permettre l’inscription jusqu’à un mois avant l’élection.
La proposition adoptée en commission des lois, que je n’ai pas soutenue, permet elle aussi d’aboutir à une solution pérenne, mais en s’appuyant sur l’article L.30 du code électoral, dont l’objectif est de gérer dans l’urgence quelques cas très particuliers. On dénature donc le fondement de cet article en voulant l’utiliser pour régler une difficulté ponctuelle liée à une modification d’ores et déjà connue du calendrier électoral. Essayons donc de trouver la meilleure solution pour régler le cas précis des élections régionales et, si nous voulons régler de manière pérenne la question de l’inscription sur les listes électorales, attendons plutôt la proposition de loi qui prolongera le rapport de Mme Pochon et de M. Warsmann.
Si nous partageons déjà tous le même objectif politique – permettre à nos concitoyens de s’inscrire jusqu’en septembre pour participer aux élections régionales –, il ne nous restera qu’à trouver une réponse technique à cet objectif politique.
J’ai été sensible aux arguments avancés par M. le ministre : techniquement, la proposition avancée par la commission des lois sera en effet difficile, voire impossible à appliquer.
Une fois la loi votée, les opérations de communication seront nombreuses et nos concitoyens vont se présenter en nombre à la rentrée pour s’inscrire sur les listes électorales. Dès lors, le système de l’article L.30 du code électoral, qui a été calibré pour des flux d’électeurs limités, risque d’être engorgé.
Si les communes doivent encore gérer jusqu’à dix jours avant la date du scrutin des flux importants d’électeurs, elles seront confrontées à de grandes difficultés, et je sais combien nous sommes sensibles sur ces travées aux problèmes que peuvent rencontrer les collectivités.
Par sa fonction de contrôle des demandes d’inscription et de radiation, l’INSEE constitue le pivot du dispositif de révision des listes électorales de droit commun. À l’inverse, dans le système exceptionnel de l’article L.30 du code électoral, les mairies se transmettent directement les demandes d’inscription et de radiation. On va donc faire peser sur les maires une lourde charge de travail et une grande responsabilité, pour gérer un afflux qui risque d’être important.
Il est en effet exceptionnel que des élections se tiennent en décembre : le dernier exemple remonte ainsi à 1965. De surcroît, la mobilité est beaucoup plus importante aujourd’hui que dans les années soixante. D’ores et déjà, nous pouvons noter que nos concitoyens sont nombreux à se renseigner en mairie sur les possibilités d’inscription pour le vote de décembre prochain. Si les efforts de communication sont importants – ils le seront vraisemblablement –, les demandes risquent d’être nombreuses et les maires pourraient se trouver en difficulté. Cet aspect doit aussi être pris en compte.
Nous devons réfléchir à un système qui ne conduise pas à l’inscription des électeurs n’étant pas en capacité de voter ou à des doubles inscriptions. Nous avons aussi la responsabilité d’assurer la sincérité du scrutin régional. Nous ne pouvons pas balayer d’un revers de main les difficultés techniques évoquées par M. le ministre. Ne nous contentons pas d’une approche cosmétique qui laisserait croire que l’on veut favoriser l’inscription alors que tel ne serait pas notre objectif en réalité.
Si l’on veut véritablement permettre à tous ceux qui ont déménagé dans l’année de s’inscrire – cela pourrait concerner quelques millions de Français –, nous devons mettre en place un système qui tienne la route, qui s’appuie sur l’INSEE et qui ne mette pas en difficulté les maires et les communes.
C’est pourquoi, en commission, j’ai défendu au nom du groupe socialiste des amendements visant à revenir à la rédaction retenue par l’Assemblée nationale.
Je félicite M. le rapporteur d’avoir recherché une solution pérenne qui lui a semblé plus pertinente. Toutefois, un examen attentif montre qu’elle risque de ne pas être opérationnelle et de poser de grandes difficultés. Au-delà de notre accord sur l’objectif, nous devons mettre à plat tous les éléments techniques afin de trouver la meilleure solution dans des délais très contraints.
Nous sommes déjà en mai, et les élections auront lieu en décembre. Les commissions devront contrôler les listes électorales en octobre ou en novembre pour des inscriptions en septembre. D’ici là, la loi doit être votée, un décret d’application doit être pris et les mairies doivent se préparer pour recevoir les inscriptions. Tout le système administratif doit être mis en place, puisqu’il s’agit de gérer non pas quelques cas particuliers, mais une masse d’électeurs.
Nous devons donc aller vite pour voter la loi, communiquer auprès des électeurs et permettre aux équipes qui vont organiser le scrutin sur le terrain de préparer cet afflux massif de nouveaux électeurs.
C’est pourquoi nous proposons de revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale, ce qui permettrait un vote conforme et une promulgation très rapide de la loi. À défaut, il faudrait passer par la commission mixte paritaire, voire par une dernière lecture à l’Assemblée nationale. Ce n’est sans doute pas impossible – nous pouvons voter des lois jusqu’à fin juillet –, mais ce sera très difficile, et cela risque de poser des problèmes aux maires et aux services appelés à gérer le processus d’inscription sur le terrain.
Nous avons donc déposé plusieurs amendements visant à revenir à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.
Sur cette question, il me semble opportun de dépasser les clivages politiciens. Nul ne peut savoir pour qui va voter un nouvel électeur qui s’inscrit et, comme l’a dit M. le rapporteur, ceux qui veulent jouer à la Pythie se trompent fréquemment ! Puisque nous sommes tous républicains, à défaut d’être des Républicains §permettons à nos concitoyens de s’inscrire sur les listes électorales et de voter pour les candidats de leur choix.
Nous devons, par une démarche commune, encourager cette inscription pour favoriser ensuite la participation et le vote. À mes yeux, la proposition initiale votée à l’Assemblée nationale le permettra, tout comme la proposition de loi qui sera déposée à l’automne pour permettre une révision des listes électorales jusqu’à un mois avant l’élection. Voilà qui nous permettra de régler de manière pérenne les difficultés d’inscription. Mais travaillons par étapes, et, d’ici là, trouvons une solution technique, pratique et opérationnelle qui nous permette de régler la difficulté occasionnée par les élections régionales de décembre 2015, difficulté que, collectivement, nous n’avons pas vue lors du vote de la loi sur le redécoupage électoral.
Des parlementaires ont commencé à travailler sur ce chantier lancé par le Président de la République, et je suis sûr que les membres de la commission des lois, sous la houlette du président Philippe Bas, pourraient former un groupe de travail pour préparer le débat quant aux meilleurs moyens de permettre une inscription tardive sur les listes électorales, en tenant compte des problèmes techniques que peuvent rencontrer ceux qui appliquent les lois sur le terrain, à savoir les maires et leurs équipes.
Nous avons un enjeu commun qui est de favoriser l’inscription sur les listes électorales et la participation électorale.
Je suis content de constater que nous sommes tous d’accord sur l’objectif.
Mais nous savons tous que le mieux peut-être l’ennemi du bien. La solution pérenne proposée par M. le rapporteur risque d’être inefficace et de poser des difficultés opérationnelles et des difficultés de calendrier.
Soyons raisonnables et pragmatiques : tenons compte des difficultés techniques et permettons réellement à nos concitoyens de s’inscrire sur les listes, en facilitant le travail des mairies et en permettant à ces dernières de bénéficier de l’appui de l’INSEE.
Sous couvert de la recherche d’une solution plus pertinente, qui se révélerait en fait inopérante, ne créons pas un écran de fumée qui aboutirait in fine à mettre en grande difficulté cette faculté d’inscription sur les listes électorales jusqu’en septembre pour les élections régionales.
Je suis certain que, sur ces travées, nous pouvons débattre des considérations techniques, écouter les spécialistes et les personnes qui gèrent ces listes électorales sur le terrain comme à l’INSEE, et trouver une solution qui nous rassemble.
Quel que soit le vote qu’ils émettront en décembre prochain, nos concitoyens souhaitent que l’on facilite ces inscriptions. Ne privons pas ceux qui ont déménagé de la faculté de voter et montrons que le Sénat sait faire preuve de pragmatisme pour soutenir les communes.
Le groupe socialiste votera donc les amendements qu’il a défendus en commission afin de revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale.