La séance est ouverte à neuf heures quarante.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales (proposition n° 375, texte de la commission n° 441, rapport n° 440).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi vise à permettre la réouverture des délais d’inscription sur les listes électorales pour l’année 2015 en revenant, de façon exceptionnelle, sur le principe de révision annuelle des listes électorales prévu par l’article L.16 du code électoral.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi s’inscrit naturellement dans le prolongement des travaux récents du Parlement : d’abord, le vote de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, qui a reporté les élections régionales au mois de décembre prochain ; ensuite, les travaux de la mission d’information menée par les députés Mme Élisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann, que je veux remercier chaleureusement devant vous pour la qualité du travail accompli ensemble, de façon transpartisane.
Leur rapport conjoint, remis à la mi-décembre, formulait vingt-trois préconisations. Il est remarquable à plus d’un titre et je voudrais en souligner particulièrement deux.
Premièrement, il analyse avec justesse la complexité et les contraintes pesant sur le calendrier d’inscription sur les listes électorales.
Deuxièmement, il met en exergue l’impact massif de l’éloignement de certains électeurs potentiels de l’institution électorale. On estime aujourd'hui, en effet, à 3 millions le nombre de personnes non inscrites et à 6, 5 millions le nombre de personnes mal inscrites.
Toutes les élections récentes, y compris les élections départementales de mars dernier, ont démontré combien il y avait urgence à faire face au fléau de l’abstention. Cette dernière est d’autant plus inquiétante qu’elle frappe davantage les jeunes : au premier tour des élections départementales, le dimanche 22 mars dernier, le taux d’abstention, de 49 % pour l’ensemble du corps électoral, atteignait 64 % chez nos concitoyens âgés de moins de trente-cinq ans. Et cette abstention – c’est l’avis du Gouvernement, et vous êtes nombreux à le penser aussi ici– mine totalement la démocratie.
Dans la perspective des élections régionales de la fin de l’année, il y a urgence à agir, et c’est pourquoi le Gouvernement souhaite accompagner la proposition de loi. Et il y a d’autant plus urgence à agir que c’est la première fois depuis 1965 qu’un scrutin aura lieu à la fin de l’année. Ce n’est ni le lieu ni le jour de refaire la réforme territoriale qui a, depuis, été adoptée. Je me contenterai de rappeler que la date de ce scrutin permettra aux nouveaux conseils régionaux fusionnés de se mettre en place au 1er janvier, seule date susceptible d’intégrer les contraintes budgétaires et fiscales qui pèsent sur les collectivités.
Afin de tenir compte du caractère exceptionnel de la date de ce scrutin, il fallait donc une mesure qui fût aussi exceptionnelle. On ne peut pas s’indigner, le soir de chaque élection, de la faiblesse du taux de participation et ne rien faire pour lutter contre ce fléau !
La députée Mme Élisabeth Pochon a pris l’initiative d’agir, et je l’en remercie. Sans l’adoption de cette proposition de loi, les élections de décembre 2015 se feraient sur la base des demandes d’inscription déposées près d’un an avant, au 31 décembre 2014, soit avec un décalage flagrant et préjudiciable. Nous devons donc y remédier !
Le code électoral prévoit déjà, à l'article L. 30, des dérogations permettant une inscription en dehors des périodes de révision annuelle des listes, notamment pour les électeurs déménageant pour motif professionnel.
Les Français qui auront déménagé entre le 31 décembre 2014 et l’été 2015 pour des motifs qui ne sont pas professionnels sont toutefois très nombreux. Ne pas leur permettre de s’inscrire sur les listes électorales risquerait de provoquer un profond mécontentement et un décalage de la démocratie avec les réalités de notre société, de plus en plus marquée par la mobilité.
Ainsi, le rapprochement entre la date butoir d’inscription sur les listes électorales et le moment où se déroule le scrutin permettra d’obtenir un corps électoral plus sincère, basé sur des listes électorales plus représentatives.
Dès lors, non seulement le Gouvernement soutient cette proposition de loi, mais il appelle à la vigilance quant à la nécessité d’adopter cette initiative dans les meilleurs délais pour en permettre l’application.
Les communes attendent en effet les instructions des préfectures sur les mesures à mettre en œuvre pour préparer cette révision exceptionnelle. Or ces instructions nécessitent le vote d’une loi, la publication d’un décret d’application, ainsi qu’un travail étroit avec l’Association des maires de France et l’INSEE.
En revanche, le Gouvernement ne peut soutenir les amendements qui ont été adoptés par la commission des lois du Sénat et souhaite un retour au texte initial.
En effet, le dispositif proposé aujourd’hui consiste à généraliser l'article L. 30 du code électoral, qui permet d’ores et déjà à certains électeurs de s’inscrire jusqu’à dix jours avant le scrutin. Dix jours, c’est bien moins que l’engagement présidentiel de trente jours, me direz-vous. Cependant, si le Président de la République n’a pas pris un tel engagement, c’est tout simplement qu’il n’était pas tenable. Dans les conditions actuelles, contrairement à ce que propose la commission, le dispositif ne peut être généralisé, et ce pour des raisons purement techniques et nullement politiques.
En effet, un tel délai ne permet pas de procéder à une vérification de la capacité électorale et de prévenir les doubles inscriptions. Contrairement à la révision annuelle, l'article L. 30 ne permet pas aux mairies de saisir l’INSEE, qui n’est pas mobilisée dans ce dispositif d’urgence. Les mairies n’ont en réalité que cinq jours pour inscrire les électeurs sur les listes ainsi que sur le tableau de rectification, dit « tableau des cinq jours », publié cinq jours avant le scrutin. Il en résulte en conséquence des inscriptions soit doubles, soit indues, dont l’existence n’est soutenable que si elle est limitée.
Par ailleurs, le dispositif de l'article L. 30 ne fonctionne que si les flux sont limités. Si les demandes sont nombreuses, ce qui est potentiellement le cas, et que les dispositions prévues à l'article L. 30 sont généralisées, les mairies auront des difficultés à y faire face, et les demandes d’inscriptions ne seront donc pas correctement traitées.
Par conséquent, si nous voulons apporter une réponse exceptionnelle au scrutin du mois de décembre 2015, il faut préserver le nécessaire échange d’informations entre les communes et l’INSEE, qui permet de fiabiliser les inscriptions et les radiations.
C’est pourquoi le Gouvernement soutient la réforme initialement présentée dans la proposition de loi. Ces deux mois, préservés entre le début du mois d’octobre et la fin du mois de novembre, constituent un minimum incompressible. Ce délai exigera déjà beaucoup de l’INSEE et des communes. Or je connais l’attention que la Haute Assemblée porte aux communes et son souci de ne pas voir leur charge inutilement alourdie.
Si nous voulons réduire ce délai, nous devons changer le système. Telle est d’ailleurs bien la volonté du Gouvernement. Je le redis ici sans ambiguïté, notamment à M. le rapporteur dont je salue l’engagement et la sincérité avec lesquels il a accompli son travail :...
... c’est une réforme plus structurante que le Gouvernement appelle de ses vœux. Si cette proposition de loi permet de faire face à l’urgence d’une situation, nous devons d’ores et déjà envisager de franchir une étape supplémentaire. Je souhaite que nous le fassions tous ensemble.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République s’est clairement exprimé en faveur d’une modernisation de l’accès au scrutin, avec l’ambition qu’en 2017 nos concitoyens puissent s’inscrire sur les listes électorales dans un délai d’un mois précédant l’échéance électorale et non plus seulement l’année précédant le scrutin.
J’ai réuni voilà quelques jours les auteurs du rapport, Mme Pochon et M. Warsmann, un parlementaire de la majorité et un parlementaire de l’opposition. J’ai eu la confirmation qu’ils partageaient l’un et l’autre cette ambition, et le rapport qu’ils ont rédigé contient des propositions très concrètes en ce sens. Nous avons d’ores et déjà, avec ces deux députés, comme je m’y étais engagé à l’Assemblée nationale le 30 mars dernier, commencé à travailler ensemble à une telle réforme. Celle-ci, parce qu’elle porte sur l’organisation du scrutin, doit recueillir le plus large consensus possible ; elle ne peut se faire dans l’opposition des uns à l’égard des autres.
Cette initiative permettra d’être totalement fidèle à l’esprit de l’intégralité des amendements de M. Pierre-Yves Collombat. Le ministère de l’intérieur, qui suit de près la préparation de cette proposition de loi, veillera à ce que M. le rapporteur ainsi que tous les sénateurs qui le souhaitent puissent participer aux travaux préparatoires, dans la tradition des initiatives transpartisanes qui devraient tous nous rassembler.
Je prends l’engagement que c’est bien cet esprit qui présidera à nos travaux et que les préoccupations formulées par le Sénat seront prises en compte dans la réflexion conduite par les deux parlementaires.
Il s’agit non seulement de parvenir à un dispositif qui fonctionne, mais aussi, dans le plus grand consensus, de trouver les moyens de lutter contre l’abstention et de créer les conditions d’un engagement plus important des jeunes dans la démocratie par un exercice plus systématique du vote. Nous devons prendre des dispositions législatives en ce sens.
Je tiens à redire la volonté du Gouvernement d’aboutir de la façon la plus consensuelle possible – donc la plus républicaine – à un accord. C'est la raison pour laquelle je propose de revenir au texte initial tel qu’il est issu des travaux de l'Assemblée nationale. Ensuite, ainsi que je m’y suis engagé au nom du Gouvernement, nous pourrons créer un groupe de travail transpartisan afin d’adopter un texte qui respecte l’ambition des amendements de la commission des lois du Sénat, à savoir la généralisation du dispositif. C’est ainsi, ensemble, dans le dialogue, l’écoute et la volonté de cheminer conjointement, que nous parviendrons à arrêter le meilleur dispositif.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, dont la discussion est demandée par le groupe socialiste et apparentés, a pour objet de permettre la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales, afin que ceux qui n’ont pu s’inscrire avant le 31 décembre 2014 et qui, sauf dérogations prévues à l’article L. 30, ne pourront voter aux élections régionales du mois de décembre 2015 puissent le faire.
Une telle proposition semble de bon sens. Qui refuserait d’endiguer l’absentéisme électoral ?
Pour autant, une loi d’exception est-elle le bon moyen ? Qui plus est, est-ce le bon moment ?
Le principal responsable de l’absentéisme électoral qui touche notre démocratie au cœur est-il la rigidité des procédures d’inscription sur les listes électorales ? Si celle-ci y contribue, une mesure ponctuelle et exceptionnelle est-elle le meilleur remède à cette désaffection massive de nos concitoyens ? Vous me permettrez d’en douter.
Ainsi, au premier tour des élections départementales du mois de mars 2015, les abstentionnistes ont représenté 49, 8 % des inscrits. Ceux qui se sont exprimés représentaient 47, 7 % des inscrits, c'est-à-dire moins de 50 % ! En d’autres termes, un électeur sur deux n’a pas participé à la désignation de son représentant au conseil départemental.
Là est le vrai problème de notre démocratie. Ce ne sont ni les personnes non inscrites ni les personnes mal inscrites, fussent-elles 3 millions pour les premières ou 6, 5 millions pour les secondes, selon les estimations dont on dispose. Qui plus est, il n’y a aucune raison pour que, une fois inscrites, celles-ci se comportent différemment du corps électoral tout entier, c'est-à-dire qu’elles votent plus que celles qui ne votent pas !
Sourires.
La procédure d’inscription sur les listes électorales serait « véritablement moyenâgeuse », déclare, tout en nuances, le directeur du département de sciences politiques de l’université de Montpellier-I dans Libération du 26 décembre 2014. Qu’on nous permette de douter de cette vision du Moyen-Âge !
Nouveaux sourires.
Trop rigide pour être adaptée à la mobilité de la France d’aujourd’hui, la procédure prévue aux articles L. 16 à L. 29 du code électoral doit-elle être revisitée, comme le propose le rapport d’information de nos collègues députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann, dont s’inspire la proposition de loi ? Probablement.
Dans ces conditions, ce réexamen ne peut se limiter, comme cela nous est aujourd'hui proposé, à la réouverture « exceptionnelle » des listes électorales à quelques mois d’une échéance électorale qui ne s’annonce pas forcément sous les meilleurs auspices pour le Gouvernement. §Rien ne serait pis, en effet, qu’une mesure exceptionnelle pouvant, à tort ou à raison, éveiller le soupçon d’une opération d’opportunisme électoral, d’ailleurs vouée à l’échec comme toutes les initiatives du même genre.
Sourires sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
De toute façon, cela ne marche jamais !
Après cinq ans de torture du calendrier électoral, de bouleversements répétitifs des institutions départementales et régionales – compétences, modes d’élections, circonscriptions d’élections, etc. –, une modification « exceptionnelle » des conditions d’inscription sur les listes électorales aurait des effets fâcheux, voire contre-productifs, sur l’opinion de ceux que ces changements incessants déconcertent totalement.
Remarquons d’ailleurs que, si le niveau de participation électorale était la première préoccupation du Gouvernement, celui-ci ne serait pas revenu sur la date du 14 mars 2015, …
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. … qui avait d’abord été envisagée et qui avait le mérite de conserver la simultanéité des élections départementales et régionales
M. David Rachline acquiesce.
, d’éviter de convoquer les électeurs au mois de décembre, période de l’année à la météorologie hasardeuse, où les Français pensent plus au Père Noël de leur enfance qu’aux pères Noël électoraux.
Souriressur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC.
Selon le rapport d’information de l'Assemblée nationale, le calendrier d’inscription sur les listes électorales est devenu au fil des années « trop contraignant, inadapté au rythme démocratique et à la mobilité des électeurs ».
« Trop contraignant » ? Je viens de répondre. Certes, il l’est probablement. Pour autant, une disposition exceptionnelle ne saurait y remédier.
« Inadapté au rythme démocratique » ? Peut-être. Néanmoins, que peuvent bien avoir de « démocratiques » les bouleversements du calendrier électoral de ces dernières années, imposés au forceps ?
Surtout, à qui la faute ? Nemo auditur propriam turpitudinem allegans, dit le vieil adage. (Souriressur les travées de l'UMP.)
Faisons un bref retour sur les cinq ans écoulés.
La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a institué le conseiller territorial, qui se substitue au conseiller général et au conseiller régional. L'article 82 prévoit que le renouvellement général des conseillers généraux et régionaux aura lieu concomitamment au mois de mars 2014. Les conseillers généraux élus au mois de mars 2011 rempliront un mandat de trois ans, et le mandat de ceux qui ont été élus en 2008 ira jusqu’à son terme habituel, à savoir six ans. Les conseillers régionaux, élus au mois de mars 2010, voient leur mandat réduit de deux ans : ils auront donc été élus pour quatre ans, alors qu’ils auraient pu remettre en jeu leur mandat en 2016. Nous y reviendrons.
La loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral abroge la création du conseiller territorial, mort-né. L'article 47 allonge de un an les mandats des conseillers départementaux et régionaux, mais maintient la concomitance du renouvellement des conseils départementaux et régionaux, repoussé au mois de mars 2015.
La loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral chamboule une nouvelle fois le calendrier électoral. Après avoir proposé d’abord le report des élections départementales et régionales au mois de décembre 2015, le Gouvernement optera finalement, à l’article 10, pour un report des élections régionales au mois de décembre 2015, tout en maintenant les élections départementales au mois de mars 2015.
Le calendrier électoral serait enfin « inadapté à la mobilité des électeurs ». Cet argument est recevable, mais le code électoral y apporte déjà des éléments de réponse.
Actuellement, en effet, certains électeurs peuvent être inscrits directement par le maire, au titre de l’article L. 30 du code électoral – M. le ministre y a fait allusion –, en cas d’élection dans l’année, hors période de révision. Je rappelle rapidement qui est concerné : les fonctionnaires et agents des administrations publiques, les militaires rendus à la vie civile et les personnes qui établissent leur domicile dans une autre commune pour un motif professionnel, les Français et Françaises remplissant la condition d’âge exigée pour être électeur, après la clôture des délais d’inscription – ils sont inscrits d’office –, les Français et Françaises ayant acquis la nationalité française, etc.
Reste tous ceux qui, ne changeant pas de commune pour un motif professionnel, ne peuvent être inscrits sur les listes électorales que l’année suivant leur arrivée.
J’ai donc proposé à la commission des lois de remédier à cette situation en permettant simplement à toute personne établissant son domicile dans une nouvelle commune l’année d’une élection de pouvoir y participer. Il suffirait pour cela de supprimer la clause du motif professionnel figurant au 2 bis de l’article L. 30 du code électoral.
Cette solution, qui a été acceptée par la commission et qui permettrait à ceux qui souhaitent véritablement voter de le faire, a le mérite d’écarter tout soupçon d’électoralisme, car elle est générale et non exceptionnelle, d’être simple, et de ne pas nécessiter de décret en Conseil d’État.
M. le ministre ayant formulé diverses objections – cette proposition présente peut-être quelques inconvénients, mais nous y reviendrons lors de l’examen des amendements –, je lui apporterai maintenant divers éléments de réponse.
Pourquoi avoir choisi le calendrier électoral qui a été retenu ? On aurait fort bien pu en rester à la date de mars 2015 prévue dans la loi de mai 2013. On aurait également pu, puisque les deux élections étaient séparées – on peut d’ailleurs s’interroger sur l’efficacité d’une telle séparation en termes de mobilisation des électeurs –, prévoir les élections cantonales en mars 2015 et les élections régionales en mars 2016. Les conseillers régionaux actuellement élus auraient ainsi achevé leur mandat de six ans.
Vous évoquez le risque de double inscription, monsieur le ministre. Mais ce risque existe déjà. !
On fait comme si l’on découvrait son existence ! À cet égard, si un tel risque existe, peut-être suffirait-il de modifier l’article L. 30 du code électoral ?
Avec un délai prenant fin à dix jours du scrutin, vous craignez un afflux d’inscriptions sur les listes électorales au cours des derniers jours. Or pourquoi cet afflux se produirait-il dans les derniers jours ? Pourquoi d’ailleurs y aurait-il un afflux ? Sachant avec quel empressement nos concitoyens inscrits sur les listes électorales vont voter, on se dit qu’il y a peu de chances que ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales se précipitent pour aller s’y inscrire !
Pour éviter tout encombrement, pourquoi ne pas adopter un amendement autorisant à s’inscrire non pas jusqu’à dix jours, mais jusqu’à vingt ou trente jours avant le scrutin ?
Actuellement, les maires saisis d’une demande d’inscription de la part de personnes nouvellement arrivées dans leur commune, et qu’ils connaissent, transmettent à leurs collègues des communes de provenance les demandes des nouveaux inscrits. Si ces personnes étaient inscrites dans une commune, il y a tout de même peu de chances qu’elles n’aient pas le droit de voter. En outre, je rappelle que des sanctions pénales sont prévues en cas de double inscription : un an de prison et 15 000 euros d’amende, ce qui n’est tout de même pas rien ! On ne s’inscrit pas sur les listes électorales pour le plaisir, ou pour faire plaisir !
La solution que propose la commission est plus simple, car elle n’oblige pas à une réouverture généralisée des inscriptions sur les listes électorales, sachant qu’une révision des listes aura lieu quelques semaines plus tard pour l’année 2016. Une double révision des listes représenterait une double charge de travail pour les communes.
De même, cette solution est plus juste, car elle n’offre la possibilité de s’inscrire sur les listes qu’à ceux qui ne pouvaient le faire avant le 31 décembre 2014 parce qu’ils avaient déménagé pour des raisons n’étant pas d’ordre professionnel.
Cette solution faisait d’ailleurs l’objet de la proposition n° 1 du rapport Warsmann-Pochon : il s’agissait de « tenir compte, dans les opérations de révision et d’établissement des listes électorales de l’année 2015, du report programmé de mars à décembre 2015 de la tenue des élections des conseillers régionaux […] en procédant, à titre exceptionnel, à une seconde révision des listes électorales quelques semaines avant ou en ouvrant plus largement les possibilités de s’inscrire hors période de révision ».
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la solution que je vous propose au nom de la commission des lois ne me semble pas mauvaise. Comme je l’ai déjà dit, elle a le mérite de la simplicité. Il s’agit de plus d’une mesure générale et non pas exceptionnelle, venant après de multiples bouleversements du calendrier électoral. Elle n’a pas tous les inconvénients qu’on veut bien lui prêter.
MM. Yves Détraigne et Yves Daudigny applaudissent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, si elle prévoit des facilités pratiques qui sont les bienvenues, soulève une question fondamentale en filigrane : celle de savoir ce qui fait obstacle à l’exercice par nos concitoyens de leur droit de vote.
Certes, la réouverture des listes est salutaire. Il n’est pas raisonnable en effet d’interdire à des électeurs installés dans une commune au mois de janvier de participer à une élection régionale se déroulant au mois de décembre suivant, soit près d’un an après.
M. le rapporteur a d’ailleurs fort logiquement proposé de rendre pérenne cette réouverture des listes : pourquoi en effet la possibilité offerte à des habitants ayant déménagé en cours d’année de s’inscrire sur les listes ne pourrait-elle pas être reconduite pour de futures élections ?
Nous avons aujourd'hui la possibilité de faciliter la vie de nos électeurs en favorisant leur expression démocratique. Ne laissons donc pas les habitants nouvellement arrivés sur un territoire à la porte de la vie démocratique. Garantissons-leur que, en 2015, comme dans les années suivantes, ils seront considérés dès leur installation comme des citoyens à part entière, jouissant de tous leurs droits civiques.
J’entends l’argument selon lequel on ne peut généraliser un tel système, celui également selon lequel les pouvoirs publics ne pourraient pas totalement éviter les risques de double inscription. Or quand on mesure les efforts humains et matériels déployés par l’ensemble des collectivités locales pour organiser les scrutins, il ne paraît pas illégitime que l’État redouble les siens pour garantir à nos concitoyens le plus élémentaire de leurs droits constitutionnels.
Au-delà de cette seule question, que le Gouvernement, en mobilisant comme il se doit notre administration, devrait pouvoir surmonter, une interrogation demeure : comment insuffler aux électeurs l’envie de jouer leur rôle dans la vie démocratique de leur commune, de leur département, de leur région et de leur pays ?
Lors des dernières élections départementales – cela a été rappelé –, alors que le scrutin était médiatisé et que l’ensemble du pays était appelé aux urnes, un citoyen sur deux ne s’est pas déplacé. Sans doute l’enjeu de ces élections ne leur est-il pas apparu. Et on peut légitimement s’interroger sur les conséquences des atermoiements ayant précédé ces élections : à peine les dates des scrutins avaient-elles été annoncées qu’elles étaient modifiées dans des lois repoussant les consultations, au mois de décembre prochain notamment.
À ce propos, alors que les auteurs du texte qui nous est soumis aujourd'hui justifient leur proposition par la tenue des élections régionales en décembre, on s’interroge toujours, comme l’a dit M. le rapporteur, sur l’opportunité d’organiser des élections à cette période de l’année. Et je n’évoque même pas les réalités climatiques, qui, dans nos territoires ruraux, en particulier en montagne, pourraient décourager de nombreuses personnes de sortir afin de ne pas avoir à braver les intempéries !
Enfin, comment les électeurs ne seraient-ils pas désorientés alors que les pouvoirs publics retaillent des cantons hybrides à leur convenance, en dépit de toutes les réalités du terrain et même des intercommunalités, pour tenter désespérément d’inverser ou d’atténuer le choix majoritaire ?
Quel respect a-t-on pour le citoyen quand on demande à ce dernier de se prononcer afin de confier des mandats à des candidats dont on n’a toujours pas arrêté les prérogatives ?
On ne peut donner à nos concitoyens l’envie de s’approprier les affaires de la cité en leur donnant le tournis, en créant des modes de scrutin dont certains sont pour le moins baroques et en évoquant même le retour de la représentation proportionnelle aux élections législatives.
Comment prétendre que les assemblées de nos exécutifs locaux sont réellement représentatives alors que les communes rurales sont consciencieusement étouffées et que leurs habitants sont privés de représentation ?
Je suis donc favorable à cette proposition de loi de bon sens, même si elle est loin d’être suffisante face au défi qui nous attend.
Contrairement à une idée en vogue, je pense que, avant d’aller dresser procès-verbal à nos concitoyens coupables d’avoir boudé les urnes, notre devoir est désormais d’inciter ces derniers à se prononcer sur des enjeux lisibles.
Applaudissements sur les travées de l'UMP. –M. le rapporteur applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner la proposition de loi de nos collègues députés Élisabeth Pochon et Bruno Le Roux.
Ce texte vise à permettre la réouverture des délais d’inscription sur les listes électorales pour l’année 2015 en revenant de façon exceptionnelle – c’est peut-être l’un des enjeux du débat – sur le principe de la révision annuelle des listes électorales prévu par l’article L. 16 du code électoral.
Cette proposition de loi, qui a été adoptée à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une « niche » socialiste à l’Assemblée nationale, s’appuie sur les conclusions du rapport établi par Mme Pochon et M. Warsmann, lequel a permis à l’opposition et à la majorité d’aboutir à des conclusions communes. Il faut le souligner, car, sur ces questions, plus la majorité et l’opposition seront d’accord, moins il sera possible ensuite d’accuser quiconque de faire du tripatouillage électoral.
De manière consensuelle, les auteurs de ce rapport ont estimé que les contraintes pesant sur le calendrier d’inscription sur les listes électorales et sa complexité étaient l’une des sources déterminantes de l’éloignement de certains électeurs potentiels des urnes. Il est vrai que cette raison n’explique pas à elle seule l’abstention, mais – cela a été dit – les 6 millions de Français mal inscrits pèsent sur le taux d’abstention, dans lequel ils sont comptabilisés. En permettant de réduire le nombre de personnes mal inscrites, on diminuera le taux d’abstention. Surtout, on favorisera la participation de nos concitoyens aux scrutins. Un tel objectif est d’ailleurs partagé, je l’ai constaté, sur toutes les travées de notre assemblée.
Favoriser l’inscription des citoyens sur les listes électorales et leur participation aux élections sont des enjeux essentiels dans un système démocratique. Il s’agit de faire en sorte que les citoyens soient bien au cœur du processus démocratique, et donc électoral.
Les auteurs de la proposition de loi ont considéré – mais nous le savions – que l’année électorale 2015 allait être particulièrement difficile, compte tenu du report des élections régionales au mois de décembre.
Lorsque nous avons débattu de la loi portant redécoupage des régions, nous aurions pu pressentir que ce report allait poser des difficultés d’inscription sur les listes électorales. Il aurait été plus simple de trouver une solution à l’époque et de l’intégrer dans le texte de loi.
Malheureusement, ni le Gouvernement – nul n’est parfait ! –, ni les députés, ni les sénateurs n’ont perçu ce problème. C’est pourquoi la présente proposition de loi revêt aujourd’hui un caractère essentiel pour régler ce problème ponctuel.
En outre, au-delà de ce cas particulier, le Gouvernement comme le Parlement souhaitent pouvoir régler cette difficulté d’inscription de manière pérenne. L’exécutif sera ainsi à l’écoute des propositions formulées par Mme Pochon et M. Warsmann, et une proposition de loi sera déposée avant la fin de l’année devant le Parlement pour revoir les modalités d’inscription sur les listes électorales, avec l’objectif défini par le Président de la République de permettre l’inscription jusqu’à un mois avant l’élection.
La proposition adoptée en commission des lois, que je n’ai pas soutenue, permet elle aussi d’aboutir à une solution pérenne, mais en s’appuyant sur l’article L.30 du code électoral, dont l’objectif est de gérer dans l’urgence quelques cas très particuliers. On dénature donc le fondement de cet article en voulant l’utiliser pour régler une difficulté ponctuelle liée à une modification d’ores et déjà connue du calendrier électoral. Essayons donc de trouver la meilleure solution pour régler le cas précis des élections régionales et, si nous voulons régler de manière pérenne la question de l’inscription sur les listes électorales, attendons plutôt la proposition de loi qui prolongera le rapport de Mme Pochon et de M. Warsmann.
Si nous partageons déjà tous le même objectif politique – permettre à nos concitoyens de s’inscrire jusqu’en septembre pour participer aux élections régionales –, il ne nous restera qu’à trouver une réponse technique à cet objectif politique.
J’ai été sensible aux arguments avancés par M. le ministre : techniquement, la proposition avancée par la commission des lois sera en effet difficile, voire impossible à appliquer.
Une fois la loi votée, les opérations de communication seront nombreuses et nos concitoyens vont se présenter en nombre à la rentrée pour s’inscrire sur les listes électorales. Dès lors, le système de l’article L.30 du code électoral, qui a été calibré pour des flux d’électeurs limités, risque d’être engorgé.
Si les communes doivent encore gérer jusqu’à dix jours avant la date du scrutin des flux importants d’électeurs, elles seront confrontées à de grandes difficultés, et je sais combien nous sommes sensibles sur ces travées aux problèmes que peuvent rencontrer les collectivités.
Par sa fonction de contrôle des demandes d’inscription et de radiation, l’INSEE constitue le pivot du dispositif de révision des listes électorales de droit commun. À l’inverse, dans le système exceptionnel de l’article L.30 du code électoral, les mairies se transmettent directement les demandes d’inscription et de radiation. On va donc faire peser sur les maires une lourde charge de travail et une grande responsabilité, pour gérer un afflux qui risque d’être important.
Il est en effet exceptionnel que des élections se tiennent en décembre : le dernier exemple remonte ainsi à 1965. De surcroît, la mobilité est beaucoup plus importante aujourd’hui que dans les années soixante. D’ores et déjà, nous pouvons noter que nos concitoyens sont nombreux à se renseigner en mairie sur les possibilités d’inscription pour le vote de décembre prochain. Si les efforts de communication sont importants – ils le seront vraisemblablement –, les demandes risquent d’être nombreuses et les maires pourraient se trouver en difficulté. Cet aspect doit aussi être pris en compte.
Nous devons réfléchir à un système qui ne conduise pas à l’inscription des électeurs n’étant pas en capacité de voter ou à des doubles inscriptions. Nous avons aussi la responsabilité d’assurer la sincérité du scrutin régional. Nous ne pouvons pas balayer d’un revers de main les difficultés techniques évoquées par M. le ministre. Ne nous contentons pas d’une approche cosmétique qui laisserait croire que l’on veut favoriser l’inscription alors que tel ne serait pas notre objectif en réalité.
Si l’on veut véritablement permettre à tous ceux qui ont déménagé dans l’année de s’inscrire – cela pourrait concerner quelques millions de Français –, nous devons mettre en place un système qui tienne la route, qui s’appuie sur l’INSEE et qui ne mette pas en difficulté les maires et les communes.
C’est pourquoi, en commission, j’ai défendu au nom du groupe socialiste des amendements visant à revenir à la rédaction retenue par l’Assemblée nationale.
Je félicite M. le rapporteur d’avoir recherché une solution pérenne qui lui a semblé plus pertinente. Toutefois, un examen attentif montre qu’elle risque de ne pas être opérationnelle et de poser de grandes difficultés. Au-delà de notre accord sur l’objectif, nous devons mettre à plat tous les éléments techniques afin de trouver la meilleure solution dans des délais très contraints.
Nous sommes déjà en mai, et les élections auront lieu en décembre. Les commissions devront contrôler les listes électorales en octobre ou en novembre pour des inscriptions en septembre. D’ici là, la loi doit être votée, un décret d’application doit être pris et les mairies doivent se préparer pour recevoir les inscriptions. Tout le système administratif doit être mis en place, puisqu’il s’agit de gérer non pas quelques cas particuliers, mais une masse d’électeurs.
Nous devons donc aller vite pour voter la loi, communiquer auprès des électeurs et permettre aux équipes qui vont organiser le scrutin sur le terrain de préparer cet afflux massif de nouveaux électeurs.
C’est pourquoi nous proposons de revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale, ce qui permettrait un vote conforme et une promulgation très rapide de la loi. À défaut, il faudrait passer par la commission mixte paritaire, voire par une dernière lecture à l’Assemblée nationale. Ce n’est sans doute pas impossible – nous pouvons voter des lois jusqu’à fin juillet –, mais ce sera très difficile, et cela risque de poser des problèmes aux maires et aux services appelés à gérer le processus d’inscription sur le terrain.
Nous avons donc déposé plusieurs amendements visant à revenir à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.
Sur cette question, il me semble opportun de dépasser les clivages politiciens. Nul ne peut savoir pour qui va voter un nouvel électeur qui s’inscrit et, comme l’a dit M. le rapporteur, ceux qui veulent jouer à la Pythie se trompent fréquemment ! Puisque nous sommes tous républicains, à défaut d’être des Républicains §permettons à nos concitoyens de s’inscrire sur les listes électorales et de voter pour les candidats de leur choix.
Nous devons, par une démarche commune, encourager cette inscription pour favoriser ensuite la participation et le vote. À mes yeux, la proposition initiale votée à l’Assemblée nationale le permettra, tout comme la proposition de loi qui sera déposée à l’automne pour permettre une révision des listes électorales jusqu’à un mois avant l’élection. Voilà qui nous permettra de régler de manière pérenne les difficultés d’inscription. Mais travaillons par étapes, et, d’ici là, trouvons une solution technique, pratique et opérationnelle qui nous permette de régler la difficulté occasionnée par les élections régionales de décembre 2015, difficulté que, collectivement, nous n’avons pas vue lors du vote de la loi sur le redécoupage électoral.
Des parlementaires ont commencé à travailler sur ce chantier lancé par le Président de la République, et je suis sûr que les membres de la commission des lois, sous la houlette du président Philippe Bas, pourraient former un groupe de travail pour préparer le débat quant aux meilleurs moyens de permettre une inscription tardive sur les listes électorales, en tenant compte des problèmes techniques que peuvent rencontrer ceux qui appliquent les lois sur le terrain, à savoir les maires et leurs équipes.
Nous avons un enjeu commun qui est de favoriser l’inscription sur les listes électorales et la participation électorale.
Je suis content de constater que nous sommes tous d’accord sur l’objectif.
Mais nous savons tous que le mieux peut-être l’ennemi du bien. La solution pérenne proposée par M. le rapporteur risque d’être inefficace et de poser des difficultés opérationnelles et des difficultés de calendrier.
Soyons raisonnables et pragmatiques : tenons compte des difficultés techniques et permettons réellement à nos concitoyens de s’inscrire sur les listes, en facilitant le travail des mairies et en permettant à ces dernières de bénéficier de l’appui de l’INSEE.
Sous couvert de la recherche d’une solution plus pertinente, qui se révélerait en fait inopérante, ne créons pas un écran de fumée qui aboutirait in fine à mettre en grande difficulté cette faculté d’inscription sur les listes électorales jusqu’en septembre pour les élections régionales.
Je suis certain que, sur ces travées, nous pouvons débattre des considérations techniques, écouter les spécialistes et les personnes qui gèrent ces listes électorales sur le terrain comme à l’INSEE, et trouver une solution qui nous rassemble.
Quel que soit le vote qu’ils émettront en décembre prochain, nos concitoyens souhaitent que l’on facilite ces inscriptions. Ne privons pas ceux qui ont déménagé de la faculté de voter et montrons que le Sénat sait faire preuve de pragmatisme pour soutenir les communes.
Le groupe socialiste votera donc les amendements qu’il a défendus en commission afin de revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue député Bruno Le Roux visant à la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales.
Comme vous le savez, nous avons décidé, au sein de la Haute Assemblée, consécutivement à la modification de la délimitation des régions, de reporter de mars à décembre 2015 l’élection des conseillers régionaux, des conseillers de Corse et des membres de l’Assemblée de Martinique et de Guyane.
Sans modification du droit existant, ces élections devraient être organisées sur la base des listes électorales entrées en vigueur le 1er mars 2015 et comportant les inscriptions déposées au plus tard le 31 décembre 2014. Il ne fait aucun doute que de très nombreux électeurs auraient, de facto, été momentanément exclus du processus électoral.
Dans sa rédaction adoptée par l’Assemblée nationale le 30 mars dernier, la proposition de loi socialiste prévoyait, afin de permettre au plus grand nombre d’exercer son droit de vote lors des prochaines élections régionales, de procéder à une révision exceptionnelle des listes électorales en 2015, en permettant l’inscription jusqu’au 30 septembre 2015. Faut-il le rappeler, à l’issue du second tour des élections départementales, le constat fut amer : non seulement la crise démocratique perdure, mais elle s’accentue dans notre pays, et les taux d’abstention record ne peuvent plus être ignorés.
Il faut – c’est également notre devoir de législateur – nous poser les bonnes questions et réfléchir aux causes de l’abstention, aux causes politiques comme aux causes institutionnelles. Nous nous devons de tout mettre en œuvre pour encourager nos concitoyens à retourner aux urnes.
De nombreuses propositions ont été faites, notamment dans le rapport d’information sur les modalités d’inscription sur les listes électorales de nos collègues députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann, dont je veux saluer ici le travail.
Au premier rang de ces propositions figurait la prise en compte, dans les opérations de révision et d’établissement des listes électorales de l’année 2015, du report programmé de mars à décembre 2015 des élections régionales.
Les membres du groupe écologiste regrettent que seule cette proposition soit ici défendue. Nous aurions aimé pouvoir débattre des autres propositions contenues dans ce même rapport, notamment celles relatives à l’accompagnement des démarches d’inscription, celles visant à garantir une mise à jour optimale des listes électorales ainsi que celles proposant de rénover les conditions d’attache avec la commune d’inscription.
Permettez-moi, mes chers collègues, puisque nous parlons du droit de vote et de la nécessité de garantir son exercice, de rappeler que les gens du voyage, citoyens français pour l’immense majorité d’entre eux, ont dû attendre la décision du Conseil constitutionnel du 5 octobre 2012 pour pouvoir exercer normalement leur droit de vote. Il est urgent de nous saisir de cette question et de tout mettre en œuvre pour garantir l’effectivité de ce droit si fondamental.
Nous regrettons la rédaction adoptée par notre commission des lois, car nous la considérons, elle aussi, comme réductrice. Il nous semble opportun de revenir à l’esprit initial de la proposition de loi, qui est d’accorder à l’ensemble des citoyens français en âge de voter un délai supplémentaire pour s’inscrire sur les listes électorales en 2015. Le groupe écologiste apportera donc son soutien aux amendements déposés par le groupe socialiste et le Gouvernement, et, in fine, à la proposition de loi ainsi modifiée.
Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par faire quatre remarques.
Première remarque : il est un petit peu gênant de répondre à une certaine urgence maintenant – en mai 2015 pour des élections qui auront lieu en décembre 2015 –, alors que la date des élections régionales est connue depuis juin 2014.
Deuxième remarque : eu égard aux problèmes de délais, aux problèmes techniques – ils ont déjà été évoqués, notamment par Philippe Kaltenbach –, il serait dommageable de ne pas améliorer la situation en termes d’inscription sur les listes électorales dans la perspective des élections régionales.
Troisième remarque : le rapport d’information présenté l’an dernier par nos collègues députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann est riche d’idées, même si nous ne souscrivons pas totalement aux vingt-trois propositions. Il nous semble constituer une bonne base de réflexion pour un débat de fond en vue d’une réforme ambitieuse.
Quatrième remarque : il est clair que c’est plutôt en 2016, année sans élection, qu’un tel débat de fond pourra se dérouler de manière sereine.
Le sujet est central. De nos pratiques en matière de listes électorales dépend aussi le bon exercice démocratique. Comment pouvons-nous tolérer que, de manière délibérée ou à cause des rigidités administratives, 3 millions de nos concitoyens ne soient pas inscrits sur les listes électorales et que 6, 5 millions d’entre eux soient mal inscrits ?
Certes, l’ouverture permanente de l’inscription sur les listes électorales ne permettra pas de créer un raz-de-marée de participation au scrutin, mais elle offrira cependant de nouvelles conditions d’accès au vote. De fait, le système de révision annuelle des listes électorales empêche de nombreux citoyens de voter, même si le peu d’intérêt pour notre fonctionnement démocratique dépasse largement la problématique de l’inscription sur les listes électorales.
Il nous paraît beaucoup trop restrictif de conditionner l’inscription sur une nouvelle liste électorale aux justificatifs prévus par l’article L. 30 du code électoral. J’en veux pour preuve la situation de nos jeunes ; vous l’avez évoquée, monsieur le ministre. Aux dernières élections départementales, pas moins de 64 % des moins de 35 ans ne se sont pas déplacés. Cette tranche d’âge réunit environ la moitié des citoyens mal inscrits. Permettre la réinscription sur les listes électorales dès le changement de domiciliation, c’est permettre de suivre efficacement nos concitoyens et leur garantir de bonnes conditions d’exercice démocratique.
Vous l’aurez compris, la situation actuelle ne peut pas nous satisfaire. Nous partageons la volonté de mener une réforme profonde de nos listes électorales pour redynamiser la participation. Nous sommes cependant pressés par le calendrier : une mesure doit donc être prise immédiatement pour que les listes électorales soient correctement actualisées d’ici aux élections régionales de décembre prochain. Cela peut justifier le « minimum », c'est-à-dire la réouverture des délais d’inscription jusqu’au 30 septembre et la mise en place rapide des modalités pratiques, y compris par voie réglementaire.
Nous restons néanmoins persuadés qu’une réforme en profondeur de l’exercice démocratique doit être réalisée. J’ai bien noté l’engagement de M. le ministre et du Gouvernement, ainsi que l’adhésion de presque tous nos collègues à ce principe. Il serait utile que l’engagement gouvernemental soit mis en œuvre rapidement et de manière ambitieuse, en termes non seulement de simplification et d’élargissement des modalités d’inscription, mais aussi d’accès à l’inscription ; je reviendrai sur ce point.
Nous sommes au cœur de la question de la citoyenneté, à plusieurs égards. La montée des extrémismes et la perte de confiance dans notre système politique – vous les avez évoquées, madame Benbassa – sont aujourd’hui des préoccupations incontournables. Il y a les annonces de bonnes intentions, et il y a les actes.
Concernant la réforme en profondeur de notre système de gestion électorale, et donc de notre système d’accès à l’expression démocratique, de manière technique mais aussi sur le fond, je peux vous assurer de l’engagement sans faille des sénateurs du groupe CRC pour défendre une mutation profonde de nos principes de citoyenneté et d’expression populaire, afin d’assurer un exercice démocratique et républicain le plus développé possible.
Ainsi, nous travaillerons sans relâche – avec certains d’entre vous, j’en suis sûr – à la reconnaissance entière du vote blanc. L’étude de sociologie électorale de Cécile Braconnier et Jean-Yves Dormagen rappelle que l’abstention peut être vécue comme une expression politique. La reconnaissance du vote blanc doit entrer dans cette dynamique.
En parallèle, nous nous engagerons en faveur du développement de la démocratie participative, notamment au niveau local et en particulier dans cet espace de citoyenneté extraordinaire qu’est la commune. Ce n’est pas ici que je devrai faire beaucoup d’efforts pour convaincre mon auditoire... Il s’agit d’organiser des consultations populaires et de faciliter le recours au référendum, tout en conservant à la commune son importance dans notre système institutionnel. Nous serons vigilants sur ce point lors du débat sur l’élection directe des conseillers communautaires.
Enfin, la question de la définition de la citoyenneté est centrale. L’histoire de notre république et de notre pays a été marquée par l’élargissement du corps électoral, du suffrage universel en 1848 à l’abaissement de la majorité électorale à dix-huit ans en 1974, en passant par le droit de vote des femmes en 1944.
Lorsqu’il était encore candidat, le Président de la République avait fait du vote des étrangers aux élections locales l’un de ses chevaux de bataille. Cette mesure a aussi fait l’objet d’une proposition de loi socialiste déposée à l’Assemblée nationale en 2010. Pour nous, il s’agit d’une question d’égalité et de justice. Comment justifier que des individus participant depuis de nombreuses années à la vie de leur collectivité par leur travail, leurs impôts et, souvent, leur engagement associatif, ne puissent pas prendre position sur les décisions qui les concernent au niveau communal ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par répondre à Patrick Abate.
Ah ! La montée des extrémismes...Vous ne risquez pas, quant à vous, de connaître une montée électorale, au vu des « claques » que vous recevez en ce moment. Je m’en félicite, d’ailleurs : c’est heureux pour notre pays !
Grâce au travail en commission, la proposition de loi a changé de nature, devenant par là même cohérente. En effet, que demandait au départ le groupe socialiste de l’Assemblée nationale ? Il souhaitait permettre la réouverture des délais d’inscription sur les listes électorales pour l’année 2015 en revenant de façon exceptionnelle sur le principe de révision annuelle prévu par l’article L. 16 du code électoral.
Quelles sont les raisons avancées ? La procédure d’inscription sur les listes électorales serait « véritablement moyenâgeuse », nous dit le directeur du département de science politique de l’université Montpellier I dans Libération ; le rapporteur y a fait référence tout à l’heure. Nous laissons à ce directeur la bêtise de sa formule et lui proposons d’aller travailler au ministère de Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui se fera un plaisir d’écouter sa logorrhée « historiquement correcte ».
Il est cocasse de constater qu’un parti socialiste aux abois après les résultats électoraux désastreux qu’il a obtenus lors des derniers scrutins cherche à limiter tant bien que mal la casse en permettant la réouverture des listes électorales en vue des régionales de décembre prochain.
La volonté de lutter contre l’abstention a tout de même été avancée comme argument de départ. Si certaines modalités d’inscription, trop complexes en effet, peuvent compliquer les démarches d’une partie de nos concitoyens pour voter, il est illusoire – le mot est faible ! – de prétendre lutter contre l’abstention au moyen de ces mesurettes.
Le texte simplifiera la vie d’une minorité, celle qui déménage et souhaite s’inscrire sur les listes électorales de sa nouvelle commune. Dans la situation actuelle, si elle fait les démarches nécessaires, cette partie de la population manquera peut-être un scrutin, mais verra son dossier régularisé pour le suivant. Avec le nouveau dispositif, les choses iront un peu plus vite et seront plus simples. C’est pourquoi je voterai la proposition de loi.
Néanmoins, contrairement à ce que vous essayez de faire croire, ce texte n’aura absolument aucune incidence sur l’abstention structurelle massive. L’argument est donc totalement fallacieux. Notre pays est en crise démocratique, car le discrédit de la classe politique est abyssal. Grâce à vos talents, tous bords confondus, dont nous profitons depuis quarante ans, le personnel politique a perdu toute crédibilité. Non seulement les résultats ne sont pas au rendez-vous, mais aussi, et surtout, le mensonge et le non-respect des promesses sont devenues monnaie courante. Vous savez, les uns et les autres, de quoi vous parlez !
N’oubliez pas, lors de vos grandes déclarations de démocratie, qu’un électeur sur trois en moyenne ne se déplace plus pour voter. Et pour cause, puisque, la plupart du temps, les électeurs ne sont pas représentés. C’est encore un engagement qui n’a pas été tenu par le Président de la République. Il était ainsi prévu d’instaurer une dose de proportionnelle à l’Assemblée nationale, ce qui serait le minimum pour rétablir, même partiellement, la démocratie dans notre pays.
Probablement est-ce par une vieille nostalgie du totalitarisme soviétique que vous avancez l’idée de rendre le vote obligatoire. Cela ne m’étonne pas de votre part !
Je remercie mon collègue varois, rapporteur de la proposition de loi, d’y avoir remis un peu de bon sens. Il faut évidemment aborder la question de manière générale. Je salue la modification apportée par la commission, et je soutiendrai ce texte si cette version est conservée lors de nos débats.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, échéances électorales après échéances électorales, force est de constater un désintérêt croissant de nos concitoyens pour les élections, qui se traduit dans les chiffres de la participation.
Il y a quelques années, ce désintérêt touchait les élections les plus « éloignées » des citoyens, sans doute parce que ceux-ci ne connaissaient pas vraiment les candidats ou encore le rôle de l’institution concernée ; je pense notamment aux élections européennes. Désormais, on constate hélas que les taux d’abstention sont de plus en plus forts à toutes les élections, y compris à celles dites « de proximité » ; je pense notamment aux élections municipales et départementales.
Le problème est-il lié aux dates de révision des listes électorales ? Franchement, je ne le pense pas.
Je pense plutôt qu’il est dû, d’une part, à une désaffection et une incompréhension de nos concitoyens devant la complexification croissante et incessante de nos institutions. Ainsi, ces dernières années, il y a eu un redécoupage des cantons, de nouveaux modes de scrutin pour les municipales et pour les départementales, des bouleversements du calendrier électoral, spécialement cette année, ou encore la mise en place de nouvelles régions. Cette élection inédite de décembre prochain va encore accroître les incompréhensions et les questions.
D’autre part, j’aurai tendance à souligner le sentiment grandissant pour les électeurs que, quelle que soit la majorité au pouvoir, les problèmes concrets, réels, auxquels ils sont confrontés, tels que le chômage, la hausse des prélèvements, la baisse du pouvoir d’achat, le chômage des jeunes, persistent élection après élection. Il y a, en quelque sorte, un sentiment de fatalité qui s’installe chez nos concitoyens, pour qui voter ne sert plus à grand-chose. Quand on en est là, c’est la démocratie qui peut être en danger !
Cette proposition de loi peut-elle régler tous ces problèmes ? Rien n’est moins sûr, il faut bien le dire. Ainsi que l’a souligné le rapporteur, il n’est pas prouvé qu’un individu qui ne n’est pas inscrit sur les listes électorales pendant la période habituelle de fin d’année 2014 saisira nécessairement l’opportunité offerte par ce texte de s’inscrire sur la période, qu’on pourrait qualifier de « rattrapage », entre juillet et septembre 2015.
Toutefois, à défaut de régler, pour le moment, les problèmes de fond de notre pays et de réconcilier ainsi durablement les électeurs avec leurs institutions et leurs élus, il convient d’agir sur tous les leviers qui peuvent permettre une meilleure participation des Français aux divers scrutins.
Cette proposition de loi, telle qu’elle a été retravaillée par notre rapporteur, Pierre-Yves Collombat – lequel n’en fait plus une loi de circonstance, mais crée un dispositif pérenne facilitant les inscriptions sur les listes électorales –, peut, du moins l’espérons-nous, constituer un progrès dans la lutte contre l’éloignement progressif des électeurs de l’institution électorale et, oserais-je dire, de la démocratie. Le groupe centriste votera donc en faveur de ce texte.
J’ajouterai qu’il est difficile de se ranger aux arguments avancés par M. le ministre en début de séance. À mon sens, toutes les modifications du calendrier électoral et des modes de scrutin, dont le gouvernement actuel est à l’origine, ont malheureusement plus de chances d’éloigner nos concitoyens du vote que de les en rapprocher !
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de loi souhaitent revenir de façon exceptionnelle sur le principe de révision annuelle des listes électorales pour permettre la réouverture des délais d’inscription pour l’année 2015.
Il serait, selon l’exposé des motifs, « de la responsabilité du législateur, dans une période qui voit émerger les nécessités de reconstruire les fondamentaux de la citoyenneté, de l’appartenance à la nation et des valeurs républicaines de notre société, de prendre une telle mesure, qui est de nature à rapprocher les citoyens de leurs instances démocratiques ».
Même si l’inscription sur les listes électorales est une obligation posée par l’article L. 9 du code électoral, force est de constater que plusieurs millions d’électeurs ne sont pas inscrits sur les listes, et que la France – j’y inclus volontiers les outre-mer – est devenue une démocratie de l’abstention. La participation électorale, considérée comme l’une des caractéristiques de la bonne santé d’un régime démocratique, ne cesse de s’affaiblir depuis une vingtaine d’années.
Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Certes, notre pays souffre d’une profonde crise du politique et bon nombre de nos concitoyens éprouvent un sentiment de défiance à l’égard de leurs représentants, mais ce n’est pas la seule raison.
Plusieurs rapports et études montrent en effet que les modalités d’inscription sur les listes électorales peuvent également constituer un frein à la participation électorale, la France disposant d’une procédure parmi les plus complexes au monde.
Ce sont ainsi près de 3 millions de Français qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales, auxquels il faut ajouter 6, 5 millions de personnes « mal inscrites », c’est-à-dire qui ne sont pas inscrites sur la liste électorale du bureau de vote rattaché à leur domicile. Ce phénomène touche pratiquement tout le monde à un moment donné et fait de ces « mal inscrits » des abstentionnistes malgré eux. Parmi les Français qui ont déménagé en 2014, seul un électeur sur cinq s’est réinscrit dans sa nouvelle commune, contre un sur deux en 2013.
C’est la raison pour laquelle le Président de la République a annoncé, le 30 octobre dernier, dans le cadre du choc de simplification, son intention de permettre l’inscription sur les listes électorales jusqu’à un mois avant un scrutin pour qu’ « aucun Français ne soit privé de son droit de vote à cause de la rigidité des règles ».
L’objectif de cette proposition de loi, qui est de lutter contre l’absentéisme électoral, est louable, et nous ne pouvons qu’y souscrire. Pour autant, et le rapporteur l’a bien rappelé, une mesure ponctuelle, exceptionnelle, n’est certainement pas le meilleur moyen de remédier à ce problème, d’autant qu’il est récurrent. Je ne pense pas que procéder à une réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes en vue des élections régionales de décembre prochain soit satisfaisant.
Comme l’a très bien dit, avec d’autres mots, notre collègue rapporteur, on ne peut pas en permanence faire des lois pour régler les dégâts collatéraux des lois antérieures.
Aussi, je tiens à saluer le travail de la commission des lois, et plus particulièrement celui de son rapporteur. L’approche retenue me semble particulièrement intéressante, puisqu’elle propose une solution pérenne et beaucoup plus simple : permettre aux électeurs qui emménagent dans une nouvelle commune après la clôture des inscriptions de s’inscrire sur la liste électorale, quel que soit le motif du changement de domicile.
Finalement, la seule différence avec la proposition de loi initiale réside dans le fait que les personnes qui habitent déjà dans leur commune, mais qui n’ont entrepris aucune démarche, ne pourront pas aller voter. Comme l’a dit Pierre-Yves Collombat, s’ils ne l’ont pas fait avant, ils ne le feront probablement pas après, même si nous leur en donnons les moyens. Les propositions du rapporteur ont également reçu un avis favorable en commission et l’appui de tous ses membres, y compris celui de l’opposition sénatoriale. Nous sommes donc quelque peu surpris de constater que le groupe socialiste a déposé des amendements, identiques à ceux du Gouvernement, pour revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale.
Surtout, les arguments avancés ne me semblent pas fondés. Vous proposez de revenir à la procédure actuelle de révision des listes électorales avec la mise en place d’un délai supplémentaire pour s’inscrire jusqu’au 30 septembre 2015. Je lis dans l’objet de l’amendement du Gouvernement que « ce délai permettra à l’ensemble des citoyens déménageant pendant la période estivale d’effectuer les démarches d’inscription ».
Monsieur le ministre, le texte adopté par la commission des lois le permettra également, puisque, selon l’article L. 30 du code électoral, les inscriptions dites « hors période » peuvent avoir lieu jusqu’à dix jours avant le scrutin. Il n’y a donc aucun « risque de générer un profond mécontentement et un décalage de la démocratie avec les réalités de notre société », comme le craignent les auteurs de la proposition de loi.
Monsieur le ministre, vous écrivez également que le texte de la commission « aggrave les risques de double inscription et la possibilité de vote de personnes en situation d’incapacité électorale ». Dans ce cas, monsieur le ministre, c’est l’article L. 30 qu’il faut supprimer !
Je le répète, la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales jusqu’à dix jours avant le scrutin existe déjà pour un certain nombre de personnes. Enfin, si le texte proposé par la commission des lois est adopté par la Haute Assemblée, puis en commission mixte paritaire, il n’y a aucune raison pour que la loi ne puisse pas s’appliquer aux élections régionales de décembre prochain, la procédure accélérée ayant été engagée.
Aussi, pour toutes ces raisons, le RDSE apportera son soutien au texte de la commission et de son rapporteur, notre excellent collègue Pierre-Yves Collombat.
Applaudissements sur les travées du RDSE et au banc de la commission.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’accès au vote de tous les électeurs constitue l’un des principes fondamentaux qui commandent les opérations électorales. Partant de ce principe, étudions le texte qui nous est soumis aujourd’hui.
Cette proposition de loi, telle qu’elle nous a été transmise par l’Assemblée nationale, et telle que rédigée initialement par ses auteurs, a pour objectif la réouverture des délais d’inscription sur les listes électorales en vue des élections régionales de décembre prochain.
Il est proposé de revenir, de façon exceptionnelle, sur le principe de révision annuelle des listes électorales prévu par l’article L. 16 du code électoral. Une révision supplémentaire en 2015 permettrait de prendre en compte les demandes d’inscriptions déposées jusqu’au 30 septembre 2015. Les opérations d’inscription et de radiation seraient donc effectuées aux mois d’octobre et novembre prochains, en vue de l’établissement des listes électorales définitives pour les élections de décembre.
La proposition de loi ainsi formulée répond ponctuellement à une situation exceptionnelle, puisqu’elle concerne uniquement les prochaines élections régionales, reportées de mars à décembre 2015. Généralement, les élections régionales se tiennent en mars et aucune élection n’a eu lieu en décembre depuis cinquante ans, mais le Gouvernement en a décidé autrement.
Ainsi, les listes électorales pour les élections de décembre auraient dû être celles arrêtées au 1er mars 2015, à partir des demandes déposées avant le 31 décembre 2014. Le délai entre la clôture des demandes et le scrutin étant très important – quasiment un an ! –, la volonté de rouvrir les délais est compréhensible, mais cette révision exceptionnelle est-elle véritablement nécessaire ?
Les citoyens français vont-ils être plus nombreux à s’inscrire sur les listes électorales spécialement pour ce scrutin ? Pourquoi ne l’auraient-ils pas fait avant le 31 décembre dernier ?
Les élections régionales se caractérisant généralement par une forte abstention, susciteront-elles un plus fort engouement si nous avons rouvert les délais d’inscription sur les listes ? Permettez-moi d’en douter.
À mon sens, cette réouverture ne changera rien, car le problème est plus vaste. Les personnes ne s’étant pas inscrites sur les listes avant le 31 décembre ne le feront pas davantage avant le 30 septembre.
Alors, qu’est-ce qui empêche aujourd’hui les citoyens français de faire la démarche de s’inscrire sur ces listes ?
La sensibilisation au droit et au devoir de voter est un sujet que nous devons véritablement approfondir, mais revenons sur les conséquences de la mesure proposée par les auteurs du texte.
Sans m’attarder sur le caractère totalement inopportun de la période à laquelle ces élections régionales ont été placées, à savoir juste avant les fêtes de Noël, je voudrais souligner le probable sentiment d’opportunisme électoral que risque de susciter cette réouverture soudaine des délais d’inscription. En modifiant les lois électorales, comme il l’a fait depuis la première année suivant son arrivée au pouvoir, en malmenant le calendrier électoral, le Gouvernement a entretenu des soupçons de manipulation, ce qui a joué sur la confiance des Français. Dans le contexte que nous connaissons aujourd’hui, je doute que cette attitude soit très opportune, quand nos concitoyens attendent des élus une plus grande transparence.
Enfin, l’Association des maires de France l’a souligné, une révision exceptionnelle imposerait aux communes – surtout pour les petites, comme celle dont je suis le maire – une charge supplémentaire.
Comme indiqué précédemment, le texte que nous examinons ce jour a été remanié par la commission des lois. Je tiens ici à saluer la qualité du travail de son rapporteur, Pierre-Yves Collombat
M. le président de la commission des lois opine.
La nouvelle rédaction de cette proposition de loi a donc pour objet de faciliter l’inscription sur les listes électorales. Aujourd’hui, d’après le code électoral, seules peuvent s’inscrire après la clôture des délais d’inscription les personnes qui établissent leur domicile dans une autre commune pour un motif professionnel. Cette mention du motif serait supprimée, ce qui permettrait donc l’inscription de toute personne qui a déménagé durant l’année de l’élection. Cette solution a l’avantage d’être pérenne.
En conclusion, je tiens à souligner l’utilité de cette proposition de loi, telle qu’elle a été modifiée par la commission des lois. Elle est très favorable à la démocratie, puisque son adoption permettra de mener plus de citoyens vers les urnes, sans pour autant créer de soupçons sur d’inutiles mesures exceptionnelles.
Cependant, à mon sens, le principe de révision annuelle des listes électorales n’est pas forcément bon. Nous devons assouplir les règles de l’accès au scrutin, et une réforme de modernisation de notre code électoral sur ce point s’avérerait nécessaire.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je voudrais remercier très sincèrement l’ensemble des sénatrices et sénateurs qui se sont exprimés sur ce texte, à l’exception de l’un d’entre eux, dont l’outrance et la violence du propos, empreint de caricatures et d’amalgames, ne correspondent ni à ma conception du débat parlementaire ni à ma conception de la République. Il se reconnaîtra…
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Non, monsieur Rachline, la République, ce n’est pas cette violence, ce n’est pas cette capacité d’invective, ce n’est pas non plus cette propension à l’insulte…
Si, je crois que je le suis beaucoup plus que vous, et votre discours en témoigne, s’il en était besoin, de même que votre ton, lequel contraste avec le mien.
En premier lieu, je souhaite rappeler les raisons pour lesquelles les électeurs seront invités à voter en décembre 2015, puisqu’un débat a eu lieu ici même sur ce sujet.
Il fallait fixer le scrutin au plus près de la création des nouveaux conseils régionaux. Cette création par fusion de collectivités n’est possible qu’au 1er janvier, au début de l’année fiscale et budgétaire. C’est la raison pour laquelle – nous nous en étions expliqués de manière technique et détaillée lors de la présentation du projet de loi créant les nouvelles régions – cette date a été choisie, après consultation non seulement des parlementaires, mais aussi des services concernés du Conseil constitutionnel.
En second lieu, je tiens à répondre à l’argument selon lequel la modification de l’article L. 30 du code électoral permettrait de simplifier la procédure. Effectivement, dans un tel cas, il n’y aurait pas de décret à prendre pour différer et ajuster les dates de consolidation du tableau des additions et retranchements, d’habitude publié en début d’année. L’INSEE serait moins impliqué et aurait donc moins de travail. En revanche, la procédure serait considérablement complexifiée pour les maires. Je le précise, puisque le dernier orateur a exprimé des inquiétudes quant à la charge que cette disposition ferait peser sur les maires ruraux : seuls, sans appui de l’INSEE, les maires seront mis sous pression et disposeront de neuf jours au lieu de deux mois pour procéder à la révision.
Selon ses partisans, les inconvénients de la modification de l’article L. 30 devraient s’avérer limités pour les élections régionales de 2015. Pour que cela soit vrai, il faudrait que les électeurs ne s’inscrivent pas, c’est-à-dire que cette réforme échoue. Surtout, la généralisation de la procédure de l’article L. 30, parce qu’elle serait pérenne, aurait des conséquences redoutables si elle était appliquée à tous les scrutins, notamment à l’élection présidentielle.
Je voudrais conclure mon propos en observant que les raisonnements tenus à l’appui des préventions exprimées contre cette proposition de loi ne tiennent pas, si l’on prend en compte les conditions dans lesquelles cette proposition de loi a été élaborée.
Tout d’abord, ce texte résulte-t-il de la réflexion d’un parti contre tous les autres ? Absolument pas, puisqu’il est très précisément issu de travaux réalisés par deux députés, appartenant l’une à la majorité, l’autre à l’opposition. Cette proposition de loi a vocation à être généralisée par la suite, conformément à l’ensemble des préconisations de ce rapport parlementaire transpartisan.
Ensuite, un autre argument ne manque pas de saveur. Il vient de ceux qui affirment que l’on modifie le code électoral juste avant le scrutin pour que ceux qui gouvernent le pays puissent bénéficier des résultats de ce scrutin. Or les auteurs de cet argument sont les mêmes qui nous expliquent que le gouvernement actuel est condamné à perdre toutes les élections !
Je ne vois rien de logique dans ce discours qui consiste à dire que la majorité en place est toujours en difficulté lors des élections, mais que les nouveaux électeurs inscrits pourraient voter subitement en sa faveur. Si la politique du Gouvernement actuel est à ce point mauvaise, comme vous semblez le penser, il n’y a aucune raison de croire que ceux qui iront voter feront autre chose que d’exprimer leur condamnation de cette politique. À la limite, vous avez tout à attendre de ces nouvelles inscriptions, si l’on suit votre raisonnement : puisque tout va si mal et que l’on ne peut que voter contre le Gouvernement, vous devriez encourager toute mesure tendant à faciliter l’inscription de nouveaux électeurs, plutôt que d’exprimer votre méfiance !
En réalité, le sujet n’est pas là. Le discours que je viens d’évoquer reflète un raisonnement caractéristique de ce que la politique a de plus clivant et partisan. Notre préoccupation devrait être que les électeurs aillent le plus possible s’inscrire, quel que soit le vote qu’ils émettront. La démocratie est comparable à une grande roue qui tourne : on ne sait jamais quels seront les résultats des élections, car celles-ci offrent souvent des surprises. Dans l’histoire, ceux qui se sont estimés sûrs du résultat des élections à venir les ont souvent perdues. Il faut donc aborder ces sujets avec prudence et humilité.
Il vaut mieux se poser la question des principes. En l’occurrence, nous voulons lutter contre l’abstention. Est-ce une bonne chose ? Oui ! Cette proposition de loi est-elle susceptible d’influer sur le résultat des élections ? Non, pour les raisons que je viens d’indiquer. Peut-on introduire dans cette proposition de loi des dispositions applicables à toutes les élections ? Non, pour les raisons que vous avez exprimées : en effet, cette procédure est lourde et implique un travail de préparation, si l’on ne veut pas que les maires soient soumis à une pression épouvantable et ne puissent pas faire face à l’échéance. Je ne veux pas qu’une réforme destinée à lutter contre l’abstention mette tous les maires de France en difficulté.
Comme sur d’autres sujets non clivants dont nous avons eu à traiter devant cette assemblée, je propose que nous fassions preuve d’un état d’esprit qui rehausse le niveau du débat politique et du travail parlementaire en oubliant les clivages et en se concentrant sur les principes, qu’il s’agisse des conditions du vote ou du droit d’asile, sujets éminemment républicains. Essayons donc de construire des lois qui font l’unanimité, car c’est possible, et laissons les gens voter comme ils l’entendent en fonction de leurs convictions, puisque c’est cela la démocratie.
Je propose donc que l’on revienne au texte adopté par l’Assemblée nationale, ce qui permettra de conclure rapidement cette affaire et de garantir l’inscription sur les listes électorales de tous ceux qui ne peuvent pas voter. Vous avez une bonne raison de le faire, puisque je vous donne toute garantie, compte tenu du travail que les députés Jean-Luc Warsmann et Élisabeth Pochon sont prêts à faire ensemble, que toutes les préoccupations émises lors des travaux de la commission des lois seront reprises dans un texte présenté dans la foulée, afin de régler les problèmes qui pourraient se présenter à l’avenir.
Je propose donc au Sénat d’envoyer aujourd’hui un signal très fort à tous les électeurs de France, quoi qu’ils pensent ou votent, pour leur dire que le Parlement a fait en sorte que les conditions d’inscription sur les listes électorales permettent à tout le monde de voter afin de lutter contre le fléau de l’abstention. Cette réaction républicaine montrera aux Français que la politique, avec ses conflits et ses clivages, n’est pas à même de tout miner ni de tout détruire, en encourageant l’opposition à tout. La République a aussi besoin d’un tel message !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.
Monsieur le ministre, je voudrais aussi me situer sur le plan des principes.
En premier lieu, quand on est confronté à un problème comme celui de l’abstention, on essaie de le traiter au fond et pas simplement à la marge. On ne me fera pas croire que les rigidités des modalités d’inscription sur les listes électorales, même si elles peuvent jouer, représentent la difficulté essentielle. Ce n’est pas vrai ! Nous sommes préoccupés parce que les résultats électoraux montrent une désaffection de notre peuple, qui va plus loin que l’abstention.
Aujourd’hui, quand on vote – si on vote ! –, on le fait majoritairement contre ! Voilà le fond du débat et il est temps de se poser cette question, même si nous n’allons pas la régler avec une loi. Cette situation est constante, d’ailleurs. Dans un passage de L’Ancien régime et la Révolution, Tocqueville montre bien comment, à force de vouloir tout centraliser, les gens ne se déplaçaient même plus quand on leur demandait de voter. Posons-nous donc la question !
Ensuite, je vous l’avoue, je suis fatigué d’avoir à examiner des lois qui ont pour but de corriger les effets collatéraux négatifs des lois précédentes. On adopte une loi, on s’aperçoit ensuite que son application pose des problèmes et on présente une nouvelle loi ! C’est vraiment dénaturer notre fonction. Quand la loi modifiant la date du scrutin régional a été votée, on aurait pu se rendre compte du problème et décider de rouvrir les inscriptions sur les listes électorales.
Enfin, monsieur le ministre, comme mon collègue Philippe Kaltenbach, vous avez évoqué la nécessité d’un vote conforme du Sénat. Je suis toujours surpris que l’on nous présente de telles demandes, puisque la raison d’être du bicamérisme est bien que chaque assemblée puisse apporter sa contribution.
Ma position s’appuie donc sur des considérations de principe, et je remercie la commission de m’avoir suivi. Je veux bien admettre la nécessité de faire preuve de pragmatisme – après tout, c’est la base de la politique –, mais un pragmatisme qui n’est pas encadré par des principes devient un pur opportunisme !
Quelle est la raison qui justifie cette proposition de loi ? J’avoue que je n’en sais rien. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, ce n’est pas en rouvrant la possibilité de s’inscrire sur les listes que l’on va modifier les résultats des scrutins, j’en suis intimement persuadé. Alors, pourquoi nous soumettre cette proposition de loi ? Vous nous dites qu’il faut améliorer le taux de participation aux élections et que c’est un impératif absolu. Il est un peu tard pour s’en rendre compte ! Franchement, je ne crois pas que cette proposition de loi soit conforme aux principes que vous avez évoqués.
Quant à vos objections techniques, je ne peux pas non plus les accepter. L’article L. 30 du code électoral fonctionne déjà actuellement. Vous nous dites que les électeurs vont se précipiter dans les dix derniers jours. Pour quelle raison ? Nous n’en savons rien ! Je vous ai d’ailleurs proposé d’amender le texte sur ce point, si nécessaire.
Ensuite, vous nous avez dit que les électeurs allaient se précipiter en masse pour s’inscrire. Ce sera au mieux une demi-masse, puisque la moitié n’ira pas voter ensuite !
Sourires.
Alors que nous avons constaté un désengagement évident des électeurs au mois de mars, pourquoi devrions-nous constater un engouement extraordinaire au mois de septembre, pour élire des conseils régionaux dont on ne connaîtra même pas les compétences, puisque la loi n’aura pas encore été votée ?
Enfin, selon vous, les inconvénients de la solution que nous proposons provoqueront l’échec de cette réforme, mais je n’ai aucunement la prétention de défendre une réforme ! J’essaie simplement, pragmatiquement, mais conformément à mes principes, de présenter une solution qui vaut ce qu’elle vaut. Elle améliorera un peu le droit existant, à charge pour vous d’intégrer par la suite toutes ces propositions dans une réforme complète des conditions d’inscription sur les listes électorales, puisque vous nous avez dit que le Président de la République en avait pris l’engagement.
Pour l’ensemble de ces raisons, je persiste dans la volonté de vous présenter cette solution qui me paraît non pas la meilleure, mais la moins mauvaise !
Je serai très bref, monsieur le président.
Tout d’abord, il faut raisonner en fonction des étapes d’élaboration de ce texte, qui n’est pas un texte gouvernemental. Il s’agit d’une proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale, résultat d’un travail transpartisan de deux parlementaires appartenant, pour l’une, à la majorité, pour l’autre, à l’opposition.
Il ne faut pas attribuer au Gouvernement la rédaction d’un texte qui est le résultat du travail approfondi et non partisan de vos collègues de l’Assemblée nationale ! J’y insiste, parce que les présentations qui ont été faites, notamment par M. le rapporteur, pourraient laisser accroire que le Gouvernement, dans la plus grande précipitation et pour corriger les effets collatéraux du projet de loi relatif au nouveau découpage des régions, présente un second texte modifiant les conditions d’inscription sur les listes électorales. Or ce n’est pas ce qui s’est passé.
Voilà les faits : le Gouvernement a fait délibérer le Parlement sur un texte relatif aux régions, dont l’examen a donné lieu à des débats nombreux, riches et denses. Avant même la fin de cette discussion, le Parlement a engagé une réflexion sur l’inscription sur les listes électorales afin de lutter contre l’abstention.
Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté : nous ne discutons pas d’un texte dont l’initiative revient au Gouvernement, mais d’une proposition de loi qui émane de vos collègues de l’Assemblée nationale. Il n’est donc pas le résultat de la réflexion d’un groupe contre un autre, mais d’une réflexion commune de la majorité et de l’opposition concernant les modalités d’inscription sur les listes électorales en vue de lutter contre l’abstention.
Néanmoins, cela n’empêche pas le Gouvernement d’exprimer sa position sur cette proposition de loi, laquelle est la suivante : Si nous voulons faciliter l’inscription sur les listes électorales et lutter contre l’abstention, nous devons « faire simple ». Si nous rendons impossible la mise en application de cette proposition de loi à travers des délais et des conditions de mise en œuvre difficiles, nous n’obtiendrons aucun résultat.
Je comprends la philosophie des amendements présentés par la commission des lois, ainsi que la position de M. le rapporteur ; je dirai même que je les partage. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement présentera, à la suite de l’examen du présent texte, un projet de loi visant à garantir la généralisation des conditions proposées par la commission des lois du Sénat.
Je veux attirer votre attention sur un autre point. Si vous adoptez cette proposition de loi telle que modifiée par les amendements de la commission des lois, ce texte ne pourra pas être mis en œuvre avant les élections régionales. En effet, du fait de la navette parlementaire, le risque existe que nous n’ayons pas le temps de prendre les décrets d’application dans les délais adéquats.
L’opinion et le tohu-bohu médiatique ne feront pas la part des responsabilités et retiendront uniquement que la classe politique dans la pluralité de ses composantes, Gouvernement et Parlement confondu, n’a pas mis en œuvre les conditions nécessaires pour faciliter l’inscription sur les listes électorales des personnes désireuses d’aller voter. Dans le contexte actuel, cela me semble être un bien mauvais signal.
Même si je comprends et partage vos préoccupations, nous devons prendre en compte les éléments que je viens d’évoquer. Je vous propose donc de revenir au texte issu de l’Assemblée nationale, de façon à avoir un vote conforme. J’avais d’ailleurs fait part au président de la commission des lois, avant même que celle-ci ne se réunisse, des préoccupations du Gouvernement sur cette proposition de loi.
Si un vote conforme avait lieu, nous pourrions prendre immédiatement les décrets, et ceux de nos concitoyens qui ne peuvent pas voter actuellement pourraient le faire. Une telle mesure n’irait absolument pas à l’encontre des préoccupations du rapporteur, bien au contraire. Je m’engage en effet, au nom du Gouvernement – le compte rendu en fournira la preuve écrite –, à répondre au travers d’un projet de loi ultérieur à l’ensemble des points qu’il a évoqués.
Le même compte rendu témoignera de nos positions respectives, car il faudra ensuite s’expliquer sur les raisons qui auront conduit à faire capoter ce texte !
En conclusion, je demande donc que l’on en revienne à la rédaction de l’Assemblée nationale, sans guère d’illusion d’y parvenir, et que l’on permette, par un vote conforme, aux électeurs de s’inscrire sur les listes électorales avant la fin de l’année. Nous généraliserons ensuite ce dispositif dans un second texte qui tiendra compte des préoccupations du rapporteur. On ne peut pas faire plus consensuel !
Moi aussi, j’ai lu Tocqueville, monsieur le rapporteur, et j’aime particulièrement l’esprit d’équilibre qui préside à ses écrits. Je suis convaincu que nous pouvons, nous aussi, trouver le bon équilibre sur ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le ministre, les raisons pour lesquelles je ferais « tout capoter », pour reprendre votre expression, je les ai données : elles sont essentiellement de principe. En exprimant ainsi mon point de vue, je suis dans mon rôle de rapporteur !
J’entends bien que le présent texte n’est pas gouvernemental, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi ; mais vous avouerez que c’est tout de même bien imité !
Avant de passer à l’examen des amendements, je tiens à revenir sur les arguments qui ont été échangés.
Le travail de la commission des lois n’a pas consisté à créer une nouvelle voie d’évolution des listes électorales en cours d’année ! Nous avons simplement voulu permettre aux personnes déménageant en cours d’année pour un motif non professionnel de bénéficier de la procédure qui existe déjà pour celles déménageant en cours d’année pour un motif professionnel. Le débat doit donc être ramené à de justes proportions.
En effet, le dispositif prévu par cette proposition de loi concerne uniquement la catégorie des personnes que je viens d’évoquer, qu’il faut faire entrer « dans les mailles du filet » et qui est souvent oubliée au moment où les commissions communales se réunissent pour réviser les listes électorales.
Nous poursuivons donc le même objectif que celui figurant dans la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Le mérite que nous avons, c’est de proposer une disposition permanente, et non pas exceptionnelle, qui se greffe sur un dispositif existant. Par conséquent, les obstacles que vous avez évoqués, monsieur le ministre, découlent d’ores et déjà du texte initial, dont nous élargissons simplement le champ d’application.
Cette extension ne mérite pas un long débat de principe, car nos intentions sont les mêmes que celles énoncées par le Gouvernement et retenues par les députés. L’intérêt du dispositif que nous proposons a simplement le mérite de ne pas être dérogatoire et de s’inscrire dans une procédure maîtrisée et connue.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Au 2° bis de l’article L. 30 du code électoral, les mots : « pour un motif professionnel autre que ceux visés aux 1° et 2° » sont supprimés.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L’amendement n° 4 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 16 du code électoral, les listes électorales font l’objet d’une procédure de révision exceptionnelle en 2015. Les demandes d’inscription sont recevables jusqu’au 30 septembre 2015.
Pour la mise en œuvre du présent article, les articles L. 11 à L. 40 du même code sont applicables.
La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour présenter l’amendement n° 1.
Le débat a été largement engagé. Nous avons un objectif commun, du moins affiché, mais proposons deux dispositifs différents, donc chacun présente des avantages. Le groupe socialiste a choisi de revenir au texte tel qu’il a été voté à l’Assemblée nationale, pour les raisons brillamment exposées par M. le ministre. J’ajouterai quelques éléments à son propos.
M. le rapporteur et M. le président de la commission insistent sur le caractère pérenne de leur proposition. Quant à M. le ministre, il a confirmé la présentation avant la fin de l’année d’une proposition de loi, laquelle est en cours d’élaboration consensuelle par une députée socialiste et un député UMP et vise à améliorer le système d’inscription électorale afin de le rendre pérenne, définitif et efficace. Ce sera le fruit d’un long travail s’appuyant sur des considérations techniques, qui rendra possible in fine, à partir de 2016, l’inscription sur les listes électorales jusqu’à un mois avant le scrutin.
M. le rapporteur nous propose, et cette position a été majoritaire en commission, d’étendre le champ d’application de l’article L. 30, lequel prévoit une procédure d’urgence très peu appliquée et réservée à des cas particuliers.
Je suis certain que même les parlementaires ne connaissent pas tous cette possibilité de s’inscrire sur les listes électorales en cours d’année pour les personnes déménageant pour un motif professionnel !
Chaque année, vers le 31 décembre, des campagnes massives d’information sont lancées pour inciter nos concitoyens à s’inscrire sur les listes électorales. Ils sont ainsi maintenus dans la croyance qu’il est impossible de s’inscrire sur les listes électorales après le 31 décembre. Voilà qui explique pourquoi les dérogations spécifiques prévues à l’article L. 30 sont très peu mises en œuvre.
À l’inverse, dès lors que la proposition de loi sera adoptée et que l’on en parlera dans les médias, les demandes d’inscription seront bien plus nombreuses, puisque nos concitoyens sauront alors que le 31 décembre n’est pas une date butoir et qu’une possibilité leur est ouverte. Nous connaîtrons alors un afflux de demandes d’inscription, ce qui risque d’engorger le système, même si les élections régionales sont moins suivies que l’élection présidentielle.
Actuellement, on compte six millions de mal inscrits. Par conséquent, même si 10 % seulement d’entre eux s’inscrivent dans leur commune de résidence, cela créera une masse de dossiers presque impossible à traiter, en particulier dans les petites communes où les maires seront directement confrontés à ces difficultés. Nous devons donc être très prudents sur ce point et prendre en compte ces arguments techniques.
Pour ne pas décevoir l’attente de nos concitoyens, votons ce texte tel qu’il a été adopté à l’Assemblée nationale !
Cet amendement est d’une très grande simplicité, puisqu’il vise au rétablissement du texte tel qu’il a été voté à l’Assemblée nationale.
Vous vous en doutez, la commission est défavorable à ces deux amendements.
Nous avons effectivement un problème à régler en vue des élections régionales. Pour que les listes électorales correspondent le plus étroitement possible au corps électoral, nous devons y intégrer les mouvements intervenus depuis janvier 2015. C’est un premier argument qui nous fera voter en faveur de ces amendements.
Deuxième argument, nous refusons de légiférer dans l’urgence. S’agissant de ce problème central pour notre démocratie qu’est la participation des citoyens aux élections, nous souhaitons reporter le débat de fond à une année pleine, sans élection.
Nous prenons donc acte de l’engagement pris par M. le ministre. Nous espérons que nous pourrons alors débattre de façon approfondie, non seulement des aspects techniques de l’inscription sur les listes électorales, mais aussi, le plus calmement et le plus démocratiquement possible, des problématiques liées au vote blanc, au développement de la démocratie participative et locale, et à la prise en compte du vote des étrangers.
Tous ces sujets ne pourront être examinés que dans le cadre d’une discussion nourrie et sereine, lors d’une année non électorale. Par conséquent, nous voterons en faveur de la rédaction adoptée par nos collègues députés.
Nous ne voterons pas ces amendements.
Je suis surpris d’entendre dire que le Sénat bloquerait tout en ne votant pas conforme le texte issu de l’Assemblée nationale. Cela revient à nous montrer du doigt et, si les choses se passent mal, à nous en incomber la faute.
Ce n’est pas nous qui avons modifié les règles du scrutin, changé les dates, ou convoqué les électeurs aux élections départementales sans leur expliquer ce pour quoi ils allaient voter et quelles fonctions allaient occuper les nouveaux conseillers départementaux ! Je rappelle, en effet, que le projet de loi NOTRe viendra en deuxième lecture au Sénat seulement la semaine prochaine.
Si l’on veut un texte de consensus, il faut éviter de nous culpabiliser ! Comme l’a souligné M. le rapporteur, il est important que le bicamérisme fonctionne et que l’on nous permette de nous exprimer.
Monsieur le sénateur, j’ai le plus grand respect pour le bicamérisme et pour le travail des sénateurs. C’est d’ailleurs pour cette raison que je me permets d’appeler l’attention du Sénat sur certaines de ses positions et sur les conséquences qu’aurait le vote de certains de ses amendements sur la mise en œuvre opérationnelle de divers processus.
Être attaché au bicamérisme et être désireux de voir reconnue sa responsabilité politique, cela implique d’assumer les conséquences de ses votes.
Il n’est pas dans mon intention de dramatiser les choses, mais, en l’absence d’un vote conforme, il sera beaucoup plus difficile – je ne dis pas que ce sera impossible – de mettre en œuvre les dispositions contenues dans ce texte avant la fin de l’année. Et comme je souhaite lutter contre l’abstention en permettant au plus grand nombre de s’inscrire sur les listes électorales, objectif simple et lisible auquel peuvent souscrire de très nombreux Français de toutes sensibilités, je me dois de dire au Sénat que, si l’on n’en revient pas au texte de l’Assemblée nationale, il sera beaucoup plus difficile, pour ne pas dire impossible, d’atteindre ce but.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 187 :
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote sur l’article.
Le groupe socialiste votera contre cet article 1er, dont la rédaction demeure celle de la commission puisque notre amendement n’a pas été adopté.
Nous considérons en effet que la solution retenue ne sera pas du tout opérationnelle. Nos concitoyens souhaitant s’inscrire sur les listes électorales attendent le vote du Parlement. M. le ministre disait tout à l’heure que, si cette possibilité leur était refusée in fine, l’ensemble de la classe politique serait montrée du doigt. Je vous dis, quant à moi, que c’est la responsabilité du Sénat qui sera engagée : c’est lui qui sera montré du doigt, car il n’aura pas ouvert une possibilité supplémentaire de s’inscrire sur les listes électorales.
Il est vrai que cette possibilité ne réglerait pas tout ; si elle devait entrer demain en vigueur, j’en conviens, le taux de participation n’atteindrait pas d’un seul coup 90 %. Néanmoins, elle répond à un objectif que nous partageons tous, celui d’une démocratie plus accomplie.
Je le répète, nos concitoyens auront du mal à comprendre les raisons du blocage par le Sénat de cette évolution.
Certains ne veulent pas d’un vote conforme. Bien évidemment, aucun d’entre nous ne prétendra que le Sénat doit, à chaque fois, voter conformes les textes adoptés par l’Assemblée nationale ; le cas échéant, notre assemblée, tout le monde en conviendra, ne servirait pas à grand-chose. A contrario, il ne faudrait pas, au nom du bicamérisme, que le Sénat se garde systématiquement de voter conforme les textes.
En cas d’accord sur le fond, lorsqu’on estime que la solution proposée est techniquement bonne, …
… il ne faut pas bloquer les choses par principe et renoncer à un vote conforme si c’est la solution la plus efficace et la plus utile.
M. Collombat nous dit que, justement par principe, il ne veut pas de vote conforme. Pourquoi s’en priver si cela permet, en outre, d’aller plus vite et d’envoyer un message à nos concitoyens en offrant rapidement cette possibilité supplémentaire d’inscription sur les listes électorales ?
Il n’est pas dans mon propos de pointer du doigt l’un ou l’autre parmi nous, mais faire de la politique, c’est aussi assumer des responsabilités. Il faut en être bien conscient avant de procéder au vote, il existe un risque important qu’in fine cette mesure prévue au bénéfice de nos concitoyens par cette proposition de loi ne puisse pas entrer en vigueur en septembre.
Je le répète, le groupe socialiste votera contre l’article 1er.
La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote sur l'article.
Vous me connaissez, je n’ai pas pour habitude de prendre la parole toutes les deux minutes dans cette enceinte, mais je tiens à réagir aux propos qui viennent d’être tenus à l’instant.
Si nous en sommes là, c’est parce que la majorité gouvernementale a procédé à des modifications en veux-tu en voilà des modes de scrutin et du calendrier électoral.
Nous essayons simplement de rattraper les dégâts collatéraux. Par conséquent, nous ne pouvons pas accepter ce que vient de dire notre collègue Philippe Kaltenbach !
Monsieur le sénateur, pouvez-vous m’indiquer en quoi, et à quel moment, le mode de scrutin des élections régionales a été modifié ?
Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.
Monsieur le sénateur, il s’agit d’autre chose… Par respect pour le Sénat, permettez-moi de vous répondre précisément.
Vous dites que nous avons modifié le mode de scrutin des élections régionales ; dites-moi à quel moment ! Nous ne l’avons jamais modifié.
C’est encore autre chose, monsieur le rapporteur : modifier les circonscriptions, ce n’est pas modifier le mode de scrutin. Je le répète, s’agissant des élections régionales, celui-ci demeure inchangé. Pour la qualité de nos échanges, je m’efforce d’être très précis !
Par ailleurs, monsieur Détraigne, vous dites que la date de scrutin a été modifiée. Si nous l’avons fait, c’est pour des raisons techniques sur lesquelles je me suis expliqué ; ce n’est pas par perversité mentale ou par volonté d’influer sur le résultat du scrutin. Ce sont des considérations de nature budgétaire et technique qui, par souci d’une bonne administration des collectivités locales, nous ont obligés à procéder de la sorte. Je vous prie de croire en ma sincérité.
À un moment donné, il faut bien soulever la question de l’inscription sur les listes électorales, qui n’a rien à voir avec la date des élections ; c’est un problème de principe, comme l’a dit M. le rapporteur : veut-on faciliter l’inscription sur les listes électorales, nonobstant le type d’élection, nonobstant le mode de scrutin, nonobstant la date des échéances électorales, de ceux qui jusqu’à présent n’ont pas pu s’y inscrire compte tenu des règles en vigueur ? Dans l’affirmative, il faut voter ce texte conforme. À défaut, ce sera plus compliqué.
La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote sur l’article.
Je partage l’avis de notre collègue Yves Détraigne et je suis moi aussi étonné par les propos qui viennent d’être tenus. Laisser croire que c’est le Sénat qui empêcherait l’expression démocratique dans notre pays, c’est quand même pousser le bouchon un peu loin !
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit au sujet des élections départementales. Comme d’autres parmi nous, je suis élu régional. Le présent texte a pour objet de permettre la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales, dans la perspective des élections régionales qui se tiendront à la fin de l’année. Au moment où les électrices et les électeurs exerceront leur devoir démocratique et glisseront dans l’urne leur bulletin de vote, on connaîtra, avec un peu de chance, les compétences des régions, mais on ignorera les moyens budgétaires dont elles disposeront pour mener à bien leurs projets.
Dans notre pays, nous sommes en permanence soumis à l’urgence et à la procédure accélérée. Conservons notre calme, gardons les pieds sur terre, et respectons nos électrices et nos électeurs ! Pour ma part, j’approuve la proposition de la commission des lois, dont le travail raisonné s’inscrit dans un processus de fond visant à revoir l’architecture des listes électorales et non pas dans un processus d’urgence. Je voterai donc cet article 1er.
À ce stade du débat, mon devoir est d’essayer de rassurer le ministre de l’intérieur, que j’ai senti inquiet…
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Très inquiet !
Sourires.
… quant aux conditions de mise en œuvre de cette proposition de loi si elle devait être adoptée dans sa rédaction issue des travaux de la commission.
Monsieur le ministre, nous allons examiner dans un instant deux amendements identiques visant à rétablir l’article 2 dans sa rédaction initiale, lequel prévoyait qu’un décret en Conseil d’État déterminerait les règles et les formes de l’opération prévue à l’article 1er.
La commission des lois ayant supprimé, par coordination avec la position qu’elle a adoptée à l’article 1er, l’article 2, ce décret est devenu inutile dès lors qu’il est possible, aux termes du texte qu’elle a adopté, de s’inscrire à tout moment de l’année sur les listes électorales d’une commune, même si le déménagement ne résulte pas d’un motif professionnel.
Ce cadre est celui qui est actuellement en vigueur. Par conséquent, monsieur le ministre, cette solution vous permettra de gagner non pas simplement quelques semaines, mais peut-être un mois et demi, voire deux mois, compte tenu de l’encombrement du Conseil d’État.
La loi, si vous faites en sorte que la commission mixte paritaire se réunisse dans les meilleurs délais, pourra s’appliquer sans qu’il soit nécessaire de prendre des textes d’application. Naturellement, vous pourrez toujours éclairer, par une circulaire, les services préfectoraux et l’ensemble des services qui contribueront à la mise en œuvre de la loi. Cette circulaire sera de mon point de vue aisée à rédiger puisque, je le répète, il s’agit simplement d’étendre le champ d’application d’une disposition permanente qui nous est familière, à savoir l’inscription en cours d’année sur les listes électorales.
Ainsi, grâce à une promulgation rapide de la loi, point de décret en Conseil d’État, mais une simple circulaire, et ceux qui en sont privés aujourd’hui pourront, grâce à un travail qui n’est pas de circonstance, s’inscrire quand ils le souhaitent – et même en cours d’année – sur les listes électorales, sans attendre la mise en œuvre au mois de décembre de la lourde procédure de la révision des listes électorales.
J’espère, monsieur le ministre, vous avoir apporté les apaisements utiles, sur le plan juridique et de la pratique administrative, concernant la mise en œuvre d’une disposition qui sera directement applicable du seul fait de sa promulgation.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je remercie beaucoup M. le président de la commission de son intervention : comme toujours, son souci est d’atteindre le but de façon constructive. Cette relation est d’ailleurs emblématique de ce qui nous caractérise l’un et l’autre. Je suis en effet dans son opposition dans le département de la Manche, alors que c’est l’inverse ici : cette situation apprend à discuter et à travailler ensemble de façon positive.
Sourires.
Je comprends parfaitement votre argument, monsieur le président de la commission, mais il pose une petite difficulté. En effet, si nous prenons la mesure telle que vous l’envisagez, nous ne pourrons pas procéder à l’adaptation du dispositif INSEE dans le délai imparti. Votre proposition est certes plus simple, je ne le conteste pas, mais elle est plus fragile opérationnellement.
En cas d’afflux des demandes, nous devrons faire face à des problèmes de doublons susceptibles de compromettre la fiabilité des modalités d’inscription sur les listes électorales et de créer un bug national considérable. En outre, toute la charge de l’organisation de ces inscriptions pèsera sur les maires, qui subiront la pression exercée en ce sens par l’assemblée délibérante des collectivités territoriales.
Les propos que vous tenez avec M. le rapporteur sont donc exacts, ce dispositif est plus simple. En revanche, il est moins sûr. Or nous voulons qu’il soit, à la fois, simple et sûr. Il ne faudrait pas que ce que nous gagnons en simplicité, nous le perdions en sûreté.
Le désaccord entre nous n’a donc rien de politique, il est seulement technique. La mesure de simplification que vous proposez, j’en suis convaincu, nous ferait prendre un risque considérable.
Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n°188 :
Le Sénat a adopté.
(Supprimé)
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L’amendement n° 5 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Un décret en Conseil d’État détermine les règles et les formes de l’opération prévue à l’article 1er.
La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour présenter l’amendement n° 2.
Cet amendement étant étroitement lié à l’amendement précédent qui vient d’être rejeté lors d’un vote par scrutin public, par cohérence, le groupe socialiste le retire.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 3 est présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L’amendement n° 6 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi visant à la réouverture exceptionnelle des délais d'inscription sur les listes électorales
La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour présenter l’amendement n° 3.
Nous retirons également cet amendement, lié à l’amendement n° 1 qui a été rejeté.
Je le retire également, monsieur le président.
L’amendement n° 6 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi tendant à faciliter l’inscription sur les listes électorales.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n°189 :
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à midi.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi relative au parrainage civil, présentée par M. Yves Daudigny et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 390, texte de la commission n° 443, rapport n° 442).
Dans la discussion générale, la parole est M. Yves Daudigny, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’ordre du jour du Parlement est extrêmement chargé – il l’est de plus en plus au fil du temps, cela nous a été rappelé voilà quelques jours à l’occasion de l’examen de la proposition de résolution tendant à réformer les méthodes de travail du Sénat – et il comporte des réformes de grande ampleur. En regard, l’objet de la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter est donc modeste, autant que le dispositif en est bref.
Vous n’en avez pas moins reconnu, monsieur le rapporteur, que la présentation de ce texte constituait « une initiative heureuse », et je vous en remercie. Il en est de même du travail de réflexion et d’amendement que vous avez mené, dans un délai assez court et, surtout, dans un esprit très constructif. Vous avez permis l’aboutissement d’un accord en la matière et l’adoption de cette proposition de loi à l’unanimité de la commission des lois.
J’écarte d’emblée la question sémantique : baptême civil, baptême républicain, parrainage civil, parrainage républicain. Je m’en tiendrai à cette dernière formulation que vous avez retenue, mon cher collègue. Il ne semble d’ailleurs pas possible de relier l’une ou l’autre de ces expressions à un lieu ou à une période particulière.
J’approuve, je le dis également d’emblée, le texte de la commission, parce qu’il satisfait pour l’essentiel notre proposition de loi initiale.
Notre texte d’origine comportait en effet trois objectifs.
Il s’agissait, en premier lieu, d’assurer sur l’ensemble du territoire un traitement égal de toutes celles et tous ceux qui souhaitent procéder à cette cérémonie, la pratique du parrainage républicain restant livrée, en l’absence de base légale, au bon vouloir des municipalités.
Notre deuxième objectif était de favoriser le sentiment d’appartenance à la communauté citoyenne et de contribuer à renforcer les liens sociaux et familiaux, ce qui n’est pas le moins.
Le texte adopté, tel que modifié par la commission des lois, atteint parfaitement ces deux buts.
Notre troisième objectif ouvrait incontestablement un débat d’une autre ampleur. Il répondait aux diverses conceptions de la parentalité, différant selon que l’on assigne ou non au parrainage des conséquences de droit. Compte tenu de divergences profondes, du risque de conflit d’autorité que M. le rapporteur a également relevé, mieux vaut y renoncer à ce stade, en contrepartie de la perspective d’aboutir sur le principe même de la légalisation du parrainage républicain.
Le fondement textuel que nous donnerons à ce rituel confortera son utilité sociale et garantira que tous y aient un égal accès. Mais il apportera aussi – enfin ! – une réponse claire : aux parents, parrain et marraine, d’une part ; aux élus et personnels communaux, d’autre part.
En effet, les questions écrites posées, de manière récurrente, par les parlementaires, reflètent la persistance de l’incertitude des uns et des autres, et ce, malgré les réponses tout aussi invariables du ministère de la justice. Le maire sollicité est-il tenu de procéder à cette cérémonie ? Dans quelles formes ? À quelles conditions ? Quelle est la portée de l’engagement des parrain et marraine ?
La balle – si je puis m’exprimer ainsi – est donc bien dans le camp du législateur. Au reste, plusieurs propositions de loi, rédigées sur l’initiative des différents groupes des deux assemblées, ont précédé celle-ci. Je songe au texte déposé par Jacques Myard en 2006, « tendant à instaurer le parrainage civil » ; aux propositions de loi, identiques, de Paulette Guinchard-Kunstler en 2007 et de Richard Mallié et Patrick Balkany en 2008 ; ou encore au texte déposé par Dino Cinieri et plusieurs de ses collègues en 2013, « tendant à instituer une reconnaissance juridique aux parrain et marraine civils ».
Toutes ces propositions de loi s’inscrivent dans le code civil mais diffèrent quant à la portée juridique de l’engagement des parrainants. Le texte de Dino Cinieri prévoyait même d’étendre l’abattement fiscal applicable aux successions entre frère et sœur à celle des parrain et marraine au profit de leur filleul.
La question porte donc moins sur la nécessité de légiférer que sur les limites à fixer à de telles normes. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle ces textes n’ont pas eu de suite.
Par leur diversité, ces propositions sont, en réalité, à l’image des fonctions dont la pratique contemporaine investit le parrainage républicain. Le sens de cette coutume ancestrale – elle perdure depuis plus de deux siècles – a évolué. Les motifs qu’ont les parents de recourir au parrainage républicain, les parrain et marraine de l’accepter et les élus de le promouvoir suivent le mouvement des idées qui parcourent notre histoire depuis la Révolution française.
Associé, à sa création en 1790, aux cultes religieux, anticlérical en 1792, ce jusqu’à l’extrême, ou plus solidaire et fraternel dans la ligne socialiste de la fin du XIXe siècle, un temps symbolique de ce que l’on appelait les « communes rouges » dans les années 1970, ou simplement républicain, ce parrainage connaît un nouvel essor depuis les années 2000. Mais sa pratique a perdu le militantisme et la conflictualité de ses origines.
Dans son étude de sciences politiques publiée en 2007, l’universitaire Antoine Mangret-Degeilh, constate que le « baptême républicain […] s’est fondu dans le paysage », qu’il est « désormais annoncé sur les sites internet et dans les guides d’information [...] à la rubrique des formalités administratives, entre les démarches d’inscription sur les listes électorales et autres certificats de vie commune ou de concubinage ».
L’Église elle-même a évolué. L’étude précitée mentionne à cet égard l’avis de Bernard Kaempf qui s’exprimait ainsi en 2000 : « Il n’y a en fait rien de bien choquant à ces engagements, auxquels tout citoyen et tout chrétien digne de ce nom pourrait souscrire. […] Le parrainage civil n’est pas critiquable théologiquement, surtout pas dans la perspective luthérienne des deux règnes, ou pouvoirs, le civil et le religieux. »
Ainsi peut-on lire sur le site cybercuré.catholique.fr
Sourires.
L’enquête à laquelle je me suis référé tend à montrer que les buts visés par les parents sont en réalité divers et pluriels. Il peut s’agir, à la fois, et pour chacun d’eux à divers degrés, d’exprimer des valeurs – républicaines, laïques, citoyennes –, de perpétuer une forme de tradition baptismale, de renforcer l’unité de la famille ou de conférer un statut au parent électif.
L’étude de ces motivations met également au jour un déplacement sur l’aspect plus sociétal de la parentalité, mais qui répond à deux modèles de représentation, entre une parenté de simple complément, les parrain et marraine choisis ayant pour rôle d’accompagner l’autorité parentale, et une parenté de substitution, propre à suppléer les parents empêchés ou disparus.
Apporter enfin par la loi une réponse claire impose donc, au-delà des implications juridiques plus ou moins complexes, mais non insurmontables, de faire sien, au préalable, l’un ou l’autre de ces paradigmes. Celui qui vous est proposé aujourd’hui n’était pas initialement le nôtre. Tout bien pesé, je m’y rallie pour les raisons que j’ai exposées, en termes d’utilité sociale et d’égalité de traitement.
Toutefois, nombre de parents interrogés recourent au parrainage républicain avec la conviction que la cérémonie confèrera une réalité juridique à cette parentalité de secours. Et il est vrai qu’en l’inscrivant dans le code civil, sous le titre II du livre Ier, consacré aux actes de l’état civil, on pourrait entretenir cette confusion. C’est ce que m’a signalé l’historienne anthropologue et spécialiste de la parenté Agnès Fine. Elle-même est très favorable à la légalisation du parrainage républicain, et je saisis cette occasion pour la remercier vivement de l’entretien qu’elle m’a accordé.
Les amendements déposés par M. le rapporteur tendent à écarter ce risque.
Les conditions en termes de capacité et de commune de rattachement, également ajoutées au présent texte, ne soulèvent pas d’objection majeure.
Je tiens à émettre une réserve, au sujet de l’accord requis des deux parents lorsqu’ils exercent tous deux l’autorité parentale. En effet, la loi du 4 mars 2002 a supprimé la condition de communauté de vie pour conférer l’autorité parentale conjointe lorsque l’enfant, reconnu par l’un des parents, l’est par l’autre dans l’année de sa naissance. Rechercher cet accord pour des parents séparés peut se révéler problématique et source de litige. Ce point pourra être considéré au cours de la navette.
J’aurais également souhaité que le texte de cette proposition de loi conserve cette belle formule, selon laquelle les parrain et marraine sont chargés de « concourir à l’apprentissage par l’enfant d’une citoyenneté dévouée au bien commun, animée de sentiments de fraternité, de solidarité et de respect de la liberté à l’égard de ses semblables ». Ces mots traduisent les valeurs de la République, que nous avons tous à cœur de faire vivre et de transmettre. À mon sens, ils assuraient, en l’espèce, ce supplément d’âme qui nous fait souvent défaut.
Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, toutes et tous s’accordent sur les effets bénéfiques de la présence de parrain et marraine auprès des enfants. Tel que modifié par M. le rapporteur, le présent texte, qui fait du parrainage républicain un simple engagement moral, a fait l’unanimité au sein de la commission des lois et recueille notre accord. Il est simple, clair et utile. Telles sont les raisons qui, je l’espère, vous convaincront de l’approuver !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons inscrit dans notre corpus législatif une coutume héritée des rites issus de la Révolution française : le parrainage républicain.
J’emploie à dessein ce terme – c’est celui qu’a retenu la commission des lois – plutôt que ceux de « parrainage civil », « baptême civil » ou « baptême républicain ». Certes, toutes ces expressions désignent le même acte, mais, à mon sens, les mots de « baptême républicain » correspondent mieux à la réalité dont il est question.
À travers cette pratique coutumière, qui tend à se développer depuis plusieurs années dans différents milieux familiaux, il s’agit de donner symboliquement à un enfant un parrain et une marraine chargés de veiller, chez lui, au développement des valeurs associées à notre République, notamment la liberté, l’égalité et la fraternité, et d’autres, que l’auteur du présent texte vient de citer. Ces trois termes constituent la devise de notre pays, mais, fort heureusement, les valeurs de la République ne s’y limitent pas !
Jusqu’à présent, cette coutume n’a aucun effet de droit, ni base légale ou réglementaire certaine. De plus, elle fait l’objet d’une application inégale sur le territoire, ce à quoi tend à remédier cette proposition de loi.
Dans sa rédaction initiale, le présent texte faisait du parrainage républicain un acte d’état civil, enregistré par un officier d’état civil et consigné sur un registre officiel, coté et paraphé. Cet acte mettait à la charge des parrain et marraine de lourdes obligations.
Outre l’engagement moral de développer chez leur filleul les « qualité indispensables qui lui permettr[aient] de devenir un citoyen dévoué au bien public et animé des sentiments de fraternité, de compréhension, de solidarité et de respect de la liberté à l’égard de ses semblables » – l’auteur de ce texte a rappelé cette phrase à l’instant –, les parrain et marraine s’engageaient officiellement à protéger et « à prendre soin de leur filleul comme de leur propre enfant dans le cas où ses parents viendraient à lui manquer ».
C’est là une belle formule. Mais en transformant une coutume sans effet de droit en véritable acte d’état civil qui produirait des effets juridiques, on bouleverserait en partie les dispositifs de protection des enfants, fixés par le code civil et mis en œuvre en cas de défaillance ou de disparition des parents. Or ces dispositifs fonctionnent bien, et il n’est pas envisagé de les remettre en cause.
Par ailleurs, devenir le parrain ou la marraine d’un enfant âgé d’un ou deux ans parce que l’on est le meilleur ami de ses parents ne garantit pas que, si ces derniers disparaissent quelques années plus tard, l’on sera prêt et apte à les suppléer et à les remplacer auprès de leur enfant.
En conséquence, la commission des lois a souhaité ne pas faire du parrainage républicain un acte d’état civil créateur de droits et de devoirs ayant force juridique. En revanche, soucieuse d’assurer une égalité de traitement de tous les citoyens sur le territoire, elle a approuvé le principe d’une consécration dans la loi de la pratique existante, acte symbole d’adhésion aux valeurs de notre République.
Ainsi, tous les parents qui le souhaiteraient pourraient demander le parrainage républicain de leur enfant, quelle que soit la commune concernée : actuellement, certaines mairies acceptent d’organiser ces célébrations alors que d’autres s’y refusent.
Cet acte serait célébré, à la demande des deux parents titulaires de l’autorité parentale, ou de celui qui l’exerce seul, dans la commune du domicile ou de résidence des parents ou de l’un d’entre eux. L’autorité compétente pour le célébrer serait le maire, l’un de ses adjoints ou un conseiller municipal. Bien entendu, les parrain et marraine devraient ne pas être frappés de déchéance de leurs droits civiques ni avoir failli gravement à leur propre rôle de parents. Un registre signé par l’élu présidant la cérémonie, les parents, les parrain et marraine, serait conservé en mairie.
Mes chers collègues, au bénéfice de ces évolutions, la commission vous propose d’inscrire dans la loi le parrainage républicain.
Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le sénateur Yves Daudigny, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui crée un fondement juridique à une cérémonie née à la fin du XVIIIe siècle, que de plus en plus de Français connaissent et plébiscitent : le parrainage civil, appelé aussi parrainage républicain ou baptême civil.
Cette cérémonie est un acte laïc et symbolique qui permet de désigner, hors du cadre religieux, un parrain et une marraine à son enfant.
Aujourd’hui, ce parrainage se pratique à la mairie, mais n’a pas de valeur légale. Les mairies ne sont pas obligées de le célébrer et certaines ne le font pas ou ne le font plus. Cette proposition de loi permettra de diffuser et d’harmoniser la pratique du parrainage civil sur l’ensemble du territoire. Elle vise en cela à l’égalité de tous les citoyens.
La reconnaissance d’un statut des parrains et marraines dans le code civil a déjà été envisagée à plusieurs reprises, sans jamais aboutir.
Une telle réforme a ainsi fait l’objet de la proposition de loi qui a été déposée à l’Assemblée nationale le 13 juin 2006. Ce sujet a également été repris dans un amendement présenté en septembre 2010 par un groupe de députés, dans le cadre du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Plus récemment, une proposition de loi relative au parrainage civil a été déposée par M. Bruno Le Roux et d’autres députés le 11 juin 2014, sans être discutée en séance publique.
On peut conclure de ces tentatives l’existence d’une véritable demande de consolidation de la pratique du parrainage civil.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la proposition de loi, déposée par les membres du groupe socialiste, qui vous est soumise aujourd’hui. Le fait d’offrir à chaque enfant, quels que soient sa religion et son lieu de résidence sur le territoire français, la possibilité de vivre le rituel du baptême sous le sceau des valeurs de la République, constitue une avancée politique importante.
Le parrainage civil est une manière de faire vivre, au sein d’une famille, d’un cercle de proches, de parents et d’amis, les valeurs de la République, de les rappeler à tous et de les célébrer.
Les occasions d’incarner ainsi ces valeurs, de les célébrer et de les partager dans un cercle intime ne sont pas si fréquentes. Les fêtes et célébrations républicaines à l’échelle nationale ne pénètrent pas si facilement dans l’intimité des citoyens, ne produisent pas les mêmes effets sur les parcours de vie et ne touchent peut-être pas autant les cœurs et l’imaginaire collectif.
Le fait de mêler, les dimensions républicaine et familiale au sein d’un même événement, comporte une importante potentialité de restauration du vivre-ensemble républicain.
Le parrainage civil consacre l’intégration d’un enfant à la communauté des citoyens français. Il repose donc sur l’idée d’une appartenance commune et d’un destin partagé. À l’heure où le vivre-ensemble est menacé et, avec lui, les valeurs fondamentales d’égalité et de liberté, le parrainage civil apparaît comme un outil de lutte qui nous rappelle le sens de la vie en société au sein de la République française.
Au-delà de la célébration en elle-même, le parrainage consacre un engagement de deux personnes, les parrains et marraines, à « concourir à l’apprentissage par l’enfant de la citoyenneté dans le respect des valeurs républicaines ».
Ainsi, cette célébration ne produit pas seulement un effet sur l’enfant ou sur les personnes assistant à la célébration, mais également sur les parrains et marraines qui, en s’engageant, s’interrogent nécessairement sur les valeurs républicaines et déclarent publiquement, devant leurs proches, qu’elles y adhèrent librement.
Ainsi, en tant que rituel républicain, le parrainage civil me semble être un outil puissant pour faire vivre les valeurs de la République, les faire connaître, respecter et renforcer le sens et le goût du vivre-ensemble. Le projet politique porté par cette proposition de loi ne peut donc qu’emporter l’adhésion sans réserve du Gouvernement.
Je tiens enfin à saluer le travail qui a été mené par l’auteur de cette proposition de loi comme par votre commission des lois. Celle-ci n’a en rien altéré la force et la portée du projet politique, tout en renforçant la sécurité juridique du texte.
Telle qu’elle vous est soumise aujourd’hui, la proposition de loi ne me semble pas devoir être amendée et recueille l’entier soutien du Gouvernement.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Yves Daudigny a bien expliqué le fond de sa proposition de loi. Je remercie également M. le rapporteur Yves Détraigne pour le résumé sobre et équilibré qu’il en a livré.
Nous débattons ici d’une affaire d’amitié et de famille. Des parents s’associent à des amis pour apporter un soutien moral à leur enfant et formaliser sa présentation à la société. Cette proposition de loi a pour objet d’officialiser cette démarche et de lui conférer un support légal.
Cette demande, que nous constatons dans la société et que nombre de nos collègues élus communaux accueillent comme une des tâches agréables et gratifiantes de l’exercice de leur mandat, renvoie, me semble-t-il, à un système de régulation sociale, traduit par un rite : la présentation de l’enfant à la société.
Reconnaître l’existence de cet être jeune et son appartenance au groupe correspond très vraisemblablement – je n’ai pas pris le temps de creuser plus avant la dimension anthropologique de ce sujet ! – à un rite très ancien dans l’organisation des sociétés. On trouve ainsi des formes de parrainage proches de ce dont nous parlons aujourd’hui dans l’histoire des cités grecques comme de Rome.
En réalité, ce qu’est devenu le baptême pendant la période de l’histoire européenne où les églises instituées étaient chargées de cette mission, répondait à la même logique, celle d’un véritable acte de naissance à la société. Ceux qui se sont livrés à des recherches généalogiques ont ainsi pu constater qu’avant 1792, l’état civil se résumait au registre des baptêmes.
La fonction de que l’on continue à appeler « baptême » a donc changé depuis 1792, puisque l’état civil, la reconnaissance légale des conditions de naissance, et donc d’entrée dans la vie citoyenne d’un être, sont aujourd’hui détachés de cet acte de baptême religieux. Il paraît donc tout à fait cohérent et logique que, pour la part assez large de notre société – et fût-elle étroite, d’ailleurs, cela ne changerait rien – qui ne souhaite pas passer par le prisme religieux pour cet acte de présentation, une valeur légale lui soit conférée. J’entends d’ailleurs que certaines autorités religieuses officiant dans notre pays considèrent comme tout à fait logique, et même souhaitable, que les deux actes cohabitent.
Aujourd’hui, ce souci du parrainage et du rite d’entrée demeure. Il est satisfait par des pratiques reconnues dans les communes par une sorte d’habitude, ou d’imitation réciproque.
La grande majorité des personnes qui souhaitent réaliser cet acte de présentation et de reconnaissance le peuvent. Du fait que cela n’a pas le caractère d’une obligation légale, il peut toutefois se produire que des autorités municipales refusent de s’y livrer. C’est là une des premières motivations de la proposition de loi de M. Daudigny.
Cette dimension de parrainage moral, certes sans obligation juridique, répond à une demande légitime. Le groupe socialiste considère comme parfaitement souhaitable de reconnaître par la loi ce lien personnel entre l’enfant et ses parrains.
Par la version issue du travail de la commission, dont, à mon tour, je salue la qualité, nous parvenons à satisfaire un objectif concret de la proposition de loi, et des nombreuses autres qui ont été annoncées ou présentées : l’officialisation de cet acte de parrainage par un enregistrement public, même s’il ne figure pas dans l’état civil, et la reconnaissance publique du lien personnel entre l’enfant et ses parrains.
Nous sommes nombreux à penser qu’il n’y aurait ni altération ni risque de perturbation à inscrire cet acte dans l’état civil, comme un certain nombre d’autres qui ponctuent la vie personnelle sans être tous rigoureusement liés à la situation de naissance ou de mort de la personne. Le débat n’est pas mûr sur ce point, il me semble donc qu’il est tout à fait possible de se satisfaire du dispositif présenté aujourd’hui.
En revanche, la commission des lois a opéré, à mon sens, un travail nécessaire en maintenant le rôle des parrains vis-à-vis de l’enfant dans une situation d’accompagnement à l’éducation citoyenne et de soutien moral et affectif, à l’exception de toute idée de substitution parentale. Dans ce domaine, il existe, d’une part, des outils de droit civil permettant de répondre aux situations de défaillance ou de carence, d’exercer la parentalité et l’autorité parentale et, d’autre part, tout un ensemble de mécanismes sociaux, déclenchés par acte judiciaire, avec lesquels ce dispositif ne doit en aucun cas être confondu.
Il nous semble que le travail de l’auteur de la proposition de loi et de ses collègues, comme de la commission des lois, est bienvenu et apporte une première réponse à une attente ancienne. Cela va faire progresser notre législation.
Je remercie beaucoup Mme la secrétaire d’État d’avoir donné l’accord du Gouvernement et confirmé les justifications de principe de ce texte.
Monsieur le rapporteur, monsieur Daudigny, j’observe avec satisfaction que, sans être encore en vigueur, les dispositions de la réforme des méthodes du Sénat s’appliquent de façon anticipée : les orateurs n’utilisent plus entièrement le temps qui leur est imparti…
Sourires.
Je vais m’efforcer de suivre cet exemple en saluant le bon travail des différents partenaires et en souhaitant la pleine réussite de cette proposition de loi.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le parrainage civil, aussi appelé baptême républicain, remonterait au décret du 20 prairial de l’an II, c’est-à-dire du 8 juin 1794, portant sur la compétence des municipalités pour établir les actes d’état civil.
En pleine période post-révolutionnaire, l’idée se développe de trouver des équivalents civils aux principales célébrations religieuses. Rien de neutre, donc, dans ce nouveau « baptême », ce rite qui vise à faire entrer un enfant dans la communauté nationale et républicaine. S’il est quelque peu tombé en désuétude au cours du XIXe siècle, le fait qu’il ait retrouvé une certaine popularité lors des commémorations du bicentenaire de la Révolution française de 1989 contribue à l’inscrire au rang des actes républicains.
Autre élément notable, le parrainage civil relève en France de la coutume et n’est prévu par aucun texte législatif ou réglementaire. Cette pratique a, malgré tout, traversé les siècles, continuant de remplir son rôle de symbole de l’accession à la citoyenneté.
Il n’est, à ce titre, pas anodin que le baptême républicain ait été, ces dernières années, beaucoup utilisé comme un acte militant. Certains parrainages visent ainsi à soutenir des familles se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français.
L’absence de base légale de cette pratique a pour principale conséquence que les municipalités ne sont soumises à aucune obligation. Que le maire refuse de le célébrer ou qu’il organise des cérémonies civiles de soutien à ceux que l’on appelle les « sans-papiers », le parrainage républicain devient parfois un acte politique.
Le caractère coutumier de ce rite devant « contribuer à développer en l’esprit de l’enfant les qualités indispensables qui lui permettront de devenir un citoyen dévoué au bien public, animé de sentiments de fraternité, de compréhension, de respect de la liberté et de solidarité à l’égard de ses semblables » reste toutefois empreint d’une inégalité entre nos concitoyens, soumis au bon vouloir de leur municipalité.
L’objectif de la proposition de loi de notre collègue Yves Daudigny et du groupe socialiste est de consacrer dans la loi la pratique des parrainages civils ou républicains, afin d’assurer une égalité de traitement de tous les citoyens sur notre territoire.
L’auteur de la proposition de loi entendait faire de cette simple coutume un acte d’état civil, en introduisant ces dispositions dans le code civil et en imposant que le parrainage républicain soit célébré par un officier d’état civil.
Dans cette hypothèse, le parrainage civil aurait produit des effets juridiques, notamment en cas de disparition des parents de l’enfant.
Le parrain et la marraine se seraient ainsi vu confier deux types de fonctions : d’une part, « prendre soin de leur filleul comme de leur propre enfant dans le cas où ses parents viendraient à lui manquer » ; d’autre part, remplir un rôle moral en accompagnant l’entrée de l’enfant dans la citoyenneté.
La commission des lois n’a toutefois pas souhaité s’engager sur cette voie et a récrit le texte afin de faire du parrainage républicain un engagement des parrain et marraine d’accompagner l’enfant dans son apprentissage de la citoyenneté et des valeurs républicaines, cet engagement demeurant tout à fait dénué d’effets juridiques.
Le parrainage républicain – appellation opportunément choisie par la commission – sera célébré à la mairie de résidence des parents en présence de l’enfant ; le parrain et la marraine y exprimeront leur consentement à assumer leur mission.
Au sein du groupe écologiste, nous considérons que ce texte, tout symbolique qu’il soit, participe d’une certaine idée de la communauté républicaine, d’une certaine idée de la fraternité et de la solidarité, valeurs si souvent maltraitées ces derniers temps. Nous apportons, bien entendu, notre soutien à cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Je tiens tout d’abord à saluer l’initiative de notre collègue Yves Daudigny et du groupe socialiste. La pratique du parrainage civil tend à se développer, pour des motifs divers, et il est temps que le législateur accompagne ce mouvement en définissant un cadre juridique approprié.
Aujourd’hui, un maire peut refuser d’organiser une telle cérémonie, aucune obligation ne s’imposant à lui en la matière. Pourtant, les parrainages républicains se multiplient. Depuis une dizaine d’années, toute une activité commerciale s’est d’ailleurs développée autour de cette pratique. J’en ai été témoin quand j’étais adjointe au maire. On propose ainsi aux municipalités d’acheter des « livrets de baptême républicain » ou des cadeaux à remettre à l’enfant au terme de la cérémonie. §Ce démarchage mercantile témoigne que, aujourd’hui, dans de nombreuses communes de toutes tailles, des parents demandent l’organisation d’un parrainage civil pour leur enfant.
Cette demande correspond à un besoin des parents d’intégrer l’enfant à la communauté républicaine. La cérémonie crée un lien fort et contribuera certainement, comme l’a souligné Esther Benbassa en conclusion de son intervention, à redonner du sens au vivre-ensemble dans les années à venir.
Nous avons jugé que la rédaction initiale du texte posait problème. Elle introduisait en effet de façon peut-être trop précipitée des évolutions du code civil. Il est vrai que les propositions de loi sont souvent très brèves et formulées de manière succincte, afin que leur examen puisse être achevé dans le temps très contraint imparti à l’ordre du jour réservé aux groupes politiques. Dès lors, ces textes permettent en général avant tout d’ouvrir un débat qu’il convient de reprendre ensuite dans un autre cadre.
Nous n’avons aucune réserve sur la rédaction issue des travaux de la commission des lois, qui ne revient pas sur l’objectif essentiel visé par les auteurs de la proposition de loi : garantir à tous un égal accès au baptême républicain et officialiser cette pratique pour rendre impossible un refus de la part du maire concerné.
Nous apprécions en particulier que la commission ait prévu que l’accord des deux parents sera requis, quand tous deux exercent l’autorité parentale.
Cette proposition de loi ouvre donc un débat qui ne s’arrêtera pas, bien évidemment, à la fin de cette matinée. Des questions restent en suspens : qu’est-ce que la reconnaissance des marraines et des parrains ? Comment définit-on leur « mission » ? Je ne doute pas que ce point suscitera bien des discussions dans les années à venir.
Pour l’heure, nous souhaitons en tout cas que cette proposition de loi puisse être examinée par l’Assemblée nationale et qu’elle ouvre sur des évolutions du code civil, afin de parvenir à une reconnaissance pleine et entière du baptême républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa et M. Yves Daudigny applaudissent également.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de la consécration du parrainage civil ou républicain s’est posée à plusieurs reprises, comme en témoignent les diverses propositions de loi déposées sur le bureau de l’une ou l’autre des deux assemblées. Je citerai, à titre d’exemple, celle de notre ancien collègue Michel Charasse, qui, en 2003, proposait d’instaurer une célébration civile à l’occasion de la naissance et du parrainage d’un enfant, mais aussi lors de funérailles ou de la signature d’un PACS.
Pratique d’abord délibérément anticléricale, qui fut instituée durant la période révolutionnaire, alors que l’on procédait à la sécularisation de l’état civil, lequel accompagne les étapes de la vie sociale des citoyens de la naissance au mariage et au décès, le parrainage républicain a désormais pour objet de désigner des adultes proches des parents, chargés de veiller sur l’enfant si ces derniers en étaient empêchés pour diverses raisons ; à l’image du baptême catholique, il confère à la marraine et au parrain une responsabilité morale et spirituelle.
L’absence de conséquences juridiques d’un tel engagement semblait mettre en question l’utilité d’adopter un texte législatif, ce qui a retardé la reconnaissance de cette coutume. Pourtant, notre droit n’est pas étranger aux dispositions sans réelle portée normative, qui ont une fâcheuse tendance à envahir l’ensemble des textes de loi…
Certes, la tutelle des mineurs, régie par les articles 390 et suivants du code civil, répond déjà à la préoccupation qui sous-tend le parrainage républicain. Il appartient au juge de convoquer le conseil de famille et de désigner le tuteur selon son appréciation de la situation. Les parents peuvent, de leur vivant, le nommer par testament ou acte notarié.
Le parrainage civil ne créant pas de droits ou de devoirs, ni pour les parrains ni pour les enfants, on a pu penser que l’inscrire dans la loi ne présentait aucun intérêt. C’était oublier l’intérêt symbolique qu’il revêt pour l’enfant, qui dispose ainsi d’un cercle de proches élargi au-delà de sa seule famille. Cela est d’autant plus bienvenu que la famille a connu des évolutions que le droit a dû progressivement prendre en compte, en dépit des réticences qui s’attachent à ces questions de société.
Alors que les familles se trouvent parfois éclatées, déchirées ou éloignées, l’enfant a plus que jamais besoin de référents lorsque ses parents sont dans l’impossibilité d’assumer leur rôle. Les parrains peuvent alors apporter une aide affective, voire matérielle, à l’enfant.
Quoique le parrainage républicain soit un acte fondamentalement symbolique, il pourrait néanmoins offrir un avantage pratique.
Le juge des tutelles pourrait, en cas de défaillance ou de décès des parents, consulter les registres tenus en mairie et, éventuellement, convoquer la marraine et le parrain pour participer au conseil de famille, si leurs relations avec celle-ci ne se sont pas entre-temps dégradées. Ce point est essentiel : il n’est pas rare en effet que le juge des tutelles rencontre des difficultés lors de la constitution du conseil de famille, pour les raisons que je viens d’évoquer.
Enfin, en refusant de reconnaître cette pratique, on néglige le fait qu’il existe aujourd’hui une inégalité de traitement entre les familles selon leur commune de résidence. Un maire peut en effet refuser de célébrer les parrainages républicains.
La version initiale de la proposition de loi, faisant du parrainage républicain un acte d’état civil, était source de complexité et de conflits potentiels avec les dispositions du code civil relatives à la protection de l’enfant. Elle était également contestable, dans la mesure où le filleul n’avait d’autre choix que de rester lié à ses parrain et marraine par l’acte de parrainage : le texte ne prévoyait pas la possibilité d’une mise à jour.
En outre, toute reconnaissance juridique d’une responsabilité juridique des parrains à l’égard de l’enfant aurait eu pour effet d’enrayer le recours à cette pratique et de faire tomber celle-ci de nouveau en désuétude. Or l’esprit de cette proposition de loi n’était pas, me semble-t-il, d’accorder au parrainage civil une quelconque valeur juridique, son objet étant surtout de rétablir l’égalité territoriale.
À cet égard, nous ne pouvons que saluer le travail du rapporteur Yves Détraigne et de la commission des lois, qui ont élaboré une rédaction plus réaliste de la proposition de loi. Je pense, en particulier, à la définition des missions incombant aux parrains, qui semblait, dans la version initiale du texte, un peu excessive et déconnectée de la réalité.
Certes, ceux de nos concitoyens qui recourent à cette coutume attendent sans doute des parrains de leur enfant qu’ils fassent de ce dernier un « citoyen dévoué au bien public », mais ils souhaitent avant tout désigner des référents chargés de veiller sur lui jusqu’à ce qu’il puisse exercer pleinement sa citoyenneté.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe RDSE votera cette proposition de loi, qui ne fait qu’entériner une pratique existante, en créant un droit sans venir perturber notre corpus juridique ou obérer nos finances publiques.
Pour conclure, permettez-moi d’évoquer un souvenir personnel.
J’ai célébré mon premier parrainage civil voilà plus de vingt ans, en tant que maire de Martel, dans le Lot, à la suite du bicentenaire de la Révolution française. Il avait fallu faire des recherches pour savoir comment organiser la cérémonie. À l’issue de celle-ci, un ami du grand-père, disparu depuis peu, avait joué à l’accordéon Le Temps des cerises, de Jean-Baptiste Clément, chansonnier montmartrois communard et franc-maçon.
M. Jean-Claude Requier. En ce mois de mai où revient le temps des cerises, je tenais à évoquer devant vous, mes chers collègues, ce moment de nostalgie !
Sourires et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, mes propos rejoindront, pour l’essentiel, ceux des orateurs qui m’ont précédé. Je constate, comme beaucoup de mes collègues maires, une augmentation significative, depuis quelques années, des demandes de parrainage républicain.
Il est aujourd'hui impossible de mesurer l’ampleur de cet engouement croissant, car nous ne connaissons pas le nombre de parrainages célébrés à l’échelle du pays. En effet, le parrainage républicain n’est pas pris en compte par les organismes chargés d’établir des statistiques, tels que l’INSEE, ni par les préfectures, du fait de son absence de caractère officiel.
Ainsi, aucun texte législatif n’encadre actuellement la cérémonie, à laquelle aucun caractère légal n’est donc encore reconnu. Le parrainage républicain relève de la coutume. À cet égard, je trouve tout à fait remarquable que cette pratique, organisée autour d’une structure officielle et légitime – la mairie et les élus – puisse exister depuis la Révolution française, sans véritable fondement juridique.
Apprécié comme un complément du baptême religieux ou une alternative à celui-ci, le parrainage civil est destiné à faire entrer l’enfant dans la communauté républicaine et à le faire adhérer de manière symbolique aux valeurs qui nous sont chères. Il consiste à donner un titre officiel, hors du cadre religieux, au parrain et à la marraine en cas de « défaillance » parentale.
Le parrainage est aussi une fête : c’est l’occasion de réunir famille et amis pour un moment de bonheur partagé. À cette cérémonie laïque s’attache une dimension citoyenne.
Néanmoins, depuis une trentaine d’années, le parrainage républicain suscite des interrogations récurrentes de la part des élus, notamment des parlementaires. Quelles sont les instructions officielles en la matière ? Le maire doit-il le célébrer ou peut-il refuser de le faire ? Pourquoi cet acte n’est-il pas reconnu par la loi ? Doit-on parler de baptême civil, de parrainage républicain, de parrainage civil ?
Par ailleurs, cette absence de valeur légale et juridique a des conséquences : les maires qui reçoivent les demandes sont libres d’y donner suite ou de les rejeter, à leur convenance, sans égard pour le principe d’égalité. Le parrainage républicain n’est pas inscrit sur les mêmes registres que les actes d’état civil. Il ne lie pas les parrain et marraine à l’enfant par un lien contractuel. L’engagement qu’ils prennent de suppléer les parents, en cas de défaillance ou de disparition de ces derniers, est purement symbolique : il s’agit d’un simple engagement moral, qui traduit leur attachement particulier à l’enfant.
Dans ces conditions, cette proposition de loi, qui consacre la pratique des parrainages civils ou républicains, héritée de la Révolution française, semble de bon aloi. Elle vient formaliser et encadrer le déroulement de cette cérémonie pour l’ensemble du territoire national.
Toutefois, il serait souhaitable que cette simple coutume ne devienne pas un acte d’état civil. La proposition de loi initiale s’inscrivait dans une logique d’évolution du droit de la famille tendant à élargir, dans l’intérêt de l’enfant, le cercle des adultes référents pouvant contribuer à son éducation et à sa protection.
En effet, il était mentionné dans l’exposé des motifs de la proposition de loi initiale que les parents pourront, « en cas de défaillance, être suppléés par les parrain et marraine ». Il était également prévu que l’enfant serait placé sous leur protection et qu’ils s’engageaient « à prendre soin de leur filleul comme de leur propre enfant dans le cas où ses parents viendraient à lui manquer ».
Cela suscite des nombreuses questions : que se passe-t-il en cas de divorce des parents ? Le lien avec l’un des parrains peut se distendre avec le temps ; dans ce cas, les obligations de ce parrain sont-elles toujours valides ? Comment apprécier les notions de « protection de l’enfant », de « manquement » des parents ? Que se passe-t-il en cas de désaccord entre le parrain et la marraine ?
Je partage pleinement l’objectif du rapporteur et de la commission, qui ont souhaité limiter les effets de cette reconnaissance juridique. En effet, le code civil prévoit déjà de nombreuses dispositions en cas de défaillance des parents.
À mon sens, créer aux parrain et marraine des obligations matérielles à l’égard de l’enfant et leur ouvrir la possibilité de pallier les manquements des parents serait leur imposer une charge trop importante. D’ailleurs, j’en suis convaincu, cela ne correspond pas à l’esprit du parrainage républicain, qui relève du symbole. L’engagement est et doit rester moral.
Par ailleurs, le texte, largement modifié par la commission, encadre et clarifie le parrainage, pour ce qui concerne tant le choix de la commune de célébration que les mentions devant figurer dans l’acte. Il précise que l’autorisation des parents dépositaires de l’autorité parentale est obligatoire.
Des conditions sont également imposées aux parrains et marraines : ne pas être déchus de leurs droits civiques, ne pas avoir failli à leur propre rôle de parent. Ces deux conditions me paraissent utiles et même indispensables, car le rôle dévolu à ces parrains est d’accompagner l’enfant dans l’apprentissage de la citoyenneté et des valeurs républicaines. Ils ont donc un statut d’exemple, je dirais même de modèle, pour leur filleul.
Pour conclure, je voudrais remercier l’auteur de cette proposition de loi, Yves Daudigny, qui a eu le mérite de vouloir clarifier la question du parrainage civil. Je tiens également à saluer le travail du rapporteur, Yves Détraigne, et de la commission des lois, qui ont su amender cette proposition de loi dans le bon sens.
Avec mes collègues maires, nous attendions ce texte qui, en donnant un cadre au parrainage républicain, répond à nos préoccupations d’élus locaux en termes de clarification et de simplification.
Applaudissements sur les travées de l’UMP.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’heure où le sentiment d’appartenance à la République et la réaffirmation de ses valeurs sont invoqués par tous, le parrainage républicain n’est pas une pratique désuète. C’est un acte laïque et symbolique, hérité de la Révolution française, par lequel deux personnes se constituent parrain et marraine – il peut d’ailleurs n’y avoir qu’un seul parrain ou marraine – d’un enfant pour accompagner son entrée dans la communauté républicaine.
Cette démarche s’inscrit dans la continuité des actions mises en place par les pouvoirs publics pour améliorer l’acquisition des valeurs républicaines et l’apprentissage de la citoyenneté par les jeunes générations.
Dans son rapport rendu le mois dernier au Président de la République et intitulé « La nation française, un héritage en partage », Gérard Larcher affirme que le renforcement de l’engagement républicain et celui du sentiment d’appartenance à la nation sont indéfectiblement liés.
Le parrainage républicain peut être vécu comme relevant d’une volonté de s’inscrire dans un destin collectif, de partager des valeurs communes et un sentiment fort d’appartenance à la nation. Si sa finalité est remarquable, le parrainage républicain est pratiqué de façon inégale sur le territoire, en raison de son absence de fondement juridique. Il m’arrive régulièrement de célébrer des parrainages républicains en lieu et place d’autres maires, qui s’y refusent.
Malgré tout, cette coutume a traversé deux siècles, et nombre de nos concitoyens souhaitent encore faire procéder à cette cérémonie pour leur enfant.
La proposition de loi de notre collègue Yves Daudigny vise à établir une nécessaire égalité de traitement sur le territoire national et à réparer le tort causé à certaines familles auxquelles la cérémonie de parrainage de leur enfant a été refusée.
Si nous partageons cet objectif, conforme au principe d’égalité de traitement des citoyens, les dispositions du texte tendant à faire de cette coutume un acte d’état civil et à élargir le cercle des adultes référents pouvant contribuer à l’éducation et à la protection de l’enfant ne nous ont pas totalement convaincus. À cet égard, je souscris à la réécriture du texte proposée par la commission des lois et son rapporteur, Yves Détraigne.
En transformant la nature du parrainage républicain, la rédaction initiale du texte produisait des obligations matérielles et morales et des conséquences juridiques beaucoup trop lourdes pour le parrain et la marraine. Consacrer leur rôle dans le code civil revenait à s’exposer à un risque de conflit avec certaines dispositions de ce même code en matière de protection des enfants. Que faire, par exemple, en cas d’immixtion des parrain et marraine dans la relation entre parents et enfant, au motif qu’ils estimeraient ce dernier insuffisamment protégé ?
Disposition plus lourde de conséquences encore, la rédaction imprécise de la proposition de loi initiale laissait à penser que, « dans le cas où ses parents viendraient à lui manquer », le parrain et la marraine devraient prendre le relais. À cet égard, il convient de rappeler que le code civil comporte d’ores et déjà des dispositifs juridiques apportant une réponse adaptée à de tels manquements, qu’ils résultent de la défaillance des parents ou de leur disparition.
Au-delà de ces considérations purement juridiques, la commission n’a pas sous-estimé l’effet dissuasif et contreproductif que pourrait avoir l’introduction de ces obligations lourdes de conséquences.
On ne peut exclure, en effet, que le parrain et la marraine puissent voir leur responsabilité civile engagée à l’égard des parents ou de l’enfant lui-même s’ils manquaient à la mission morale à eux confiée. C’est cet engagement moral d’ordre privé qu’il faut privilégier, plutôt que l’établissement d’un acte d’état civil ! Les représentants du ministère de la justice l’ont eux-mêmes souligné lors des auditions réalisées par le rapporteur : faire figurer l’acte de parrainage parmi les éléments de l’état civil d’une personne serait inopportun. Ces informations ne correspondent pas à la notion traditionnelle d’état civil, qui recouvre les attributs essentiels d’une personne, à savoir la filiation, le sexe, le nom, le mariage.
Alors, dans un souci de garantir une égalité de traitement entre les citoyens, tout en limitant les effets juridiques de cette coutume, la commission a fait le choix de consacrer celle-ci dans une loi spécifique. C’est une très bonne solution. Ces dispositions n’avaient pas leur place dans le code civil, a fortiori à la suite du chapitre relatif à l’autorité parentale.
Cela aurait pu donner à penser que le parrainage républicain était élevé au rang d’institution civile, au même titre que le mariage.
Si le parrainage républicain n’est pas un acte d’état civil, il n’y a plus de justification à confier la célébration de cet événement à un officier d’état civil agissant au nom de l’État. Je me demande même si un fonctionnaire ne pourrait pas s’en charger, en tant que de besoin.
Je suis en désaccord avec la proposition de loi initiale sur trois points.
Tout d’abord, célébrer la cérémonie dans la commune où a été enregistrée la demande aurait entraîné le risque de voir se développer un « tourisme des parrainages républicains ». Je me range à la position adoptée par la commission, qui est de célébrer le parrainage républicain dans la commune du domicile ou de résidence des parents ou de l’un d’entre eux.
Ensuite, la commission a considéré, à juste titre, que la demande de parrainage républicain devait émaner des deux parents, titulaires de l’autorité parentale. Il s’agit avant tout de l’éducation d’un enfant, à laquelle les deux parents doivent prendre part, si tant est qu’ils détiennent l’autorité parentale.
Enfin, il est très étonnant de constater que le texte initial ne prévoyait aucune disposition concernant le choix du parrain et de la marraine, ni en cas de refus d’un maire de célébrer un parrainage au motif que les personnes choisies ne présenteraient pas les qualités nécessaires à la transmission des valeurs républicaines.
Les deux conditions posées par la commission pour la désignation du parrain et de la marraine me paraissent essentielles, surtout dans la mesure où l’apprentissage de la citoyenneté est une des finalités du parrainage. Comment imaginer qu’un citoyen déchu de ses droits civiques ou étant sous le coup d’une mesure de retrait de l’autorité parentale puisse endosser ce rôle ?
La réécriture de la proposition de loi par la commission va donc dans le bon sens. C’est pourquoi les membres du groupe UDI-UC voteront le texte qu’elle a élaboré ; il permettra de renforcer l’ancrage du parrainage républicain partout en France et d’encourager bon nombre de citoyens à recourir à celui-ci pour leur enfant.
Applaudissements sur les travées de l'UDI -UC et du RDSE.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au siècle de Voltaire déjà, de nombreuses familles souhaitaient se tenir hors du sein de l’Église, sans le pouvoir. L’inscription au registre du baptême était alors le seul acte officiel. Les législateurs de 1794 comprirent que, à côté des institutions religieuses officialisant naissance, mariage et décès, il manquait une cérémonie légale concernant le parrainage.
Ainsi, c’est un texte révolutionnaire – la loi du 20 prairial de l’an II, c’est-à-dire du 8 juin 1794 – qui institue la procédure du parrainage civil. Ce dernier est donc lié à un contexte de laïcisation des actes marquant les grandes étapes de la vie, qui étaient jusqu’alors établis par l’Église, mais il n’a pas de fondement juridique formellement institué.
En définitive, il s’agit d’une coutume qui ne présente aucun caractère obligatoire pour l’officier d’état civil et qui, de ce fait, est inégalement mise en œuvre sur le territoire et dénuée d’effets juridiques. Le document établi lors de la cérémonie n’a pas valeur d’acte d’état civil ; cet engagement n’a qu’une valeur morale.
Or la proposition de loi initiale prévoyait notamment de faire de ce parrainage un acte d’état civil, ainsi qu’un acte créateur d’obligations matérielles et morales pour le parrain et la marraine. Ses auteurs avaient donc l’ambition de changer fondamentalement la nature du parrainage par rapport à ce qu’elle aujourd’hui.
Dès lors, je me réjouis que la commission des lois ait souhaité, sur proposition du rapporteur, Yves Détraigne, ne pas donner de tels effets juridiques au parrainage civil. Je tiens à féliciter le président Philippe Bas pour le travail effectué.
Que la commission des lois ait retenu l’expression « parrainage civil » pour désigner cette démarche est une bonne chose. Cela vient en effet confirmer que cet acte est destiné à faire entrer l’enfant dans la communauté républicaine et à le faire adhérer, de manière symbolique, aux valeurs de la République.
Puisqu’il est question de symbole et d’adhésion aux valeurs républicaines, réfléchissons à la manière d’associer clairement l’acte du parrainage républicain à ces dernières, qui résultent d’un consensus social et politique et fondent le pacte républicain constituant très largement l’identité nationale française. C’est en ce sens qu’il faut clairement dire aux participants au parrainage républicain que nos valeurs ne sont pas négociables. Poser la question des valeurs et symboles lors de la célébration du parrainage républicain impose de revenir sur l’idée de République, afin que celle-ci soit connue et comprise comme le patrimoine civique commun de notre pays.
Autrement dit, ce basculement sémantique pourrait s’accompagner de mesures permettant une véritable prise en compte de la dimension symbolique de ce parrainage civil, célébré devant la République.
Je tiens particulièrement à saluer le travail de la commission, qui a ramené dans le droit chemin un texte qui venait véritablement changer la nature du parrainage républicain tel qu’on peut le connaître aujourd’hui.
Ainsi, je me réjouis de la suppression des dispositions initiales de la proposition de loi qui faisaient du parrainage républicain un acte d’état civil susceptible d’avoir des effets juridiques importants. Mes chers collègues, je rappelle que le parrainage ne présente aucun caractère obligatoire. Quid des discriminations créées entre les enfants parrainés et ceux qui ne le sont pas, dans le cas où ce parrainage serait un acte d’état civil ?
En outre, si je comprends le souhait de voir reconnus le rôle et la place des parrain et marraine dans l’éducation de l’enfant, notamment dans les circonstances difficiles de son existence, il ne saurait être envisagé, pour autant, de leur conférer un statut spécifique et de faire mention de leur qualité sur les actes de l’état civil. En effet, le parrainage civil, qui procède d’une coutume, ne comporte aucun cérémonial préétabli et ne revêt aucun caractère obligatoire pour le maire sollicité. De plus, l’état civil, qui a pour objet de consigner dans des actes authentiques les éléments relatifs au statut personnel ou familial des personnes, ne saurait contenir des informations relevant d’un engagement d’ordre privé, moral, laïque ou religieux des parents et des parrain et marraine choisis par ces derniers.
Par ailleurs, si l’un des parents décède, le survivant peut désigner, par tutelle testamentaire, le parrain ou la marraine comme tuteur de l’enfant. En cas de décès des deux parents et en l’absence de tutelle testamentaire, la nouvelle rédaction de l’article 404 du code civil, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2009, permet au conseil de famille, en l’absence de tutelle testamentaire, de désigner un tuteur pour le mineur, membre de la famille ou non, selon ce que l’intérêt de l’enfant exige. Ainsi, la dévolution automatique de la tutelle à l’ascendant le plus proche est supprimée.
Enfin, les parrain et marraine peuvent être appelés par le juge à faire partie du conseil de famille.
Ces mesures me paraissent de nature à répondre aux préoccupations qui sous-tendaient la rédaction initiale de la proposition de loi.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et au banc de la commission.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte dont nous débattons, sur l’initiative de nos collègues du groupe socialiste, fait référence à une tradition ancienne, remontant à l’époque révolutionnaire, plus précisément à la Fête de la Fédération, pour certains, ou à la Fête de l’Être suprême, pour d’autres.
Sans m’engager dans des développements historiques complexes sur l’histoire de cette institution, qui relèvent davantage de l’université que du Parlement, ni me livrer à une exégèse savante de sa symbolique, je me contenterai d’en souligner le côté sympathique et attachant, puisqu’elle s’inscrit bien dans la tradition mémorielle des valeurs éthiques de notre République une et indivisible.
Faut-il le rappeler, nous avons bien besoin de ces valeurs aujourd’hui, à l’heure où tant de choses se délitent sous nos yeux, en particulier ces repères essentiels que l’on enseignait naguère à l’école, au lycée et à la caserne, tous régis par un certain nombre de préceptes civiques sur lesquels on ne transigeait pas, comme en témoignent tant de textes de notre littérature.
Le regain du parrainage républicain, florissant au XIXe siècle et tombé en désuétude par la suite, montre bien que celui-ci satisfait le besoin croissant – oserais-je parler d’aspiration ? – d’un civisme républicain, ainsi que je l’ai constaté moi-même, à plusieurs reprises, en tant que maire d’une commune qui, si rurale soit-elle, n’en est pas moins, au même titre que d’autres, en quête de repères.
La teneur de cette proposition de loi témoigne-t-elle de ce nécessaire retour à ce que l’on appelle aujourd’hui les « fondamentaux » de la République ? Si tel est le cas, je l’approuve naturellement, sans restriction d’aucune sorte, d’autant que ce texte répare une omission, en permettant de doter un usage établi d’un fondement législatif qui, jusque-là, lui faisait défaut, d’inscrire dans la loi la possibilité, pour les parrains d’un enfant, de se substituer aux parents en cas de défaillance dûment constatée et de donner ainsi une portée concrète à l’engagement moral contracté en mairie par les parrain et marraine à l’égard de l’enfant.
La devise « Liberté, égalité, fraternité », à laquelle j’ajouterai « laïcité », trouve donc ici une application supplémentaire, que nul ne saurait nier. C’est pourquoi je voterai cette proposition de loi, telle que légèrement revue et améliorée par la commission des lois. Il s’agit de montrer que nous devons nous rassembler lorsqu’il s’agit de l’intérêt de la nation. Ce texte permettra à ceux de nos concitoyens qui le souhaiteront de placer officiellement leurs enfants sous la protection de notre devise républicaine.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Le parrainage républicain d’un enfant est célébré à la mairie à la demande de ses parents lorsqu’ils exercent en commun l’autorité parentale ou à la demande de celui qui l’exerce seul.
La célébration a lieu dans la commune où l’un des parents au moins a son domicile ou sa résidence établie par un mois au moins d’habitation continue à la date de la cérémonie.
Toute personne, à l’exception de celle déchue de ses droits civiques ou à qui l’autorité parentale a été retirée, peut s’engager en qualité de parrain ou marraine à concourir à l’apprentissage par l’enfant de la citoyenneté dans le respect des valeurs républicaines.
Au jour fixé, le maire, un adjoint ou un conseiller municipal agissant par délégation du maire reçoit, publiquement et en présence de l’enfant, la déclaration des parents du choix des parrain et marraine ainsi que le consentement de ces derniers à assumer leur mission.
Acte de ces déclarations est dressé sur le champ dans le registre des actes de parrainage républicain et signé par chacun des comparants et par le maire, l’adjoint au maire ou le conseiller municipal.
L’acte de parrainage républicain énonce :
1° Les prénoms, noms, domiciles, dates et lieux de naissance des parents de l’enfant ;
2° Les prénoms, nom, domicile, date et lieu de naissance de l’enfant parrainé ;
3° Les prénoms, noms, domiciles, dates et lieux de naissance des parrain et marraine ;
4° La déclaration des parents de choisir pour leur enfant les parrain et marraine désignés par l’acte ;
5° La déclaration des parrain et marraine d’accepter cette mission.
À l’issue de la cérémonie, il est remis aux parents, ainsi qu’aux parrain et marraine, une copie de l’acte consigné dans le registre.
L'article 1 er est adopté.
Le 4° du I de l’article L. 213-2 du code du patrimoine est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« f) pour les registres de parrainage républicain, à compter de la date d’établissement de l’acte. » –
Adopté.
L’article 1er de la présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. –
Adopté.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.
La proposition de loi est adoptée.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures.