Si, je crois que je le suis beaucoup plus que vous, et votre discours en témoigne, s’il en était besoin, de même que votre ton, lequel contraste avec le mien.
En premier lieu, je souhaite rappeler les raisons pour lesquelles les électeurs seront invités à voter en décembre 2015, puisqu’un débat a eu lieu ici même sur ce sujet.
Il fallait fixer le scrutin au plus près de la création des nouveaux conseils régionaux. Cette création par fusion de collectivités n’est possible qu’au 1er janvier, au début de l’année fiscale et budgétaire. C’est la raison pour laquelle – nous nous en étions expliqués de manière technique et détaillée lors de la présentation du projet de loi créant les nouvelles régions – cette date a été choisie, après consultation non seulement des parlementaires, mais aussi des services concernés du Conseil constitutionnel.
En second lieu, je tiens à répondre à l’argument selon lequel la modification de l’article L. 30 du code électoral permettrait de simplifier la procédure. Effectivement, dans un tel cas, il n’y aurait pas de décret à prendre pour différer et ajuster les dates de consolidation du tableau des additions et retranchements, d’habitude publié en début d’année. L’INSEE serait moins impliqué et aurait donc moins de travail. En revanche, la procédure serait considérablement complexifiée pour les maires. Je le précise, puisque le dernier orateur a exprimé des inquiétudes quant à la charge que cette disposition ferait peser sur les maires ruraux : seuls, sans appui de l’INSEE, les maires seront mis sous pression et disposeront de neuf jours au lieu de deux mois pour procéder à la révision.
Selon ses partisans, les inconvénients de la modification de l’article L. 30 devraient s’avérer limités pour les élections régionales de 2015. Pour que cela soit vrai, il faudrait que les électeurs ne s’inscrivent pas, c’est-à-dire que cette réforme échoue. Surtout, la généralisation de la procédure de l’article L. 30, parce qu’elle serait pérenne, aurait des conséquences redoutables si elle était appliquée à tous les scrutins, notamment à l’élection présidentielle.
Je voudrais conclure mon propos en observant que les raisonnements tenus à l’appui des préventions exprimées contre cette proposition de loi ne tiennent pas, si l’on prend en compte les conditions dans lesquelles cette proposition de loi a été élaborée.
Tout d’abord, ce texte résulte-t-il de la réflexion d’un parti contre tous les autres ? Absolument pas, puisqu’il est très précisément issu de travaux réalisés par deux députés, appartenant l’une à la majorité, l’autre à l’opposition. Cette proposition de loi a vocation à être généralisée par la suite, conformément à l’ensemble des préconisations de ce rapport parlementaire transpartisan.
Ensuite, un autre argument ne manque pas de saveur. Il vient de ceux qui affirment que l’on modifie le code électoral juste avant le scrutin pour que ceux qui gouvernent le pays puissent bénéficier des résultats de ce scrutin. Or les auteurs de cet argument sont les mêmes qui nous expliquent que le gouvernement actuel est condamné à perdre toutes les élections !
Je ne vois rien de logique dans ce discours qui consiste à dire que la majorité en place est toujours en difficulté lors des élections, mais que les nouveaux électeurs inscrits pourraient voter subitement en sa faveur. Si la politique du Gouvernement actuel est à ce point mauvaise, comme vous semblez le penser, il n’y a aucune raison de croire que ceux qui iront voter feront autre chose que d’exprimer leur condamnation de cette politique. À la limite, vous avez tout à attendre de ces nouvelles inscriptions, si l’on suit votre raisonnement : puisque tout va si mal et que l’on ne peut que voter contre le Gouvernement, vous devriez encourager toute mesure tendant à faciliter l’inscription de nouveaux électeurs, plutôt que d’exprimer votre méfiance !
En réalité, le sujet n’est pas là. Le discours que je viens d’évoquer reflète un raisonnement caractéristique de ce que la politique a de plus clivant et partisan. Notre préoccupation devrait être que les électeurs aillent le plus possible s’inscrire, quel que soit le vote qu’ils émettront. La démocratie est comparable à une grande roue qui tourne : on ne sait jamais quels seront les résultats des élections, car celles-ci offrent souvent des surprises. Dans l’histoire, ceux qui se sont estimés sûrs du résultat des élections à venir les ont souvent perdues. Il faut donc aborder ces sujets avec prudence et humilité.
Il vaut mieux se poser la question des principes. En l’occurrence, nous voulons lutter contre l’abstention. Est-ce une bonne chose ? Oui ! Cette proposition de loi est-elle susceptible d’influer sur le résultat des élections ? Non, pour les raisons que je viens d’indiquer. Peut-on introduire dans cette proposition de loi des dispositions applicables à toutes les élections ? Non, pour les raisons que vous avez exprimées : en effet, cette procédure est lourde et implique un travail de préparation, si l’on ne veut pas que les maires soient soumis à une pression épouvantable et ne puissent pas faire face à l’échéance. Je ne veux pas qu’une réforme destinée à lutter contre l’abstention mette tous les maires de France en difficulté.
Comme sur d’autres sujets non clivants dont nous avons eu à traiter devant cette assemblée, je propose que nous fassions preuve d’un état d’esprit qui rehausse le niveau du débat politique et du travail parlementaire en oubliant les clivages et en se concentrant sur les principes, qu’il s’agisse des conditions du vote ou du droit d’asile, sujets éminemment républicains. Essayons donc de construire des lois qui font l’unanimité, car c’est possible, et laissons les gens voter comme ils l’entendent en fonction de leurs convictions, puisque c’est cela la démocratie.
Je propose donc que l’on revienne au texte adopté par l’Assemblée nationale, ce qui permettra de conclure rapidement cette affaire et de garantir l’inscription sur les listes électorales de tous ceux qui ne peuvent pas voter. Vous avez une bonne raison de le faire, puisque je vous donne toute garantie, compte tenu du travail que les députés Jean-Luc Warsmann et Élisabeth Pochon sont prêts à faire ensemble, que toutes les préoccupations émises lors des travaux de la commission des lois seront reprises dans un texte présenté dans la foulée, afin de régler les problèmes qui pourraient se présenter à l’avenir.
Je propose donc au Sénat d’envoyer aujourd’hui un signal très fort à tous les électeurs de France, quoi qu’ils pensent ou votent, pour leur dire que le Parlement a fait en sorte que les conditions d’inscription sur les listes électorales permettent à tout le monde de voter afin de lutter contre le fléau de l’abstention. Cette réaction républicaine montrera aux Français que la politique, avec ses conflits et ses clivages, n’est pas à même de tout miner ni de tout détruire, en encourageant l’opposition à tout. La République a aussi besoin d’un tel message !