Intervention de Alain Marc

Réunion du 21 mai 2015 à 15h00
Pouvoirs de police à paris — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain MarcAlain Marc :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de MM. Pozzo di Borgo, Charon et Dominati, qui vise à transférer au maire de Paris certaines compétences de police administrative aujourd’hui détenues par le préfet de police, soulève une question qui n’est pas récente. En effet, le 11 mai 1990, le Sénat adoptait en première lecture une proposition de loi comparable de Raymond Bourgine, mais ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

L’objectif de la présente proposition de loi n’est pas de remettre en cause la qualité du travail du préfet de police, que nous avons auditionné et dont je salue l’action en faveur de la sécurité des Parisiens ; il est d’aligner la répartition des pouvoirs de police à Paris sur le droit commun afin d’accroître les prérogatives et les responsabilités du maire de la capitale.

Je veux tout d’abord rappeler les spécificités de la police administrative à Paris.

À la différence de ce qui se passe dans les autres communes de France, c’est le préfet de police et non le maire qui détient le pouvoir de police générale. Le préfet de police est ainsi responsable du bon ordre, de la sûreté et de la sécurité publique. Il exerce également plus de cinquante polices spéciales en lieu et place du maire – la police des animaux dangereux et errants, par exemple – ou du préfet de département – l’admission en soins de personnes souffrant de troubles mentaux, par exemple. À Paris, le préfet de police cumule donc les pouvoirs d’un préfet de département et d’un maire.

Ce régime de police dérogatoire remonte à la création de la lieutenance de police, en 1667, et a été renforcé sous Napoléon Bonaparte par l’arrêté du 12 messidor an VIII. Certes, les compétences de police du maire de Paris ont été renforcées depuis plusieurs décennies : il est désormais responsable de la salubrité publique, du bon ordre dans les foires, des troubles de voisinage et d’une grande partie de la police de la circulation et du stationnement. Toutefois, ces compétences demeurent restreintes au regard de celles du préfet de police.

Le régime dérogatoire de police appliqué à Paris présente aujourd’hui deux types de limites, qui ont motivé le dépôt de cette proposition de loi : des limites institutionnelles, d’une part, et des limites opérationnelles, d’autre part.

D’un point de vue institutionnel, la police administrative est exercée à Paris par un préfet de police nommé par le Président de la République, et non, comme sur le reste du territoire, par une personne élue au suffrage universel. Il existe donc un paradoxe singulier à l’heure de la décentralisation : alors que des lois successives ont renforcé les attributions du maire de Paris pour aligner ses prérogatives sur celles du droit commun, les pouvoirs de police continuent de lui échapper. Cela pose une vraie question de responsabilité politique : comme l’a souligné Yves Pozzo di Borgo, le maire n’est pas responsable devant ses électeurs de l’exercice du pouvoir de police.

D’un point de vue opérationnel, le dispositif de police administrative mis en œuvre à Paris semble perfectible. La préfecture de police gère en effet des tâches de police municipale alors qu’elle a vocation à se concentrer sur des missions régaliennes de sécurité. Ce sont, par exemple, des policiers nationaux qui assurent le « barriérage » des routes lors du marathon de Paris ou fournissent un soutien aux personnes sans abri.

De même, c’est la préfecture de police qui contrôle le respect des règles de circulation et de stationnement par l’intermédiaire des agents de surveillance de Paris- ce qu’on appelait autrefois les « pervenches ». Or ce système ne semble pas satisfaisant en pratique : environ 85 % des Parisiens ne paient pas leur stationnement, car ils savent qu’ils n’ont que peu de risques de devoir régler une amende.

Pour expliquer ce dysfonctionnement, l’une des hypothèses est que le contrôle de la circulation et du stationnement ne fait pas partie des priorités opérationnelles de la préfecture de police, ce qui semble logique au vu de l’étendue de ses compétences, parmi lesquelles la priorité est donnée aux missions régaliennes. En outre, la préfecture de police n’a aucune incitation financière à agir, à la différence de la Ville de Paris, qui perçoit une partie des recettes des procès-verbaux et pourra, à partir de 2016, fixer le montant de la redevance appelée à les remplacer dans le cadre de la dépénalisation du stationnement payant.

La dernière difficulté opérationnelle concerne la complexité du dispositif mis en œuvre pour prévenir et réprimer les petites incivilités à Paris. Outre les ASP et les policiers nationaux gérés par la préfecture de police, la mairie a recours à ses propres personnels de sécurité : les inspecteurs de sécurité et les agents d’accueil et de surveillance.

Il est difficile pour les Parisiens de comprendre les rôles et les responsabilités de chacun, d’autant que les différentes forces ne collaborent pas suffisamment : elles patrouillent sur des sites identiques mais ne coordonnent pas leurs actions et n’échangent que rarement des informations.

Face aux limites du système actuel, les auteurs de la proposition de loi souhaitent que le pouvoir de police générale soit transféré du préfet de police au maire. Ce dernier serait désormais compétent pour le bon ordre, la sûreté et la sécurité publique. Il disposerait ainsi d’un levier d’action supplémentaire pour traiter des problématiques intéressant le quotidien de ses administrés et devrait répondre de sa politique devant ses électeurs. Le maire de Paris pourrait, par exemple, interdire la consommation d’alcool sur la voie publique ou encore des spectacles causant un trouble à l’ordre public, alors qu’il ne peut pas le faire aujourd’hui. Les policiers nationaux exécuteraient directement les arrêtés du maire au titre de l’article L. 2214-3 du code des collectivités territoriales.

Pour assumer ses nouvelles compétences, le maire de Paris retrouverait sous son autorité les ASP, qui sont aujourd’hui mis à disposition de la préfecture de police, mais rémunérés par la mairie. Un vieil adage dit que qui paie commande ; or, en l’occurrence, ce n’est pas le cas ! Le maire de Paris pourrait confier aux ASP une mission identique à celle qu’ils exercent aujourd’hui – le contrôle du stationnement – ou profiter de la dépénalisation du stationnement payant pour confier cette mission à un prestataire extérieur et réorienter l’action des ASP vers la prévention et la répression des petites incivilités ; leur statut le permet déjà, mais, dans les faits, ces missions leur échappent actuellement.

La proposition de loi prévoit enfin une réforme en profondeur de la préfecture de police. Elle continuerait à assurer la coordination des forces de police nationale, mais ses compétences seraient réduites par rapport au droit en vigueur pour devenir comparables à celles des préfectures dans les villes à police étatisée. La préfecture de police pourrait ainsi se concentrer sur des tâches à caractère régalien, comme la protection des institutions de la République.

La commission des lois a souscrit à l’objectif du présent texte, car il lui a semblé nécessaire de renforcer les pouvoirs de police et donc les responsabilités du maire de Paris. Il s’agit de poursuivre la démarche entamée depuis 1975, afin d’aligner le droit applicable à Paris sur celui qui s’applique aux autres communes de France.

La commission a toutefois souhaité circonscrire précisément le champ de la proposition de loi à la police générale et à la police spéciale du stationnement et de la circulation, alors que sa rédaction initiale ouvrait la voie au transfert de certaines polices spéciales du code général des collectivités territoriales, comme la police des funérailles. La commission a en effet jugé préférable d’adopter une démarche progressive, consistant à confier d’abord, par cette proposition de loi, un pouvoir de police générale au maire, avant d’envisager, dans un second temps, un transfert de polices spéciales.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission vous invite à adopter le texte dans la rédaction qui vous est soumise.

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