Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 20 mai 2015 à 14h00
Moratoire sur l'utilisation des armes de quatrième catégorie — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les problèmes soulevés par l’utilisation d’armes comme le Flash-Ball et le Taser par les forces de l’ordre sont de plus en plus évidents. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons demandé l’examen de cette proposition de loi dans le cadre de notre « niche ».

Ces armes dites « sublétales » sont dangereuses. Leur tir a souvent des conséquences dramatiques. Notre groupe, notamment par la voix de Nicole Borvo Cohen-Seat, qui m’a précédée à la présidence du groupe communiste, républicain et citoyen, a interpellé à plusieurs reprises et depuis de nombreuses années les différents gouvernements à ce sujet.

Dans la continuité de ces interventions et ce cet engagement, le groupe CRC et le groupe écologiste ont déposé la première version de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui.

Cette proposition de loi vise, comme son intitulé l’indique, à mettre un terme à la multiplication des incidents qui révèlent la dangerosité et la banalisation des armes incorrectement qualifiées de « non létales ».

Trop souvent, ces armes sont utilisées comme moyen offensif pour la dispersion des attroupements et des manifestations.

Ce constat de la dangerosité de ces armes, nous ne sommes pas les seuls à le dresser : de nombreuses associations de défense des droits de l’homme, en particulier, le dressent également.

Concernant le Flash-Ball, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, avant d’être dissoute, avait elle aussi souligné la dangerosité totalement disproportionnée de cette arme en regard des usages pour lesquels elle a été conçue. La CNDS recommandait « de ne pas utiliser cette arme lors de manifestations sur la voie publique, hors les cas très exceptionnels qu’il conviendrait de définir très strictement ». Elle mettait par ailleurs en cause « l’imprécision des trajectoires des tirs de Flash-Ball, qui rendent inutiles les conseils d’utilisation théoriques, et la gravité comme l’irréversibilité des dommages collatéraux manifestement inévitables qu’ils occasionnent ».

Le Défenseur des droits propose quant à lui, notamment, de restreindre l’usage du Flash-Ball en mode contact, c’est-à-dire à bout touchant, et d’étendre aux policiers l’interdiction d’utilisation pour des opérations de maintien de l’ordre qui vaut déjà pour les militaires de la gendarmerie.

Concernant le Taser, la CNDS écrit, dans son rapport concernant les événements des 11 et 12 février 2008 au centre de rétention de Vincennes, qu’« il est permis de s’interroger très sérieusement sur l’utilité du dispositif d’enregistrement vidéo, qui ne permettrait en aucun cas de vérifier a posteriori les circonstances dans lesquelles le pistolet à impulsion électrique a été utilisé ».

Dès 2007, le Comité contre la torture de l’ONU, dans son rapport sur le Portugal, rendait une décision sans appel sur le Taser, qui équipe les polices de ce pays : « Le Comité s’inquiète de ce que l’usage de ces armes provoque une douleur aiguë, constituant une forme de torture, et que dans certains cas il peut même causer la mort, ainsi que l’ont révélé des études fiables et des faits récents survenus dans la pratique. »

Dans une note interne datant de 2008, la préfecture de police de Paris rappelle la vulnérabilité particulière au Taser des personnes aux vêtements imprégnés de « liquides ou de vapeurs inflammables », des « femmes enceintes et [des] malades cardiaques ».

Le Conseil d’État confirme, lui aussi, le 2 septembre 2009, que leur « emploi […] comporte des dangers sérieux pour la santé, résultant notamment des risques de trouble du rythme cardiaque, de syndrome d’hyperexcitation, augmentés pour les personnes ayant consommé des stupéfiants ou de l’alcool, et des possibles complications mécaniques liées à l’impact des sondes et aux traumatismes physiques résultant de la perte de contrôle neuromusculaire ; que ces dangers sont susceptibles, dans certaines conditions, de provoquer directement ou indirectement la mort des personnes visées ».

Le groupe Taser lui-même, dans un guide d’utilisation publié le 12 octobre 2009, reconnaît que l’usage de cette arme fait courir un risque cardiaque à la personne visée.

En 2007 également, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, institution indépendante du Conseil de l’Europe, dans son rapport sur la France, indique qu’il est plus que réticent à l’introduction d’une telle arme en détention, vu la nature particulière des fonctions assumées par le personnel pénitentiaire.

En outre, des négligences et des manquements professionnels graves ont été constatés à maintes reprises quant à l’utilisation de ces armes dites « sublétales ».

Pas plus tard que le 2 avril dernier, le tribunal de grande instance de Bobigny a condamné un policier qui, en tirant avec son Flash-Ball, avait blessé un adolescent de 17 ans pour usage disproportionné de la force, hors de toute légitime défense.

Après ces rappels qui me paraissaient importants, j’en viens à la question de l’efficacité de ces armes en matière de maintien de l’ordre.

Voyons d’abord ce qu’en dit l’autorité de tutelle.

Le ministre de l’intérieur, en réponse à une question écrite concernant le Taser et le Flash-Ball, indiquait le 17 octobre 2013 que « d’autres voies doivent être étudiées […] pour améliorer la sécurité des forces de l’ordre ». Il va de soi que nous sommes, nous aussi, très attentifs à la sécurité des forces de l’ordre. Dans la même réponse, le ministre indiquait qu’il s’agissait « d’être plus efficace dans la prévention de la délinquance et dans la lutte contre les violences, pour éviter chaque fois que possible les situations justifiant le recours aux armes de force intermédiaire » et faisait le lien entre le nécessaire renforcement des « effectifs de police et de gendarmerie et leur présence sur le terrain » et les actions engagées pour « améliorer le lien de confiance entre les forces de l’ordre et la population », afin de ne pas avoir besoin d’employer ces armes.

Si l’on ne peut qu’adhérer à ces déclarations d’intention, force est de constater qu’elles ne se traduisent pas en actes et qu’il y a une inflation dans l’utilisation des armes par la police et la gendarmerie. Selon les dernières données rendues publiques par le Défenseur des droits, le nombre de tirs a augmenté de 65 % en trois ans chez les policiers.

L’inflation de cette utilisation et de la dotation des personnels – 5 000 en 2013 – nécessiterait d’être mise en perspective avec l’insuffisance des moyens mis à disposition d’une police de proximité.

En la matière, la responsabilité de la droite est écrasante : 12 000 postes de policier et de gendarme ont été supprimés par elle à partir de 2007.

À défaut d’une police de proximité pourvue de moyens suffisants, la possibilité offerte par les armes dites « non létales » de neutraliser un individu plus facilement et moins dangereusement qu’en employant les méthodes conventionnelles favorise, de fait, un recours plus fréquent à la force et radicalise la confrontation entre les protagonistes au détriment de la négociation et du dialogue.

Mais force est de constater aussi que, au lieu d’inverser radicalement cette tendance, l’actuel gouvernement, malgré ses déclarations d’intention et bien qu’il ait rétabli, nous en convenons, quelques moyens, qui demeurent néanmoins très insuffisants, participe à cette escalade et tente de se reposer de plus en plus sur les collectivités territoriales et le privé en matière de sécurité.

Nous sommes dans un engrenage dangereux, et l’on assiste à un surarmement, y compris des polices municipales, dont l’équipement en armes sublétales n’est qu’une étape.

Ainsi, près de 8 000 des 20 000 policiers municipaux sont aujourd’hui dotés d’armes à feu, et un décret signé le 29 avril dernier par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur vient d’autoriser par dérogation les polices municipales à porter un revolver chambré pour le calibre 357 Magnum à titre expérimental durant cinq ans, avec des munitions de calibre 38 Spécial. Excusez du peu !

Selon nous, la sécurité doit rester une mission régalienne de l’État et nous pensons même, avec d’ailleurs les policiers municipaux et un certain nombre de leurs syndicats, qu’il faudrait au contraire une renationalisation des polices municipales, assortie d’une harmonisation des statuts, des formations et des salaires par rapport à ceux des policiers nationaux.

Pour l’heure, ne faudrait-il pas réactiver la police de proximité plutôt que d’envoyer les CRS, les brigades anticriminalité et les groupes d’intervention régionaux dans les quartiers dits « sensibles », armés de Taser, de Flash-Ball et de je ne sais quelle arme dernier cri ?

Une lutte efficace contre, par exemple, les phénomènes de bandes, qui hélas ! se développent, y compris dans des territoires qui étaient jusqu’alors épargnés, suppose en amont que soient menés des actions de prévention et un travail de police de proximité afin de mieux connaître ces bandes et d’identifier leurs membres, puis que des mesures soient prises pour assurer la sécurité dans les établissements scolaires et, enfin, que des actions pédagogiques soient menées.

Il est plus que temps de retisser et de renforcer le lien de confiance entre le citoyen et la police, sa police, oserai-je dire. C’est une question à la fois d’éthique et d’efficacité.

En ce sens, la mise en place d’une police de proximité et le rétablissement des commissariats au cœur des quartiers – et l’élue séquano-dionysienne que je suis est bien placée pour en parler, croyez-m’en ! –, avec des policiers bien formés, bien encadrés, est une urgence absolue.

Il est également plus que temps de ne plus asphyxier budgétairement les dispositifs de prévention et de réparation de la délinquance tout en surpeuplant les prisons, ce qui tend à les transformer en véritables écoles du crime.

Le rapporteur de la commission des lois va vous demander, mes chers collègues, de ne pas adopter cette proposition de loi.

Il est vrai que, depuis la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif, les armes qui nous intéressent sont classées en catégorie B pour l’essentiel, catégorie qui comprend certaines armes à feu. De ce point de vue, le texte de la proposition de loi doit être modifié.

Je pense toutefois qu’il serait coupable d’en rester au statu quo, comme le propose la commission, qui reconnaît pourtant qu’il s’agit d’une vraie problématique. Je remercie M. le rapporteur, qui s’est montré très attentif à certaines de nos propositions, même s’il a plaidé pour le rejet de notre texte.

Le groupe de travail commun à la police et à la gendarmerie sur les techniques du maintien de l’ordre et leur évolution envisageable, lancé par le ministre de l’intérieur à la suite des événements du barrage de Sivens, confirme, s’il en était besoin, l’importance de cette question.

Monsieur le rapporteur, même si vous ne partagez pas notre point de vue, vous avez pu vous-même constater que « la formation habilitant au port de cette arme demeure insuffisante », qu’ainsi « un fonctionnaire de police ou de gendarmerie peut ne pas s’être formé à cette arme pendant une période allant jusqu’à vingt-six moi » et que « par ailleurs, comme l’ont souligné les syndicats, la formation s’avère essentiellement théorique, les tirs étant réalisés sur des cibles statiques ».

Vous avez également souhaité, et nous nous en réjouissons, qu’un nombre maximal d’utilisations du Taser X 26 sur la même personne soit établi sur le fondement d’analyses provenant du corps médical.

Toutefois, ces armes posent de nombreux autres problèmes.

Souvenons-nous que, à la fin de 2010, lorsqu’un homme de 38 ans est décédé à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, après avoir reçu plusieurs décharges de Taserlors d’une intervention de la police nationale, les associations des droits de l’homme n’ont pas été les seules à réagir et à demander un moratoire.

En effet, cet événement avait aussi fait réagir le Syndicat national des policiers municipaux qui demandait, comme nous le réclamons aujourd’hui au travers de cette proposition de loi, l’instauration d’un moratoire sur l’utilisation du Taser chez les fonctionnaires de police municipale et avait estimé qu’il s’agissait d’un outil de plus qui défavorisait les forces de l’ordre. Je me permets de citer le représentant de ce syndicat qui, en réponse à des questions de la chaîne Toulouse Infos, tenait notamment les propos suivants : « Il faudrait se souvenir que les policiers travaillaient uniquement avec un bâton de défense et une arme à feu, et avec ça ils savaient se débrouiller. Aujourd’hui, on nous donne beaucoup, et avec ce beaucoup, on s’aperçoit qu’on fait de moins en moins, ou alors de moins en moins bien. »

Ces propos d’un homme de métier résument assez bien nombre de nos préoccupations concernant ces armes.

J’espère que nous aurons, sur ce sujet, un débat serein et constructif. Quoi qu'il en soit, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, il me semble que notre proposition de loi, modifiée pour tenir compte des changements législatifs qui sont intervenus, est tout à fait opportune et, en particulier parce qu’elle permettrait d’instituer un moratoire sur l’utilisation du Taser, mérite d’être adoptée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion