Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les orateurs précédents l’ont confirmé, le sujet traité par ce texte recouvre un enjeu important et particulier, entre souci de protection des populations et adéquation des moyens mis en œuvre face aux menaces identifiées.
L’équilibre n’est pas toujours aisé à trouver en ce qui concerne l’utilisation par les forces de l’ordre des Tasers et autres Flash-Ball.
Depuis que les forces de l’ordre ont accès à ces instruments, des faits divers font régulièrement l’actualité. Ces armes non létales n’en restent pas moins redoutables, et de nombreux incidents ont été recensés, qui ont même parfois une issue fatale.
Rappelons que, en 2013, le Défenseur des droits, M. Dominique Baudis, a rendu un rapport dans lequel il recommandait un meilleur encadrement de l’usage des armes dites « incapacitantes ».
À la suite de la publication de ce rapport, notre groupe avait d’ailleurs interpellé le ministre de l’intérieur de l’époque, M. Manuel Valls, sur les suites qu’il comptait donner à ces propositions.
Le rapport étant resté lettre morte, cette proposition de loi déposée par nos collègues du groupe CRC a le mérite de remettre le débat sur la table, et nous mesurons tous ici la complexité du problème. Cette complexité est telle que, dans leur lucidité collective, les membres du groupe UDI-UC ne peuvent soutenir la solution proposée, tant elle est simpliste et inaboutie.
De fait, la présente proposition de loi nous semble d’une pertinence limitée, pour des raisons à la fois de forme et de fond.
Sur la forme, tout d’abord, la rédaction de ce texte est impropre. Elle fait référence à une nomenclature des armes qui est obsolète depuis trois ans. En effet, la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif a modifié de manière substantielle la classification des armes.
Cette nouvelle classification des armes est désormais fondée sur leur dangerosité : déclinée jusqu’à présent en huit catégories, la nouvelle nomenclature répartit les armes dans quatre catégories, de A à D. Or il n’y a pas de réelle correspondance entre la quatrième catégorie initialement visée et la nouvelle catégorie B.
Sur le fond, ensuite, ce texte manque de pondération. Il convient de trouver un juste équilibre entre, d’une part, la sécurité des citoyens, et, d’autre part, celle de nos forces de l’ordre. Or l’adoption de la proposition de nos collègues CRC conduirait à fragiliser de manière disproportionnée nos agents de police et de gendarmerie.
Rappelons que la vocation première du maintien de l’ordre consiste à permettre le plein exercice des libertés publiques dans des conditions optimales de sécurité, tant pour les personnes qui manifestent que pour les forces de l’ordre.
Les forces de sécurité de l’État ont donc pour mission de faciliter l’expression de ce droit. Elles le font dans un cadre juridique strict et en application des instructions ministérielles, c’est-à-dire dans le souci de l’apaisement, afin d’éviter autant que possible toute espèce d’affrontement. Ce n’est que dans l’hypothèse de situations extrêmes, celles du trouble grave à l’ordre public, de l’émeute, voire de l’insurrection, qu’il sera fait usage de la force, laquelle peut entraîner le recours à certaines armes.
La stratégie du maintien de l’ordre consiste à éviter autant que faire se peut le contact physique ; cette préoccupation s’est développée au fil des expériences et des événements. En effet, les manifestants, parfois très agressifs et radicalisés, sont tapis au sein de populations pacifiques.
Le principe qui gouverne l’action de nos forces de l’ordre est celui de la gradation des moyens mis en œuvre conformément au cadre juridique, en vue de permettre une adaptation permanente et une prise en compte différenciée des comportements au sein des attroupements.
Or la proposition de loi qui nous est proposée interdit des armes de force intermédiaire de catégorie B, mais maintient le recours d’armes létales de catégorie A. Où est donc la logique ?
Par ailleurs, et notre collègue Jean-Patrick Courtois le rappelle dans son rapport, « les armes de force intermédiaires, telles que le LBD 40 – un lanceur de balles de défense –, présentent l’avantage […] de cibler spécifiquement les fauteurs de troubles, à la différence des bombes lacrymogènes ». Les armes incapacitantes comportent donc des risques, mais elles ont aussi des avantages certains qu’il nous faut reconnaître.
Aussi malheureux ou tragiques que puissent être les faits divers que nous connaissons tous, il nous faut, mes chers collègues, rester très clairs et sérieux sur ce sujet. En la matière, nous le savons, le risque zéro n’existe pas. Les forces .de l’ordre ont pour mission de protéger nos concitoyens, et elles s’efforcent de le faire dans des situations très difficiles et complexes.
Oui, des changements sont nécessaires. Les différentes institutions sont d’ailleurs conscientes de cet enjeu et tentent d’y répondre. Aussi le ministère de l’intérieur a-t-il constitué un groupe de travail commun à la police et la gendarmerie sur les techniques du maintien de l’ordre et les évolutions envisageables. Dans la même veine, la direction générale de la police nationale a organisé un appel d’offres pour équiper le LBD 40 de courte portée, afin qu’il soit plus précis que le Flash-Ball superpro.
Plus globalement, nous devons nous interroger sur les formations dispensées aux agents habilités à l’utilisation des armes à létalité atténuée, et c’est l’un des mérites de cette proposition de loi. Une réflexion sur ce sujet se révèle indispensable au regard des incidents qui ont pu être observés au cours de ces dernières décennies.
Cependant, ce texte ne prévoit aucune solution de rechange. Nos collègues nous proposent simplement de déposséder nos forces de l’ordre de moyens de défense, ce qui est, bien entendu, inacceptable. C’est là toute la limite de cette proposition de loi.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, bien qu’il soulève des questions importantes sur l’usage des armes à létalité atténuée et, surtout, sur la formation nécessaire à leur utilisation, dont les syndicats de police eux-mêmes constatent les lacunes, les membres du groupe UDI-UC ne peuvent souscrire à ce texte, eu égard à sa rédaction.