Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, présentée par notre collègue Éliane Assasi et les membres du groupe CRC, a pour objet d’instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie et d’interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations.
Cette proposition de loi est constituée de deux articles.
L’article 1er, « dans l’attente d’une nouvelle législation en la matière », vise à instaurer « un moratoire sur la commercialisation, la distribution et l’utilisation par toute personne des armes de quatrième catégorie, dont la liste est définie par décret en Conseil d’État. » Cet article renvoie à un décret le soin de préciser les conditions de son application.
L’article 2 interdit l’utilisation de telles armes par la police ou la gendarmerie contre des attroupements. Plus précisément, il complète l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, qui permet à un préfet, un maire ou un officier de police judiciaire, lors d’un rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public, de procéder à des sommations de se disperser, sous la seule condition que celui-ci leur paraisse susceptible de troubler l’ordre public.
Dans ce cas, les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper l’attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.
Dans ce cas, l’article 2 de proposition de loi limite l’emploi par les représentants de l’ordre des armes de quatrième catégorie, dont la liste est définie par décret en Conseil d’État et qui ne peuvent être utilisées « que dans les circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d’une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique. »
Ainsi qu’on peut le constater, l’article 1er relatif au moratoire rend l’article 2 relatif à l’encadrement de l’usage des armes précitées superflu. C’était d’ailleurs le sens de notre réflexion lors de la réunion de la commission des lois du 12 mai dernier, ainsi que l’a rappelé M. le rapporteur.
En outre, les deux articles composant la présente proposition de loi visent les armes de quatrième catégorie. Bien qu’elle ait été enregistrée à la présidence du Sénat le 1er octobre 2014, la présente proposition de toi ne tient pas compte de la réforme de la réglementation des armes intervenue lors de l’adoption de la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif et de son décret d’application du 30 juillet 2013. Depuis cette réforme, la nomenclature des armes repose sur quatre catégories d’armes – les catégories A, B, C et D –, au lieu de huit.
Les armes mentionnées dans le titre et les deux articles de la proposition de loi relèvent aujourd’hui de la catégorie B, « armes soumises à autorisation ».
À la lecture de leur exposé des motifs, les auteurs de ce texte entendent viser particulièrement trois types d’armes : le pistolet à impulsion électrique de marque Taser et deux lanceurs de balles de défense, le Flash-Ball superpro et le LBD. Ces armes appartiennent à la catégorie des moyens de force intermédiaire, également dénommés « armes non létales », « sublétales», « semi-létales » ou encore « à létalité réduite ».
Ces armes peuvent être définies comme des équipements spécifiquement conçus et mis au point afin d’améliorer la capacité opérationnelle des services de la police nationale et des unités de la gendarmerie, en leur permettant de faire face de façon graduée à des situations dégradées pour lesquelles la coercition physique est insuffisante. Elles viennent compléter les matériels usuels en dotation dans les forces de l’ordre, tels que les menottes, les bâtons de défense, les gaz lacrymogènes, les dispositifs manuels de protection et les armes de poing.
Je tenais à rappeler ces précisions, qui sont importantes pour éclairer nos débats sur ce sujet complexe.
En premier lieu, je tiens à souligner que la proposition de loi de nos collègues a le mérite de soulever une question primordiale : comment assurer au mieux l’ordre public et garantir l’autorité de l’État, tout en limitant autant que possible les risques induits par l’utilisation des armes de la police et de la gendarmerie lors des manifestations et rassemblements ?
C’est là que réside la question centrale posée par le texte de nos collègues, qui estiment que la gravité des dommages corporels parfois occasionnés par l’utilisation de ces armes justifie l’adoption de celui-ci.
Le Parlement doit être à l’écoute des victimes de ces accidents, qui subissent des traumatismes importants dans leur chair. Tous ces accidents, sans exception, sont regrettables, et tout doit être fait pour les éviter. Toutefois, malheureusement, le maintien de l’ordre public n’a jamais été et n’est pas une science exacte. Quelle que soit l’arme utilisée, les opérations de maintien de l’ordre comporteront toujours des risques.
Par ailleurs, chaque année, plus de douze mille policiers et gendarmes sont blessés et plusieurs d’entre eux trouvent la mort dans l’accomplissement de leur devoir. La protection des policiers et des gendarmes est donc un souci constant pour les autorités publiques. L’introduction de ces moyens de force intermédiaire au sein des forces de l’ordre a donc été rendue nécessaire pour protéger le droit à la vie lors de leurs interventions.
Je rappelle que le modèle français repose sur la dissuasion, donc la volonté d’éviter le contact physique, qui risque davantage de provoquer des accidents. Ce modèle semble le plus pertinent, mais, je le dis une nouvelle fois, aucune technique n’est exempte de risque.
En second lieu, cette proposition de loi répond également à une obligation conventionnelle. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Turquie pour violation du droit à la vie, posé par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux motifs que ce pays n’avait pas doté ses forces de police d’autres armes que les armes à feu et, par conséquent, n’avait pas laissé aux policiers d’autre choix que de tirer lors d’une manifestation au cours de laquelle ils avaient subi des violences.
En outre, le ministère de l’intérieur a eu l’occasion de le rappeler, si l’usage des Flash-Ball superpro et lanceurs de calibre 40 mm a augmenté en 2013 par rapport à 2012 au sein de la police nationale, il a diminué de 28, 2 % dans la gendarmerie. Ces chiffres sont également à mettre en perspective avec la baisse de l’usage de l’arme à feu dans la police nationale et la gendarmerie nationale.
Dès lors, comment concilier les impératifs de sécurité publique et la protection des manifestants lorsque les forces de police ou de gendarmerie sont contraintes d’utiliser ces armes ?
Je souhaite rappeler ici avec force que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, est très attentif à la prévention et aux conditions d’utilisation de ces armes. Après le drame de Sivens, les grenades offensives utilisées par la gendarmerie ont été interdites. Les grenades lacrymogènes à effet de souffle, utilisées dans le cadre du maintien à distance, pourront être utilisées non plus par un gendarme seul, mais en binôme – un superviseur et un lanceur –, afin de renforcer la précision du tir.
Enfin, toutes les opérations de maintien de l’ordre à risque seront filmées.
En septembre dernier, une instruction commune des directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales a limité le recours à l’utilisation des armes visées par la proposition de loi de nos collègues. Le Gouvernement a donc pris toute la mesure du problème qui nous occupe aujourd’hui et a adopté toutes les précautions nécessaires pour parvenir à la situation la plus équilibrée possible.
Sans nul doute, les décisions du ministre participent de l’amélioration des relations entre la population et les forces de l’ordre. Car c’est bien là le problème : on ne peut pas démunir la police et la gendarmerie des armes dénoncées par nos collègues.