Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’asile et ses malheureux damnés sont au cœur de bien des discussions et débats, ici comme ailleurs. En Asie, 8 000 personnes se trouvaient encore récemment à la dérive sur la mer, abandonnées de leurs passeurs ; elles se sont vues repousser hors des eaux territoriales par les autorités indonésiennes. Le problème est insoluble, la nationalité étant un facteur d’exclusion dirimant – mais non totalement opérant – entre ceux qui peuvent avoir des droits et les autres.
La question de l’afflux massif de réfugiés sur nos rivages se pose à l’échelon européen, comme en témoigne la proposition de la Commission européenne d’instaurer des quotas de réfugiés par État membre. Nous ne nous attarderons ni sur ce qui est déjà connu ni sur la réalité vécue à Lampedusa ou à Calais.
Le plan d’action pour l’immigration et l’asile de la Commission européenne prévoit notamment des quotas obligatoires par État membre, pour assurer une distribution équitable des réfugiés, et un transfert des demandeurs d’asile entre États de l’Union européenne en cas de crise, donc d’afflux massif inhabituel et temporaire de migrants. En 2014, plus de 360 000 demandes d’asile ont été traitées ; la moitié seulement ont été acceptées et six pays, les plus attractifs, ont assumé l’essentiel de l’effort : l’Allemagne, la Suède, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Néanmoins, les États ne participant pas à la politique migratoire commune – comme le Royaume-Uni, l’Irlande ou le Danemark – ne seraient pas concernés par l’obligation découlant de ce plan.
À l’instar du Président de la République, le groupe du RDSE a fait connaître son opposition de principe à l’instauration de tels quotas en matière d’asile. Vous nous avez rassurés à ce sujet ici même jeudi dernier, monsieur le ministre, en précisant avec clarté la position de la France sur ce plan d’action.
À l’échelon national, nous considérons comme souhaitable la rationalisation visée par le projet de loi initial et nous soutenons l’esprit de la réforme engagée. En matière d’asile, comme en d’autres matières, la France n’a cessé d’osciller entre l’amour des grandes idées et la réalité, très empirique, des petits arrangements, dont témoigne clairement la sous-budgétisation constante de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Ce projet de loi se fixe deux objectifs difficilement conciliables : l’inconditionnalité de l’accueil et le bon traitement des demandeurs d’asile, la France traitant près de 65 000 demandes par an, soit 15 % de l’ensemble des demandes à l’échelon européen.
Ainsi, nous saluons tout d’abord certaines avancées particulièrement significatives en matière de garanties octroyées aux demandeurs d’asile, conformément aux directives européennes : le réexamen des demandes formulées auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, l’OFPRA, et de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, l’établissement d’une liste de pays sûrs, le droit au maintien sur le territoire de tous les demandeurs d’asile, l’instauration d’un entretien personnel et en présence d’un avocat, la prise en compte systématique de la vulnérabilité des demandeurs, la possibilité du huis clos pour les audiences devant la CNDA, la possibilité d’utiliser la vidéoconférence pour les entretiens conduits par l’OFPRA, mesure ajoutée par le Sénat lors de ses travaux en séance publique.
Nous saluons ensuite les avancées destinées à réformer un système d’asile à bout de souffle, notamment en matière de réduction des délais d’instruction. Ceux-ci sont désormais inscrits dans la loi : trois mois pour la procédure normale et quatre-vingt-seize heures lorsque le demandeur est placé en rétention. En 2014, l’OFPRA a recruté soixante-dix nouveaux agents, ce qui a déjà permis de réduire les délais. Nous examinerons en outre les résultats de l’expérimentation, votée par le Sénat, de la déconcentration de l’OFPRA par la création d’antennes locales dans certains départements. Nous le savons, les difficultés liées à la centralisation de l’Office sont réelles et nombreuses.
Toutefois, comme l’a souligné Pierre-Yves Collombat lors de la discussion générale, certaines des solutions élaborées en commission ou en séance publique ne nous paraissent pas conformes aux engagements internationaux de la France.
Bien que ce projet de loi soit un texte procédural traitant de la gestion administrative du droit d’asile, il n’en élude pas moins les questions politiques de fond : la gestion des flux migratoires à l’échelon européen ou l’impossibilité de faire exécuter les obligations de quitter le territoire français, par exemple. En effet, que faire une fois le demandeur d’asile définitivement débouté ? Celui-ci vient grossir les rangs des sans-papiers, tout comme sa famille, alors même que le texte permet au demandeur d’asile d’accéder au marché du travail lorsqu’aucune décision n’a été prononcée dans un délai de neuf mois. Le texte ne contient donc pas de solutions à ce problème, même s’il est vrai que celles-ci seraient avant tout politiques et administratives.
Le Sénat a en outre voté le principe selon lequel la décision définitive de rejet de la demande vaut obligation de quitter le territoire français, ce qui n’est pas sans poser des questions de conformité au principe international du droit à une vie familiale. En effet, l’étranger débouté ne pourra bénéficier d’un titre de séjour pour réunification familiale ou pour état de santé.
Et que dire des difficultés administratives très concrètes qu’a mises en lumière le « non-rapport » de la Cour des comptes, à commencer par les procédures parallèles ? Cette disposition pose un réel problème, soulevé par le directeur général de l’OFPRA, tant sur le plan juridique qu’en raison du changement de nature de la mission des officiers de protection que cela entraînerait.
Ainsi, si les constats sont évidents, il n’en est pas de même pour les solutions, qui ont malheureusement tendance à être le plus souvent purement incantatoires.
Pour toutes ces raisons, bien que le Sénat ait accepté à l’unanimité de modifier l’intitulé de ce texte – il s’agit désormais…