Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous aviez examiné au début du mois de mai dernier le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers. Depuis cette date, la Haute Assemblée a examiné le projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie : la mobilisation de votre rapporteur général, M. Philippe Marini, a assuré une parfaite cohérence d'examen entre ces deux textes complémentaires. Votre vision de la transposition de la directive sur les abus de marché est désormais globale.
Les dispositions relatives au rôle de sanction dévolu à l'autorité de régulation nationale ont été adoptées dans le cadre du projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie.
Il s'agissait à la fois de renforcer le pouvoir de sanction de l'Autorité des marchés financiers, l'AMF, et d'organiser son articulation avec ses correspondants dans les autres Etats de l'Union européenne, afin d'assurer la cohérence, sur le territoire de l'Union, de l'action répressive sur les marchés financiers et, par voie de conséquence, l'attractivité de ces marchés pour les investisseurs au moment où se met en place le « passeport européen » en matière de prospectus et de visa.
Le texte a donc d'abord renforcé le pouvoir de sanction de l'AMF. Jusqu'alors, notre droit, avant de sanctionner une manipulation de marché, imposait de faire la preuve de son impact effectif sur le cours d'un titre ou sur le bon fonctionnement du marché. En quelque sorte, la manipulation n'était condamnable que si elle réussissait.
Nous avons adapté nos règles pour obéir au droit européen, qui nous demande de considérer que les manquements sont « sanctionnables » dès que les comportements fautifs sont avérés, sans qu'ils soient nécessairement et forcément parvenus à leurs fins. Cela est de nature à faciliter la sanction des manipulations de cours par l'AMF. De même, l'Autorité pourra désormais sanctionner les tentatives de délits d'initié.
Enfin, le projet de loi a réorganisé le champ d'application des délits et manquements boursiers sur les marchés : l'AMF pourra désormais décider de sanctionner les abus de marché sur les marchés non réglementés.
La directive laisse aux autorités nationales de régulation une compétence large. L'AMF sera ainsi compétente pour sanctionner tout manquement qui se produit non seulement sur des titres d'émetteurs cotés sur un marché français, où qu'ils soient négociés, mais également sur des titres cotés sur un marché européen mais négociés en France. Cette « double couverture », qui cumule les possibilités de saisine au titre du lieu de cotation et du lieu de négociation, permet ainsi d'éviter les conflits de compétence négatifs qui seraient particulièrement inopportuns dans un domaine répressif.
En contrepartie, la directive organise un degré élevé de coopération entre autorités de régulation, qui permettra d'intensifier des relations déjà étroites.
Le texte que vous examinez aujourd'hui en deuxième lecture installe dans notre droit deux nouveaux outils pour prévenir et détecter les infractions boursières. Il s'agit, d'une part de la tenue de listes de personnes qui, au sein d'une société cotée, ont accès à des informations privilégiés - communément appelées « listes d'initiés » - et, d'autre part, de la mise en place d'un régime de déclaration de transactions suspectes, sur le modèle des déclarations de soupçons en matière de blanchiment d'argent.
L'Assemblée nationale a adopté ces deux dispositions en y apportant des améliorations formelles, notamment en assurant la cohérence de la codification compte tenu de l'adoption de la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie. L'AMF sera ainsi plus facilement en mesure, dans le cours de ses enquêtes par exemple, de remonter la trace d'une information privilégiée jusqu'à la source de la fuite. Elle sera également alertée par les intermédiaires financiers des ordres qui leur semblent suspects et pourra plus rapidement engager ses enquêtes.
Il est important de rappeler que les pratiques naturelles d'achat et de vente de titres, y compris de la part de personnes qui exercent des responsabilités importantes dans l'entreprise, ne sont pas en cause en tant que telles. Il ne s'agit pas d'interdire, ni même de stigmatiser, mais de responsabiliser les auteurs, de sécuriser les circuits et de créer les instruments efficaces de contrôle a posteriori de leurs opérations. C'est pourquoi nos solutions juridiques doivent rester pragmatiques.
A la différence des listes d'initiés et des déclarations de transactions suspectes, le dispositif de déclaration à l'AMF des transactions par les dirigeants et les personnes qui leur sont proches existait déjà dans notre droit : d'abord sous la forme d'une recommandation de la Commission des opérations de bourse, la COB, qui remonte à 2001, puis dans le cadre d'un article voté dans la loi de sécurité financière en août 2003.
Une évolution de ce dispositif était nécessaire afin qu'il recoupe exactement le champ défini par les textes d'application de la directive, qui n'étaient pas encore connus à l'époque.
Dès lors, deux extensions étaient nécessaires, d'une part pour élargir le champ des titres concernés à l'ensemble des instruments financiers - afin d'y ajouter, par exemple, les warrants -, d'autre part pour inclure dans le champ des personnes concernées non seulement les mandataires sociaux mais aussi les « cadres dirigeants » ainsi, bien sûr, que les personnes qui leur sont proches.
Le cercle des personnes concernées par cette obligation de déclaration - dont je rappelle qu'elle ne doit en aucun cas être confondue avec une quelconque opération suspecte - est donc devenu relativement large.
S'agissant d'un dispositif assez intrusif eu égard à la vie privée - en ce qu'il prévoit la publicité et l'information de l'émetteur, qui est parfois l'employeur - et dans le souci de ne pas décourager le développement de l'actionnariat salarié, le Gouvernement entend néanmoins délimiter précisément son champ d'application dans le décret qui sera pris en Conseil d'Etat.
Les personnes concernées sont uniquement, outre le gérant ou les mandataires sociaux, de hauts cadres dirigeants qui ont un accès régulier à des informations privilégiées : cela vise, en pratique, le directeur financier et le responsable du contrôle de gestion.
Quant aux personnes physiques proches, elles regroupent, quant à elles, leur conjoint - qu'elles soient mariées ou pacsées -, leurs enfants à charge et ceux de leurs parents qui partagent leur domicile. Les personnes proches peuvent également être des personnes morales, dirigées ou contrôlées par la personne physique concernée et qui agissent pour son compte ou sont un élément de son patrimoine, tel un trust, par exemple.
L'Assemblée nationale a souhaité modifier la procédure de déclaration des transactions, en prévoyant que les personnes concernées effectuent directement leurs déclarations auprès de l'AMF, qui les rend publiques. Les mêmes personnes en informent parallèlement l'émetteur, qui peut ainsi s'acquitter de son obligation d'information à l'égard de l'assemblée générale.
Ce débat avait eu lieu à l'occasion de la première lecture au sein de la Haute Assemblée, mais votre commission des finances avait accepté de retirer cette proposition au bénéfice des explications du Gouvernement, qui avait clarifié le régime de responsabilité des émetteurs.
Le Gouvernement avait en effet estimé que, loin d'impliquer pour lui une responsabilité supplémentaire, faire jouer à l'émetteur un rôle pivot dans la déclaration était tout simplement cohérent avec son rôle pédagogique vis-à-vis des personnes concernées et, surtout, simplifiait le traitement des déclarations par l'AMF.
La première intention du Sénat ayant été partagée par l'Assemblée nationale, le Gouvernement a décidé de s'en remettre finalement à la sagesse du Parlement.
Par ailleurs, il rappellera aux émetteurs l'importance du rôle qu'ils doivent jouer vis-à-vis des personnes concernées, qu'il s'agisse de leur rappeler leurs obligations ou de leur fournir un soutien logistique. Une évaluation du bon fonctionnement de ce nouveau mécanisme de transmission des déclarations sera effectuée par l'AMF au bout d'un an.
En plus de la directive « abus de marché », le présent projet de loi est destiné à transposer la directive « marchés d'instruments financiers », dite « directive MIF », qui introduit une concurrence accrue entre les plates-formes de négociation et n'autorise plus le monopole de centralisation des ordres sur les marchés réglementés, tel que la France le connaissait auparavant.
Le Gouvernement n'a pas caché aux deux assemblées l'importance de cette réforme, sur la négociation de laquelle il a pesé de tout son poids au plan européen et qu'il continue à soutenir aujourd'hui en vue d'arrêter les mesures d'application communautaires.
La longueur et la complexité de la directive, qui ne comporte pas moins de soixante-treize articles et deux annexes, ainsi que l'intérêt de présenter au Parlement un dispositif complet incluant les mesures de transparence qui relèvent pour l'essentiel du domaine réglementaire ont conduit le Gouvernement à privilégier le recours en amont à une habilitation à légiférer par ordonnance.
M. le rapporteur a proposé d'encadrer strictement cette habilitation, en donnant en quelque sorte un « mandat » au Gouvernement, que j'interprète comme valant à la fois pour la poursuite des négociations sur les mesures d'application au niveau européen et pour la rédaction des dispositions d'adaptation en droit français.
L'Assemblée nationale a adopté sans modification cette habilitation.
Elle a également validé la proposition de votre rapporteur de ratifier deux ordonnances. La première permet d'aligner les règles relatives au transfert de propriété des titres sur la règle en vigueur partout ailleurs en Europe ; la seconde vise à effectuer la transposition d'une directive européenne relative à la supervision des conglomérats financiers.
Ainsi complété et amendé, le Gouvernement considère que ce projet de loi a atteint ses objectifs de renforcement de la transparence sur les marchés financiers, au bénéfice du maintien d'une base confortée d'investisseurs et d'un accès consolidé des entreprises aux financements de marché. C'est la raison pour laquelle il vous en demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de l'adopter conforme.