Je suis accompagné de Pierre-Christophe Soncarrieu, ingénieur, adjoint au responsable de la mission autorité organisatrice des TET au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et de Charlotte Leroy, ma collaboratrice. Je suis ravi d'être ici avec deux membres de la commission qui ont participé activement à ses travaux, Annick Billon et Jean-Jacques Filleul. La commission a travaillé pendant six mois. Elle a réalisé plus de cinquante auditions et une douzaine de réunions plénières, dont deux journées d'arbitrage. À la demande du ministre, nous sommes allés sur le terrain. En France, nous avons vu certaines lignes de nuit, en empruntant la transversale Sud que l'on pourrait qualifier de « transsibérien français » en raison de sa longueur et du temps passé dans le train. Il s'agit de la ligne reliant les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon. Nous avons aussi effectué des déplacements à l'étranger, en Autriche, en Allemagne, au Royaume-Uni, pour voir comment ces pays, qui ont engagé des réformes dès les années 1990, gèrent cette question. Nous avons bénéficié de l'expertise indépendante de deux cabinets, le cabinet de stratégie Roland Berger et le cabinet d'ingénierie britannique Atkins. Je voudrais aussi remercier SNCF Mobilités, car c'est la première fois que l'on a pu disposer de toutes les données relatives au flux de circulation et aux montées et descentes dans chaque gare, que la SNCF a toujours considérées comme relevant du secret commercial. Nous avons pris des précautions à cet égard, en mettant en place une data room ouverte aux rapporteurs en contrepartie d'un engagement de confidentialité. Outre ce travail d'expertise, nous avons réalisé une consultation des usagers en nous faisant conseiller par la commission du débat public. Nous avons obtenu 6 300 réponses, qui révèlent des choses assez intéressantes. La priorité des voyageurs n'est pas celle que l'on croyait : la faculté de disposer du trajet le plus court possible apparaît seulement en troisième place. À leurs yeux, les éléments importants comprennent la régularité, la ponctualité, le confort et la possibilité d'utiliser son temps de trajet, par exemple en se connectant à Internet.
Nous ne sommes pas les premiers à travailler sur ce sujet. En 1995, Jacques Barel faisait un premier rapport sur ce thème, à la demande du Gouvernement, qui était déjà extrêmement pertinent. Il suggérait de donner une définition à ces trains interrégionaux, tels qu'ils étaient alors dénommés. D'après lui, ces trains devaient relier les grandes et moyennes villes sur l'ensemble du territoire, avec un nombre minimum de voyageurs effectuant ces trajets de bout en bout (80 pour une automotrice et 160 pour un train tracté). Il s'était aussi intéressé à la question du temps de parcours. Ces recommandations n'ont pas été suivies d'effet. D'autres tentatives ont été lancées en 2005, sans succès, puis la SNCF a rendu la responsabilité de ces trains à l'État.
Comme vous l'avez dit, l'offre est hétérogène, qu'il s'agisse des trains de jour ou de nuit. Elle comprend des lignes pendulaires de très grandes banlieues reliant par exemple Paris à Amiens, Évreux, Bernay ou Montargis ; des grandes radiales jadis appelées « les grandes lignes », reliant Paris à Clermont-Ferrand, Limoges puis Toulouse ou encore Cherbourg ; des lignes transversales plus ou moins heureuses, rejoignant par exemple Bordeaux à Nice, Nantes à Lyon ou Bordeaux à Lyon ; quelques lignes interrégionales et, enfin, des « reliquats de lignes ». Ceux-ci consistent en un aller-retour par semaine alors que des TER font déjà le même trajet : il y a donc redondance et concurrence.
Le deuxième constat est celui d'une dégradation du service, liée en premier lieu à un vieillissement du matériel. Les trains Corail sont de qualité mais ils ont vieilli. Ils ont certes fait l'objet de belles rénovations, mais leurs systèmes électrique et hydraulique ne sont plus performants. L'incident arrivé il y a quelques jours à Montpellier, durant lequel 300 personnes ont été bloquées toute une nuit témoigne des désagréments que peuvent causer cette vétusté.
Cette dégradation est aussi le résultat d'un certain désintérêt de la compagnie nationale pour ces trains, non par désinvolture, mais en raison de l'idée qui a prévalu pendant une ou deux décennies, suivant laquelle ces trains n'avaient pas vocation à survivre et allaient être remplacés. Je vous rappelle, à ce titre, la loi Pasqua-Hoeffel, qui ambitionnait de mettre des gares TGV à une heure de tous les Français. Le Grenelle a dressé une liste de dix lignes à grande vitesse, dont quatre ont été lancées et six sont en attente, parmi lesquelles Paris-Orléans-Clermont-Lyon (POCL), Poitiers-Limoges, Bordeaux-Hendaye et Bordeaux-Toulouse. Nous étions alors dans la vision d'un système à grande vitesse, vision que nous avons mise à mal, avec quelques collègues, dans le cadre de la commission Mobilité 21. En conséquence du désintérêt pour ces trains, les services à bord se sont petit à petit délités : à la restauration à la place a succédé la voiture-bar, puis le vendeur ambulant, avant que ce service ne disparaisse. Les voyageurs le regrettent, ce qui se comprend quand on passe trois ou quatre heures dans un train.
À cela s'ajoute la dégradation des infrastructures, qui entraîne des ralentissements ou des interruptions du trafic de nuit notamment, en raison des travaux. On a beaucoup parlé du Bordeaux-Nantes ; les travaux nécessaires vont encore allonger le temps de parcours de quarante-cinq minutes.
Troisième constat, ces trains sont concurrencés par d'autres modes de transport, plus efficaces ou plus souples : la grande vitesse, le covoiturage et demain les autocars. Nous nous sommes posé la question de savoir si les trains de nuit ont vocation à persister. D'après la SNCF, la Deutsche Bahn, Renfe ou Trenitalia, ce modèle n'a plus de pertinence, car le train de nuit a perdu une grande partie de sa clientèle. Nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec cela, comme je l'expliquerai par la suite.
Toutes ces difficultés ont conduit à une baisse de la fréquentation et, en conséquence, à une augmentation des subventions publiques. Nous avons calculé la part de cette subvention, dans le prix du billet, par voyageur et par voyageur-kilomètre. Elle est en augmentation constante et présente des distorsions importantes. Sur les deux dernières années, elle a augmenté de 28 %. Le taux de couverture des TET par les recettes, au départ, était honorable, puisqu'il s'élevait à 85 %, pour 25 à 30 % pour les TER, les TGV parvenant à peu près à l'équilibre. Mais il est ensuite descendu à 70 % et risque encore de chuter. Les subventions apportées aux TET atteignent jusqu'à 260 euros par billet, soit quatre fois le prix du billet ! C'est par exemple le cas sur le trajet Bordeaux-Lyon par le Sud, alors que le temps de parcours varie de 1 à 6 avec le transport aérien. Cela ne signifie pas qu'il n'y a personne dans ces trains, car ceux-ci sont utilisés en cabotage, sur des sections de parcours.
Le contexte actuel est celui d'un débat ouvert. Nous avions déjà dressé un certain nombre de constats dans le cadre de la commission Mobilité 21. Il y a aussi eu un travail sur les dessertes TER et TET, mené par Jean Auroux. Enfin, la libéralisation du transport par autocar va changer la donne. En Allemagne, en trois ans, ce mode de transport est passé de 2 millions à 18,6 millions de voyages. Au Royaume-Uni, il y a 30 millions de voyageurs par autocar et la libéralisation n'a pas porté atteinte à la clientèle du transport ferroviaire, qui augmente de 5 à 6 % par an.
Quelles sont nos recommandations ? Il faudrait renforcer le rôle de l'autorité organisatrice des transports. Ce n'est pas l'État qui exerce ce rôle, mais la SNCF. L'État consacre 4,5 ETP à cette mission, ce qui n'est pas suffisant pour piloter convenablement la délégation de service public. À titre de comparaison, ce sont des équipes de 20 ou 30 personnes qui gèrent ces services à l'échelle régionale. Au Royaume-Uni, qui est présenté comme un chantre de la libéralisation, lorsque l'on ouvre une franchise, c'est une task force de 200 personnes qui est mobilisée, 50 fonctionnaires et 150 experts. Une fois le contrat signé, l'État garde une équipe de 10 à 20 personnes pour suivre au jour le jour le contrat. Si l'État français avait su s'entourer de la sorte, il n'y aurait pas eu une telle asymétrie entre l'État et les sociétés d'autoroutes lorsque nous les avons privatisées. Avec l'ouverture à la concurrence, nous aurons de graves difficultés si nous ne parvenons pas à exercer ce rôle d'autorité organisatrice. Il faudrait soit créer une agence, mais cette solution n'a pas forcément bonne presse, soit y affecter un service avec des moyens humains et en termes d'expertise renforcés. Ce service devra être dirigé par un haut fonctionnaire qui aura la capacité de discuter avec la SNCF et les régions. Les présidents de régions nous ont indiqué que, depuis 2010, ils n'avaient aucun interlocuteur du côté de l'État pour discuter des horaires et des correspondances, car l'État est très parisien.
La deuxième recommandation est de revoir l'offre, pour qu'elle soit plus pertinente et qu'elle corresponde véritablement à des trains Intercités. D'après les études que nous avons commandées, certaines lignes, sous-exploitées, pourraient s'équilibrer ou dégager des excédents. Par exemple, sur Paris-Cherbourg, le taux de couverture pourrait atteindre 126 %. Il en est de même pour Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Caen, Nantes-Lyon ou Paris-Limoges. Il faudrait, pour cela, un service cadencé afin d'augmenter la lisibilité de l'offre, avec à la clé un gain d'efficacité, comme l'a montré l'exemple suisse.
Il faudrait aussi adapter l'offre à la demande sur les tronçons à faible trafic, qui se situent parfois sur les mêmes lignes. Par exemple, s'il faut renforcer le trajet Paris-Amiens, la liaison Amiens-Boulogne pourrait être réduite, dans la mesure où des TER effectuent aussi ce service. La même approche peut être suivie sur la ligne Saint-Quentin-Maubeuge ou Troyes-Belfort. Les TER peuvent prendre le relais quand il y a une trop forte concurrence entre TET et TER, ou insuffisamment de passagers réalisant le trajet sur l'ensemble de la ligne, de son point d'origine à son point de destination.
Nous préconisons une réduction du trafic lorsqu'il est insuffisant, mais toujours après avoir vérifié qu'il existait un transport alternatif de qualité, pour veiller à ce que tous les territoires disposent d'une solution de mobilité. Ainsi, nous recommandons de conserver la ligne Nîmes-Clermont-Ferrand, dite « Cévenol », pourtant assez peu fréquentée, dans la mesure où il n'y a pas d'alternative routière. À l'inverse, à côté de la ligne Béziers-Clermont-Ferrand, dite « Aubrac », qui est peu fréquentée, il existe une autoroute gratuite, sur laquelle des TER ont déjà été transférés : nous avons donc suggéré le transfert des services ferroviaires sur la route.
À cela s'ajoutent des « reliques ferroviaires », par exemple le trajet Reims-Dijon, qui fait l'objet d'un aller-retour en TET par semaine, le samedi, alors qu'il existe des TER le reste de la semaine. Cela n'a plus beaucoup de sens, d'autant que le matériel utilisé est un matériel TER emprunté aux régions. Il faut imaginer autre chose.
Enfin, la commission pense qu'il existe un problème de productivité de la SNCF, et qu'il est nécessaire d'améliorer ses coûts de production. Ce que nous appelons aujourd'hui l'« inflation ferroviaire » rend difficile la maîtrise des coûts sur l'ensemble des lignes.
Dernière chose, il faut très vite remplacer le matériel en fin de vie. Nous faisons des propositions à ce sujet. Les présidents de régions nous ont recommandé d'avoir recours au matériel Régiolis à partir du contrat-cadre signé entre les régions, la SNCF, Alstom et Bombardier. C'est une bonne suggestion mais nous pensons que ce n'est pas la solution universelle pour toutes les lignes. Pour des liaisons comme Paris Clermont-Ferrand, Paris-Toulouse ou Bordeaux-Nice, ce matériel régional, même très amélioré, n'est pas nécessairement adapté à une telle distance.
Nous nous interrogeons sur les modalités d'acquisition du matériel, avec trois propositions différentes. Est-ce la SNCF qui devrait acheter ce matériel ? Elle possède peu de moyens pour le faire et l'opérateur n'est pas nécessairement le mieux placé. Est-ce à l'État d'acheter, en se faisant accompagner par une aide à maîtrise d'ouvrage ? Ou doit-on créer un véhicule ad hoc pour porter l'achat et la propriété du matériel dans la durée ? En Angleterre et en Allemagne, il y a désormais une désynchronisation des temporalités en matière de ferroviaire. Le matériel est amorti en 30 à 35 ans, tandis que les opérateurs vont bénéficier de délégations de service public ou de concessions d'une durée de 7 à 12 ans. Il est bien difficile de demander à un opérateur d'acheter son matériel s'il doit abandonner ce service 7 à 12 ans après. La dissociation entre l'opérateur et le propriétaire du matériel semble ainsi un conseil de prudence.
De même la maintenance du matériel pourrait être confiée au constructeur, ce qui est pratiqué en Suède, en Allemagne et au Royaume-Uni. Lorsqu'un constructeur a la responsabilité de la qualité de son matériel pendant 20 ans, il a le souci de le construire afin qu'il soit robuste et facile à maintenir dans la durée. Par ailleurs, c'est une façon de faire bénéficier le matériel concerné de toutes les évolutions développées dans la gamme, et donc de procéder à une actualisation du matériel. Enfin, lorsque le constructeur maintient le matériel, la disponibilité de ce matériel est beaucoup plus grande. On observe dans ce cas une disponibilité comprise entre 90 et 97 %, quand la SNCF peine à atteindre 80 %. Cette meilleure disponibilité améliore la gestion des trains au quotidien, et permet une économie importante sur les achats. Nous avons calculé que, grâce à un re-périmétrage et à une meilleure disponibilité du matériel, une économie comprise entre 800 millions et 1 milliard d'euros pourrait être réalisée sur les achats, soit près de 40 % du total des achats.
Telles sont les principales recommandations de notre rapport.