La réunion est ouverte à 8h30.
Nous entendons ce matin notre collègue député Philippe Duron, président de la commission sur l'avenir des trains d'équilibre du territoire, que je remercie d'avoir bien voulu se rendre disponible à une heure si matinale.
Dans le cadre de la commission Mobilité 21, vous aviez remis un rapport qui a marqué les esprits, qui hiérarchise les grands projets d'infrastructures de transport. Cette fois-ci, vous vous êtes penchés sur l'avenir des trains d'équilibre du territoire (TET), mieux connus du grand public sous l'appellation de trains Intercités, au sein d'une commission composée d'élus nationaux et régionaux, parmi lesquels nos collègues Annick Billon et Jean-Jacques Filleul, ainsi que de personnalités qualifiées. Vous avez réalisé un travail conséquent, en effectuant de nombreuses auditions et des déplacements en France et à l'étranger. Vous avez remis votre rapport mardi au secrétaire d'État aux transports.
Ce rapport confirme un diagnostic largement partagé de l'ensemble des acteurs, déjà mis au jour par la Cour des comptes en février dernier. Les TET constituent une offre très hétérogène, héritée de l'histoire et non définie de façon rationnelle, avec parfois la coexistence de trains express régionaux (TER) et de TET. Ces trains n'ont pas été suffisamment bien gérés par l'autorité organisatrice qu'est l'État, avec pour conséquence une forte dégradation de la qualité de service et une dérive des coûts. Le matériel roulant est âgé d'une quarantaine d'années en moyenne et les infrastructures sont vieillissantes - la ligne que nous empruntons tous les deux, avec Philippe Duron, en est un exemple. Vous évoquez un déficit de 500 millions d'euros en 2025, si l'on ne fait rien. Cette situation rappelle le délitement du fret.
En ce qui concerne les propositions du rapport, les réactions sont plus contrastées, car les réductions de dessertes ne sont pas de nature à faire plaisir aux élus locaux que nous sommes.
Je suis accompagné de Pierre-Christophe Soncarrieu, ingénieur, adjoint au responsable de la mission autorité organisatrice des TET au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et de Charlotte Leroy, ma collaboratrice. Je suis ravi d'être ici avec deux membres de la commission qui ont participé activement à ses travaux, Annick Billon et Jean-Jacques Filleul. La commission a travaillé pendant six mois. Elle a réalisé plus de cinquante auditions et une douzaine de réunions plénières, dont deux journées d'arbitrage. À la demande du ministre, nous sommes allés sur le terrain. En France, nous avons vu certaines lignes de nuit, en empruntant la transversale Sud que l'on pourrait qualifier de « transsibérien français » en raison de sa longueur et du temps passé dans le train. Il s'agit de la ligne reliant les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon. Nous avons aussi effectué des déplacements à l'étranger, en Autriche, en Allemagne, au Royaume-Uni, pour voir comment ces pays, qui ont engagé des réformes dès les années 1990, gèrent cette question. Nous avons bénéficié de l'expertise indépendante de deux cabinets, le cabinet de stratégie Roland Berger et le cabinet d'ingénierie britannique Atkins. Je voudrais aussi remercier SNCF Mobilités, car c'est la première fois que l'on a pu disposer de toutes les données relatives au flux de circulation et aux montées et descentes dans chaque gare, que la SNCF a toujours considérées comme relevant du secret commercial. Nous avons pris des précautions à cet égard, en mettant en place une data room ouverte aux rapporteurs en contrepartie d'un engagement de confidentialité. Outre ce travail d'expertise, nous avons réalisé une consultation des usagers en nous faisant conseiller par la commission du débat public. Nous avons obtenu 6 300 réponses, qui révèlent des choses assez intéressantes. La priorité des voyageurs n'est pas celle que l'on croyait : la faculté de disposer du trajet le plus court possible apparaît seulement en troisième place. À leurs yeux, les éléments importants comprennent la régularité, la ponctualité, le confort et la possibilité d'utiliser son temps de trajet, par exemple en se connectant à Internet.
Nous ne sommes pas les premiers à travailler sur ce sujet. En 1995, Jacques Barel faisait un premier rapport sur ce thème, à la demande du Gouvernement, qui était déjà extrêmement pertinent. Il suggérait de donner une définition à ces trains interrégionaux, tels qu'ils étaient alors dénommés. D'après lui, ces trains devaient relier les grandes et moyennes villes sur l'ensemble du territoire, avec un nombre minimum de voyageurs effectuant ces trajets de bout en bout (80 pour une automotrice et 160 pour un train tracté). Il s'était aussi intéressé à la question du temps de parcours. Ces recommandations n'ont pas été suivies d'effet. D'autres tentatives ont été lancées en 2005, sans succès, puis la SNCF a rendu la responsabilité de ces trains à l'État.
Comme vous l'avez dit, l'offre est hétérogène, qu'il s'agisse des trains de jour ou de nuit. Elle comprend des lignes pendulaires de très grandes banlieues reliant par exemple Paris à Amiens, Évreux, Bernay ou Montargis ; des grandes radiales jadis appelées « les grandes lignes », reliant Paris à Clermont-Ferrand, Limoges puis Toulouse ou encore Cherbourg ; des lignes transversales plus ou moins heureuses, rejoignant par exemple Bordeaux à Nice, Nantes à Lyon ou Bordeaux à Lyon ; quelques lignes interrégionales et, enfin, des « reliquats de lignes ». Ceux-ci consistent en un aller-retour par semaine alors que des TER font déjà le même trajet : il y a donc redondance et concurrence.
Le deuxième constat est celui d'une dégradation du service, liée en premier lieu à un vieillissement du matériel. Les trains Corail sont de qualité mais ils ont vieilli. Ils ont certes fait l'objet de belles rénovations, mais leurs systèmes électrique et hydraulique ne sont plus performants. L'incident arrivé il y a quelques jours à Montpellier, durant lequel 300 personnes ont été bloquées toute une nuit témoigne des désagréments que peuvent causer cette vétusté.
Cette dégradation est aussi le résultat d'un certain désintérêt de la compagnie nationale pour ces trains, non par désinvolture, mais en raison de l'idée qui a prévalu pendant une ou deux décennies, suivant laquelle ces trains n'avaient pas vocation à survivre et allaient être remplacés. Je vous rappelle, à ce titre, la loi Pasqua-Hoeffel, qui ambitionnait de mettre des gares TGV à une heure de tous les Français. Le Grenelle a dressé une liste de dix lignes à grande vitesse, dont quatre ont été lancées et six sont en attente, parmi lesquelles Paris-Orléans-Clermont-Lyon (POCL), Poitiers-Limoges, Bordeaux-Hendaye et Bordeaux-Toulouse. Nous étions alors dans la vision d'un système à grande vitesse, vision que nous avons mise à mal, avec quelques collègues, dans le cadre de la commission Mobilité 21. En conséquence du désintérêt pour ces trains, les services à bord se sont petit à petit délités : à la restauration à la place a succédé la voiture-bar, puis le vendeur ambulant, avant que ce service ne disparaisse. Les voyageurs le regrettent, ce qui se comprend quand on passe trois ou quatre heures dans un train.
À cela s'ajoute la dégradation des infrastructures, qui entraîne des ralentissements ou des interruptions du trafic de nuit notamment, en raison des travaux. On a beaucoup parlé du Bordeaux-Nantes ; les travaux nécessaires vont encore allonger le temps de parcours de quarante-cinq minutes.
Troisième constat, ces trains sont concurrencés par d'autres modes de transport, plus efficaces ou plus souples : la grande vitesse, le covoiturage et demain les autocars. Nous nous sommes posé la question de savoir si les trains de nuit ont vocation à persister. D'après la SNCF, la Deutsche Bahn, Renfe ou Trenitalia, ce modèle n'a plus de pertinence, car le train de nuit a perdu une grande partie de sa clientèle. Nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec cela, comme je l'expliquerai par la suite.
Toutes ces difficultés ont conduit à une baisse de la fréquentation et, en conséquence, à une augmentation des subventions publiques. Nous avons calculé la part de cette subvention, dans le prix du billet, par voyageur et par voyageur-kilomètre. Elle est en augmentation constante et présente des distorsions importantes. Sur les deux dernières années, elle a augmenté de 28 %. Le taux de couverture des TET par les recettes, au départ, était honorable, puisqu'il s'élevait à 85 %, pour 25 à 30 % pour les TER, les TGV parvenant à peu près à l'équilibre. Mais il est ensuite descendu à 70 % et risque encore de chuter. Les subventions apportées aux TET atteignent jusqu'à 260 euros par billet, soit quatre fois le prix du billet ! C'est par exemple le cas sur le trajet Bordeaux-Lyon par le Sud, alors que le temps de parcours varie de 1 à 6 avec le transport aérien. Cela ne signifie pas qu'il n'y a personne dans ces trains, car ceux-ci sont utilisés en cabotage, sur des sections de parcours.
Le contexte actuel est celui d'un débat ouvert. Nous avions déjà dressé un certain nombre de constats dans le cadre de la commission Mobilité 21. Il y a aussi eu un travail sur les dessertes TER et TET, mené par Jean Auroux. Enfin, la libéralisation du transport par autocar va changer la donne. En Allemagne, en trois ans, ce mode de transport est passé de 2 millions à 18,6 millions de voyages. Au Royaume-Uni, il y a 30 millions de voyageurs par autocar et la libéralisation n'a pas porté atteinte à la clientèle du transport ferroviaire, qui augmente de 5 à 6 % par an.
Quelles sont nos recommandations ? Il faudrait renforcer le rôle de l'autorité organisatrice des transports. Ce n'est pas l'État qui exerce ce rôle, mais la SNCF. L'État consacre 4,5 ETP à cette mission, ce qui n'est pas suffisant pour piloter convenablement la délégation de service public. À titre de comparaison, ce sont des équipes de 20 ou 30 personnes qui gèrent ces services à l'échelle régionale. Au Royaume-Uni, qui est présenté comme un chantre de la libéralisation, lorsque l'on ouvre une franchise, c'est une task force de 200 personnes qui est mobilisée, 50 fonctionnaires et 150 experts. Une fois le contrat signé, l'État garde une équipe de 10 à 20 personnes pour suivre au jour le jour le contrat. Si l'État français avait su s'entourer de la sorte, il n'y aurait pas eu une telle asymétrie entre l'État et les sociétés d'autoroutes lorsque nous les avons privatisées. Avec l'ouverture à la concurrence, nous aurons de graves difficultés si nous ne parvenons pas à exercer ce rôle d'autorité organisatrice. Il faudrait soit créer une agence, mais cette solution n'a pas forcément bonne presse, soit y affecter un service avec des moyens humains et en termes d'expertise renforcés. Ce service devra être dirigé par un haut fonctionnaire qui aura la capacité de discuter avec la SNCF et les régions. Les présidents de régions nous ont indiqué que, depuis 2010, ils n'avaient aucun interlocuteur du côté de l'État pour discuter des horaires et des correspondances, car l'État est très parisien.
La deuxième recommandation est de revoir l'offre, pour qu'elle soit plus pertinente et qu'elle corresponde véritablement à des trains Intercités. D'après les études que nous avons commandées, certaines lignes, sous-exploitées, pourraient s'équilibrer ou dégager des excédents. Par exemple, sur Paris-Cherbourg, le taux de couverture pourrait atteindre 126 %. Il en est de même pour Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Caen, Nantes-Lyon ou Paris-Limoges. Il faudrait, pour cela, un service cadencé afin d'augmenter la lisibilité de l'offre, avec à la clé un gain d'efficacité, comme l'a montré l'exemple suisse.
Il faudrait aussi adapter l'offre à la demande sur les tronçons à faible trafic, qui se situent parfois sur les mêmes lignes. Par exemple, s'il faut renforcer le trajet Paris-Amiens, la liaison Amiens-Boulogne pourrait être réduite, dans la mesure où des TER effectuent aussi ce service. La même approche peut être suivie sur la ligne Saint-Quentin-Maubeuge ou Troyes-Belfort. Les TER peuvent prendre le relais quand il y a une trop forte concurrence entre TET et TER, ou insuffisamment de passagers réalisant le trajet sur l'ensemble de la ligne, de son point d'origine à son point de destination.
Nous préconisons une réduction du trafic lorsqu'il est insuffisant, mais toujours après avoir vérifié qu'il existait un transport alternatif de qualité, pour veiller à ce que tous les territoires disposent d'une solution de mobilité. Ainsi, nous recommandons de conserver la ligne Nîmes-Clermont-Ferrand, dite « Cévenol », pourtant assez peu fréquentée, dans la mesure où il n'y a pas d'alternative routière. À l'inverse, à côté de la ligne Béziers-Clermont-Ferrand, dite « Aubrac », qui est peu fréquentée, il existe une autoroute gratuite, sur laquelle des TER ont déjà été transférés : nous avons donc suggéré le transfert des services ferroviaires sur la route.
À cela s'ajoutent des « reliques ferroviaires », par exemple le trajet Reims-Dijon, qui fait l'objet d'un aller-retour en TET par semaine, le samedi, alors qu'il existe des TER le reste de la semaine. Cela n'a plus beaucoup de sens, d'autant que le matériel utilisé est un matériel TER emprunté aux régions. Il faut imaginer autre chose.
Enfin, la commission pense qu'il existe un problème de productivité de la SNCF, et qu'il est nécessaire d'améliorer ses coûts de production. Ce que nous appelons aujourd'hui l'« inflation ferroviaire » rend difficile la maîtrise des coûts sur l'ensemble des lignes.
Dernière chose, il faut très vite remplacer le matériel en fin de vie. Nous faisons des propositions à ce sujet. Les présidents de régions nous ont recommandé d'avoir recours au matériel Régiolis à partir du contrat-cadre signé entre les régions, la SNCF, Alstom et Bombardier. C'est une bonne suggestion mais nous pensons que ce n'est pas la solution universelle pour toutes les lignes. Pour des liaisons comme Paris Clermont-Ferrand, Paris-Toulouse ou Bordeaux-Nice, ce matériel régional, même très amélioré, n'est pas nécessairement adapté à une telle distance.
Nous nous interrogeons sur les modalités d'acquisition du matériel, avec trois propositions différentes. Est-ce la SNCF qui devrait acheter ce matériel ? Elle possède peu de moyens pour le faire et l'opérateur n'est pas nécessairement le mieux placé. Est-ce à l'État d'acheter, en se faisant accompagner par une aide à maîtrise d'ouvrage ? Ou doit-on créer un véhicule ad hoc pour porter l'achat et la propriété du matériel dans la durée ? En Angleterre et en Allemagne, il y a désormais une désynchronisation des temporalités en matière de ferroviaire. Le matériel est amorti en 30 à 35 ans, tandis que les opérateurs vont bénéficier de délégations de service public ou de concessions d'une durée de 7 à 12 ans. Il est bien difficile de demander à un opérateur d'acheter son matériel s'il doit abandonner ce service 7 à 12 ans après. La dissociation entre l'opérateur et le propriétaire du matériel semble ainsi un conseil de prudence.
De même la maintenance du matériel pourrait être confiée au constructeur, ce qui est pratiqué en Suède, en Allemagne et au Royaume-Uni. Lorsqu'un constructeur a la responsabilité de la qualité de son matériel pendant 20 ans, il a le souci de le construire afin qu'il soit robuste et facile à maintenir dans la durée. Par ailleurs, c'est une façon de faire bénéficier le matériel concerné de toutes les évolutions développées dans la gamme, et donc de procéder à une actualisation du matériel. Enfin, lorsque le constructeur maintient le matériel, la disponibilité de ce matériel est beaucoup plus grande. On observe dans ce cas une disponibilité comprise entre 90 et 97 %, quand la SNCF peine à atteindre 80 %. Cette meilleure disponibilité améliore la gestion des trains au quotidien, et permet une économie importante sur les achats. Nous avons calculé que, grâce à un re-périmétrage et à une meilleure disponibilité du matériel, une économie comprise entre 800 millions et 1 milliard d'euros pourrait être réalisée sur les achats, soit près de 40 % du total des achats.
Telles sont les principales recommandations de notre rapport.
Merci pour cette présentation, qui confirme le sérieux du travail que vous avez mené. Il y a plusieurs points sur lesquels j'aimerais vous entendre.
Le rapport de la Cour des comptes sur les trains d'équilibre du territoire avait souligné que le mode de financement du déficit de ces trains était peu rationnel, car fondé non pas sur l'État mais sur l'opérateur lui-même, malgré l'existence d'obligations de service public. Votre commission a été plus prudente sur ce sujet que sur d'autres points. Par ailleurs, la possibilité d'avoir des délégations de service différenciées, malgré sa cohérence avec l'ouverture à la concurrence, n'est-elle pas défavorable au principe de péréquation ? Enfin, ne va-t-on pas assister une fois encore à un transfert de compétences et de charges de l'État vers les régions ?
Le Gouvernement a mis en place le compte d'affectation spéciale en 2010 en donnant par ailleurs à la SNCF une plus grande souplesse de tarification sur ses TGV et en lui apportant des fonds issus de la taxe d'aménagement prélevée sur les autoroutes. C'est une solution un peu déresponsabilisante car la SNCF bénéficie d'un système lui permettant de pallier une éventuelle dérive de ses coûts. Ce système permet également d'effectuer une péréquation entre les TGV et les TET. Aujourd'hui, le modèle du TGV se tend et l'excédent dégagé se réduit. Cependant, lorsqu'il y aura des concurrents sur les lignes LGV, ces lignes seront soumises aux deux taxes. Nous avons toutefois pensé qu'il pourrait être plus pertinent de faire peser les taxes sur le billet plutôt que sur les résultats de l'entreprise ferroviaire. Cette évolution priverait l'État d'une recette de 300 millions d'euros, ce qui n'est guère dans l'air du temps. La première solution est en réalité de réduire les pertes et les déficits.
Quant aux délégations de service public et l'ouverture à la concurrence, nous pensons que si la SNCF n'est plus en mesure d'exploiter efficacement certaines lignes, il ne faut pas s'interdire de les ouvrir à la concurrence, avec un véhicule législatif. Nous avons recommandé de le faire pour les trains de nuit. Même lorsque ces trains sont pleins, la SNCF peine à atteindre un taux de couverture de 40 %, et perd ainsi beaucoup d'argent. Un quart des pertes des TET vient des trains de nuit, alors que ces derniers représentent une part marginale du trafic. Mais nous pensons qu'il y a des besoins en matière de train de nuit comme la ligne Paris-Briançon, pour laquelle il n'existe pas de solutions alternatives. Un opérateur comme Thello, qui a repris des trains de nuit franco-italiens, est parvenu à équilibrer ces lignes, alors que la SNCF y perdait de l'argent. Le pragmatisme suggère ainsi d'ouvrir à la concurrence ces trains de nuit, et éventuellement certains trains de jour. Les expériences étrangères d'ouverture à la concurrence montrent en effet qu'elle est toujours source de difficultés pour l'opérateur ferroviaire et pour l'État. Une expérimentation permettrait à chacun de mesurer les difficultés qui seront rencontrées lors de l'ouverture à la concurrence, qui n'est pas un choix mais un horizon inévitable. L'Allemagne a permis aux Länder d'ouvrir à la concurrence les transports régionaux, et Deutsche Bahn n'a pas perdu de chiffre d'affaires ni d'emplois. Affronter dès à présent la concurrence permettrait de mieux la maîtriser. L'ouverture du fret illustre les risques de l'impréparation : la SNCF a perdu 30 % du trafic. Il faut se préparer à ce qui sera nécessairement un choc.
En 2004, nous nous étions battus contre le transfert aux régions des « déficits et des investissements ». Aujourd'hui, le transfert de services n'est pas indispensable. Il s'agit d'abord d'harmoniser la gestion des trains. Sur une ligne comme Caen-Tours, moins de 30 personnes font la liaison de bout en bout. En revanche beaucoup de personnes font Caen-Le Mans ou Tours-Le Mans en TER, qui sont loin d'être pleins. En articulant mieux la correspondance au Mans, on améliorerait le remplissage des TER et on supprimerait un TET qui est trop déficitaire. Dans d'autres cas, le service doit être maintenu en heure de pointe et l'État doit alors compenser le transfert aux régions. Nous proposons également que dans le grand bassin parisien on améliore l'organisation des transports. Aujourd'hui, trois autorités organisatrices de transport coexistent : le STIF, les régions périphériques et l'État. Cela favorise une disharmonie contre-productive. Les régions devraient se rapprocher de l'État pour être chefs de file et assurer à la place de l'État le rôle d'autorités organisatrices de transport, dans un dialogue avec le STIF. Cela permettrait d'apporter un service plus adapté aux personnes venant travailler en Ile-de-France.
Merci à Philippe Duron pour ce travail difficile, qui consiste à être le « bourreau des TET ». Nous avions accepté la suppression de six LGV lors de la commission Mobilité 21 mais nous avions été assurés en contrepartie de l'amélioration des lignes secondaires et du développement de la proximité. Aujourd'hui, on nous annonce en réalité la quasi-disparition des TET et des trains de nuit, au préjudice des territoires les plus isolés et les plus ruraux. En réalité, il est facile de tuer les lignes TET. Il suffit de mettre le plus mauvais matériel, de faire des cadencements éloignés et de définir des horaires inadaptés, pour détourner les voyageurs. La ligne Bourges-Montluçon est condamnée par le rapport. Mais on a choisi des horaires de plus en plus éloignés et inadaptés, ainsi que du matériel dégradé. Ainsi les voyageurs ne prennent plus ce train et privilégient le car. C'est une sorte de spirale infernale, qui amplifie la non-rentabilité des lignes. Si on ne met pas les moyens nécessaires, ne nous étonnons pas de la baisse du nombre de voyageurs. Autre exemple : la ligne Montluçon-Limoges-Bordeaux, qui est également condamnée. Or, avec la mise en place des grandes régions, cette suppression va poser problème pour aller à Bordeaux - nouvelle capitale - depuis la Creuse. Je pense aussi que le remplacement du matériel devrait être prioritaire, en soutien à l'industrie ferroviaire qui est exsangue aujourd'hui.
Ne pensez-vous pas que l'abandon de l'écotaxe a réduit les ressources alimentant l'AFITF et donc les moyens pour le ferroviaire ? Avez-vous rencontré le ministre de l'égalité des territoires ? Ce projet semble très peu favorable à l'égalité territoriale. Enfin, le Gouvernement me paraît schizophrène en souhaitant favoriser une transition énergétique tout en s'appuyant sur les autoroutes comme alternative au maintien de certaines lignes. Face à la désertification des territoires, je ne vois pas comment nous pourrions être favorables à ce rapport.
Je souhaiterais d'abord dire tout le bien que nous pensons du rapport. Il faut le lire, car beaucoup en ont parlé par principe, avant même sa publication. Je propose au président que le rapport soit transmis à tous, et peut-être pourrions-nous faire un point plus précis lors d'une autre réunion. Ce sujet est d'une grande complexité car les TET s'inscrivent dans l'histoire du ferroviaire. Si nous n'intervenons pas maintenant, le TET va devenir le maillon faible entre les TGV et les TER. Ce rapport est sans complaisance par rapport à la situation tout en faisant des propositions très positives qui offrent toujours des alternatives de déplacement. N'oublions pas que si nous enlevons quelques tronçons de TET, il y a le plus souvent des TER qui fonctionnent bien. Il faut éviter de maintenir des doublons. À l'issue de cette commission, nous sommes persuadés qu'il faut changer pour avancer, qu'il faut trouver des solutions.
Actuellement les TET représentent 320 millions d'euros de déficit. En 2015 ce déficit sera d'environ 400 millions d'euros. Si nous ne faisons rien, à l'horizon 2020-2025, ce sera 600 millions. Il faut donc réagir. Je me retrouve tout à fait dans les propositions de ce rapport, que j'ai signé. Concentrons-nous sur ces propositions et attendons du Gouvernement des réponses, en assurant un suivi.
Je souhaiterai mettre l'accent sur plusieurs thèmes du rapport. Le premier concerne la gouvernance. Dans le rapport sur les autoroutes élaboré avec Louis-Jean de Nicolaÿ, nous avions déjà fait le constat majeur d'une absence de contrôle de l'État sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Pour les TET, nous avons également constaté un manque de contrôle de la part de l'État, à travers l'autorité organisatrice. En nous déplaçant en Angleterre nous avons pu voir que les difficultés identifiées il y a une dizaine d'années en matière de contrôle ont été largement résolues, à partir d'une task force spécifique. L'État doit absolument jouer son rôle pour les TET.
Les offres de circulation sont un autre enjeu. Le rapport propose des solutions sur toutes les lignes TET concernées. Pour les trains de nuit, le rapport fait des propositions et sur quatre trajets de nuit, le rapport souligne qu'il est difficile de les remplacer et qu'elles sont nécessaires. Si la SNCF ne peut plus les maintenir, l'ouverture à la concurrence pourrait être une solution.
La qualité du matériel est également importante. En Angleterre, cette qualité est très élevée, avec un nettoyage et des contrôles quotidiens sur les éléments importants. Il faut donc changer le matériel le plus vite possible. Ce rapport est un signal d'alarme fort. Il faut également un matériel adapté aux lignes concernées. Sur l'achat, nous pensons qu'il faut trouver des solutions innovantes.
Enfin, pourquoi lorsque la SNCF met en production un train, les coûts de maintenance sont-ils supérieurs de 30 % à ceux observés dans les pays voisins ? Il faut améliorer le suivi des trains par les constructeurs.
C'est un rapport important, qui vise à donner les moyens nécessaires au maintien des TET.
Merci pour cet exposé. C'est un travail difficile, technique et très long, auquel j'ai participé sans toutefois signer le rapport, n'ayant pu intégrer ma contribution au rapport. La situation des TET est évidemment désastreuse, en termes de délais, de qualité et d'état du matériel. Face à une situation désastreuse, la clientèle se désintéresse inévitablement. Le rapport établit un état des lieux évident, et formule des propositions.
La solution de l'autocar peut être pertinente dans certaines situations, mais sa généralisation me semble peu cohérente avec les préoccupations de transition énergétique et de bilan carbone. À cet égard, le transport ferroviaire a davantage sa place aujourd'hui parmi les modes de transport.
Concernant la mise en concurrence, j'avais déposé des propositions d'amendements lors de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, pour faire des expérimentations dans le cadre de délégations de service public. Si nous pointons les coûts de fonctionnement de la SNCF, il faut trouver des solutions et mener des tests d'ouverture à la concurrence.
Enfin, je trouve assez satisfaisante l'analyse faite par le secrétaire d'État lorsqu'il nous a reçus. Ce rapport ne peut pas être pris tel quel. Il propose des solutions, qui devront obligatoirement être observées à l'aune de l'aménagement du territoire et du droit à la mobilité. Nous voulons lutter contre les risques de fracture numérique dans le groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire. Nous devons également lutter contre les risques de fracture de la mobilité. Si nous voulons prévenir des résultats électoraux tristes pour notre pays, il faut absolument éviter que certains Français se sentent écartés du développement, en prenant des décisions adaptées en termes de transport.
Je suis très heureux que ce rapport arrive aujourd'hui, à un moment charnière, comme l'indiquait Annick Billon. Tous les modes de transport se sont déjà réformés, l'avion avec le low cost et l'ouverture de lignes presque régionales et la voiture avec le covoiturage. Il reste à la SNCF de sortir du tout TGV, pour s'occuper du reste du territoire, qui n'est pas relié à un TGV.
La SNCF est-elle disposée à se réformer ou non ? Va-t-on réussir à ouvrir à la concurrence les trains de nuit et les liaisons européennes ? C'est le moment ou jamais, et cela ne gênerait pas la SNCF puisque, apparemment, personne ne prend ces trains de nuit.
Lors de la visite d'Aéroports de Paris hier, nous avons vu l'importance du hub. Il n'y a pas de hub à la SNCF, où l'on rate des connexions TGV à cinq minutes près, sur la ligne Caen-Tours par exemple.
Je partage les préoccupations de Rémy Pointereau. Les secteurs les plus ruraux vont encore pâtir de ces décisions.
Le constat est effectivement sans appel. Ce qui me gêne, ce sont les réponses apportées. On a l'impression d'entendre la citation de Coluche : « Si vous avez besoin de quelque chose, appelez-moi. Je vous dirai comment vous en passer. » C'était la même chose avec La Poste. L'ouverture des transports par autocars va concurrencer directement certaines lignes.
Dans le cadre du groupe « Mobilités et transports », nous avons entendu le directeur général de la Fédération des industries ferroviaires, Jean-Pierre Audoux, qui a attiré notre attention sur les problèmes de l'industrie ferroviaire française. L'absence de renouvellement du matériel ne va-t-elle pas entraîner un démantèlement de notre fleuron, avec pour conséquence une perte de nos savoir-faire techniques et de nos emplois ? Alstom nous a fait part d'un constat inquiétant mais aussi de propositions. Je ne suis pas sûr que cette entreprise soit sauvée si l'on applique les préconisations du rapport. Or, si notre marché français n'est plus porteur, je ne vois pas comment nous pourrons continuer à exporter.
Il y a près de trente ans, alors que je m'occupais des transports au Conseil régional de Picardie, l'état d'esprit était celui d'une grande méfiance vis-à-vis de la SNCF. Le mérite du rapport de Philippe Duron est de mettre sur la table des sujets complexes et les besoins de proximité et de mobilité des citoyens, qui se heurtent à des organisations qui se sont stratifiées au fur et à mesure des années.
Ce rapport propose des solutions intéressantes avec la mise en concurrence. Si nous ne faisons pas d'expérimentation dans ce domaine, une fois qu'elle nous sera imposée, ce sera une catastrophe, qui devra être mise à l'actif de ceux qui auront refusé cette expérimentation. Sur la ligne Paris-Amiens-Boulogne, que je connais bien, les dés sont pipés depuis l'introduction du TGV. Le TET peut, à mon sens, être supprimé si le TER prend la relève en réalisant du cabotage adapté. L'important est de préserver le mode ferroviaire. L'électrification de l'ensemble de la ligne ferait aussi gagner du temps lors du changement à Amiens.
Un sujet n'a pas été évoqué, celui de la superposition des différents acteurs concernés : l'État, le syndicat des transports d'Île-de-France (Stif) et les régions limitrophes. C'est assez invraisemblable alors que les usagers empruntent alternativement le TER ou le TET. Un travail de rationalisation doit être mené sur les lignes pendulaires de grande banlieue.
J'aurais apprécié que ce rapport soit, d'un point de vue formel, transmis à tous les sénateurs. Monsieur Duron, vous avez évoqué un déficit potentiel de l'ordre de 600 millions d'euros par an à échéance 2025. Si les mesures préconisées par votre rapport étaient mises en oeuvre, à combien serait-il ramené ?
Je tiens à signaler que les personnels de la SNCF, dont la présence est réduite au strict minimum dans les trains circulant de nuit, encourent de plus en plus de risques pour leur propre sécurité, surtout lorsque les voyageurs présents sont peu nombreux. En outre, je m'interroge sur la multiplication des projets déposés auprès de RFF ces dernières années : leur inflation n'aurait-t-elle pas été néfaste à ceux qui étaient en cours ?
Monsieur Duron, je vous félicite pour votre rapport. Toutefois, vous n'avez pas répondu totalement à la question que vous a posée le président de notre commission concernant le transfert des charges. Je me permets donc d'insister sur ce point.
En outre, il me paraît important d'insister sur deux sujets : d'une part, la dégradation du service rendu avec la réduction des effectifs des agents de la SNCF présents en gare, d'autre part, les pertes financières causées par la fraude des voyageurs, évaluée à 300 millions d'euros par an. Ne serait-il pas opportun d'instaurer un contrôle des titres de transport avant la montée des voyageurs dans les trains ?
Enfin, à l'heure où Alstom rencontre de graves difficultés, quelles mesures préconisez-vous pour sauver l'industrie ferroviaire française ?
Je souhaiterais tout d'abord saluer l'investissement d'Annick Billon et de Jean-Jacques Filleul, qui ont largement contribué à la réalisation de ce rapport.
La problématique de l'aménagement du territoire n'a évidemment pas été ignorée : l'un des experts de notre commission était membre du Commissariat général à l'égalité des territoires, la commissaire générale elle-même a été auditionnée, et le cabinet de la ministre en charge de ces questions a été tenu régulièrement informé de nos travaux. J'ai par ailleurs repris une idée que j'avais jadis développée, en qualité de rapporteur sur la loi dite Voynet : tous les territoires doivent avoir une solution de transport et de mobilité acceptable et accessible.
Je considère que la pertinence du choix d'un mode de transport dépend de la distance à parcourir. Au-delà de 500 kilomètres, l'avion, notamment grâce aux compagnies à bas coûts, est plus efficace que le train. Le ferroviaire présente un coût élevé en termes d'infrastructures et d'organisation ; il ne se justifie que si le nombre de voyageurs qui utilisent ce mode de transport est suffisant. Les autocars peuvent aussi dans certains cas constituer une alternative : ils sont aujourd'hui modernes, très peu polluants et parfaitement équipés. On aurait également tout intérêt à développer dans des zones isolées, comme cela a pu être expérimenté dans certains territoires, le système des taxis à la demande.
La situation de notre industrie ferroviaire est un vrai problème. Je plaide pour un « Airbus du ferroviaire », c'est-à-dire un grand opérateur européen qui serait techniquement efficace. Le volume des commandes aux industries chinoises risque, à terme, de poser de graves difficultés à des acteurs tels que Bombardier, Alstom ou Siemens.
Il me semble nécessaire de revoir les relations entre la SNCF et les régions. Avec l'État, celles-ci sont devenues les deux grands financeurs du ferroviaire. Les présidents de conseils régionaux ne souhaitent plus continuer ainsi.
Les consommateurs ont eux-aussi un certain nombre d'attentes, à l'heure où le covoiturage et les véhicules de transport avec chauffeur leur offrent la possibilité de commander et d'obtenir un service plus personnalisé.
Le risque d'une réduction des effectifs de la SNCF, lié à l'ouverture du ferroviaire à la concurrence, a été évoqué. Au Royaume-Uni et en Allemagne, cette ouverture a permis des gains de productivité. Au final, le service rendu aux usagers s'y est amélioré grâce au redéploiement des employés : les équipes d'accueil ont été renforcées tandis que le nombre de de contrôleurs a été réduit.
En France, la fraude est très forte. Le contrôle est important pour éviter que plus personne ne paye ses billets sur certaines lignes.
Je suis bien conscient que plusieurs fermetures de lignes sont, en quelque sorte, « préparées » par celles de gares : les voyageurs ne peuvent plus acheter leurs titres de transport et se détournent du train ou voyagent sans billets et ne sont pas comptabilisés. De vrais problèmes de service se posent parfois pour maintenir l'offre.
Concernant la ligne Bourges-Montluçon, le passage par Vierzon permet de réduire le temps de trajet de 35 minutes. La SNCF doit encore, je vous l'accorde, progresser dans la gestion des correspondances de trains, ce qui implique une plus grande ponctualité et des changements de quais facilités.
Pour la liaison Amiens-Boulogne, plusieurs offres existent : TGV, TER et TET. Le rapport propose de réduire de cinq à trois le nombre de TET, car tous ces trains ne sont pas pleins. En outre, il a déjà été décidé de remplacer les TET thermiques par de nouvelles générations de trains bi-modes commandés à Alstom. Les premiers trains seront mis en service en 2017. La situation va donc s'améliorer, et le temps de trajet sera même raccourci de 10 minutes !
Alstom propose le Regiolis ainsi qu'un V200, le Coralia Liner. Bombardier fabrique des Regio 2N, notamment des trains à deux étages tout à fait pertinents dans le grand bassin parisien.
Concernant les économies attendues, nos préconisations devraient permettre, à l'horizon 2020, un retour au niveau de déficit qui était observé en 2010. Cinq ans sont nécessaires pour corriger la trajectoire actuelle, à condition que l'État fasse des choix courageux et qu'il soit suffisamment convaincant pour entraîner dans sa logique la SNCF. Aucune entreprise ne peut se permettre d'augmenter ses prix sans augmenter sa productivité. Tous les acteurs doivent se saisir des problèmes soulevés. Le personnel de la SNCF y a lui-même intérêt pour préserver son niveau d'emploi !
Je souhaite aborder de nouveau le problème des fraudeurs. Aux États-Unis, les voyageurs qui ne sont pas munis de titres de transport ne peuvent accéder aux quais. Pourquoi ne pas s'inspirer de ce système en France ?
La SNCF a décidé de renforcer ses dispositifs de lutte contre la fraude. Valérie Pécresse a proposé d'imposer la détention d'une carte d'identité à bord des trains. Il me semble que l'instauration d'un contrôle à l'entrée, mais aussi à la sortie des quais, serait une bonne formule. Au Royaume-Uni, ce système a permis d'abaisser le taux de fraude à 5 %.