Intervention de Philippe Bas

Réunion du 28 mai 2015 à 15h00
Nouvelle organisation territoriale de la république — Article 14

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, président de la commission des lois :

Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons dans cet hémicycle, nous avons la pratique des intercommunalités. Aussi bien en tant qu’élu local qu’en fonction de la famille politique à laquelle il appartient, aucun d’entre nous n’a le monopole de la progression presque irrésistible de l’intercommunalité dans notre pays ! Ce n’est pas sur ce point que nos positions divergent.

Je veux le souligner, avec le seuil de 5 000 habitants adopté en 2010, nous avons su créer des intercommunalités de 40 000, 50 000 ou 70 000 habitants. Lorsque le nombre d’habitants est resté inférieur à 20 000, c’est parce que les élus avaient des raisons de ne pas vouloir constituer de regroupements plus importants. Et ces raisons ne sont pas nécessairement mauvaises parce qu’elles ne correspondent pas au schéma préétabli que le Gouvernement veut imposer !

Certes, nous concevons parfaitement l’idée selon laquelle une intercommunalité dont la population est plus nombreuse a davantage de moyens pour réaliser les projets d’équipement, d’infrastructures et de services destinés à cette population. C’est une évidence ! C'est pourquoi, quand c’est possible, nous souhaitons avoir des intercommunalités qui dépassent une certaine taille critique.

Toute règle a néanmoins ses limites ! Et la limite de cette forme d’idéal que vous voulez imposer – j’en suis sûr de bonne foi –, c’est la géographie ! Quand la population prise en compte est dispersée sur un territoire très vaste, dont la distance entre le nord et le sud, l’est et l’ouest est de quarante à cinquante kilomètres, aucune vie commune n’est possible. Par voie de conséquence, il n’y a pas de projets d’équipement qui puissent desservir toute la population de cette circonscription, laquelle n’est pas un bassin de vie. De ce fait, il ne sert à rien de disposer des moyens pour de tels projets !

En réalité, il existe une grande diversité de situations. Il faut la respecter en faisant en sorte que là où il est contre-indiqué de constituer des communautés de communes de 20 000, 15 000 ou même 10 000 habitants, on n’impose pas leur création !

Sur le fondement de la loi de 2010, nous avons déjà des communautés de communes qui peinent à trouver leur régime de croisière non parce qu’elles sont trop peuplées, mais parce qu’elles sont en réalité trop grandes. Si vous voulez les agrandir encore, vous vous heurterez à d’importantes difficultés.

Je ne reviens pas sur ce qu’a excellemment rappelé à l’instant M. Hyest. Si vous provoquez un choc latéral en cette période de montée en puissance des intercommunalités toutes jeunes qui ont été créées au mois de janvier 2014, vous allez mettre en panne la France intercommunale. La mise en œuvre des projets va attendre les regroupements ; les réflexions en cours seront mises entre parenthèses, parce que toutes les énergies devront être mobilisées pour la création de communautés de communes plus grandes. Si c’est le résultat que vous souhaitez atteindre, vous serez satisfait ! Vous l’obtiendrez sans aucun doute !

Au-delà de ce point, si nous rentrons dans ce nouveau processus obligatoire, uniforme, imposé, nous allons être confrontés à des situations impossibles à gérer pour les élus et qui porteront préjudice aux habitants de leurs intercommunalités.

Je voudrais citer l’exemple d’un département moyen de 500 000 habitants qui comprend vingt-sept intercommunalités parmi lesquelles vingt comptent moins de 20 000 habitants. Avec les tempéraments apportés par l’Assemblée nationale, il y en aurait dix-huit qui devraient encore fusionner. Toutes ces intercommunalités vont-elles seulement fusionner entre elles ? Mais non ! Elles vont aussi le faire avec des intercommunalités les plus grandes, si bien que dans ce département moyen – c'est-à-dire tous les départements de France –, en réalité ce sont presque toutes les intercommunalités qui vont se voir remises en cause et pas seulement celles qui sont directement concernées par le seuil que vous voulez imposer !

Vous allez au-delà de la clause de rendez-vous déjà prévue par la loi de 2010. Le processus que vous engagez consiste en une remise à plat – quel que soit le seuil que vous retiendrez – de toute la carte intercommunale du pays !

C’est tout simplement inacceptable, alors que les énergies ont déjà été tant mobilisées pour créer ces toutes jeunes intercommunalités !

Je ne revendique pas forcément la pause, puisque le processus est dynamique. Nous pourrions tout à fait concevoir qu’une clause de rendez-vous sur le fondement des dispositions actuelles de la loi puisse être prévue.

À ce propos, il faudrait que le rendez-vous fixé à 2016 soit retardé, même si les règles ne sont pas changées. En effet, du fait du débat législatif qui dure depuis près d’un an – le présent texte a été adopté en conseil des ministres au mois de juin 2014 –, tout a été suspendu dans l’attente de la future loi.

Voilà comment, en prétendant avancer, en réalité, on retarde le processus intercommunal qui était bien engagé et qui mérite d’être approfondi. Toutes les précautions nécessaires doivent être prises pour qu’il réussisse.

Enfin, quant à la destination finale de ce mouvement intercommunal, vous me permettrez de me différencier fortement de Jean-Pierre Sueur : pour la majorité sénatoriale, pour la commission des lois, l’avenir n’est certainement pas dans des intercommunalités dont les représentants seraient élus au suffrage universel direct, ce qui mettrait en grand péril les communes de France. Nous ne voulons pas entrer dans un mouvement qui reviendrait finalement à faire disparaître les communes !

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