Je vais tenter de répondre aussi précisément que possible à cette série très dense de questions, sur lesquelles nous reviendrons immanquablement en séance.
L'ajout du ministère de la justice à l'alinéa 17 de l'article premier fait de ce ministère le commanditaire de techniques qui, pour certaines d'entre elles, peuvent être très intrusives, et qui supposent que le renseignement pénitentiaire soit opérationnel pour les mettre en oeuvre. J'estime que pour le bon équilibre de l'État de droit, auquel sont attachés tous les partis républicains, les missions respectives des ministères de l'intérieur, de la défense et de la justice doivent être claires. Le ministère de la justice assure une mission constitutionnelle. Il apporte à l'ensemble des citoyens l'assurance que quels que soient les impératifs opérationnels de sécurité, l'institution judiciaire est la garante de leurs libertés fondamentales. Si l'on ajoute à cette mission le recueil de renseignement, on sème la confusion et l'on altère la garantie donnée au citoyen. Tout un chacun peut être pris par mégarde dans ce processus de recueil de renseignement : l'institution judiciaire doit être un garant.
Il est vrai, comme vous l'avez dit, monsieur le président, qu'il serait paradoxal que les détenus soient moins surveillés que les autres citoyens. Il faut lever toute équivoque à ce sujet, et c'est bien pourquoi je rappelle que les établissements pénitentiaires ne sont pas des lieux fermés aux services de renseignement, qui y interviennent d'ailleurs, notamment en opérant, après autorisation de l'actuelle Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), des interceptions de sécurité sur les téléphones portables - car il y en a, en prison, en dépit de l'interdiction. Ces services doivent pouvoir aller plus loin ; ils doivent pouvoir sonoriser, mettre en place, dans les établissements, les techniques qu'ils utilisent ailleurs. Si c'est le renseignement pénitentiaire qui doit se charger de cette surveillance, cela signifie que l'on change ses missions : il faudra modifier le décret qui les définit. Il faudra aussi lui donner des moyens - des effectifs spécialisés, des plates-formes d'écoute et des outils techniques de toutes sortes. Se posera, également, la question des relations à l'intérieur de l'établissement. Jean-Pierre Sueur m'interroge sur le statut des personnels du renseignement pénitentiaire. Il faudra veiller à ce que ceux qui collectent et traitent le renseignement ne soient pas identifiés, mais on créera, du même coup, une suspicion sur l'ensemble des personnels, que l'on exposera à un danger réel - je n'oublie pas que j'ai dû mettre en place, en janvier 2014, un plan contre la violence en milieu pénitentiaire. Les détenus savent que leur correspondance peut être ouverte, que leurs communications téléphoniques peuvent être surveillées, cela fait partie des règles, mais on entre ici dans des procédures totalement différentes.
Je pose, qui plus est, la question de l'efficacité. Comment assurer la cohérence, dans un tel cas de figure, entre le renseignement sur ce qui se passe à l'intérieur de l'établissement, et tout ce qui se passe à l'extérieur, où ce sont les services de renseignement spécialisés qui devront prendre le relai, avec tous les risques de déperdition d'information que cela suppose ? Il arrive que l'on repère un signe de basculement chez un détenu incarcéré pour une courte peine. Constatant qu'il se développe, en la matière, des stratégies de dissimulation, j'ai voulu que l'administration pénitentiaire s'efforce de détecter ce que l'on appelle les signaux faibles. J'ai commandé, à cette fin, une recherche-action mise en oeuvre début 2015, qui produit déjà des effets.