J'ai signalé lors de la discussion du texte à l'Assemblée nationale, qu'un pluralisme qui ne retient que les deux formations majoritaires est un pluralisme mutilé. Il faut trouver le moyen d'intégrer les autres forces représentées au Parlement. Ceci pour répondre à Jacques Mézard.
Le plan du ministère de la justice intègre des dispositions relatives à la prévention. Nous organisons depuis 2014 des formations sur la laïcité, sur les institutions républicaines, sur l'emprise sectaire, sur la prévention de la radicalisation, sur l'enseignement des religions. Outre celui qui nous lie à l'association française des victimes du terrorisme, nous avons noué plusieurs partenariats, avec l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l'Institut du monde arabe, l'École pratique des hautes études, qui intervient dans nos modules de formation. Ces modules rassemblent des personnels pénitentiaires, des conseillers d'insertion et de probation, des aumôniers. Nous recrutons des aumôniers musulmans au rythme de trente par an, grâce à un doublement du budget. Nous mettons également en place, pour les jeunes, un réseau de référents laïcité-citoyenneté. Nous avons mis sur pied un module de formation obligatoire pour les détenus nouveaux arrivants, et pour les moins de 25 ans, nous travaillons main dans la main avec l'Éducation nationale.
François Zocchetto m'interroge sur la relation entre administratif et judiciaire. Si le Conseil d'État, et non la Cour de cassation, a été retenu comme instance de recours, c'est que nous sommes en amont du judiciaire : il s'agit de faire de la surveillance pour détecter et prévenir la commission d'actes. Cette mission ne s'inscrit pas dans le champ de l'article 66 de la Constitution, qui fait de l'institution judiciaire la gardienne du principe qui veut que nul ne soit détenu arbitrairement. Ce qui n'interdit pas aux services de renseignement d'informer et de saisir le juge pénal, comme peut le faire, de même, le Conseil d'État. Dans notre droit, c'est la juridiction administrative qui protège les citoyens contre les abus de l'administration ou de l'exécutif. Nous sommes bien dans le droit commun : les services de renseignement sont des services administratifs, et la décision de procéder au recueil de renseignement est prise par le Premier ministre. Le Gouvernement a tenu à rester dans le droit commun. Vous savez que la commission des lois de l'Assemblée nationale avait limité la juridiction à une formation de trois membres habilités. Le Gouvernement a souhaité que le Conseil d'État puisse renvoyer à la section ou l'assemblée du contentieux pour traiter des questions de droit. Cela évite de créer une pure juridiction d'exception au sein du Conseil et permet de recourir aux procédures d'urgence que sont le référé-liberté et le référé-mesures utiles. En matière de renseignement, pouvoir statuer en urgence a du sens, pour garantir les libertés. Mme Cukierman appelait à introduire des garde-fous, en voilà un.
J'entends les prévenances qu'a exprimées Jacques Mézard contre les autorités administratives, je pense que c'est un débat sur lequel nous serons amenés à revenir.
J'ai, comme vous monsieur le président, tiqué sur l'obligation pour le procureur de la République de recueillir l'avis du ministère concerné pour les actes commis par des agents en mission hors du territoire national. Il se trouve que cela existe déjà dans notre code de procédure pénale. Dans la procédure en cours mettant en cause des soldats affectés en Centrafrique, le procureur a recueilli, en juillet 2014, l'avis du ministre de la défense, qui doit fournir des éléments sur le contexte dans lequel les soldats interviennent. Ce qu'il faut retenir, c'est que le procureur n'est pas lié par cet avis.
Ce que je retiens de notre échange, c'est que vous convenez que la menace terroriste justifie que nous nous donnions les moyens de procéder à toutes les détections possibles. J'entends bien que vous estimez qu'il faut davantage développer les capacités d'analyse et l'échange d'information : c'est un point sur lequel le ministre de l'intérieur aura l'occasion de vous répondre. Moyennant quoi j'ai la conviction que vous veillerez à trouver la bonne mesure, pour répondre à la nécessité de donner aux services de renseignements les moyens de lutter contre un terrorisme protéiforme et extrêmement inventif, mais sans emporter toute la société, pour autant, dans un grand lessivage des libertés.
S'agissant des finalités du renseignement telles que les définit le texte, le Gouvernement est conscient qu'il faut les préciser, afin qu'il soit clair que ne sont pas visées des forces de contestation qui s'inscrivent dans le cadre démocratique. Il reste également un flou sur la prévention de la délinquance organisée, car des actes mineurs, pourvu qu'ils aient été commis par deux personnes de façon préméditée peuvent, dans notre droit, être ainsi caractérisés.
En ce qui concerne, enfin, les garanties apportées au citoyen, le fait qu'un débat se soit élevé et que des questions soient posées me semble plutôt rassurant, car cela vient contredire les sondages, qui nous assurent que 70 % des Français pensent qu'il faut agir, fût-ce en sacrifiant les libertés. Que les citoyens appellent à la vigilance me semble une bonne chose.