Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 mai 2015 à 9h10
Renseignement — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, rapporteur :

Ce texte très important est issu du travail de la délégation parlementaire au renseignement. Si notre débat doit être éclairé par les enjeux de la lutte contre le terrorisme après les événements du 7 janvier, le projet n'est pas pour autant une réaction à ces attentats. Il traite de sujets essentiels comme le secret de la vie privée, les libertés fondamentales mais aussi le respect de la vie, objectif final de toutes les enquêtes ayant pour objet la prévention du terrorisme. Ne l'oublions pas, la lutte contre la grande criminalité motive 60 % des écoutes téléphoniques administratives et des techniques de renseignement visées ici.

Le projet de loi a pour but d'améliorer la capacité des services de renseignement à prévenir efficacement les crimes et délits liés au terrorisme, mais aussi à défendre nos intérêts en matière de politique étrangère et de défense nationale, ainsi que nos intérêts économiques et scientifiques. Il se propose enfin d'approfondir l'État de droit pour donner naissance à une grande loi républicaine.

Le premier objectif consiste à doter nos services de renseignement de moyens légaux d'agir efficacement, alors qu'une partie de leurs instruments n'entrent pas dans le cadre légal et qu'il n'existe, par voie de conséquence, aucune jurisprudence pénale en la matière. Préciser le cadre juridique de leur action contribue également à la protection de nos agents de renseignement.

En contrepartie de cette protection, le contrôle apparaît nécessaire à plusieurs niveaux : avant la mise en oeuvre des techniques de renseignement, après la délivrance de l'autorisation et enfin dans le cadre judiciaire afin de garantir le respect des droits fondamentaux. C'est pourquoi les techniques de renseignement doivent être encadrées par des règles de procédure et de fonctionnement.

Les méthodes de renseignement sont toujours plus riches et diversifiées. L'apparition de nouvelles techniques pourrait d'ailleurs nécessiter d'autres interventions du législateur.

Le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale dispose implicitement que plus les techniques utilisées sont intrusives, plus les garanties doivent être importantes. Je me suis inscrit dans la perspective de respecter ce principe fondamental.

Les écoutes téléphoniques sont réglementées par la loi du 10 juillet 1991 les soumettant à une décision du Premier ministre ou de son représentant, après avis, devenu préalable avec la pratique, de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). La loi ne le mentionnait pas, mais le juge aurait pu naturellement intervenir. Cela n'a pas été le cas. Le texte consacre le principe d'un avis préalable donné par une commission indépendante au Premier ministre qui autorise, la mise en oeuvre de la technique. Il prévoit en outre explicitement une voie de recours devant un juge. Cette architecture est commune à l'ensemble des services de renseignement.

Les services de renseignement ont en effet à leur disposition un ensemble de techniques de découverte des données de connexion des personnes placées sous surveillance. Elles peuvent être sommaires, comme le numéro de la carte SIM, ou plus complexes et approfondies, comme les « fadettes » qui collectent l'ensemble des contacts téléphoniques de ces personnes.

Il existe encore des techniques plus intrusives, comme les algorithmes, ces systèmes de traitement automatisé de données installés sur les réseaux des opérateurs de communications électroniques à la demande des services de renseignement. D'aucuns craignent que les algorithmes n'ouvrent accès à une masse d'informations dépassant l'objet initial des interceptions. C'est pourquoi j'ai formulé des propositions cantonnant le traitement automatisé dans un périmètre limité. Dans l'action des services de renseignement, qui peut souvent être assimilée à la recherche d'une aiguille dans une botte de foin, l'algorithme fait office de détecteur de métal. Il les aide à repérer un élément particulier dans les connexions relevées qui les mettra sur la piste de crimes ou de délits à caractère terroriste en préparation.

Autre technique utilisée : les « IMSI catchers ». Ces appareils, grands comme un téléphone portable, sont des antennes-relais mobiles capables de détecter, dans un périmètre rapproché, l'ensemble des connexions. Sans un encadrement exigeant, un tel dispositif porterait atteinte au secret de la vie privée, en particulier pour les individus se situant dans le périmètre de détection mais ne faisant pas l'objet de la demande d'autorisation.

La géolocalisation en temps réel sur sollicitation du réseau consiste à envoyer un signal dans un réseau afin de géolocaliser un terminal mobile.

Il existe enfin des systèmes intrusifs plus classiques, comme les dispositifs de sonorisation ou de captation d'images d'un lieu privé, la pose de balise.

Le texte mettra en oeuvre une réglementation commune à l'ensemble de ces techniques, tout en prévoyant un régime différencié selon leur nature.

Le renseignement à l'étranger, lorsqu'il ne met pas en cause de communications dirigées vers le territoire national ou provenant de celui-ci, fait l'objet de dispositions spécifiques. Ainsi, bien que ces moyens d'action soient moins encadrés, nous ne sommes pas pour autant dans le non-droit.

Les enjeux fondamentaux ont déjà été largement débattus. Ces techniques instaurent-elles une surveillance de masse ? Il est important de lever tout soupçon sur la finalité de la mise en oeuvre des techniques de renseignement. Leur objet reste l'intérêt supérieur de la nation et la protection de nos concitoyens à travers la prévention des crimes, des violences et des menaces sur nos intérêts fondamentaux, à l'exclusion de toute autre fin. C'est pourquoi nous devons définir précisément les missions de ces services. Tout ce qui ne se rapporte pas aux recherches pour lesquelles ils auront été mandatés doit être immédiatement éliminé.

Le projet de loi imite-t-il le Patriot Act ? Je ne le crois pas. En effet, le dispositif en vigueur aux États-Unis autorise des détentions et des perquisitions arbitraires ainsi que des saisies illimitées d'objets au domicile des personnes faisant l'objet d'une surveillance. Par conséquent, il porte atteinte aux libertés fondamentales, et au premier chef à la sûreté, entendue comme une garantie contre les arrestations arbitraires. L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen fait de la sûreté l'un des quatre droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Il a été repris par l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Au demeurant, un Patriot Act à la française serait écarté par le Conseil constitutionnel avant même son entrée en vigueur, alors qu'aux États-Unis, ce dispositif a pu déployer ses effets délétères pendant plusieurs années avant que plusieurs décisions de justice ne viennent limiter son application. Il faut faire litière de ces accusations.

À mes yeux, le contrôle est la question fondamentale du projet de loi. Nous devons le rendre plus effectif, qu'il échoie à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ou au juge - en l'espèce le Conseil d'État - ou le juge pénal quand les techniques mises en oeuvre n'entrent pas dans le cadre légal.

J'ai voulu rendre plus claire l'application du principe de légalité aux techniques de renseignement, à travers un système qui ménage la possibilité d'annuler rapidement leur mise en oeuvre dans plusieurs cas : lorsque la procédure ne respecte pas la loi, si le juge estime que la motivation est insuffisante au regard de l'objet de la demande ou encore quand la durée de conservation des données excède celle de l'autorisation.

Encore faut-il que le juge soit saisi. Sur cette question, le projet apporte des solutions ingénieuses et sans précédent dans l'histoire du juge administratif. En effet, les actes de gouvernement autorisaient l'exécutif à prendre des mesures de surveillance pour des motifs couverts par le secret de la défense nationale, et par là même insusceptibles de recours. Le texte nous fait sortir de cette situation de non-droit, car le Conseil d'État pourra arrêter à la racine toute activité qui lui apparaîtra illégale.

Toutefois, comme ce texte n'apporte pas assez de garanties, je vous propose de permettre à une minorité de la CNCTR de saisir le Conseil d'État, comme par tout citoyen qui s'estimerait visé. En effet, pour des raisons évidentes, il est rare qu'un citoyen s'aperçoive qu'il est sous surveillance, à moins que des services étrangers ne jugent opportun de le lui signaler... Le cas le plus fréquent serait donc une saisine par la minorité de la CNCTR. Cette saisine permettrait au Conseil d'État d'encadrer la pratique suivie par le Premier ministre sur l'avis de la CNCTR.

Pour que la CNCTR puisse jouer pleinement son rôle, il importe de garantir son indépendance vis-à-vis du Premier ministre par sa composition, ses moyens d'action et ses possibilités d'accès aux données. Cet accès est devenu un enjeu essentiel, dans la mesure où des techniques de renseignement toujours plus diversifiées sont mises en oeuvre par une multitude de services. La CNCTR doit être puissante et dotée de moyens d'action importants ; c'est pourquoi j'ai même proposé l'instauration d'un délit d'entrave quand un service ne répond pas à ses demandes.

Le domaine du renseignement est si sensible que tout ce qui n'entre pas dans le cadre légal peut relever du délit. Par ailleurs, la CNCTR devra pouvoir délivrer un avis défavorable, si elle estime que l'objet de la demande relève de la police judiciaire. La frontière entre la prévention, domaine de la police administrative, et la recherche d'une association de malfaiteurs qui relève du domaine de la police judiciaire, étant ténue, il faut déterminer dès le stade de la demande dans quel domaine l'on s'inscrit. Dans le cas de la police préventive, des vies sont en jeu, il faut agir vite, sur le fondement d'indices.

Pour répondre aux attentes à l'égard du Sénat, défenseur des libertés publiques, nous nous devons de déterminer les conditions d'intervention du Conseil d'État - une novation dans le domaine du renseignement, en particulier en habilitant par la loi ceux de ses membres qui vont intervenir dans ce type de procédure - et de rendre possible la prise éventuelle du relais par l'autorité judiciaire.

Une fois autorisées, les techniques de renseignement doivent être mieux encadrées. Je vous propose de mieux définir la qualité des personnes autorisées à prendre la décision d'autorisation au nom du Premier ministre, d'exiger des justificatifs pour renouveler les autorisations, de fixer les règles de conservation des données à compter de leur recueil, et non pas à compter de leur première exploitation, car ce serait mettre dans la main du service de renseignement le point de départ du délai de conservation.

Je vous soumettrai des amendements concernant les techniques de recueil de renseignement, visant à recentrer la notion d'entourage en matière d'écoutes ; limiter, dans le temps le recours à l'IMSI-catcher ; restreindre les données susceptibles d'être collectées par les IMSI catchers aux seuls numéros des boîtiers de téléphone et des cartes SIM, en excluant les « fadettes » ; préciser que le recueil des données en temps réel pour les personnes préalablement identifiées comme présentant une menace terroriste sera soumise à un examen au cas par cas, la procédure d'urgence étant exclue. Enfin, je vous propose de préciser la définition de l'algorithme figurant dans le texte de l'Assemblée nationale et d'encadrer davantage son usage.

Pour les mesures les plus intrusives, comme l'accès au disque dur, ou la sonorisation ou la captation d'images, je vous proposerai également de renforcer encore les garanties.

Enfin, Jean-Pierre Raffarin et moi-même avons déposé une proposition de loi organique soumettant la désignation du président de la CNCTR à un vote des commissions compétentes des deux assemblées, en application de l'article 13 de la Constitution, pour conforter son indépendance. Le Gouvernement a accepté d'engager la procédure accélérée pour en permettre un examen conjoint avec le projet de loi.

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