Intervention de Manuel Valls

Réunion du 2 juin 2015 à 14h30
Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Manuel Valls, Premier ministre :

Monsieur le rapporteur, je salue l’amélioration rédactionnelle apportée par la commission des lois sur ce point, comme sur bien d’autres.

Le Gouvernement est d’avis qu’il faut soumettre les demandes de données de connexion les plus lourdes au visa du ministre.

Ce contrôle administratif, qui s’ajoute aux dispositifs existants – DPR, inspection des services de renseignement –, est lui-même complété par un contrôle juridictionnel : c’est une nouveauté et un progrès. Ce contrôle sera confié au Conseil d’État. Pour la première fois, un juge pourra ainsi enjoindre à l’exécutif de cesser une opération de surveillance, voire de détruire les renseignements recueillis et d’indemniser les victimes éventuelles, sans qu’on puisse lui opposer le secret de la défense nationale.

La France, soyons-en fiers, disposera donc désormais d’un dispositif de contrôle des services de renseignement global, cohérent et digne d’un État démocratique, avec son droit et ses valeurs. Il n’y aura aucune comparaison possible avec je ne sais quelle décision prise outre-Atlantique.

Le Gouvernement a élaboré, avec l’avis du Conseil d’État, un projet de loi équilibré, et qui soit efficace.

Il s’agissait, d’une part, bien sûr, de contribuer au renforcement de la sécurité des Français – ils nous le demandent – tout en protégeant leurs libertés individuelles, ce qui s’impose comme une exigence.

Il s’agissait, d’autre part, de préserver la distinction entre ce qui relève du judiciaire et ce qui ressortit à l’administratif.

Vous le savez, du moins ceux qui suivent ces questions, la frontière entre renseignement et judiciaire n’est pas toujours simple à tracer sur certains sujets, notamment la prévention du terrorisme ou la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Néanmoins, elle existe, et nous devons veiller à maintenir cette séparation, même si, comme tout fonctionnaire, les personnels des services de renseignement sont tenus d’aviser le procureur de la République de crimes ou de délits dont ils auraient connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.

C’est ce même désir de veiller à un double équilibre entre sécurité et liberté, entre administratif et judiciaire, qui a guidé l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat, dont je veux de nouveau saluer le travail, ainsi que celui de son président, Philippe Bas, également rapporteur du texte.

Grâce au travail parlementaire, le projet du Gouvernement a été amendé, précisé sur plusieurs points, afin de dissiper les ambiguïtés et d’apporter de nouvelles garanties lorsque cela est apparu nécessaire.

Ainsi, lors de l’examen du texte en commission, la possibilité de recourir à la procédure de l’urgence absolue a été restreinte à deux finalités. Par ailleurs, l’autorisation de recueil en temps réel des données de connexion des terroristes a été réduite à 2 mois, et les modalités de recours aux dispositifs techniques de proximité, de type IMSI catcher, ont été reprécisées.

S’agissant des surveillances en milieu pénitentiaire, notamment en matière de prévention du terrorisme ou des activités de criminalité organisée, la commission des lois du Sénat a souhaité examiner la question en détail, comme l’avait fait l’Assemblée nationale. Ainsi, elle préconise d’aller au-delà du droit positif actuel, qui permet aux chefs d’établissement pénitentiaire de procéder à des surveillances pour la préservation du bon ordre au sein de l’établissement et la prévention des évasions.

Sachez que le Gouvernement, qui s’exprimera sur le sujet au cours du débat par la voix de Mme la garde des sceaux, considère comme une voie particulièrement intéressante de prévoir par une base législative les modalités de coopération entre l’administration pénitentiaire et les services de renseignement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis certain que les échanges constructifs que vous allez avoir dans les prochains jours avec les ministres de la justice, de la défense et de l’intérieur permettront d’enrichir encore ce texte et d’apporter des améliorations substantielles. Le Gouvernement participera bien sûr à ce débat en déposant ou en soutenant des amendements.

Ainsi, pour donner aux services la latitude dont ils ont besoin, le Gouvernement souhaite que le délai de conservation des données de connexion s’établisse à 4 ans. Il était de 5 ans dans le projet adopté par l’Assemblée nationale, mais il a été réduit à 3 ans par la commission des lois. De récentes affaires ont pourtant prouvé l’utilité d’une telle disposition pour retracer le parcours des terroristes.

Il importe également que le délai de conservation des correspondances recueillies par le biais d’interceptions de sécurité soit maintenu à 30 jours, comme l’a voté la commission. Ces 30 jours sont nécessaires, car il est souvent utile de réécouter plusieurs fois les enregistrements pour décoder des propos énigmatiques après recoupement de certaines informations.

Un amendement vous sera ensuite proposé afin de préciser les modalités de centralisation des données recueillies au moyen d’un dispositif technique de proximité de type IMSI catcher. S’il est en effet indispensable que le GIC et la CNCTR disposent des éléments collectés afin d’en faire un contrôle exhaustif, les services doivent, quant à eux, pouvoir continuer à les exploiter de manière opérationnelle. Une centralisation directe et exclusive des informations recueillies par le GIC n’est donc pas souhaitable. En revanche, une copie de contrôle sera systématiquement adressée au GIC par les services, et sera ainsi à la disposition permanente de la CNCTR.

Je connais les débats qui entourent certaines dispositions. Aussi, le Gouvernement vous soumettra également des amendements visant à apporter des garanties supplémentaires.

À titre d’exemple, s’agissant des opérations nécessitant une intrusion domiciliaire, il vous sera proposé de prévoir une saisine automatique du Conseil d’État dès lors qu’un avis défavorable de la CNCTR n’aurait pas été suivi. La plus haute juridiction administrative française – faut-il encore le rappeler ? – aurait alors 24 heures pour se prononcer sur la validité de l’autorisation accordée par le Premier ministre ou par un de ses délégués.

Par ailleurs, s’agissant des algorithmes visant à détecter des signaux faibles sur les réseaux des opérateurs de téléphonie et d’internet, il vous sera proposé d’apporter de nouvelles garanties, à savoir la destruction rapide de toutes les données concernant des personnes sur lesquelles les recherches complémentaires effectuées n’auraient pas confirmé de lien avec le terrorisme.

Enfin, un amendement du Gouvernement visera à préciser l’article relatif aux mesures de surveillance internationale. Les procédures d’encadrement du recueil et de l’exploitation des données seront notablement explicitées. Il en va de même pour les modalités spécifiques de contrôle par la Commission et le recours juridictionnel.

Ainsi, soyons précis là encore, dès qu’un numéro d’abonnement ou un identifiant sera rattachable au territoire français, les correspondances seront exploitées selon les mêmes règles que si elles avaient été émises sur le territoire national.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion