Séance en hémicycle du 2 juin 2015 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

Source

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Par courrier en date de ce jour, M. Bruno Retailleau m’a informé du changement de dénomination du groupe qu’il préside, qui s’appelle désormais : « Les Républicains ».

Acte est donné de cette communication.

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans les tribunes du Sénat, une délégation de quatre parlementaires et de deux fonctionnaires du Conseil d’État du Sultanat d’Oman, soit la chambre haute du Parlement omanais.

Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique et M. le secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale, se lèvent.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La délégation est conduite par Son Excellence M. Abdallah Al Dhahab. Elle est accompagnée par les membres du groupe d’amitié France-Pays du Golfe, présidé par notre collègue Nathalie Goulet.

La délégation est en France jusqu’au 4 juin prochain, pour une visite d’étude consacrée au renforcement des liens entre cette assemblée et le Sénat français, d’une part, et aux grands enjeux de la protection de l’environnement, d’autre part, un sujet majeur en cette année de la Conférence Paris Climat 2015, la fameuse Conférence des Parties ou Cop 21.

Après une première réunion avec nos collègues du groupe d’amitié, la délégation mènera cet après-midi des entretiens avec des représentants du ministère des affaires étrangères, notamment dans la perspective de cette conférence sur le climat qui se tiendra à Paris à la fin de l’année.

Demain, elle se rendra à l’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer. Puis, elle échangera avec nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Cette visite marque donc une étape forte dans la construction du lien entre les assemblées de nos deux pays.

Au nom du Sénat de la République française, je souhaite à nos homologues du Conseil d’État omanais une cordiale bienvenue, ainsi qu’un fructueux et excellent séjour.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur le projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation territoriale de la République (projet n° 336, texte de la commission n° 451, rapport n° 450, avis n° 438).

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des conférences pour voter et suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure.

Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, aux alentours de quinze heures quarante-cinq, puis je donnerai la parole au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour le groupe UDI-UC.

Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au terme de la deuxième lecture de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou NOTRe, il nous paraît important de dégager les grandes lignes du texte initial, ainsi que celles des travaux du Sénat, qui amèneront la très grande majorité des membres du groupe UDI-UC, au nom duquel je m’exprime, à voter ce texte.

Je tiens à souligner ici le travail remarquable effectué par les deux corapporteurs de ce texte, René Vandierendonck et Jean-Jacques Hyest, qui ont su, lors de cette deuxième lecture, maintenir une parfaite cohérence avec la vision de la première lecture.

M. Bruno Sido applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Je n’oublie pas, bien entendu, la commission des lois, son président et ses commissaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Tout d’abord, je rappellerai que la région a vu ses missions stratégiques renforcées, avec le transfert de la compétence économique, de l’aménagement du territoire et de celle de l’emploi. Le Sénat a, en effet, réintroduit l’ambition décentralisatrice de première lecture en attribuant à la région la responsabilité de coordonner les acteurs du service public de l’emploi à l’échelle régionale, sans remise en cause de la structure de Pôle emploi.

Ensuite, grâce au Sénat, le département, dont la vocation demeure la solidarité, que ce soit en matière sociale ou territoriale, a également les compétences de voirie, de gestion des collèges et du transport scolaire.

Dans un souci de clarification des compétences, les sénateurs ont gardé le cap de l’exercice de la politique économique à la région malgré la volonté des départements de conserver cette compétence et en confortant les intercommunalités comme acteurs de la mise en œuvre du développement économique des territoires.

Cette simplification permettra de répondre aux attentes de nos concitoyens, en rendant le « qui fait quoi » plus lisible, tout en associant les intercommunalités et les départements à l’élaboration des grands schémas.

En effet, le Sénat a réintroduit la procédure de co-élaboration du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, le SRDEII, supprimée par l’Assemblée nationale.

De plus, il a renforcé la procédure de co-élaboration du schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire, le SRADDET, et modifié le mécanisme de deuxième délibération, en prévoyant qu’il pouvait être mis en œuvre par la moitié des EPCI à fiscalité propre ou par la moitié des départements et des collectivités territoriales à statut particulier.

J’en viens maintenant au volet intercommunal, avec l’affirmation d’une intégration communautaire adaptée aux spécificités des territoires.

Le Sénat a confirmé son vote précédent en décalant d’un an le calendrier de révision des schémas départementaux de la coopération intercommunale, le SDCI, et en décalant d’autant, en conséquence, le calendrier de mise en œuvre des cartes révisées des EPCI à fiscalité propre et des syndicats. Il en est de même pour le calendrier d’élaboration et de mise en œuvre du schéma régional de la coopération intercommunale d’Île-de-France.

Il a maintenu la nécessité de l’accord d’un tiers au moins des communes membres de chaque EPCI appelé à fusionner au sein de la majorité requise pour valider le projet, afin de favoriser un fonctionnement harmonieux de la nouvelle intercommunalité.

Il a reporté d’un an, au 1er janvier 2017 – je le dis notamment à l’intention de M. Karoutchi –, la création de la métropole du Grand Paris.

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hubert Falco

M. Hubert Falco. C’est la gloire, mon cher collègue !

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Il a aligné sur le droit commun la désignation des représentants des communes au conseil de la métropole et aux conseils de territoire.

Les sénateurs ont également supprimé l’élargissement des compétences obligatoires des communautés de communes et d’agglomération au tourisme, à l’eau et à l’assainissement – compétences transférées au sein des compétences optionnelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

En revanche, le Sénat a maintenu les déchets ménagers au sein des compétences obligatoires. De plus, il a maintenu l’intérêt communautaire comme principe fondateur du transfert des compétences obligatoires des communautés de communes et la majorité qualifiée en vigueur pour décider de l’intérêt communautaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Enfin, concernant le volet de l’intercommunalité, le Sénat a supprimé l’article 22 octies prévoyant la fixation par la loi, avant le 1er janvier 2017, des modalités particulières pour l’élection des conseillers communautaires.

En clair, les auteurs de cet amendement, adopté à l’Assemblée nationale, voulaient une élection sur le périmètre de l’intercommunalité des conseillers communautaires déliée de l’élection municipale. Après que je l’ai interrogé à ce sujet, M. le secrétaire d'État me l’a d’ailleurs personnellement confirmé en séance vendredi dernier : « Quant au Gouvernement, il a, pour l’heure, décidé de s’en tenir au système actuel. »

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hubert Falco

Voilà un homme pragmatique, qui connaît les territoires !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Mme Jacqueline Gourault. J’espère, madame la ministre, que vous êtes à la même heure que M. Vallini !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Par ailleurs, sur des dispositions plus diverses, le Sénat a supprimé le Haut Conseil des territoires, parce qu’il ne voyait pas l’utilité de cette structure…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

… et parce que cette instance relève du domaine réglementaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Ensuite, il a supprimé le dispositif d’action récursoire de l’État à l’encontre des collectivités territoriales en cas de condamnation pour manquement par la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’une compétence décentralisée, tout en saluant les efforts du Gouvernement pour prendre en compte les objections du Sénat formulées en première lecture.

Enfin, le Sénat a voté la création, au 1er janvier 2018, de la collectivité unique de Corse, en lieu et place de la collectivité territoriale de Corse et des départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse, dans une rédaction légèrement modifiée par rapport au texte adopté par l’Assemblée nationale.

Pour terminer mes propos, je reviens sur le maintien du seuil de l’intercommunalité à 5 000 habitants. Nous savons que ce seuil doit évoluer, mais nous insistons, au groupe UDI-UC, sur le fait que cela doit se faire dans des conditions adaptées à la diversité des territoires et en associant les élus locaux dans le cadre de la CDCI, la commission départementale de la coopération intercommunale, qui doit, avec le préfet, avoir un vrai rôle.

Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Les élus locaux souhaitent des orientations stables et une visibilité dans le cadre de leur mandature.

C’est pourquoi fixer un objectif haut, qui paraît inatteignable pour de nombreuses communes aujourd’hui, doit avant tout être un aiguillon pour motiver les élus à travailler ensemble, sur des échelles de fonctionnement réalistes. La rationalisation de la carte intercommunale sert, à mon sens, à l’amélioration des services à la population, qui est le cœur de l’action des communes.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au terme de cette deuxième lecture, deux constats s’imposent.

Le premier est que, à l’évidence, le Gouvernement a une vision à géométrie variable et très fluctuante des territoires. La promesse faite en 2012 de supprimer le conseiller territorial ne pouvait constituer en soi ni une fin ni un projet. Exit donc le conseiller territorial, qui avait pourtant le grand mérite de permettre des évolutions fondées sur la diversité des territoires et le choix des élus !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Peinant alors à trouver un fil directeur, vous avez multiplié hésitations et contradictions, sans qu’on sache aujourd’hui où vous voulez vraiment en venir.

Ainsi, à peine la clause de compétence générale rétablie en janvier 2014 à la faveur de la loi de modernisation de l’action territoriale et d’affirmation des territoires, dite « loi MAPAM », voici qu’elle est supprimée !

À peine la réforme du scrutin départemental votée, voici que l’on nous annonce la suppression des départements dont le Président de la République affirmait encore en janvier 2014 l’importance !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Toutefois, en divisant par deux le nombre de régions, vous ne vous rendiez pas compte que cette décision posait de nouveau la question de l’existence même des départements.

C’est dans ce contexte que vous nous proposez la loi NOTRe, que vous avez écrite dans une logique de suppression des départements, sans tirer les conséquences de votre réforme pour les régions. Et dans tout cela, pas un mot n’est dit des dotations dont le candidat Hollande promettait le maintien à leur niveau de 2012. On sait ce qu’il en est advenu !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Au total, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, malgré tant d’heures de débats, vous n’avez pas réussi à nous dire clairement quelle était votre vision des territoires et de leur organisation. Vous avez réussi, en revanche, à jeter le désarroi chez les élus, qui ne croient plus en la parole de l’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Mes chers collègues, le second constat qui s’impose, c’est que le Sénat a pleinement joué son rôle, en première et en deuxième lecture.

Je veux rendre ici un hommage appuyé à nos deux rapporteurs, Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck. Ils ont porté la voix des territoires et montré que, lorsque le Sénat légifère au cœur de sa mission, il sait rassembler et trouver les voies de passage, en s’accordant sur l’essentiel.

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Ainsi, nous avons supprimé l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, considérant que c’était la mort programmée des communes.

Nous avons refusé de substituer à un jacobinisme national un jacobinisme régional, via des schémas prescripteurs élaborés sans concertation.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

N’est-ce pas vous, monsieur le secrétaire d’État, qui déclariez il y a peu devant le 56e congrès des maires de l’Isère : « L’État de droit ne doit pas devenir l’État d’entrave et, à l’heure où l’argent public est de plus en plus rare, la France a besoin d’optimiser ses dépenses publiques et de redonner de nouvelles marges de manœuvre à nos territoires, afin qu’ils agissent » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

M. Dominique de Legge. Quel dommage que vous n’ayez pas été entendu... par vous-même !

M. le secrétaire d'État sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Nous avons voulu clarifier la répartition des compétences entre départements et régions, en assurant la viabilité des départements et une véritable cohérence territoriale, notamment dans la gestion des transports scolaires, des ports et du tourisme. Parce que nous voulions que ce texte ne soit pas simplement une loi d’organisation, mais également une loi de décentralisation susceptible d’apporter une approche nouvelle sur les préoccupations majeures des Français, nous avons renforcé les prérogatives des régions dans le domaine de l’emploi et du développement économique.

Nous avons réaffirmé haut et fort notre attachement à la commune, cellule de base de notre démocratie locale, au sein d’intercommunalités à la taille des bassins de vie, évitant des regroupements à marche forcée ou subis.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Nous avons rétabli le seuil de 5 000 habitants pour l’intercommunalité.

L’Assemblée nationale a fait elle-même la démonstration que le seuil de 20 000 habitants n’avait aucun sens, en prévoyant que les territoires ayant une densité de population comprise entre 51, 3 et 102, 6 habitants au kilomètre carré – chacun appréciera ces chiffres !

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Quelle monstruosité que de décider du vivre ensemble par l’application d’une formule arithmétique !

Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Il était tout aussi fondamental, selon nous, de réintroduire la notion d’intérêt communautaire dans le transfert de compétences communales aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, pour permettre d’adapter l’action communautaire aux spécificités locales. Nous avons également souhaité prolonger le calendrier de révision des schémas intercommunaux.

Nous ne pouvions pas davantage accepter le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux intercommunalités.

Enfin nous avons supprimé le Haut Conseil des territoires, dont la création à l’Assemblée nationale tourne à l’obsession, comme si l’article 24 de la Constitution ne conférait pas au Sénat la représentation des collectivités territoriales !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, la balle est maintenant dans votre camp !

Les choses sont relativement simples : vous pouvez choisir le consensus construit au Sénat et très largement partagé par les territoires et leurs élus, ou bien laisser la majorité de l’Assemblée nationale poursuivre ses chimères d’un « meilleur des mondes territorial », dans lequel le schéma l’emporte sur l’action, la structure sur les hommes, le nombre sur le territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

M. Dominique de Legge. Je ne veux pas croire que tout ce scénario ait d’autre but que de réguler la baisse des dotations que vous avez programmée. En conditionnant leur octroi à la mise en œuvre d’une organisation territoriale improbable, vous misez sur l’échec de votre propre texte pour mieux justifier, ensuite, votre désengagement et vos renoncements.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

C’est parce que nous refusons ce scénario du pire que nous avons porté, à nouveau, la voix des territoires et voté ce texte amendé. Notre groupe, Les Républicains, forme le vœu…

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

M. Dominique de Legge. … que le bon sens l’emportera enfin sur toute autre considération.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour le groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

M. Philippe Kaltenbach. Le groupe socialiste et républicain, bien sûr !

Sourires sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos travaux en seconde lecture s’achèvent. Comme en première lecture, nos débats auront été constructifs. Le Sénat, en tant que représentant des collectivités territoriales, a, encore une fois, pleinement rempli son rôle, et nous avons eu, toutes et tous, à cœur de faire avancer ce projet de loi.

Le groupe socialiste veut remercier le Gouvernement, représenté ici par Mme Lebranchu et par M. Vallini, de sa vigilance et son écoute. Il veut aussi saluer le travail, ô combien remarquable, des deux corapporteurs du texte, Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, que nous remercions également.

Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Nous avons travaillé collectivement, dans un état d’esprit constructif. Je n’ai aucun doute sur la poursuite de cette volonté d’aboutir à une réelle coproduction législative.

Nous avons toutes et tous conscience que nos territoires veulent de la stabilité. Nous avons conscience, aussi, que la réforme que nous sommes en train d’élaborer a vocation à s’inscrire dans la durée.

Les élus locaux et, au-delà, nos concitoyens ne veulent plus de changements incessants. Je rappelle, à cet égard, qu’il s’est écoulé vingt ans entre les actes I et II de la décentralisation, et qu’un peu plus de dix ans ont passé depuis les réformes portées par notre éminent collègue Jean-Pierre Raffarin.

L’organisation de la République décentralisée n’est pas un mécano que l’on monte et démonte au gré des majorités.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

C’est pourtant ce que vous avez fait ! Il fallait garder le conseiller territorial !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

M. Philippe Kaltenbach. M. le président Gérard Larcher, en fin connaisseur des territoires, le sait d’ailleurs parfaitement : à juste raison, il a appelé à stabiliser le fonctionnement de nos institutions locales. Nous savons que cette stabilité passe, notamment, par un consensus législatif et un accord entre les deux chambres du Parlement. C’est ce à quoi travaille le groupe socialiste.

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Nous constatons, à ce stade du débat, qu’il y a de réels points de convergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat : sur la suppression de la clause de compétence générale des régions et des départements, sur le renforcement des compétences stratégiques des régions en matière de développement économique et d’aménagement du territoire, sur la reconnaissance de compétences recentrées dans le domaine des solidarités sociales et territoriales pour les départements ;

Du reste, ces départements sont non plus voués à une mort annoncée, mais confortés dans leur rôle essentiel pour la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Nous savons également, désormais, que le maintien des routes et des collèges dans le giron des départements est acquis.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Un autre point de convergence est la création d’une collectivité unique en Corse. La liste est encore longue, mais je m’en tiendrai là.

Sur d’autres sujets, nous devons encore surmonter nos divergences. Nous sommes convaincus que cela sera possible dans la suite de la navette parlementaire et en commission mixte paritaire.

Je pense, notamment, à la compétence relative aux transports scolaires, sur laquelle nous devrions trouver un accord, et aux ports maritimes et intérieurs, dont le Sénat a voulu qu’ils restent de la compétence des départements. Je pense aussi au tourisme et à l’éventuel chef de filat confié à la région, ainsi qu’à l’accroissement des compétences des intercommunalités.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Vous n’étiez pas nombreux pour voter ces dispositions !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Sur tous ces points, un travail important a déjà été réalisé. Nous allons continuer à œuvrer pour parvenir à un compromis.

Sur deux points en particulier, le groupe socialiste regrette l’attitude de la majorité sénatoriale, et plus particulièrement des membres du groupe « LR ».

Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

M. Philippe Kaltenbach. Il s’agit, tout d’abord, du relèvement du seuil de création des intercommunalités.

Brouhaha.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Je le dis clairement, si nous ne sommes pas favorables à un seuil à 20 000 habitants, que nous estimons trop élevé, nous ne sommes pas davantage partisans du statu quo à 5 000 habitants. Nos territoires ont besoin d’évoluer. La meilleure manière de préserver les petites communes est bien de favoriser des regroupements à une échelle qui leur permette d’améliorer les services à la population.

Dans le souci de trouver un compromis, nous avons proposé par voie d’amendement d’imposer un seuil minimum de 15 000 habitants, avec les dérogations votées par l’Assemblée nationale.

J’ai bien noté que nos collègues du groupe UDI-UC avaient, eux aussi, fait des propositions allant dans le même sens. Hélas, les sénateurs « LR » ont jusqu’à présent refusé cette main tendue.

Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Nos collègues centristes le savent bien, il nous faudra tenter de parvenir à un compromis lors de la navette et de la commission mixte paritaire. À défaut, l’Assemblée nationale aura le dernier mot, lequel sera le seuil à 20 000 habitants.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Il me semble, pour ma part, qu’un seuil de 15 000 habitants serait plus raisonnable. La balle, chers collègues du groupe « LR », est dans votre camp !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Le second point sur lequel le groupe socialiste ne saurait transiger concerne la remise en cause, intervenue ici en deuxième lecture, de l’application de la loi SRU.

Une nouvelle fois, la droite s’est employée à détricoter ce dispositif mis en place par la gauche et qui a fait ses preuves.

L’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », qui impose un seuil de 20 % de logements sociaux – 25 % dans les zones tendues – n’est pas utile, mes chers collègues, il est indispensable !

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Il est indispensable pour celles et ceux qui ne parviennent pas à se loger, indispensable pour la mixité, la cohésion et la paix sociale. Sur ce point, toute modification est inacceptable.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Comme nous regrettons de n’avoir pu aboutir sur le seuil intercommunal à 15 000 habitants et refusons catégoriquement cette nouvelle tentative de déshabillage de la loi SRU, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

M. Philippe Kaltenbach. … le groupe socialiste, conscient par ailleurs des nombreux aspects positifs du présent projet de loi, s’abstiendra sur le texte proposé aujourd'hui au vote du Sénat.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Cette abstention sera pleine d’attentes quant à la future commission mixte paritaire et dit aussi notre disponibilité pour faire aboutir celle-ci !

Le groupe socialiste souhaite vivement que sénateurs et députés parviennent à trouver un point d’équilibre sur les points demeurant en discussion. Nous attendons de l’Assemblée nationale qu’elle entende notre refus, clairement exprimé ici sur de nombreuses travées, de l’élection des conseillers communautaires au suffrage supra-communal.

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Nous attendons, également, qu’elle ne crée pas ce Haut Conseil des territoires dont personne ici ne veut.

Mêmes mouvements.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Par ailleurs, nous ne souhaitons pas la révision à la hausse de la minorité de blocage pour le transfert de la compétence relative aux plans locaux d’urbanisme, les PLU, à l’échelle intercommunale.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Selon nous, ces trois points ne sont pas négociables.

Toutefois, pour que l’Assemblée nationale nous entende, mes chers collègues, il faudra aussi que vous sachiez entendre ce qu’elle dit. Nous ne pouvons arriver en commission mixte paritaire en disant que notre texte est parfait et qu’il n’y faut rien changer.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Nous devons donc être vigilants et obtenir des ouvertures sur le seuil à 15 000 habitants.

Au vu de tous ces éléments, je le répète, le groupe socialiste s’abstiendra.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après une semaine de débats qui, je l’avoue, ne m’a pas toujours enthousiasmé, je suis rentré ce week-end en Loire-Atlantique, où j’ai déjeuné avec plusieurs élus locaux de petites communes et – j’insiste sur ce point – de sensibilités politiques diverses.

Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Ce n’était pas sans inquiétude, après qu’ici, au Sénat, nombre de mes éminents collègues avaient relayé avec force ce mal-être des élus de terrain, comptant les jours avant la disparition inéluctable des communes, se sentant délaissés, pour ne pas dire méprisés par les élus régionaux ou métropolitains. Je me voyais déjà voué aux gémonies pour le soutien que le groupe écologiste avait apporté au renforcement des conseils de développement et aux grands principes de cette réforme, autour du couple régions-intercommunalités.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

J’aurais sans doute dû enregistrer nos échanges, tant ils furent éclairants et inattendus.

La plus forte critique porte sur la remise en cause du seuil des 20 000 habitants pour les intercommunalités. Je vous promets que je n’invente rien ! Je me trouvais en compagnie d’élus qui avaient anticipé la réforme et préparé la nouvelle carte et qui se trouvaient désorientés par le fait que le Sénat ait fait machine arrière toute.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

J’ai même dû les rassurer sur le fait que le rétablissement du seuil des 5 000 habitants ne survivrait probablement pas à la commission mixte paritaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Engagés dans une dynamique, conscients des enjeux d’évolution rapide des territoires, ces élus de terrain m’ont parlé renforcement des mutualisations et fusions des communes...

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

De nombreux projets existent en Loire-Atlantique aujourd'hui : ils sont à des années-lumière des débats qui nous occupent !

Ces élus ont défendu devant moi les conseils de développement dont ils ont déjà l’expérience et qui leur semblent une réponse intéressante pour remobiliser des habitants parfois plus consommateurs de services publics que véritables citoyens.

Mes chers collègues, ce que je vous raconte aujourd'hui, c’est aussi la réalité de la France des territoires du XXIe siècle, une France qui ne se résume pas au repli, au refus de toute réforme, à la méfiance vis-à-vis du territoire d’à côté. Je ne nie pas que des territoires souffrent.

M. Éric Doligé acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Nous aurions dû ici discuter de la réforme fiscale, d’une dotation globale de fonctionnement plus lisible et solidaire. Nous aurions dû faire preuve d’audace pour une péréquation fiscale régionale qui distribue sur l’ensemble du territoire les richesses créées, notamment dans les métropoles.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Nous aurions dû discuter du renforcement de la prescriptivité des schémas régionaux pour imposer un aménagement du territoire plus équilibré.

Nous avons fait l’inverse, allant même jusqu’à parler parfois des régions comme d’une menace pour les territoires ! Il ne manque plus qu’une proposition de loi pour supprimer les régions, mais je compte sur Roger Karoutchi pour la déposer.

Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

M. Ronan Dantec. De nombreuses raisons nous invitent donc à voter contre ce texte, tel qu’il a été amendé, aux prescriptivités réduites et aux échéances toujours repoussées. Nous ne le ferons pas et choisirons l’abstention

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

L’abstention positive ou l’abstention négative ?...

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

… défendant ainsi les quelques rares avancées issues des travaux de la Haute Assemblée.

La création d’une collectivité territoriale unique pour la Corse a été confirmée. Il s’agit d’une avancée réelle, qui acte les différences entre territoires de la République. Un tel progrès aurait aussi pu concerner l’Alsace ; néanmoins, je ne rouvre pas ce débat douloureux, d’autant que vous connaissez mon soutien à la collectivité unique d’Alsace.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Nous regrettons néanmoins la suppression de la faculté de créer une redevance de mouillage dans les aires marines protégées gérées par des collectivités locales, ce qui ne nous semble pas très cohérent. Il s’agissait pourtant d’une simple faculté, en aucun cas d’une obligation, qui ne concernait que deux aires marines. Cette disposition était historique – nous en avions discuté en première lecture – puisque, pour la première fois, on cherchait à faire entrer dans la loi une demande d’adaptation législative formulée par une collectivité locale, en l’occurrence la Corse.

Le refus de voter cette disposition a montré à quel point c’est l’idéologie qui a dominé dans ce débat.

Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Or il s’agissait d’une démarche pragmatique des Corses, qui avait trait aux taxations en Sardaigne. Nous n’avons pas pu nous entendre sur ce problème très précis.

Néanmoins, le droit d’adaptation législative et réglementaire des régions – timide, très timide moyen d’aller vers une décentralisation différenciée – est rendu plus opérationnel, grâce à un amendement écologiste. Désormais, le refus de donner suite aux demandes des régions devra faire l’objet d’une décision motivée du Premier ministre.

Je tiens à remercier Jean-Jacques Hyest d’avoir repris, au nom de la commission des lois, un amendement écologiste : ainsi, le préfet ne pourra s’opposer aux schémas régionaux que pour des raisons juridiques, et en aucun cas pour des raisons politiques. Il ne devait absolument pas y avoir d’ambiguïté sur le fait que ces schémas s’inscrivaient bien dans une démarche de décentralisation et de régionalisation et ne devaient en aucun cas être l’occasion d’une recentralisation détournée. Cet éclaircissement est donc important.

Enfin, je partage sans réserve les propos que Jean-Jacques Hyest a tenus lors de l’examen de l'article 6, jeudi dernier. Oui, « nul n’est une île ». Les schémas régionaux, socles de ce texte, sont préservés, ce qui est pour nous essentiel. Il restera donc à l'Assemblée nationale en deuxième lecture et à la commission mixte paritaire à en renforcer la prescriptivité.

En conclusion, je formulerai deux remarques.

En premier lieu, le Sénat a laissé cette réforme territoriale au milieu du gué, sans la mener à son terme, mais sans la détricoter complètement. Les tentations étaient fortes, mais elles sont restées sans suite. Pourtant, une telle position n’est pas tenable. C’est pourquoi il est maintenant de la responsabilité du Gouvernement d’aller au bout de la logique de cette réforme – ce que nous soutenons –, qui est beaucoup mieux comprise et partagée dans les territoires que ce que certains ont tenté de faire croire ici.

En second lieu, la méfiance vis-à-vis des métropoles et des régions doit être entendue. Il incombera demain aux élus métropolitains et aux élus régionaux de répondre à cette crainte, qui est réelle. Si leur action n’en témoigne pas et ne permet pas plus d’égalité territoriale, grand est le risque que le dialogue entre les différents échelons soit bloqué, alors que les enjeux de demain appellent plus de coopération. Si ce message est entendu, les débats au Sénat n’auront pas été inutiles.

La France a bougé : l’organisation du XXIe siècle ne correspond pas aux enjeux du XIXe siècle, qu’il s’agisse de l’aménagement du territoire ou de la vie démocratique.

Dans ce débat, comme souvent, le groupe écologiste a été un peu en avance sur son temps.

Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

N’en déplaise à certains, c’est le sens de l’histoire !

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Christian Favier, pour le groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Favier

M. Christian Favier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au terme de ce débat, déterminant pour l’avenir de nos institutions locales et, plus largement, pour celui de l’organisation de notre République, chacun aura noté que, dorénavant, sur toutes les travées, ou presque, cette opinion est largement partagée : cette réforme conduira inéluctablement à la disparition, à plus ou moins long terme, des communes.

Exclamations.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Favier

En effet, la plupart des amendements qui ont été défendus ont posé la question de l’avenir de nos communes.

Sans remonter trop en arrière, lors de la discussion de la loi de 2010, le groupe CRC a été le seul à alerter sur ce danger, à dire sa crainte que, devenant obligatoires, les intercommunalités, avec des périmètres élargis et des compétences renforcées, soient transformées peu à peu en collectivités de plein exercice, en lieu et place des communes.

Depuis lors, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », et ce projet de loi ont confirmé ces menaces. Je l’ai souligné au cours de la discussion générale, l’Association des maires de France partage cette crainte avec de nombreuses autres associations d’élus.

Certes, madame la ministre, nous avons bien entendu vos dénégations, mais elles ne nous ont pas convaincus. Il faut dire que le texte que vous défendez et certaines dispositions que vous avez soutenues devant l'Assemblée nationale – par exemple l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires – montrent bien quel est votre objectif.

Les belles promesses d’une nouvelle étape de la décentralisation sont aujourd’hui enterrées. Certes, pendant quelques années encore, les communes continueront d’exister, mais elles seront devenues des coquilles vides, sans moyen financier et sans pouvoir. Il leur restera la démocratie, avez-vous précisé, monsieur le secrétaire d’État. Toutefois, de quelle démocratie parlez-vous ? D’une démocratie sans moyen d’agir ? Est-ce là votre conception de la démocratie ?

Les élus municipaux de proximité ne pourront plus agir sur la réalité ; ils pourront seulement intervenir auprès des élus communautaires. Ce faisant, ils deviendront de simples intermédiaires, au mieux des médiateurs locaux. Ils seront toujours au service de nos concitoyens, mais sans disposer des moyens de répondre à leurs demandes ou à leurs besoins.

Défendant nos communes, comme nous ne cessons de le faire depuis des années, nous ne soutenons pas pour autant une vision passéiste et archaïque de l’organisation locale de notre République, recroquevillée sur des structures dépassées.

Notre vison n’est pas celle d’une France du XIXe siècle. Elle est bien plutôt celle d’une France disposant de milliers de foyers démocratiques, d’une France républicaine, vivante, innovante, ancrée dans tous ses territoires, enracinée dans notre histoire et en prise directe avec la vie de nos concitoyens.

Oui, nous voulons une France décentralisée, s’appuyant sur des territoires d’action, au plus près des citoyens, leur permettant de s’engager dans la gestion locale, en milieu rural comme en milieu urbain, à l’écoute des attentes et des défis à relever, pour développer les services publics locaux, afin d’améliorer les conditions de vie de chacun, pour favoriser la mise en relation de tous et le vivre ensemble.

De grâce, cessez de considérer que ce plaidoyer en faveur des communes est archaïque ! Au contraire, défendre aujourd’hui les communes, c’est défendre l’ambition d’une République sociale, démocratique et solidaire, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Favier

... fondée, entre autres, sur le principe de subsidiarité constitutif du processus de décentralisation inscrit dans notre Constitution.

Oui, nous soutenons cette autre vision, ce renouveau de la décentralisation. Nous y voyons une solution de rechange aux politiques recentralisatrices, qui structurent ce texte et qui se traduisent par la concentration des pouvoirs locaux et la hiérarchisation de nos institutions locales, instituant de nouvelles tutelles, notamment régionales et métropolitaines.

Si, à l’occasion de cette explication de vote sur l’ensemble, nous insistons sur l’avenir de nos communes, c’est qu’il s’agit d’un point nodal pour l’avenir des autres collectivités territoriales. En effet, au travers de ces supracommunalités, ce sont aussi les départements qui sont visés. C’est particulièrement vrai avec les métropoles, à l’exemple de la métropole de Lyon, souvent citée en modèle, qui a absorbé une grande partie du département du Rhône.

Bientôt, la règle sera la suivante : là où la métropole passe, le département trépasse.

Exclamations.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Favier

Concrètement, ce bouleversement de nos institutions locales, par l’émergence de ces nouvelles collectivités, ne porte malheureusement aucune ambition d’amélioration de l’action publique au service des citoyens, alors que ce devrait être la visée de toute nouvelle organisation.

Finalement, ce chambardement institutionnel n’a pour seule vocation que de réduire l’action publique locale, de réduire les services à nos concitoyens, aux seules fins de faire des économies comptables, incertaines et dangereuses pour l’avenir de notre développement économique et social, ainsi que pour notre modèle social et démocratique.

Votre volonté en ce domaine est si puissante que vous la mettez en œuvre par le biais institutionnel, en louvoyant pour éviter l’écueil de l’anti-constitutionnalité de vos propositions.

Vous la conduisez également en utilisant l’arme budgétaire, en réduisant les dotations aux collectivités territoriales, pour les contraindre à limiter et réduire leurs actions au service de la population. C’est cette réalité que nos concitoyens et leurs élus locaux subissent aujourd’hui. Elle les plonge d’ores et déjà dans de grandes difficultés, en fragilisant les services publics locaux. Elle fait peser de très graves menaces sur l’activité et l’emploi, au travers de la diminution de l’investissement public que l’austérité budgétaire génère.

Ces difficultés deviendront très vite insupportables, alors que la dégradation des conditions de vie d’un grand nombre de nos compatriotes appelle, au contraire, à renforcer l’intervention locale.

Pour toutes ces raisons, malgré quelques évolutions positives, notamment sur la métropole du Grand Paris, malgré le travail tout à fait remarquable des deux rapporteurs, nous voterons contre ce projet de loi. Nous le ferons avec regret, car nous souhaitons ardemment une autre réforme.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, balayant les dispositions de la loi MAPTAM votée voilà quelques mois, le projet de loi NOTRe, à défaut de pouvoir immédiatement supprimer les départements, est la première étape de leur disparition.

Étrangement, à l’issue de la première lecture du texte par les deux assemblées, ce n’est pas sur ce point que les positions du Sénat et de l’Assemblée nationale étaient les plus éloignées.

L’Assemblée nationale n’est pas revenue, par exemple, sur le maintien au département des compétences en matière de collèges et de routes voté par le Sénat. En revanche, elle a non seulement repris son offensive anti-Sénat en rétablissant le Haut Conseil des territoires, que le Gouvernement semblait pourtant avoir enterré, mais elle en a en plus lancé une nouvelle contre les communes, à notre plus grande surprise. Or une offensive sur des sujets aussi sensibles ne peut pas avoir été lancée « à l’insu du plein gré » des plus hauts sommets de l’État.

Aujourd’hui, le masque est tombé : les yeux grands fermés sur la réalité géographique, historique et politique de notre pays, le Président de la République et son gouvernement sont bien décidés, sinon à supprimer les communes – elles survivront en tant que quartiers sans pouvoirs ni moyens de l’intercommunalité qui les aura absorbées –, du moins à les lyophiliser.

Le Gouvernement peut bien crier au procès d’intention, jurer qu’il aime toutes les communes et leurs élus si dévoués

Sourires sur les travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Relance de la suppression des syndicats et syndicats mixtes ; nouvelle révision des schémas départementaux de la coopération intercommunale et instauration de règles plus contraignantes ; fixation de la taille minimale des intercommunalités à 20 000 habitants, sauf aménagements réglementés ; transferts obligatoires d’un plus grand nombre de compétences essentielles aux intercommunalités ; suppression des garanties en matière de PLUi, ou plans locaux d’urbanisme intercommunal, issues de la loi ALUR ; réduction du champ d’application de l’ « intérêt communautaire » et définition de celui-ci à la majorité simple, et non plus qualifiée ; suppression de la minorité de blocage reconnue aux communes membres d’un EPCI faisant l’objet d’un projet de fusion ; possibilité pour un EPCI de décider à la majorité qualifiée de l’unification des impôts locaux ; extension de la règle de la représentation démographique des communes dans les intercommunalités aux syndicats ; enfin – c’est le bouquet final ! –, désignation des représentants des communes à l’intercommunalité lors d’un scrutin distinct de l’élection municipale, ce qui conduira à faire des intercommunalités autre chose qu’un outil au service des communes.

La prochaine étape est déjà programmée : mutualisation obligatoire des impôts locaux, DGF intercommunale, attribution de la clause de compétence générale aux communautés, transfert obligatoire des compétences résiduelles pouvant faire l’objet d’une délégation de service public.

Le Sénat, sur proposition de sa commission des lois et de ses rapporteurs, dont je salue la lucidité, le courage et l’opiniâtreté, a pour l’instant sauvé l’essentiel. C’est pour cela que la très grande majorité du groupe RDSE votera ce texte. Personnellement, même si je n’ai toujours pas fait mon deuil de la compétence générale des départements et des régions, même si je n’accepte toujours pas la mise sous tutelle des élus locaux par la Cour des comptes, je le voterai également.

Le Sénat, disais-je, a sauvé l’essentiel, mais pour combien de temps ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Le Gouvernement, qui souhaite ignorer le degré de dévaluation de la parole publique et qui est si sûr des bienfaits de sa réforme territoriale qu’il en assure la promotion de Bruxelles à la City, pense qu’il suffit de nier l’évidence pour l’imposer au Français.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

M. Pierre-Yves Collombat. Au cours des débats, alors que j’interrogeais M. le secrétaire d’État sur les compétences qui resteraient aux communes après l’adoption par l’Assemblée nationale des dispositions anti-communes que j’évoquais à l’instant, M. Vallini a répondu : « Il leur reste la démocratie. »

Exclamations sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le secrétaire d’État, une démocratie sans pouvoirs et sans moyens, comme l’a rappelé notre collègue, une démocratie décorative en carton-pâte, une démocratie Potemkine n’est qu’un fantôme de démocratie, une démocratie d’avant la Révolution !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Analysant comment l’Ancien Régime avait ôté à la population des villes le pouvoir de gérer ses affaires, Tocqueville fait cette observation : « Le peuple, qui ne se laisse pas prendre aussi aisément qu’on ne l’imagine aux vains semblants de la liberté, cesse alors partout de s’intéresser aux affaires de la commune et vit dans l’intérieur de ses propres murs comme un étranger. [...] Les plus grands intérêts de la ville semblent ne pas le toucher. On voudrait qu’il allât voter, là où on a cru devoir conserver la vaine image d’une élection libre : il s’entête à s’abstenir. » Les récentes élections locales le confirment : les mêmes causes produisent aujourd'hui les mêmes effets.

Lors du premier tour des élections municipales de mars 2014, le taux de participation moyen sur l’ensemble de la France était de 63 %. Ce taux masque toutefois des différences considérables selon la taille des communes : on constate ainsi 26, 6 points de différence entre le taux de participation des communes de moins de 500 habitants, où il est de 78, 6 %, et celui des communes de plus de 90 000 habitants, où il est de 52 % seulement. Globalement, le taux de participation des grosses communes est de plus en plus faible, jusqu’aux communes de 35 000 habitants, pour osciller autour de 53 %, soit 25 points de moins que dans les communes rurales.

C’est bien la preuve scientifique que le regroupement forcé des communes dans des intercommunalités de plus en plus grandes destinées à aspirer leur substance marque un progrès démocratique !

Sourires sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Les résultats des dernières élections cantonales témoignent eux aussi de l’enthousiasme des Français pour la lyophilisation de leurs institutions de proximité. Au premier tour, alors que le taux d’abstention était de 49, 8 % et que l’on a comptabilisé 2, 45 % de bulletins blancs et nuls, les exprimés n’ont représenté que 47, 9 % des inscrits. Cela signifie que moins d’un électeur sur deux s’est reconnu dans cette consultation.

Par charité, et par manque de temps, je passerai sur ce que ces élections disent du rapport de force politique entre la gauche, la droite et, désormais, l’extrême droite. Je passerai également sur les pertes plus que significatives du parti qui était majoritaire localement jusque-là. Visiblement, mes chers collègues, le bon peuple n’accepte pas les modernisations pour lesquelles on ne lui demande pas son consentement.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

M. Pierre-Yves Collombat. Sachez qu’il en va de même des élus ruraux !

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Philippe Adnot, pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous allons voter ce projet de loi. J’indique d’ailleurs qu’il s’agit du texte non pas du Gouvernement, mais du Sénat. Je le précise, car on entend trop souvent dire que telle loi du nom du ministre qui l’a portée, comme la loi Macron, a été adoptée. Or cette loi est aussi la nôtre. Elle n’est en tout cas pas la même.

Bien sûr, ce texte n’est pas parfait. Je regrette ainsi la suppression de la capacité d’initiative que constituait la clause de compétence générale. En conséquence, il a fallu prévoir par voie d’amendement les conditions de financement des départements aux lignes aériennes de transport de passagers, ce qui aboutit, c’est original, à une tutelle de la région sur les départements.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

J’ai apprécié, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, les évolutions positives que vous avez acceptées, notamment sur les collèges et sur les routes. J’espère qu’il y en aura d’autres ; j’espère surtout que l’Assemblée nationale ne reviendra pas sur ces sujets.

En matière de transports scolaires, faites en sorte, madame la ministre, qu’ils relèvent entièrement, y compris le transport des personnes handicapées, d’une seule collectivité.

Par ailleurs, j’insiste pour que vous mesuriez précisément les problèmes économiques qui vont se poser. Ainsi, qu’adviendra-t-il des biens immobiliers appartenant à des entreprises en difficulté que l’État nous a demandé d’acquérir ? Qui les récupérera ?

Nous allons bien sûr, je le répète, voter ce texte, mais le pire est peut-être à venir. Aussi devrons-nous être vigilants, mes chers collègues, concernant les décrets d’application, mais également d’éventuelles autres décisions relevant d’autres textes. Nous devrons ainsi vérifier précisément les périmètres transférés. Or j’avoue ne pas avoir été rassuré par les méthodes utilisées pour procéder aux compensations de transferts entre collectivités.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il va être procédé dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.

Je vous rappelle qu’il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’instruction générale du bureau.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Mmes et MM. les secrétaires du Sénat superviseront les opérations de vote.

Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je vais suspendre la séance jusqu’à quinze heures cinquante, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Je tiens tout d’abord à remercier Mme Catherine Tasca, M. Jean-Pierre Leleux et M. Jean Desessard, secrétaires du Sénat, qui ont assuré le dépouillement du scrutin.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 194 :

Nombre de votants345Nombre de suffrages exprimés226Pour l’adoption191Contre 35Le Sénat a adopté.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Avant de donner la parole à Mme la ministre, je voudrais, en présence de M. Philippe Bas, président de la commission des lois, remercier nos deux corapporteurs, MM. Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, du travail qu’ils ont réalisé sous son autorité. Je souhaite vraiment leur exprimer la gratitude du Sénat dans son entier pour ce travail en profondeur.

Applaudissements.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de m’associer aux remerciements qui viennent d’être exprimés pour l’excellent travail réalisé par la commission des lois et ses corapporteurs. Ce travail se mesure aussi en heures, y compris celles qui ont été consacrées à la recherche, sinon d’un consensus, comme le prétend M. Dominique de Legge, mais d’un compromis.

Je voudrais relever quelques points, à commencer par ceux qui nous occuperont le plus pour aboutir à l’accord souhaité par le Premier ministre.

S’agissant du développement économique, le schéma établi par la région sera certes prescriptif, mais ce caractère prescriptif ne s’appliquera pas aux autres collectivités. Le texte, tel qu’il est désormais rédigé, est donc légèrement en recul par rapport à celui que le Sénat avait adopté en première lecture. Mais sans doute sera-t-il aisé, avec l’engagement des corapporteurs, de trouver une solution commune.

La région pourra également élaborer un schéma prescriptif en matière d’aménagement du territoire. Toutefois, les autres collectivités territoriales disposent maintenant d’une possibilité de blocage qui n’existait pas non plus dans le texte issu de la première lecture. La rédaction à laquelle nous aboutissons sur ce point n’est peut-être pas exactement celle que vous auriez souhaitée, d’autant que, d’amendement en amendement, la lecture n’en est pas forcément des plus fluides. En tout cas, là encore, tant sur le plan juridique que sur le plan opérationnel, un véritable recul est à noter, et il me semble qu’il nous faut trouver un langage commun sur le principe de co-élaboration, puisque, si j’ai bien compris, c’est l’objectif.

Encore un point sur lequel le texte issu de la première lecture au Sénat allait plus loin que celui que vous venez d’adopter : celui des syndicats intercommunaux et, en particulier, des représentations-substitutions. Un travail important doit encore être réalisé en la matière. Mais à l’impossible, ensemble, nous sommes tenus ! Donc, nous trouverons une solution !

D’autres sujets soulèvent un certain nombre de difficultés.

Dans le domaine de la solidarité, par exemple, l’application de la loi SRU en 2034 semble difficilement envisageable alors que, constat souvent partagé avec des sénateurs de toutes tendances politiques, il existe un véritable problème de logement. Attendre 2034 sans prévoir aucune mesure d’ici à cette échéance me semble effectivement un peu difficile. C’est pourquoi, si vous le voulez bien, je vous propose de retravailler sur la question.

En matière de coopération intercommunale, on est revenu à des dispositions datant d’avant la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. En effet, les pouvoirs spécifiques du préfet, que les parlementaires avaient adoptés dans ce cadre, ont été supprimés. Là encore, tant sur la question du seuil que sur celle des pouvoirs spécifiques accordés au préfet, il y a probablement matière à travailler.

S’agissant de la métropole du Grand Paris, je pense que plus de 90 % des élus avaient opté pour la date du 1er janvier 2016 ; nous trouverons sans doute des voies de discussion.

Vous aviez, mesdames, messieurs les sénateurs, ouvert le débat sur la compétence de la région en matière d’emploi. Les députés s’en sont saisis et ont fait des propositions ; le Sénat n’a pas entendu les suivre. Bien que les bruits de couloirs que j’ai pu entendre ne m’incitent pas vraiment à l’optimisme, je crois qu’un compromis est possible.

Il sera sans doute plus difficile de trouver un terrain d’entente sur le tourisme, mais sait-on jamais ! Nous pouvons aussi y travailler.

L’Assemblée nationale avait accepté la proposition du Sénat d’une co-élaboration des schémas par les régions et les départements. Le Gouvernement avait, pour sa part, proposé une simplification qui a disparu du texte. Le retour à la rédaction issue de la première lecture n’a pas pris en compte cette ouverture d’une assemblée vers l’autre.

Comme je le soulignais hier, l’Assemblée nationale compte aussi de nombreux élus locaux, responsables de petites communes et très attachés à leur collectivité, qui avaient accepté de travailler sur ces sujets. Les députés l’avaient fait également concernant les transports, au sens large. Du reste, nous nous attendions à vos remarques, mesdames, messieurs les sénateurs – le Premier ministre lui-même en avait parlé à propos des transports scolaires –, et nous les avons entendues.

Les ports constituent un autre sujet qui mérite que nous y travaillions, et le compte rendu des débats porte témoignage de mon ouverture à cet égard. Qu’il s’agisse du rôle des ports de commerce comme grands outils de développement économique, des petits ports de pêche ou des ports de tourisme, il y a matière à réfléchir.

Nous avons donc une semaine, ou un peu plus, pour créer les conditions d’une convergence entre les deux chambres : les deux lectures prévues par la Constitution ont justement pour but de permettre de parvenir à un accord.

C’est l’objectif commun que nous nous étions fixé. Même si la tâche semble aujourd’hui un peu plus difficile que prévu, je relève que certains compromis sont d’ores et déjà gravés dans le marbre de la loi. Je pense notamment aux dispositions que l’Assemblée nationale a acceptées sur les collèges – une revendication très forte du Sénat –, les routes ou la collectivité unique de Corse. Vos collègues députés ont entendu vos demandes sur ces sujets et n’ont nullement l’intention de revenir sur ces dispositions, même s’il faudra peut-être, en CMP, corriger à la marge une question de droit soulevée par M. Jean-Jacques Hyest.

Nous avons la ferme intention de poursuivre les discussions sur les questions de justice sociale et territoriale, de développement équilibré et durable des territoires et d’égal accès de nos concitoyens aux services publics, autant de sujets sur lesquels nous avons bon espoir de trouver un accord.

Je dirai en conclusion qu’on nous attaque en permanence en prétendant que nous voudrions supprimer les communes, alors que, à nos yeux, les 36 000 communes que compte la France sont constitutives de son histoire et font sa force. Si nous avons défendu l’intercommunalité, c’est parce qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’égalité entre les communes. Le maire d’une petite commune qui a des ressources, parce qu’elle est située sur le littoral, qu’elle exploite une station de sports d’hiver ou qu’elle abrite tel ou tel équipement, peut effectivement offrir des services à ses habitants. En revanche, le maire d’une autre commune abritant la même population mais ne disposant pas des mêmes atouts ne pourra pas le faire. Il existe donc des inégalités très fortes entre nos territoires.

Je propose toujours de voir l’intercommunalité comme un grand outil de solidarité entre les communes, dont nos citoyens ont besoin, et non comme la volonté des uns de prendre le pouvoir sur les autres.

C’est dans cet esprit que je vous invite à continuer à travailler, avec acharnement, mais aussi avec le souci de l’ouverture la plus large et d’une réflexion commune. En dépit des quelques reculs que j’ai évoqués, je persiste à penser qu’un accord est possible et que le souhait du Premier ministre peut être exaucé. C’est notre espoir et, pour l’heure, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’excellent travail que vous avez d’ores et déjà accompli.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour un très court instant.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures sept.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’informe le Sénat que la question n° 1137 de Mme Agnès Canayer est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif au renseignement (projet n° 424, texte de la commission n° 461, rapport n° 460, avis n° 445) et de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (proposition n° 430, texte de la commission n° 462, rapport n° 460).

Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le Premier ministre.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Joël Labbé et François Fortassin applaudissent également.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis trois mois, le Parlement débat de l’encadrement juridique des activités de renseignement. Ce texte arrive, aujourd’hui, en séance publique pour que vous tous, au Sénat, puissiez désormais en discuter.

Même si ce n’est pas une première, il est inhabituel qu’un Premier ministre présente un projet de loi directement devant vous, en compagnie des ministres de la justice, de la défense et de l’intérieur – je voudrais à cette occasion saluer le travail qu’ils mènent depuis plusieurs mois.

Cette exception se justifie par l’ambition de ce texte, qui donne, enfin, un cadre juridique cohérent et complet aux activités de nos services de renseignement. Je dis « enfin », car la France a, dans ce domaine, par rapport à la plupart des autres démocraties occidentales, du retard.

Ce texte, j’en ai la conviction, approfondit notre État de droit. Les bases législatives qui seront conférées aux activités de ces services s’accompagneront d’un contrôle de chaque opération de surveillance. Elles s’accompagneront également d’un droit pour les citoyens au recours juridictionnel. C’est une avancée dont il faut prendre la juste mesure !

Il est inhabituel également que le Président de la République annonce la saisine du Conseil constitutionnel, avant même la fin des débats parlementaires et la promulgation du texte, sur les points de droit les plus délicats.

Cette loi concerne le droit à la vie privée. Il est donc naturel qu’elle suscite des interrogations et des inquiétudes. Et légiférer sur des sujets aussi sensibles, c’est nécessairement s’entourer d’un maximum de précautions.

Dans ce même hémicycle, l’un de vos prédécesseurs, madame Taubira, le garde des sceaux Henri Nallet déclarait le 25 juin 1991 – il présentait alors le projet de loi sur le secret des correspondances, principale référence du texte qui nous occupe aujourd’hui – : « En prenant l’initiative de saisir le Parlement de cette question, le Gouvernement a bien conscience de relever un véritable défi » !

Aujourd’hui, les circonstances sont un peu différentes, puisque ce texte s’appuie sur un travail parlementaire approfondi et transpartisan.

Le premier organe parlementaire de contrôle a été créé en 2007 : il s’agissait de la délégation parlementaire au renseignement, ou DPR, chargée de l’évaluation de la politique publique et du contrôle de l’action du Gouvernement en matière de renseignement.

Je tiens, d’ailleurs, à rendre hommage au travail des membres de cette délégation parlementaire – j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant elle à plusieurs reprises, comme ministre de l’intérieur ou comme Premier ministre –, plus particulièrement de ceux d’entre vous qui en ont présidé les travaux : Jean-Jacques Hyest, Jean-Pierre Sueur et, désormais, Jean-Pierre Raffarin. Cette institution a su créer de véritables liens de confiance avec le Gouvernement, comme avec les services.

Une communauté du renseignement et des six services qui la composent a également été définie en 2007.

Le Conseil national du renseignement et la fonction de coordonnateur national du renseignement ont été créés en 2008, et l’Académie du renseignement en 2010, afin que la communauté du renseignement se professionnalise et se coordonne davantage.

Les missions de contrôle de la DPR ont été élargies dans la loi de programmation militaire de 2013, et la loi de 1991 a été élargie aux données de connexion, d’ailleurs par un amendement sénatorial particulièrement courageux.

Les députés Jean-Jacques Urvoas, de la majorité, et Patrice Verchère, de l’opposition, ont cosigné un rapport parlementaire sur le sujet en 2013, notamment pour tirer les enseignements des attentats de Toulouse et Montauban.

Une inspection des services de renseignement a été créée en 2014 ; elle vient d’ailleurs de se voir confier ses deux premières missions.

Ce travail important accompli par l’Assemblée nationale et par le Sénat, quelles que soient les majorités en présence, doit être salué.

Le projet de loi que vous allez examiner est donc l’aboutissement d’une réflexion approfondie, à laquelle plusieurs d’entre vous ont contribué de manière notable, et dont la droite comme la gauche – si toutefois ces termes veulent dire quelque chose dans ce débat – ont vu l’utilité. Elle est, en ce sens, profondément républicaine.

C’est en juillet 2014 que le Président de la République a décidé de légiférer, bien avant que notre pays, en janvier dernier, ne soit frappé en plein cœur. Face à l’intensité de la menace terroriste, que nous connaissons depuis mars 2012, mais qui a frappé récemment à Copenhague, à Tunis et au Kenya, nous avons décidé d’accélérer ce travail et d’envisager l’introduction de dispositions spécifiques à la lutte antiterroriste.

Sur de tels sujets, l’apport des parlementaires est toujours précieux pour l’exécutif. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail réalisé par les membres de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, co-présidée par Nathalie Goulet et André Reichardt, et dont le rapporteur était Jean-Pierre Sueur. Certaines des propositions présentées par cette commission le 8 avril dernier figurent d’ailleurs déjà dans ce texte de loi.

Je suis également certain que le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, présidée par Éric Ciotti, et dont les conclusions ont été présentées ce matin par Patrick Mennucci, offrira de nouvelles pistes de réflexion au Gouvernement. Certaines d’entre elles sont d'ailleurs déjà mises en œuvre.

Il est en effet indispensable que notre dispositif de lutte contre le terrorisme s’adapte en permanence à une menace particulièrement mouvante qui ne cesse d’évoluer et de s’intensifier.

Vous le savez, la France fait face à d’immenses défis, dans un monde marqué par l’imprévisibilité, la multiplication des crises et la diversification des menaces. Ces défis, il faut les appréhender avec lucidité et y répondre, afin que notre pays puisse défendre son territoire, ses ressortissants et ses intérêts, ses valeurs aussi, dans le respect de l’état de droit.

Le rôle des services de renseignement est à ce titre fondamental, et je tiens à rendre une nouvelle fois hommage, devant vous, à ces combattants de l’ombre qui méritent toute notre estime. Leur action est par nature discrète, mais, dans ces temps difficiles, elle est plus que jamais nécessaire ; elle est même primordiale.

Anticiper, détecter, analyser et comprendre les menaces qui pèsent sur la France, c’est garantir la sécurité du pays. Comme le soulignait déjà le général chinois Sun Tse, cher à Jean-Pierre Raffarin, dans un ouvrage de stratégie, « une armée sans agents secrets est exactement comme un homme sans yeux ni oreilles ».

Au premier rang des missions de nos services figure bien évidemment la lutte contre la menace terroriste, et tout particulièrement contre la menace djihadiste. C’est une menace globale, où les dimensions extérieures et intérieures se confondent. J’avais déjà évoqué cet ennemi intérieur et cet ennemi extérieur en octobre 2012, lorsque j’avais présenté ici même, en tant que ministre de l’intérieur, le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.

La radicalisation violente et l’implication dans le terrorisme islamiste ont explosé ces dernières années, dans tous les pays européens et méditerranéens. Je citerai quelques chiffres pour rappeler cette réalité. Ces chiffres n’éveillent pas suffisamment, me semble-t-il, la conscience de beaucoup de nos compatriotes, mais il est nécessaire de les connaître pour comprendre la menace.

Plus de 1 730 Français ou personnes résidant en France sont aujourd’hui recensés pour leur implication dans le djihad en Syrie ou en Irak, et ce chiffre ne cesse d’augmenter : il a plus que doublé en un an. Bernard Cazeneuve est confronté tous les jours à cette réalité ; il l’a abordée aujourd'hui même avec ses homologues des six principaux pays européens.

Plus de 860 individus ont séjourné en Syrie ou en Irak. Par ailleurs, 471 y sont actuellement et 110 sont recensés comme morts ; c’est 10 de plus qu’il y a deux mois à peine, lorsque je présentais ce projet de loi devant l’Assemblée nationale. La semaine dernière, le groupe terroriste Daech a revendiqué deux attentats suicides menés en Irak par deux de nos jeunes compatriotes. Cela porte à neuf le nombre d’individus partis de France et décédés dans des actions suicides. Même les territoires ultramarins sont concernés par les phénomènes de radicalisation. Cela illustre les redoutables capacités d’endoctrinement de Daech et la perversité de cette organisation barbare, qui attire les étrangers dans ses rangs pour ensuite les sacrifier.

Le nombre d’individus à suivre et à surveiller a explosé. Ce phénomène, nous le connaissons ; d’autres pays le connaissent. Je rappelle qu’il pourrait y avoir, à la fin de l’année, près de 10 000 Européens en Syrie et en Irak, 10 000 !

Pour les moyens humains, le Gouvernement consent des efforts sans précédent : plus de 1 000 effectifs supplémentaires pour la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, d’ici à 2017, et 2 180 effectifs supplémentaires pour les autres services de renseignement, la police judiciaire, la justice et l’administration pénitentiaire. Ainsi, 30 % de ces recrutements sont prévus en 2015 ; ils ont déjà débuté, car il faut agir.

En ce qui concerne les moyens juridiques, le projet de loi complète les deux lois précédentes : la loi du 21 décembre 2012, examinée d'abord par le Sénat et adoptée après un débat de grande qualité, qui intégrait un certain nombre de propositions formulées par le gouvernement précédent, celui de François Fillon, et la loi du 13 novembre 2014, présentée il y a quelques mois par Bernard Cazeneuve, qui a renforcé notre arsenal antiterroriste.

Nous devons également prendre la mesure de la montée en régime des cybermenaces, qui n’ont rien de virtuel : ce sont des actes de sabotage et des atteintes inacceptables aux libertés d’information et d’expression. L’acuité de la menace terroriste ne doit pas nous faire oublier les autres risques auxquels notre pays est exposé. Les activités de nos services de renseignement portent aussi sur ces risques.

L’espionnage économique, qui emprunte de plus en plus la voie de cyberattaques, coûte de nombreux emplois à notre pays. La vigilance des services de renseignement en matière de prévention de ces prédations ne doit pas être réservée à nos fleurons industriels ni aux seules filières nucléaire, aéronautique ou de défense. Elle concerne aussi de nombreuses entreprises innovantes de taille intermédiaire, qui voient trop souvent leurs perspectives de développement ruinées par une captation de leur savoir-faire. Notre stratégie de redynamisation des filières industrielles doit s’accompagner d’une lutte résolue contre l’espionnage économique.

Le renseignement constitue également un outil précieux d’aide à la décision en matière de politique étrangère. Au Sahel, en Centrafrique, en Irak, notre armée répond présent. Pour promouvoir l’action diplomatique par rapport à l’action militaire, nous employons notre appareil de renseignement extérieur au service de l’anticipation diplomatique.

Nous devons, enfin, prévenir les actions menées sur notre territoire par des groupes subversifs dont l’objectif est de se livrer à des actes de violence et de porter gravement atteinte à la paix publique. La rédaction de la loi de 1991, voulue par Michel Rocard, laissait sur ce point une grande part à l’interprétation. Ainsi, la surveillance préventive du hooliganisme violent relève parfois de la rubrique « sécurité nationale » et parfois de la rubrique « prévention de la délinquance et de la criminalité organisée ».

Le principe de légalité, auquel vous êtes profondément attachés, exige davantage de clarté. Je veux le dire devant vous de la manière la plus nette : l’ajout d’une nouvelle finalité ne vise en rien à porter atteinte à la liberté d’opinion ou de manifestation. Les services de renseignement ne seront pas autorisés à surveiller les actions de défense d’une cause à partir du moment où elles sont licites. En outre, les opérations de surveillance ne seront autorisées que si elles sont proportionnées aux risques encourus.

Le projet de loi qui vous est soumis détaille les finalités pour lesquelles les services de renseignement pourront demander le recours à certaines techniques de surveillance, comme l’intrusion informatique ou la sonorisation de lieux privés. Ces finalités, qui ont été précisées par la commission des lois, correspondent fidèlement aux défis et aux menaces que je viens d’évoquer. J’insiste sur le fait que le Gouvernement a opté pour une définition des motifs légaux beaucoup plus stricte – je le dis en réponse à certains commentaires – que la Convention européenne des droits de l’homme ne l’y autorise.

Le projet de loi reprend largement les dispositions existantes en matière d’interceptions de sécurité et d’accès aux données de connexion, et il les modernise, car le précédent texte datait d’avant l’arrivée du téléphone portable et d’internet.

Le projet de loi procède également à des ajustements pour prendre en compte les nouvelles techniques de surveillance disponibles : géolocalisation de véhicules ou d’objets, sonorisation, captation d’images ou de données informatiques dans des lieux privés. Pour cela, il tient compte du cadre législatif en matière de techniques spéciales d’enquêtes dans le domaine judiciaire, qui a été créé en 2004 et modernisé en 2011.

Le projet de loi fixe également, pour la première fois, un cadre juridique précis aux mesures de surveillance internationale auxquelles nos services procèdent depuis le territoire national. Il s’agit d’une avancée notable par rapport à la loi de 1991, qui ne soumettait ces activités à aucun contrôle. Ceux qui s’émeuvent parfois des dispositions du présent texte ne se sont pas beaucoup émus de cette absence de règles depuis 1991.

Le projet de loi prévoit, enfin, de nouveaux dispositifs qui permettront un accès encadré aux réseaux des opérateurs de téléphonie et d’internet. Le suivi des terroristes en temps réel sur leurs réseaux est nécessaire. C’est aujourd'hui l’un des éléments majeurs de la lutte contre le terrorisme, car les djihadistes utilisent tous les outils du numérique pour se livrer à des actions de propagande et d’embrigadement, mais aussi pour échanger, le plus souvent en adoptant des techniques sophistiquées afin d’éviter d’être repérés. C’est pour cette raison que nous avons introduit une disposition autorisant le recours aux algorithmes ; ceux-ci permettront de détecter des terroristes jusqu’alors inconnus, ainsi que des individus connus mais recourant à des techniques de dissimulation.

Je citerai un autre chiffre pour illustrer mon propos : moins d’un djihadiste sur deux avait été détecté avant son départ en Syrie. Si aucune loi, bien entendu, ne pourra jamais garantir un taux de détection et une efficacité préventive de 100 %, nous devions néanmoins absolument augmenter la capacité d’action de nos services.

Le projet de loi comporte également, dans un même mouvement – ne nous fions pas aux caricatures –, de grandes avancées en matière de protection des libertés publiques. Il offre infiniment plus de garanties que le dispositif légal actuel, qui demeure parcellaire.

Le projet de loi ne prévoit donc pas – je voudrais insister sur ce point – la mise en œuvre de moyens d’exception. J’avais d'ailleurs dit, dans mon intervention à l’Assemblée nationale le 13 janvier dernier, que, face à la menace terroriste, il fallait une réponse exceptionnelle mais pas des mesures d’exception. Le projet de loi prévoit encore moins une surveillance généralisée des citoyens.

Le recueil de renseignements sera ciblé sur les personnes qui présentent une menace réelle pour notre sécurité. Les principes de finalité et de proportionnalité et l’extension des compétences de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement permettront de le garantir. Toutes les opérations de surveillance menées sur le territoire national feront l’objet d’un contrôle indépendant. Elles seront portées à la connaissance de neuf personnes, parmi lesquelles deux hauts magistrats administratifs, deux hauts magistrats judiciaires et quatre parlementaires, dont deux de l’opposition.

La Commission verra ses moyens renforcés, afin qu’elle puisse accroître son contrôle ; c’est la garantie de son indépendance. Votre rapporteur a indiqué que votre assemblée y était particulièrement attachée. Le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, sollicitait déjà le renforcement de la Commission à hauteur de 25 personnes.

Le Groupement interministériel de contrôle, le GIC, service placé sous l’autorité du Premier ministre – pas de Manuel Valls, du Premier ministre –, verra lui aussi ses moyens renforcés afin qu’il puisse exercer ses nouvelles missions. Une première évaluation estime les moyens nécessaires à 200 personnes, contre 135 aujourd’hui, et 7 millions d’euros de budget annuel supplémentaires.

Au total, ce ne sont pas moins de 250 personnes qui seront dédiées aux fonctions de contrôle, sans compter les moyens de validation des décisions internes à chaque service. J’ai d’ailleurs saisi l’Inspection des services de renseignement afin qu’elle fasse des propositions concrètes sur la mise en œuvre des garanties prévues par le projet de loi. La délégation parlementaire au renseignement sera bien sûr destinataire des conclusions de ces travaux.

Une extension modérée du nombre de personnes à qui l’on peut déléguer l’autorisation d’une procédure, aussi bien dans les cabinets des ministres que dans celui du Premier ministre, est nécessaire. C’est la conséquence logique de la généralisation des procédures d’autorisation et de l’impératif de continuité opérationnelle, 365 jours par an, en cas d’urgence ; et il y a des urgences.

Je veux répondre expressément aux questions soulevées par le président de la délégation parlementaire au renseignement, Jean-Pierre Raffarin. Un lien de confiance direct continuera de relier l’autorité politique et le délégataire ; la responsabilité ne peut pas être diluée, et elle ne le sera donc pas.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Monsieur le rapporteur, je salue l’amélioration rédactionnelle apportée par la commission des lois sur ce point, comme sur bien d’autres.

Le Gouvernement est d’avis qu’il faut soumettre les demandes de données de connexion les plus lourdes au visa du ministre.

Ce contrôle administratif, qui s’ajoute aux dispositifs existants – DPR, inspection des services de renseignement –, est lui-même complété par un contrôle juridictionnel : c’est une nouveauté et un progrès. Ce contrôle sera confié au Conseil d’État. Pour la première fois, un juge pourra ainsi enjoindre à l’exécutif de cesser une opération de surveillance, voire de détruire les renseignements recueillis et d’indemniser les victimes éventuelles, sans qu’on puisse lui opposer le secret de la défense nationale.

La France, soyons-en fiers, disposera donc désormais d’un dispositif de contrôle des services de renseignement global, cohérent et digne d’un État démocratique, avec son droit et ses valeurs. Il n’y aura aucune comparaison possible avec je ne sais quelle décision prise outre-Atlantique.

Le Gouvernement a élaboré, avec l’avis du Conseil d’État, un projet de loi équilibré, et qui soit efficace.

Il s’agissait, d’une part, bien sûr, de contribuer au renforcement de la sécurité des Français – ils nous le demandent – tout en protégeant leurs libertés individuelles, ce qui s’impose comme une exigence.

Il s’agissait, d’autre part, de préserver la distinction entre ce qui relève du judiciaire et ce qui ressortit à l’administratif.

Vous le savez, du moins ceux qui suivent ces questions, la frontière entre renseignement et judiciaire n’est pas toujours simple à tracer sur certains sujets, notamment la prévention du terrorisme ou la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Néanmoins, elle existe, et nous devons veiller à maintenir cette séparation, même si, comme tout fonctionnaire, les personnels des services de renseignement sont tenus d’aviser le procureur de la République de crimes ou de délits dont ils auraient connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.

C’est ce même désir de veiller à un double équilibre entre sécurité et liberté, entre administratif et judiciaire, qui a guidé l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat, dont je veux de nouveau saluer le travail, ainsi que celui de son président, Philippe Bas, également rapporteur du texte.

Grâce au travail parlementaire, le projet du Gouvernement a été amendé, précisé sur plusieurs points, afin de dissiper les ambiguïtés et d’apporter de nouvelles garanties lorsque cela est apparu nécessaire.

Ainsi, lors de l’examen du texte en commission, la possibilité de recourir à la procédure de l’urgence absolue a été restreinte à deux finalités. Par ailleurs, l’autorisation de recueil en temps réel des données de connexion des terroristes a été réduite à 2 mois, et les modalités de recours aux dispositifs techniques de proximité, de type IMSI catcher, ont été reprécisées.

S’agissant des surveillances en milieu pénitentiaire, notamment en matière de prévention du terrorisme ou des activités de criminalité organisée, la commission des lois du Sénat a souhaité examiner la question en détail, comme l’avait fait l’Assemblée nationale. Ainsi, elle préconise d’aller au-delà du droit positif actuel, qui permet aux chefs d’établissement pénitentiaire de procéder à des surveillances pour la préservation du bon ordre au sein de l’établissement et la prévention des évasions.

Sachez que le Gouvernement, qui s’exprimera sur le sujet au cours du débat par la voix de Mme la garde des sceaux, considère comme une voie particulièrement intéressante de prévoir par une base législative les modalités de coopération entre l’administration pénitentiaire et les services de renseignement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis certain que les échanges constructifs que vous allez avoir dans les prochains jours avec les ministres de la justice, de la défense et de l’intérieur permettront d’enrichir encore ce texte et d’apporter des améliorations substantielles. Le Gouvernement participera bien sûr à ce débat en déposant ou en soutenant des amendements.

Ainsi, pour donner aux services la latitude dont ils ont besoin, le Gouvernement souhaite que le délai de conservation des données de connexion s’établisse à 4 ans. Il était de 5 ans dans le projet adopté par l’Assemblée nationale, mais il a été réduit à 3 ans par la commission des lois. De récentes affaires ont pourtant prouvé l’utilité d’une telle disposition pour retracer le parcours des terroristes.

Il importe également que le délai de conservation des correspondances recueillies par le biais d’interceptions de sécurité soit maintenu à 30 jours, comme l’a voté la commission. Ces 30 jours sont nécessaires, car il est souvent utile de réécouter plusieurs fois les enregistrements pour décoder des propos énigmatiques après recoupement de certaines informations.

Un amendement vous sera ensuite proposé afin de préciser les modalités de centralisation des données recueillies au moyen d’un dispositif technique de proximité de type IMSI catcher. S’il est en effet indispensable que le GIC et la CNCTR disposent des éléments collectés afin d’en faire un contrôle exhaustif, les services doivent, quant à eux, pouvoir continuer à les exploiter de manière opérationnelle. Une centralisation directe et exclusive des informations recueillies par le GIC n’est donc pas souhaitable. En revanche, une copie de contrôle sera systématiquement adressée au GIC par les services, et sera ainsi à la disposition permanente de la CNCTR.

Je connais les débats qui entourent certaines dispositions. Aussi, le Gouvernement vous soumettra également des amendements visant à apporter des garanties supplémentaires.

À titre d’exemple, s’agissant des opérations nécessitant une intrusion domiciliaire, il vous sera proposé de prévoir une saisine automatique du Conseil d’État dès lors qu’un avis défavorable de la CNCTR n’aurait pas été suivi. La plus haute juridiction administrative française – faut-il encore le rappeler ? – aurait alors 24 heures pour se prononcer sur la validité de l’autorisation accordée par le Premier ministre ou par un de ses délégués.

Par ailleurs, s’agissant des algorithmes visant à détecter des signaux faibles sur les réseaux des opérateurs de téléphonie et d’internet, il vous sera proposé d’apporter de nouvelles garanties, à savoir la destruction rapide de toutes les données concernant des personnes sur lesquelles les recherches complémentaires effectuées n’auraient pas confirmé de lien avec le terrorisme.

Enfin, un amendement du Gouvernement visera à préciser l’article relatif aux mesures de surveillance internationale. Les procédures d’encadrement du recueil et de l’exploitation des données seront notablement explicitées. Il en va de même pour les modalités spécifiques de contrôle par la Commission et le recours juridictionnel.

Ainsi, soyons précis là encore, dès qu’un numéro d’abonnement ou un identifiant sera rattachable au territoire français, les correspondances seront exploitées selon les mêmes règles que si elles avaient été émises sur le territoire national.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Merci, monsieur Sueur !

Je profite de cette occasion pour rappeler que la DGSE, comme la plupart des grands services de renseignement extérieur, dispose de capacités d’interception portant exclusivement sur les communications internationales, et que leur exploitation s’exerce dans les limites des finalités prévues aujourd’hui par la loi de 1991, et demain par ce texte. C’est conforme aux missions de ce service et c’est indispensable pour la sécurité et la souveraineté de notre pays.

Contrairement à ce qui peut être dit ou écrit, la DGSE n’exerce pas – non plus – de surveillance massive des Français et n’a pas accès aux centres de stockage des opérateurs. Elle ne procède à aucune interception des communications échangées sur le territoire français en dehors des interceptions de sécurité légales.

Ce projet de loi constituera, j’en suis certain, un progrès important pour les services de renseignement – ils le demandent, d’ailleurs, pour leur propre protection – comme pour notre démocratie.

Cependant, il n’est pas un aboutissement : les mécanismes et procédures prévus par ce texte devront vivre, avec la même force et le même caractère protecteur que la loi de 1991. Celle-ci a joué son rôle de garde-fou avec efficacité.

J’ai bien noté que des amendements ont été déposés par les sénateurs afin d’engager une réflexion sur le contrôle des fichiers des services de renseignement. La présidente de la CNIL le demande, par ailleurs, avec insistance.

La CNIL peut déjà exercer le contrôle individuel de ces fichiers, à la demande de tout particulier, à travers l’exercice du droit personnel d’accès.

Cependant, et je veux insister sur ce point, nous devons nous garder de bouleverser les équilibres des lois de 1978 et 1991, et veiller à ne pas installer de mécanismes de contrôle d’un même objet par deux autorités administratives différentes, et susceptibles de devenir concurrentes.

Nous devons également garantir la protection des sources humaines et le bon fonctionnement de la coopération internationale.

En revanche, il est possible de développer une politique de contrôle interne plus dynamique des fichiers de renseignement, en lien avec la délégation parlementaire. Je confierai au second semestre une mission à l’inspection des services de renseignement pour étudier cette question.

Nous devrons également aborder le sujet de la coopération entre les services. Comme je l’ai déjà dit, des progrès ont été faits au cours des dernières années, notamment sur l’initiative du coordonnateur national du renseignement. Des mutualisations ont été engagées, en particulier dans le domaine technique.

Sur le plan opérationnel, souvent sous l’impulsion des ministres de la défense et de l’intérieur, les relations entre services se sont améliorées – et nous ne pouvons que nous en féliciter. C’est indispensable pour lutter contre le terrorisme.

Je salue ainsi la création en cours, au sein des locaux de la DGSI, d’une task force exclusivement dédiée à la problématique des filières djihadistes syro-irakiennes. Composée de membres des six services de la communauté du renseignement, elle devrait prochainement associer des représentants du service central du renseignement territorial, le SCRT, et de la direction du Renseignement de la préfecture de police de Paris, la DRPP, en anticipation, peut-être, d’une ouverture de la communauté du renseignement à ces deux nouvelles administrations.

Des progrès sont sans doute encore possibles. Ils sont en tout cas indispensables afin d’éviter des doublons et des pertes d’informations dont on imagine à quel point ils seraient préjudiciables.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte mérite une discussion à la hauteur de son importance, mais je sais que tel sera le cas dans cette assemblée.

Je souhaite, bien sûr, qu’il recueille un large soutien, car je considère que, sur des sujets aussi importants pour la sécurité et la liberté de nos concitoyens, les principales forces politiques doivent être capables de concertation et d’esprit de responsabilité. C’est en tout cas une exigence de nos compatriotes.

Pour conclure, je reprendrai les mots prononcés le 13 juin 1991 par Édith Cresson, alors Premier ministre, qui défendait ce jour-là la loi relative aux interceptions de sécurité : « De plus en plus de responsables politiques souhaitaient faire la lumière. Il ne manquait que la volonté, voire le courage politique. C’est pourquoi nous avons choisi de débattre […] sur cette question, de la façon la plus démocratique et la plus incontestable qui soit, c’est-à-dire par la loi. Aujourd’hui, le Gouvernement vous invite à franchir le pas ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, 24 ans plus tard, nous relevons le défi et – c’est un honneur pour moi – nous vous invitons de nouveau à franchir le pas !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, en abordant ce débat, j’ai à l’esprit une longue histoire, qui a fait du Sénat l’un des fondateurs de la République moderne et le plus farouche défenseur des libertés publiques.

D’où que nous siégions, nous faisons nôtre l’héritage de Victor Hugo, comme ceux de Victor Schoelcher, d’Auguste Scheurer-Kestner et, aujourd’hui, celui de Robert Badinter, sans pour autant récuser Georges Clemenceau ou Michel Debré. Le Sénat, c’est la République dans toutes ses dimensions, la liberté et l’autorité.

La régulation des activités de renseignement soulève de nombreuses questions qui mettent en jeu nos droits fondamentaux. Puisse la grande tradition du Sénat libéral et républicain nous inspirer des bonnes réponses !

Ce débat va nous conduire au cœur de notre contrat social.

Les questions auxquelles nous devrons répondre sont, bien sûr, d’essence politique. Dans leur principe, elles ne sont, certes, pas nouvelles, mais elles se posent aujourd’hui à propos de nouveaux moyens d’intrusion dans la vie privée. Ces moyens sont fondés sur des techniques de surveillance en pleine évolution. Ils ont déjà gravement défrayé l’actualité mondiale, dans un contexte d’insécurité dont le Premier ministre, à juste titre, n’a pas manqué de rappeler à l’instant la gravité et l’actualité.

Comment renforcer la sécurité sans mettre en péril la liberté ? Comment assurer l’efficacité d’une action de renseignement, qui implique le secret, tout en la soumettant à des limites, lesquelles imposent de porter sur elles un regard extérieur ?

Face à ces questions, la République n’est pas dénuée d’expérience. Elle a depuis longtemps inventé une méthode. Cette méthode consiste à approfondir l’état de droit en s’appuyant sur nos institutions et nos procédures légales, et en refusant l’arbitraire de textes d’exception, où la fin justifierait les moyens, où l’urgence s’imposerait au droit, où nécessité ferait loi.

L’exigence du Sénat, dont je suis comme vous tous porteur, est d’inscrire cette loi dans le droit commun. C’est ainsi que nous resterons fidèles aux équilibres posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a su proclamer les droits naturels et imprescriptibles de l’homme tout en fixant immédiatement des bornes à ces droits pour « défendre […] les actions nuisibles à la société », comme elle l’affirme dans sa belle langue.

Ce projet confronte les intérêts fondamentaux de la nation ainsi que la sauvegarde de vies humaines à des exigences aussi fortes que le respect de la vie privée et la garantie des libertés fondamentales. Il n’y a certes pas d’impératif plus élevé que la sauvegarde de la vie humaine, mais le combat pour la sécurité ne peut justifier que des atteintes aux droits et libertés strictement et évidemment nécessaires.

Le projet de loi a pour but de donner un cadre légal aux services de renseignement pour prévenir des crimes et défendre nos intérêts nationaux. Ce faisant, il ne donne aux acteurs du renseignement aucun moyen supplémentaire. Tel n’est pas son objet !

Ce texte a été accusé tour à tour d’autoriser une surveillance de masse au profit de l’État, d’imiter le P atriot Act de George Bush, de tenir le juge à distance, de légitimer par avance l’arbitraire policier. Pour excessifs qu’ils soient parfois, les réquisitoires que nous entendons sont salutaires en démocratie. Ils constituent autant d’anticorps venant de la société civile pour que notre État de droit résiste à l’inoculation de réflexes toxiques pour nos libertés fondamentales.

Nous voyons bien les insuffisances de ce texte. Nous voulons les corriger, mais sa conception et son architecture reposent sur des fondements solides qui ne contreviennent en rien à la tradition républicaine. Jamais nous ne pourrions soutenir un projet qui ressemblerait à la caricature que certains en ont faite.

Pour répondre aux inquiétudes, nous devons faire de ce texte une grande loi républicaine. Il va nous falloir déterminer avec rigueur l’étendue des pouvoirs conférés aux services de renseignement. Il nous reviendra de prendre position sur les bornes que l’autorité publique peut légitimement assigner à la liberté et au respect de la vie privée. Ce ne sera pas la première fois et ce n’est pas chose facile, car c’est un choix de responsabilité et de mesure qui nous confronte à la nécessité d’accepter des concessions pour la défense des intérêts collectifs, sans renoncer à l’absolu que la liberté représente pour nous.

Face à une question aussi cruciale, toute pression instrumentalisant le terrorisme serait évidemment déplacée. La lutte contre le terrorisme ne permet pas tout et n’excuse pas tout. Ce texte très important n’est d’ailleurs pas une réaction aux crimes terroristes commis en janvier dernier. Il est issu du travail de la délégation parlementaire au renseignement et il tient compte des réflexions de notre commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.

La République n’aurait que faire d’instaurer une surveillance de masse. La mission des services de renseignement va être mieux définie, la commission des lois y a veillé. Il s’agit de prévenir des crimes et des délits, d’empêcher des violences et des attentats, de faire échec à des menaces sur nos intérêts nationaux les plus fondamentaux, économiques et scientifiques, et de promouvoir ces intérêts par l’action extérieure. Rien de plus, mais c’est déjà beaucoup !

Repérer ceux qui nous menacent n’implique qu’une surveillance ciblée, exactement le contraire d’une surveillance de masse, laquelle ne serait que perte de temps et gaspillage de ressources par rapport aux objectifs visés. Tout ce qui pourrait s’y rapporter doit naturellement être évité et c’est le rôle du Sénat d’y veiller.

Avec ce projet de loi, il s’agit d’introduire des garanties pour nos concitoyens là où il n’y en a pas, de passer du non-droit au droit, certainement pas de créer une surveillance sans limites ni contrôles. Au contraire, le souci de prévenir ce risque justifie l’intervention du législateur : la loi restreindra les possibilités de surveillance de l’État en instituant des règles et des contrôles qui n’existaient pas.

L’encadrement des techniques de renseignement apparaît nécessaire à plusieurs stades : lors de l’autorisation des actions de renseignement en fonction de finalités et de critères précis, au moment de la mise en œuvre des techniques et, enfin, par l’intervention d’un juge chargé de faire respecter nos droits fondamentaux.

Je vous propose une ligne directrice simple : plus les techniques de renseignement utilisées seront intrusives, plus les garanties devront être importantes.

Les écoutes téléphoniques sont déjà réglementées par la loi de 1991 §qui les soumet à une autorisation du Premier ministre ou de son représentant, sur avis de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. La réforme s’inspire de ce dispositif en l’étendant et en l’adaptant à tous les services de renseignement et à toutes les techniques de renseignement.

Votre commission des lois a recentré la notion d’« entourage » en matière d’écoutes, limité dans le temps le recours aux IMSI catchers et restreint les données susceptibles d’être collectées par ces dispositifs aux seuls numéros des boîtiers de téléphone et de cartes SIM, en excluant les « fadettes ». Elle a aussi précisé que le recueil de données en temps réel pour les personnes présentant une menace terroriste serait soumis à un examen au cas par cas, la procédure d’urgence étant exclue. Par ailleurs, elle a étroitement circonscrit la définition de la technique de l’algorithme et resserré les conditions du recours à cette technique. Elle a aussi prévu une durée d’application plus limitée dans le temps – deux mois –, le renouvellement du dispositif étant assorti de conditions, afin d’encadrer davantage le recours à ces traitements automatisés qui focalisent les inquiétudes.

Pour les techniques les plus intrusives, comme l’accès au disque dur d’un ordinateur, la sonorisation ou la captation d’images, votre commission a également renforcé les garanties prévues par le texte.

Une fois autorisées, les techniques de renseignement doivent être mieux contrôlées. La commission des lois a voulu imposer la pleine application du principe de légalité aux techniques de renseignement pour sortir du non-droit. Le système que nous proposons a pour but de prévenir les surveillances illégales et, si une transgression était constatée, d’obtenir une annulation rapide, par exemple, si la procédure n’a pas respecté la loi, si la finalité de la surveillance n’est pas légale, si la motivation est insuffisante, si les mesures ne sont pas strictement proportionnées aux fins poursuivies, ou encore si la conservation des données excède la durée de l’autorisation.

Nous avons défini avec précision le cahier des charges de la légalité en matière de renseignement. La commission l’a inscrit au premier article du texte. Il s’imposera aux services spéciaux dans leur action, à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, dans l’évaluation des demandes d’autorisation et dans l’accomplissement de sa mission de contrôle, au Premier ministre dans sa décision et, bien sûr, au Conseil d’État dans l’appréciation qu’il fera de la légalité des autorisations et de la régularité des actes des services de renseignement.

Il faut que le contrôle soit effectif. Pour qu’il le soit, une autorité indépendante doit être instituée, afin de vérifier que les conditions légales sont réunies préalablement à toute utilisation des techniques de renseignement. Il faut que cette autorité soit dotée de pouvoirs d’investigation étendus. Si l’urgence doit être prise en compte, elle doit être tellement exceptionnelle et tellement contrôlée qu’elle ne puisse vider la procédure de droit commun de sa substance.

L’indépendance de la CNCTR vis-à-vis du Gouvernement doit être assurée par sa composition, ses moyens d’action, ses prérogatives et son accès aux données recueillies. Sur tous ces points, la commission des lois a souhaité et inscrit dans le texte du projet de loi des garanties supplémentaires.

Composée de neuf membres, la CNCTR s’inscrira dans la séparation des pouvoirs, puisqu’elle sera constituée de représentants du pouvoir législatif et du pouvoir juridictionnel, sans aucune représentation du pouvoir exécutif. De plus, Jean-Pierre Raffarin et moi-même avons déposé une proposition de loi organique soumettant la désignation du président de la CNCTR à un vote des commissions compétentes des deux assemblées, en application de l’article 13 de la Constitution, pour conforter son indépendance.

Une fois l’avis de la CNCTR rendu, le Premier ministre doit prendre sa décision. Comme aujourd’hui, on peut penser qu’il suivra généralement cet avis, d’autant plus que le contrôle du Conseil d’État sera devenu effectif. Il n’y a pas mieux que l’anticipation de la sanction pour garantir le respect du droit !

Compte tenu du nombre de demandes à traiter, il est normal que le Premier ministre puisse déléguer sa décision à des collaborateurs directs, comme c’est déjà le cas en matière d’écoutes téléphoniques. Prenons garde cependant à ne pas laisser se constituer à Matignon, dans les ministères concernés et dans les services de la CNCTR, un véritable corps de professionnels spécialisés dans le droit du renseignement, agissant en initiés. La décision d’autorisation ne saurait être bureaucratique, vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, car elle engage la responsabilité de l’autorité politique, sous le contrôle ultime du Parlement.

Pour inscrire pleinement la régulation des activités de renseignement dans un cadre légal, la question du juge et de ses pouvoirs est sans doute la question essentielle. Elle n’a peut-être pas été suffisamment discutée jusqu’à maintenant. Il n’y a pas d’État de droit sans l’intervention d’un juge !

Au juge de l’autorité publique revient la mission de soumettre l’action publique au respect de la légalité et de suspendre ou d’annuler ses excès de pouvoir.

Au juge pénal revient de sanctionner les crimes et délits, y compris s’ils ont été commis par un agent de l’autorité publique dans l’exercice de sa fonction en pénétrant irrégulièrement dans un domicile ou en interceptant illégalement des correspondances.

Ce modèle présente de nombreux avantages et je le défends sans complexes. Il a le mérite d’être le plus complet, car il couvre la prévention autant que la répression et la réparation.

La police administrative à laquelle se rattache l’activité de renseignement consiste en l’action préventive de l’État contre le crime et la délinquance, pour l’empêcher. Dans le cas de la police préventive, des vies peuvent être en jeu : il faut agir vite, sur le fondement d’éléments parfois minces. On mesure, avec la lutte contre le terrorisme, à quel point cette mission régalienne est vitale, car elle vise en dernier ressort à empêcher des crimes aussi abominables que ceux qui ont été commis en janvier. Cependant, elle doit être soumise au principe de légalité sous le contrôle de son juge pour que la fin, aussi noble soit-elle, ne justifie que l’engagement de moyens légaux et proportionnés.

Votre commission des lois a tenu à renforcer cette exigence en rendant le contrôle du Conseil d’État effectif, car il ne l’était pas, sans pour autant entraver l’action publique quand elle respecte la loi.

Il faut que le juge puisse facilement être saisi en cas d’abus.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Si l’on veut vraiment donner au Conseil d’État un rôle régulateur, il faut qu’il soit amené à se prononcer assez souvent. C’est pourquoi votre commission des lois a prévu qu’il suffirait de trois membres de la CNCTR pour contester une mesure de surveillance devant la haute juridiction.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le Conseil d’État verra ainsi ses pouvoirs renforcés : il pourra suspendre les mesures contestées, les annuler, ordonner la destruction des renseignements recueillis, indemniser les victimes d’une surveillance irrégulière. La trame de ses décisions, revêtues de l’autorité de la chose jugée, permettra d’établir progressivement un guide précis de la légalité des autorisations données aux services spéciaux, auquel le Premier ministre devra se soumettre.

Chacun doit être bien convaincu, à commencer par les agents des services spécialisés eux-mêmes, que le Conseil d’État, à partir d’un accès illimité aux pièces du dossier, pourra intervenir vite et fort, en annulant les actes qu’il aura jugés illégaux et en ordonnant la destruction de tous les documents et informations irrégulièrement réunis.

La loi devra aussi reconnaître la place essentielle du juge pénal, que la CNCTR et le Conseil d’État devront pouvoir saisir.

En donnant sous de strictes conditions un cadre légal à des pratiques de renseignement aussi intrusives et exceptionnelles que la pose de micros dans des domiciles ou des bureaux, l’installation de balises dans des véhicules ou la captation à distance des données du disque dur d’un ordinateur, la loi rejettera dans la catégorie des délits les mêmes agissements mis en œuvre en dehors de ce cadre.

Elle ouvrira ainsi un nouveau champ d’action au juge pénal pour condamner et punir toute dérive illégale d’agents des services spécialisés. Tout ce qui n’entre pas dans le cadre légal pourra désormais relever du délit d’atteinte au respect de la vie privée ou de violation du domicile. La commission a souhaité que la loi le dise expressément.

Nous avons aussi voulu asseoir l’autorité de la Commission nationale en instaurant un délit d’entrave sanctionné par le juge pénal si un service de l’État refuse de répondre à ses demandes.

Enfin, si l’objet d’une demande de surveillance par une technique de renseignement relève en réalité de la police judiciaire, la demande devra être réorientée vers le procureur pour déclencher une enquête judiciaire.

Le Sénat aura à trancher de nombreuses autres questions : la protection des journalistes, des avocats et des parlementaires, le rôle du renseignement pénitentiaire, les délais de conservation des renseignements recueillis par les services, l’étendue et la portée du nouveau fichier antiterroriste, le cantonnement des procédures d’urgence à des situations réellement exceptionnelles, la mission spécifique des parlementaires dans la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la place des lanceurs d’alerte...

Dans tous les cas, nous aurons à le faire en défenseurs des libertés, mais aussi avec le souci de l’efficacité de l’action publique, conscients de l’importance des enjeux d’intérêt national que nous avons à relever.

Fidèle à sa tradition, le Sénat entend ainsi être une fois de plus au rendez-vous de l’état de droit.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE. – MM. Alain Richard, Didier Guillaume et Yannick Vaugrenard applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, liberté et sécurité, la dialectique n’est pas nouvelle. Toutefois, placer les activités des services de renseignement dans un cadre défini par le législateur constitue une marque de maturité pour une démocratie et un progrès considérable de l’État de droit.

La démarche est ambitieuse, monsieur le Premier ministre : le législateur doit agir en responsabilité, son action est nécessaire et il est parvenu, me semble-t-il, au terme du travail en commission, à un équilibre raisonnable.

La démarche entreprise est ambitieuse, il faut le souligner. Nous saluons, monsieur le Premier ministre, cette ambition, d’autant qu’elle n’est pas toujours présente dans les textes qui nous sont soumis ici.

M. le Premier ministre sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Longtemps on a considéré qu’un tel texte risquait d’affaiblir les capacités des services. Or ce risque, selon moi, n’est pas avéré si l’on procède avec précaution. Dans une société démocratique marquée par la liberté de communication et le renforcement du droit, c’est l’absence de cadre légal qui constitue un risque. Légiférer, asseoir la légitimité des services, mieux faire comprendre leurs missions, ce n’est donc pas, de mon point de vue, les affaiblir, mais, au contraire, les renforcer.

Mes chers collègues, pensez une seconde à l’état de notre République, à laquelle nous sommes attachés, si un criminel terroriste, après avoir multiplié les méfaits et étant sorti de ces aventures de manière positive quant à sa santé, intentait un procès aux instances de la République et parvenait à le gagner parce que les services auraient employé des techniques illégales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Quel ridicule la République devrait affronter !

Nous devons légiférer en la matière pour protéger l’action de nos services.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Légiférer n’est évidemment pas chose facile, car le législateur doit agir en faisant preuve d’une double responsabilité : responsabilité à l’égard de nos concitoyens, qui doivent évidemment bénéficier d’une politique efficace du renseignement, en mesure de les protéger contre des risques graves de déstabilisation ou d’attentats sans que soit mis en place un système abusivement intrusif ; responsabilité aussi à l’égard des services de renseignement, des fonctionnaires et militaires qui les servent, qui effectuent un travail remarquable, il convient de le souligner à cette tribune, la plupart du temps dangereux, dans des conditions toujours difficiles et dont les succès sont par construction voués à rester dans l’ombre quand des difficultés apparaissent, et sans jamais être mis en valeur en cas de réussite.

Ces agents aspirent à œuvrer pour la France dans un cadre juridique stable, solide, légitime, mais qui garantisse aussi l’efficacité et la confidentialité des opérations qu’ils conduisent.

Il sera donc toujours question, lors de la discussion de ce texte et au cours des procédures qui seront mises en œuvre, de la recherche de l’équilibre.

Ce texte était évidemment attendu depuis longtemps. Il n’est en réalité exceptionnel que parce qu’il est le premier du genre dans notre pays, et qu’il met fin à une exception parmi les démocraties avancées.

Ce texte est également nécessaire pour répondre à l’évolution des menaces et servir principalement, et là est l’essentiel, les intérêts de notre pays.

Telle est l’opinion de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Ce texte réaffirme la notion de « politique publique de renseignement » et la précise en s’appuyant sur deux notions très importantes définies par le législateur : la stratégie de sécurité nationale, d’une part, et la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la nation, d’autre part. C’est très important !

Il pose également la qualité première de l’État en la matière, autrement dit sa compétence exclusive. Il consolide l’importance de la réorganisation qui a été engagée au sein de nos services.

Ce projet de loi présente le mérite de rappeler que les missions et les finalités pour lesquelles ces services peuvent recourir à des techniques spécifiques, sauf exception, ne se limitent pas à la seule prévention du terrorisme. Il s’agit d’un point important que nous aurons à débattre en ce qui concerne les finalités.

Le spectre des menaces est en effet beaucoup plus large et inclut notamment la lutte contre toute forme d’ingérence étrangère, contre l’espionnage industriel et scientifique, dont on ne parle pas suffisamment, et contre la criminalité et la délinquance organisées. Nous sommes focalisés sur le terrorisme, mais pensons à l’élargissement des finalités. En outre, l’action des services s’étend à la collecte d’informations destinées à permettre aux autorités de notre pays d’effectuer en toute autonomie les choix nécessaires à la conduite de la politique étrangère et – ce qui est fondamental aussi, monsieur le ministre, de défense. Au fond, il est rare, dans notre pays, que l’on puisse renforcer la République en affaissant l’exécutif. De ce point de vue, sur tout ce qu’est le régalien, il est important que nous soyons rassemblés pour que le régalien puisse disposer des outils nécessaires à l’exercice de son autorité.

L’extension à des nouvelles techniques est nécessaire pour l’ensemble de nos pratiques. Les menaces se sont amplifiées et leurs modes d’action deviennent, chacun le constate, extrêmement sophistiqués. Celui qui ne se dote pas de moyens d’action performants se place en situation de faiblesse. Il est donc très important de préserver les capacités des services en les autorisant à recourir à des techniques modernes de recueil de renseignement. Il y a là une course, dans laquelle l’autorité ne peut pas accepter une position de recul ou de retrait.

Encore faut-il que l’usage de ces techniques s’inscrive, évidemment, dans un cadre légal qui limite celui-ci et garantisse la protection contre les atteintes abusives à la vie privée et aux libertés. C’est une mission historique du Sénat, comme Philippe Bas, président-rapporteur de la commission des lois, vient de le démontrer avec talent, précision et rigueur.

Il ne s’agit donc pas, pour nous, d’une loi d’exception ; ce texte n’a d’exceptionnel que d’intervenir dans un domaine non encore saisi par le droit.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Voilà !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

De mon point de vue, il est parvenu à un équilibre raisonnable et globalement responsable.

Pour ce faire, nous avons déposé un certain nombre d’amendements au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Nous avons apprécié que la grande commission des lois sénatoriale de notre République

Murmures d’admiration.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Toutes les commissions sont grandes !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

… ait bien voulu accepter les amendements de la commission des affaires étrangères.

Grâce à cette démarche, dont je remercie M. le président-rapporteur et tous les membres de la commission des lois, monsieur Sueur, de l’opposition comme de la majorité, nous avons mis en œuvre une coopération constructive et fertile.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

C’est à mon sens l’une des conditions de la mobilisation en faveur de ce texte. Je rejoins à ce propos M. le Premier ministre, car sur des questions de cette nature l’autorité d’un texte dépend aussi de la qualité de la majorité qui le vote. Je me souviens d’un texte sur le voile à l’école qui a pu avoir cette autorité en raison du rassemblement autour du gouvernement de l’époque.

Sur ce point, on a vu, avec la commission des lois, un certain nombre de progrès très importants enregistrés.

On a pris en compte la notion d’intérêts fondamentaux de la nation – c’est, je crois, essentiel – dans la définition des missions et des finalités.

On a redimensionné la CNCTR, après avoir auditionné les responsables des différentes autorités. Plus le nombre des membres d’une autorité est important, moins celle-ci est efficace en général.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Une CNCTR comptant neuf membres serait plus efficace que si elle en comprend treize.

On a conforté la légitimité et l’indépendance du président de la CNCTR, grâce à la proposition de loi organique que Philippe Bas et moi-même avons présentée, le Sénat participant à la procédure de nomination de celui-ci.

On a revu la durée de conservation des correspondances interceptées pour qu’elle soit raisonnable.

On a limité un angle mort dans la capacité d’agir des services, instauré par l’interdiction absolue de procéder à la mise en place de certains dispositifs lorsque les personnes visées appartiennent à des professions protégées, ce qui fournit parfois des couvertures faciles pour des agents étrangers, des terroristes ou des criminels. Le recadrage de ce dispositif constitue un progrès.

On a aussi rendu plus intelligibles les dispositions relatives à certaines techniques.

On a actualisé la rédaction des dispositions ayant trait à la délégation parlementaire au renseignement, instance responsable, liée par le secret défense, pour débattre avec l’exécutif des questions les plus sensibles sur ces sujets.

Le travail en séance publique consistera donc à parfaire les points restant en discussion.

Je vous présenterai certains amendements sur lesquels il me semble utile que le Sénat tout entier puisse se prononcer en responsabilité.

Première préoccupation : les intérêts de la politique étrangère dont la qualification par l’épithète « essentiel » me paraît dangereuse, car dans ce domaine, seul l’exécutif doit assurer une réelle prééminence pour définir ce qui est essentiel dans la politique étrangère du pays.

Deuxième préoccupation : la nature de la délégation du pouvoir d’autorisation du Premier ministre à certains de ses collaborateurs.

Monsieur le Premier ministre, vous avez proposé tout à l’heure une avancée. Je pense que c’est utile et nous allons travailler de manière positive sur ce sujet. Néanmoins, spontanément, l’idée que six personnes à Matignon auxquelles s’ajouteront un certain nombre d’autres dans les différents cabinets puissent intervenir à la place de l'autorité politique nous paraît dangereuse si elles ne sont pas en responsabilité avec des délégations.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Les membres du cabinet du Premier ministre sont, naturellement, investis d’importantes responsabilités. Toutefois, pour l’heure, le présent texte ne permet en rien de telles délégations !

Je vous livre ma conviction profonde : avec un tel projet de loi, les systèmes de contrôle mis en œuvre par les pouvoirs publics n’exposent pas les libertés fondamentales à de grands dangers.

Voici ce que je redoute le plus : que des agents privés entreprennent d’employer ces technologies, lesquelles sont assez bon marché, pour créer des offices extérieurs, sur lesquels aucun contrôle ne serait exercé. §De tels acteurs, s’ils étaient dépourvus de toute éthique, pourraient s’employer à déstabiliser telle entreprise, telle organisation, tel parti politique ou tel autre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. En conséquence, je crains qu’un certain nombre de personnes, pour avoir eu accès, à un moment ou un autre, du fait de telle ou telle nomination, à un certain nombre de responsabilités, ne se retrouvent, deux ans après les avoir exercées, à proposer leurs services à telle ou telle organisation, à telle ou telle structure.

Applaudissementssur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – MM. Daniel Reiner, Bernard Lalande et Jacques Mézard applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Mes chers collègues, je crois à l’éthique de l’État. Je crois à la responsabilité de ceux qui le servent : si les délégations sont assurées dans le cadre d’un dispositif bien défini, il n’y a, à mon sens, pas de danger à craindre. Toutefois, au cas où ces délégations seraient plus confuses, et où elles s’inscriraient dans un dispositif moins précis, je serais, je vous l’avoue, très inquiet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Monsieur le Premier ministre, vous avez, il y a quelques instants, évoqué une orientation par laquelle nous pourrons, à mon sens, aboutir à un accord.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Notre troisième et dernier sujet de préoccupation, c’est la protection du secret de la défense nationale.

Du fait de cette réforme, il serait possible d’accéder au secret défense ès qualités.

Bien sûr, il semble un peu subversif d’émettre des doutes quant à la légitimité de hautes autorités, juridiquement compétentes, à disposer de cette attribution ès qualités.

Néanmoins, je tiens à le rappeler : l’habilitation doit rester la procédure de droit commun. En conséquence, il ne doit être possible d’y déroger que de manière assez exceptionnelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Préserver le secret défense, c’est protéger non seulement les informations communiquées mais aussi les personnes qui en sont les détentrices. Il convient donc à la fois de protéger les messages transmis, leurs dépositaires et les institutions. Permettre un accès aux informations classées secret défense sans imposer les procédures d’habilitation pose tout de même problème.

M. Pierre Charon opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Je ne ferai pas de cette question un sujet de rupture majeure. Toutefois, j’attire l’attention des uns et des autres sur ce point. J’invite en particulier M. le ministre de la défense à faire preuve de compréhension : le secret défense n’est pas une réalité banale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

On ne peut y accéder du fait d’un simple statut. Il est lié à des fonctions et il engage la responsabilité de celui qui y accède. Si un statut ès qualités est bel et bien défini, il faudra veiller à ce que les dérogations soient aussi peu nombreuses que possible.

Enfin, – ce point est, à mon sens, capital – l’efficacité de cette réforme dépendra pour une large part des moyens budgétaires et financiers alloués à l’ensemble du dispositif.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

D’une part, il faudra garantir les moyens budgétaires nécessaires ; d’autre part, il faudra s’efforcer de limiter au mieux le caractère bureaucratique des procédures fixées.

Nous comprenons bien et nous approuvons les procédures proposées via le présent texte. Cependant, nous observons que tout ce dispositif va engendrer une immense organisation administrative et bureaucratique. Il faudra donc veiller attentivement au bon usage des moyens alloués et à l’efficacité des procédures.

À mon sens, cet impératif est de la plus grande importance. Il s’applique à la CNCTR, qui va exiger un certain nombre de moyens humains et budgétaires, ainsi qu’au groupement interministériel de contrôle, le GIC, dont les besoins, eux aussi, seront considérables. Il faut être conscient de tous ces impératifs.

Monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, au bénéfice de ces observations, que nous détaillerons dans la suite de nos débats, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées donne un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi relatif au renseignement.

À l’heure où, dans ce pays, tout le monde se sent républicain

Exclamations sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

, il faut donner à notre République les moyens d’assurer sa conservation !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – plusieurs sénateurs du groupe socialiste applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, messieurs les présidents-rapporteurs, mes chers collègues, les précédentes interventions nous l’ont prouvé, si besoin en était : les grandes difficultés de la période actuelle exigent le rassemblement de la représentation nationale, vis-à-vis de ceux qui voudraient remettre en cause les fondements mêmes de notre République.

Voilà pourquoi, à nos yeux, le présent texte est fondamental pour nos institutions. Républicains que nous sommes

Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

… nous tenons à promouvoir l’état de droit, nous défendons les libertés individuelles, et nous voulons et assumons la sécurité pour tous.

Dans ce cadre, les membres du groupe socialiste et républicain sont favorables au présent texte, qu’ils voteront.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Deux de mes éminents collègues, Jean-Pierre Sueur et Michel Boutant, détailleront nos propositions, en revenant sur le travail accompli et sur les amendements que nous avons déposés.

Pour ma part, je tiens à le dire d’ores et déjà : les travaux menés par la commission, sous la houlette de M. Bas, se sont révélés de grande qualité. Ont été mises sur la table des propositions d’avancées émanant de tous les groupes. C’est sur cette base que le Sénat va devoir améliorer encore ce projet de loi. M. le Premier ministre, en ouvrant nos débats, a clairement indiqué qu’il laissait des portes ouvertes.

En outre, les sénateurs de tous les groupes se sont accordés sur un point : l’objectivité de ce projet de loi.

Malheureusement, ce texte, comme beaucoup d’autres, est devenu l’objet de polémiques et le sujet de nombreuses entreprises de désinformation, notamment de la part de personnes qui, sans doute, ne l’ont pas lu...

À cet égard, je tiens à formuler quelques rappels assez simples.

Nous ne pouvons plus laisser dire que ce texte est une loi de circonstance. C’est faux ! Faut-il rappeler les attaques terroristes de janvier, la cyberattaque menée, en avril, contre TV5 Monde ? La France a été ébranlée en janvier, elle a été secouée en avril. Ce sont nos valeurs qui ont été visées. Des Français sont morts sous les balles des terroristes, parce qu’ils étaient juifs, parce qu’ils étaient dessinateurs, parce qu’ils étaient policiers, et, tous autant qu’ils étaient, parce qu’ils représentaient la France et nos valeurs.

Face à une telle situation, il faudrait rester inactif, pour ne pas sembler suivre les circonstances ? Non. Le Gouvernement a eu pleinement raison de presser le pas. Avec tout le travail qu’il a engagé et que nous avons poursuivi, il nous demande de ne pas mollir, il nous enjoint d’agir pour protéger les Français.

Nous ne pouvons pas non plus laisser dire que le présent texte est une loi d’exception contre le terrorisme. C’est là un mensonge, un instrument de désinformation !

M. le Premier ministre l’a rappelé : il n’y aura aucune mesure d’exception. Ce texte n’est en aucun cas un P atriot Act à la française. Au reste, nous, socialistes et républicains, nous sommes toujours opposés aux lois d’exception.

Ce que nous souhaitons, c’est que cette loi soit un cadre pour notre nation, pour notre République, et une adaptation de notre droit aux outils modernes dont les terroristes, les djihadistes font usage, et dont nos services ne disposent peut-être pas totalement aujourd’hui.

Enfin, nous ne pouvons plus laisser dire que cette loi est liberticide. Ce propos est, lui aussi, un mensonge, et relève de la désinformation.

M. Bas a rappelé, à juste titre, que le Sénat a pour tradition de défendre toutes les libertés.

Pour ma part, je tiens à poser de nouveau cette question à cette tribune : qui est l’ennemi des libertés fondamentales ? Qui utilise des moyens technologiques modernes pour affaiblir nos défenses collectives ? Qui attaque nos valeurs et nos institutions ? Non les parlementaires, par leurs débats et leurs discussions, mais tout simplement ceux que nous entendons combattre : les ennemis de la France, les ennemis de la République ; ces terroristes, soldats d’une variante contemporaine de l’idéologie totalitaire.

Oui, ce sont ces ennemis que nous devons combattre. Nous ne devons pas, en refusant de riposter, laisser leurs idées gagner du terrain. La France est un grand pays, et la France doit se défendre !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Le véritable enjeu, c’est bien entendu notre capacité à nous protéger tout en préservant et en garantissant les libertés. J’insiste sur ce point. Comment nous défendre contre de telles attaques sans entraver les libertés fondamentales ? Tel est le point essentiel, tel est l’équilibre que nous devons garantir.

Au demeurant, ce projet de loi est un texte d’équilibre.

Le Gouvernement, l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat ont déjà apporté des réponses. Je ne doute pas que, par ses débats en séance publique, la Haute Assemblée poursuivra dans cette direction.

Nous avons besoin d’une loi-cadre définissant la mission de renseignement, pour mieux empêcher d’éventuelles pratiques arbitraires, pour garantir les droits et libertés et surtout pour donner aux services concernés des moyens modernes de renseignement, ce pour assurer la protection de tous.

Mes chers collègues, nous en sommes, comme vous tous, convaincus : les Français aiment la liberté plus que tout, mais en y joignant une exigence, celle de la sécurité. Ils demandent beaucoup de liberté, mais ils veulent que nous les protégions, que la France, que la République soient défendues.

Cette exigence de sécurité, cette garantie des libertés sont au fondement de l’équilibre atteint, via ce projet de loi, par la commission et par le Gouvernement. C’est dans ce cadre que nous devons avancer, en donnant aux services de renseignement de notre pays des techniques et des moyens modernes, à la hauteur des enjeux.

Je tiens à remercier sincèrement Mme la garde des sceaux, M. le ministre de la défense et M. le ministre de l’intérieur de leur écoute et du travail qu’ils ont accompli. Par ce texte, ils ont assuré la défense des libertés de notre République tout en agissant avec fermeté pour la protection de chacun. J’insiste sur ces enjeux.

Au cours de ces discussions, n’oublions pas notre but essentiel, notre objectif premier : renforcer notre défense, dans un contexte de guerre contre le terrorisme.

Je me réjouis que nombre de groupes de la majorité et de l’opposition aient pu se rassembler, dans le but que MM. Bas et Raffarin viennent de rappeler : défendre la République, ses institutions et ses valeurs, tout en protégeant les Français.

Oui, cher Jean-Pierre Raffarin, dans ce cadre, l’autorité de l’État sera respectée. Il faut que tous les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, que tous les responsables politiques, jusqu’au plus haut niveau, le disent et le répètent.

Il n’est pas question, comme on l’entend parfois encore en province, de « barguigner ». §On a toujours de bonnes raisons pour critiquer un dispositif, au motif qu’il présente telle carence ou tel excès. Toutefois, une chose est sûre : rassemblée, la France pourra l’emporter face au terrorisme, en donnant à ses services les moyens nécessaires. Divisée, la France faiblira, oubliera ses intérêts, ses valeurs et son histoire et, vraisemblablement, perdra.

Mes chers collègues, faisons vivre le débat, au cours des heures et des jours qui viennent. Agissons pour la sécurité de notre pays, en adoptant ce texte d’équilibre sur le renseignement !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa et M. Yves Détraigne applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, j’ai souvent eu l’occasion de le rappeler à cette tribune : les élus du groupe écologiste restent réservés quant au recours quasi systématique à la procédure accélérée. Les tenants de l’actuelle majorité ne se privent pas de l’employer, oubliant que, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, eux-mêmes n’avaient pas de mots assez durs, à ce sujet, pour l’ancienne majorité, …

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

… laquelle, d’ailleurs, faisait de même !

De ce fait, le Parlement se trouve empêché d’accomplir son travail dans de bonnes conditions et de manière approfondie.

En son principe, l’initiative défendue par le Gouvernement, à savoir la volonté même de légiférer sur le renseignement, ne paraît, a priori, ni illégitime ni superflue.

Cela étant dit, deux questions essentielles méritent, aujourd’hui, d’être clairement posées : premièrement, le présent projet de loi répond-il réellement, concrètement aux attentes légitimes de nos concitoyens ? Deuxièmement, le détail de ses dispositions est-il bel et bien compatible avec l’esprit même de notre démocratie ?

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les membres du groupe écologiste ne sont pas partis en guerre contre un texte qu’ils percevraient, en tant que tel, comme liberticide. Bien au contraire, ils s’efforceront d’être avant tout porteurs de propositions.

Les attentats de janvier ont bouleversé la France. En cet instant, je pense aux dix-sept victimes de ces attaques ainsi qu’à leurs familles. Je rends hommage aux millions de Français descendus dans la rue le 11 janvier pour crier leur indignation, leur attachement à la liberté d’expression, leur refus du racisme et de l’antisémitisme.

À nous de ne pas les décevoir. Que pouvons-nous faire, lucidement, pour éviter que cela ne se reproduise ?

La majorité actuelle a répondu aux attentats perpétrés par Mohamed Merah à Toulouse en mars 2012 par la loi du 21 décembre 2012 sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Cette loi n’a pas empêché Mehdi Nemmouche d’assassiner quatre personnes au musée juif de Bruxelles le 25 mai 2014. Un nouveau texte a alors été voté en procédure accélérée le 23 novembre 2014, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Deux mois plus tard, les 7 et 9 janvier 2015, nous étions confrontés aux massacres de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes.

Le tempo est donné. L’idée est d’agir vite, d’endiguer les peurs, et de parer au mieux les critiques envers les services de renseignement, qui fusent dans les médias. Le projet de loi dont nous débattons n’a pas d’autre genèse. Il viendrait, en outre, légaliser des pratiques qui ont déjà cours. Si tel était le cas, pourquoi n’ont-elles pas empêché la perpétuation des actes terroristes ? Pourquoi les légaliser si elles n’ont pas prouvé leur efficacité ? Ne peut-on se poser la même question concernant tous les textes antiterroristes antérieurs, qui, eux non plus, n’ont pas été efficaces ?

De toute évidence, le cadre répressif systématiquement privilégié dans notre lutte, certes légitime, contre le terrorisme peine à donner des résultats. Au lieu de combiner cette action répressive avec d’autres, on se contente d’empiler des textes d’inspiration identique, supposés rassurer les Français. On appelle cela une fuite en avant, de l’affichage, ou les deux !

Mais ce projet de loi va plus loin. Ne se limitant pas à la lutte contre le terrorisme, il s’immisce dans de vastes espaces de la vie sociale. Il menace d’empiéter sur nos libertés individuelles et professionnelles. Il met notre démocratie en danger. En cela, il accorde, hélas ! une victoire posthume aux terroristes eux-mêmes.

Aurons-nous seulement les moyens humains et techniques adaptés, proportionnels, pour traiter, comme le fait le Pentagone, les données massives auxquelles nos services de renseignement auront accès ?

Faut-il d’ailleurs ajouter, au passage, que la NSA elle-même a dû suspendre provisoirement son programme de collecte massive des métadonnées téléphoniques, faute d’accord avec le Sénat américain ?

On sait où commence la course au renseignement mais on ne sait pas toujours où elle aboutit. Les lecteurs du Monde daté du 31 mai ont pu découvrir, page 2, comment Paris a fourni à Berlin une technologie qui a permis aux Allemands et aux Américains de surveiller – devinez qui ! – les Français et leur industrie !

Nous faisons aujourd’hui le pari – risqué – que les gouvernements à venir seront dignes de la confiance que nous voulons bien accorder au vôtre, monsieur le Premier ministre, et qu’ils n’abuseront pas de ce texte pour nous enfermer dans une sorte de prison virtuelle, nous surveillant en permanence, au mépris de nos libertés, au mépris, tout simplement, de notre humanité.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Science-fiction, direz-vous. Peut-être. Anticipation, plutôt. L’avenir que je redoute n’est peut-être pas si lointain.

C’est au XVIIIe siècle qu’ont été écrites les lignes que je vais vous lire maintenant. On dirait qu’elles nous parlent d’aujourd’hui, ou plutôt de demain : « Si l’on trouvait un moyen de se rendre maître de tout ce qui peut arriver à un certain nombre d’hommes, de disposer tout ce qui les environne de manière à opérer sur eux l’impression que l’on veut produire, de s’assurer de leurs actions, de leurs liaisons, de toutes les circonstances de leur vie, en sorte que rien ne pût échapper, ni contrarier l’effet désiré, on ne peut pas douter qu’un moyen de cette espèce ne fût un instrument très énergique que les gouvernements pourraient appliquer ». Ces phrases terribles, écrites en 1786 par l’économiste anglais Jeremy Bentham, précèdent un traité d’architecture visionnaire dans lequel toute la société répressive est imaginée, dessinée, construite, et a pour nom « Panoptique ».

Qui a lu Le Panoptique de Bentham ne peut, face à ce projet de loi, manquer de s’en souvenir. §Je vous recommande à tous cette lecture. Sa traduction française a été publiée sur ordre de l’Assemblée nationale révolutionnaire en 1791. Autres temps, autres mœurs…

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Hummel

O tempora o mores, mais pour cela, il faut connaître le latin.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Détourné de son but initial, le texte qui nous est soumis peut conduire tout droit à un Panoptique moderne, à savoir à la visibilité de tous et de chacun « organisée entièrement autour d’un regard dominateur et surveillant », disait Michel Foucault.

L’article 1er du projet de loi relatif au renseignement dont nous débattons, qui énumère les intérêts publics susceptibles de justifier le recours aux techniques de renseignement envisagées par le texte, est capital. Il définit le champ d’application de l’ensemble du texte.

Or, parce que l’exercice du renseignement implique de potentielles atteintes à des libertés individuelles à valeur constitutionnelle, la définition de ce champ d’application doit être la plus restrictive possible.

Je salue le travail de notre rapporteur, Philippe Bas, et de la commission des lois, qui a souhaité préciser, dès le début du texte, que les activités des services de renseignement s’exercent dans le respect du principe de légalité, sous le contrôle du Conseil d’État.

La précision est utile. Mais le champ d’application des finalités poursuivies par la mise en œuvre des techniques de renseignement nous paraît, à nous écologistes, encore bien trop large et porteur de dérives.

Nous proposerons donc des amendements pour le ramener au strict nécessaire et le rendre aussi précis que possible.

Nous nous réjouissons d’ailleurs que notre proposition d’exclure l’administration pénitentiaire du deuxième cercle de la communauté du renseignement, portée également par le rapporteur et d’autres groupes, ait été adoptée. Il s’agissait d’un amendement de Mme la garde des sceaux, ici présente.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

L’article 1er définit également la procédure d’autorisation de recours à ces techniques, procédure au centre de laquelle se trouve la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, ou CNCTR, qui aurait vocation à être saisie de demandes portant sur l’ensemble des techniques de renseignement reconnues par la présente loi.

C’est à l’article 2 que l’on trouve la liste des techniques de renseignement soumises à autorisation. Recueil des données de connexion – informatiques ou téléphoniques –, interceptions de sécurité – écoutes téléphoniques administratives –, dispositifs mobiles de proximité – IMSI catchers –, géolocalisation, enregistrement des paroles ou des images d’une personne et captation de ses données informatiques, ou encore interceptions de communications électroniques émises ou reçues de l’étranger, autant de dispositifs risquant de porter atteinte aux libertés individuelles et publiques.

Ces techniques ainsi que la procédure d’autorisation permettant leur utilisation ont fait, à juste titre, couler beaucoup d’encre, y compris au sein de notre commission.

Ce débat n’oppose pas, d’un côté, les « pour », qui voudraient lutter contre le terrorisme et, de l’autre, les « contre », dangereux laxistes ne supportant aucune restriction à l’usage d’internet.

Nous sommes seulement des citoyens aspirant à ce que la menace terroriste soit réduite, mais craignant aussi l’invasion de notre vie privée, et refusant de brader nos libertés au pouvoir pour une sécurité hypothétique.

Des autorités administratives indépendantes comme la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et la CNCDH, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ainsi que de nombreuses associations critiquent ce projet de loi.

Pas plus qu’elles, nous ne suspectons les intentions du Gouvernement, bien au contraire. Mais l’on sait que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Michelle Demessine et M. Bernard Lalande applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous commençons à discuter aujourd’hui vise à définir un cadre juridique clair et unifié pour les activités de renseignement. S’il tend à réformer l’ensemble des services du renseignement, avec un large champ d’application, il va sans dire que son examen a été accéléré, et ses dispositifs renforcés, à la suite des attentats de janvier 2015.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen affirment que les actions terroristes auxquelles le monde doit faire face aujourd’hui doivent être fermement combattues. En cela, notre détermination est sans faille et nous avons salué l’immense mobilisation citoyenne des 10 et 11 janvier dernier, sous le sceau républicain, face à l’agression terroriste qui a touché notre pays.

Nous partageons le souci du Gouvernement d’assurer la sécurité de nos concitoyens. Notre République doit se doter de moyens à sa hauteur pour assurer un cadre de vie serein sur son territoire. Mais cela ne doit, en aucun cas, se faire au détriment de la protection des libertés individuelles.

À ce sujet, soyons clairs : le Gouvernement n’a pas le monopole du souci de la sécurité ni le Parlement celui de la protection des libertés. Comme cela a été très justement souligné en commission des lois, tâchons de ne pas considérer ceux qui critiquent le texte comme des ennemis de la sécurité et ceux qui ne souhaitent pas l’améliorer comme des ennemis de la liberté.

La tension entre liberté et sécurité a toujours existé et son équilibre est fragile. La complexité de cette question et la nature même des activités de renseignement méritent un débat de fond à la hauteur de l’enjeu, débat que la procédure accélérée ne permet malheureusement pas.

Je relève d’ailleurs que Mme Marylise Lebranchu s’est félicitée, à l’occasion du vote sur le texte précédent, des améliorations rendues possibles par la deuxième lecture.

Dans le domaine qui nous occupe maintenant, une deuxième lecture aurait été souhaitable. Le sujet pouvait en effet largement justifier que la navette parlementaire ménage aux deux assemblées le temps nécessaire pour parvenir à cet équilibre, délicat, entre sécurité et liberté.

Alors que cette réforme est censée être attendue depuis 1991, le Gouvernement noie les parlementaires et la société civile sous un flot de termes techniques, au prétexte de l’émotion encore récente née des attentats de janvier.

Au-delà du rythme effréné du travail législatif actuel, dans lequel prend place ce débat, ce projet de loi suscite plusieurs inquiétudes profondes.

Elles ont trait, tout d’abord, à la légalisation automatique de pratiques jusqu’à présent illégales – décrites comme « a-légales » par le Gouvernement – et à l’instauration de nouvelles techniques de surveillance : boîtes noires, algorithmes sur métadonnées, IMSI catching.

Si l’utilisation de mouchards auscultant l’ensemble du trafic n’est pas une nouveauté, le projet de loi permet en revanche à la France de rejoindre la Russie dans le club très fermé des pays où le droit les autorise expressément ! Le régime d’exception devient donc la norme.

Avec l’ensemble de ces techniques, le Gouvernement se dote, si vous me permettez l’expression, d’un chalut pour aller pêcher l’anguille, autrement dit, d’un arsenal de surveillance de masse.

Vous nous rétorquerez sans doute, monsieur le ministre, comme vous l’avez fait à l’Assemblée nationale, que les collectes de données prévues ne lèveront pas les identités. Peu importe ! Avec la collecte de données généralisée, nous sommes déjà dans un État de surveillance.

Dans l’affaire Amann c. Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, en février 2000, que la simple mémorisation par une autorité publique de données personnelles relatives à un individu portait atteinte à sa vie privée, en précisant que « l’utilisation ultérieure des informations mémorisées import[ait] peu ».

En outre, le champ d’action de ces techniques sera très étendu, et ses motifs seront très flous : les « intérêts essentiels de politique étrangère », les « violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique », etc.

« Naturellement, il n’y avait pas moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé », se lamentait Winston Smith, le protagoniste de George Orwell. De 1984 à 2015, n’y a-t-il qu’un pas ? Ce qui n’est qu’une simple image aujourd’hui sera la sombre réalité de demain, voilà ce que laisse présager ce texte.

Les craintes nées de l’usage de tels dispositifs se nourrissent de la quasi-inexistence de recours, eu égard, d’une part, à la faiblesse de l’institution de contrôle créée, la CNCTR, et, d’autre part, à l’insuffisance du contrôle juridictionnel a posteriori, confié au Conseil d’État.

L’articulation entre l'ordre administratif et l'ordre judiciaire est extrêmement complexe, et le rôle considérable donné dans ce projet de loi à la justice administrative nous laisse sceptiques. Nous ne contestons pas la compétence du Conseil d’État, mais nous savons bien qu’il y existe une certaine porosité avec le pouvoir exécutif.

Le dispositif est donc placé entre les mains de l’exécutif. Il s’agit d’un projet par l’État pour l’État qui semble organiser l’impunité des agents de surveillance. Car c’est d’abord à la protection des agents de sécurité que ce texte œuvre, d’ailleurs très bien. Alors que les citoyens sont, en matière de renseignement, les cibles potentielles de la surveillance étatique, la garantie de leurs libertés n’est que secondairement l’objet de ce texte.

Certes, la commission des lois du Sénat, dont je veux ici saluer le travail, a tenté d’apaiser ces inquiétudes. Concernant le périmètre des services de renseignement, notamment, la commission n’a pas repris le choix de l’Assemblée nationale d’intégrer l’administration pénitentiaire dans le « deuxième cercle » de la communauté du renseignement ; elle a ainsi placé les détenus dans une situation juridique équivalente à celle qui est applicable aux autres citoyens.

Sur l’usage de nouvelles techniques, la commission a estimé que l’intrusion dans la vie privée que représentait chacune d’entre elles appelait un encadrement d’autant plus strict que l’intrusion est forte, en apportant des limites aux dispositions des articles 2 et 3.

Néanmoins, si ces améliorations vont dans le bon sens, elles ne se cantonnent, hélas ! qu’à des définitions plus recentrées ou des délais réduits. L’état d’esprit du texte demeure, quant à lui, inchangé : multiplication des techniques de surveillance généralisée et artificialité des recours restent à l’œuvre.

Nous ne pouvons donc que partager les inquiétudes sérieuses émises tant par les défenseurs des libertés publiques que par les professionnels du numérique : de la CNIL au Conseil national du numérique, des opérateurs télécoms aux fournisseurs d’accès à internet, du syndicat de la magistrature à l’ordre des avocats de Paris en passant par le juge antiterroriste Marc Trévidic, de l’association La Quadrature du net à Amnesty International, tous dénoncent une extension préoccupante de la surveillance. L’inquiétude s’étend jusqu’au commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui s’émeut d’une « approche exclusivement sécuritaire », dénonçant un projet qui « dépasse largement la lutte contre le terrorisme ».

Face à ces inquiétudes profondes et communes, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, vous avez, jusqu’à présent, consenti une écoute polie, tout en restant déterminés. Nous espérons que, dans cet hémicycle, vous accepterez peut-être d’écouter plus attentivement nos craintes légitimes.

Pour rendre le texte acceptable, il faudrait, selon nous, le réécrire entièrement, aux termes d’une large concertation et d’une réflexion approfondie. Néanmoins, nous vous proposerons plusieurs amendements, qui visent notamment à supprimer le dispositif des boîtes noires, à limiter l’utilisation des IMSI catchers à la seule fin de lutte contre le terrorisme, et à renforcer les pouvoirs de la CNCTR.

Tous les professionnels du renseignement et des réseaux s’accordent à dire que ce texte ne permettra de déjouer aucun attentat.

Au cours de son examen, nous porterons haut et fort la voix des citoyens qui ne veulent ni renoncer à leur liberté individuelle, ni échanger leur vie privée contre un illusoire État sécuritaire sans faille.

Lors des débats, l’objectif du groupe communiste républicain et citoyen sera, avant tout, de lutter contre l’idée que la technique n’est pas politique, et de remettre le débat sur le terrain des valeurs afin de trouver l’équilibre que j’évoquais initialement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, un texte sur le renseignement, oui, c’est indispensable. Cependant, quelle que soit la majorité, quel que soit le rassemblement républicain, n’y a-t-il pas un risque de dérive dans tout texte sur ce sujet ? Personne ne peut sérieusement le nier.

Ce débat doit éviter la polémique ; nous ne devons faire de procès d’intention à qui que ce soit. Un tel dossier doit impérativement nous éviter tout procès d’intention. Il impose la mesure et l’équilibre, dans la tradition du Sénat de la République.

Nous discutons de la protection de tous les citoyens. Mais cette protection, à nos yeux, se compose nécessairement à la fois de leur sécurité et de leur liberté, dans le respect des principes fondamentaux de la République.

L’esprit du 11 janvier, s’il y en a un, c’est aussi la liberté d’expression et d’opinion, voire la liberté tout court.

La France est aujourd’hui une des dernières démocraties occidentales à être dépourvue de cadre juridique applicable à ses services de renseignement. Je ne dirai pas qu’il faut légaliser le braconnage.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Ce vide juridique s’est longtemps traduit par une réticence forte à toute intrusion du pouvoir législatif dans le champ des services de renseignement : comment encadrer des prérogatives étatiques qui relèvent du secret d’État ? Comment légaliser des pratiques dont les fins, par essence, sont censées justifier les moyens ?

La difficulté était inhérente à la mission dérogatoire de renseignement. Il est aussi probable qu’entrait en ligne de compte la crainte compréhensible que l’encadrement par le droit ne nuise à l’efficacité des renseignements. Tout l’enjeu est bien là : obtenir les renseignements nécessaires, mais dans le respect du droit et des libertés fondamentales.

À l’invitation, notamment, de la Cour européenne des droits de l’homme, la France s’est dotée d’une législation dans ce domaine par la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Cette loi prévoyait que les interceptions de sécurité ne pouvaient se faire qu’à titre exceptionnel.

L’absence actuelle d’un corpus juridique encadrant l’activité des services de renseignement expose notre pays à des risques non négligeables en matière de sécurité juridique ; elle peut en outre empêcher toute exploitation devant le juge des informations collectées.

Dans le contexte international de déstabilisation et d’insécurité que nous connaissons, mais aussi dans le contexte national du départ de près de 1 300 djihadistes français, et donc de leur potentiel retour des théâtres d’opérations syriens et irakiens, ce projet de loi doit donner aux services de renseignement les moyens de mener à bien leurs missions, indispensables à la protection de nos concitoyens. On ne peut pas faire de renseignement sans moyens. M. Raffarin a eu raison de dire que l’un des éléments fondamentaux de ce projet était de donner aux services les moyens financiers nécessaires pour faire leur travail.

Le présent texte s’attache ainsi à achever la réforme des services de renseignement, d’une part, en définissant dans la loi les principes et les finalités de la politique publique du renseignement et, d’autre part, en encadrant l’utilisation des techniques de recueil du renseignement.

Personne ne saurait nier que les événements de janvier dernier ont inévitablement accéléré le train des réformes qui doivent mettre un point final à l’état d’exception de ces services. Nous devons toutefois insister sur le fait qu’ils ne doivent pas conduire à ratifier sans débat de fond un texte aussi important que celui-ci, et qui ne saurait en aucun cas être neutre en matière de libertés. Le débat doit avoir lieu, mes chers collègues, sans concession et sans démagogie.

À titre liminaire, je réitérerai l’un de mes combats habituels, monsieur le président de la commission des lois : le juge administratif est devenu au fil des réformes successives le juge de droit commun des voies de fait, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… à rebours de la lettre comme de l’esprit de la Constitution de 1958 qui, en son article 66, fait du juge judiciaire le gardien des libertés individuelles.

Je persiste et je signe. Certes, j’entends les messages contradictoires. Pourtant, bien que cet ordre abonde en figures compétentes, emblématiques et profondément respectables, tel le vice-président du Conseil d’État, il y aura toujours une porosité inévitable entre l’État et le juge administratif.

À ce titre, nous insistons sur l’importance de prévoir des contre-pouvoirs à l’emprise des services de renseignement sur la vie de nos concitoyens. S’il faut des moyens pour les services de renseignement, comme nous en sommes convaincus, il faut aussi que ceux-ci puissent faire l’objet de vrais contrôles. Il n’est pas question d’entraver ces services dans leur action, mais bien de s’assurer que cette dernière se fait dans le respect d’une légalité spécifique.

À quoi sert-il ainsi d’instaurer une commission nationale de contrôle des techniques de renseignement si cette dernière ne donne qu’un avis consultatif ? Nous proposons donc que l’avis de cette commission lie son destinataire, le Premier ministre. Qui sait, mes chers collègues, quelle personnalité occupera ce poste dans les prochaines années ? Ne faisons pas le hasardeux pari pascalien de croire que l’attachement aux libertés est intrinsèque à la fonction.

L’importance de cet avis est encore plus grande quand les techniques de renseignement sont appliquées à des parlementaires, des avocats ou des magistrats. Il y va du bon fonctionnement de notre démocratie. Dans le cas spécifique des avocats – il est tout naturel que je plaide pour cette profession –, nous ne pouvons comprendre que le texte actuel autorise les services administratifs à mettre en œuvre des mesures d’interception ou d’intrusion qui sont normalement interdites à l’autorité judiciaire.

Pour ces mêmes raisons, nous sommes attachés au renforcement, proposé dans le texte, des missions des délégations parlementaires au renseignement.

Il est également indispensable que, chaque année, un rapport soit établi – je le dis alors que je n’aime pas les rapports ! §, et que les parlementaires membres de ces délégations aient accès à tout.

Sur les techniques de renseignement elles-mêmes, les technologies de l’information et, en particulier, le numérique ont opéré une révolution telle qu’elle nécessite que l’on change de paradigme de pensée. Nous avions eu l’occasion de le rappeler ici même lors du débat engagé par le RDSE, voilà deux mois, sur le sujet « Internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».

Il est inacceptable de considérer que, sur internet, tout peut s’écrire, y compris le pire, et que tout peut se préparer ; dans notre système judiciaire, comme vous le savez, madame la garde des sceaux, on en est souvent resté à la presse papier et au bon vieux tract.

Nous saluons le renforcement des prérogatives de TRACFIN, qui lui permettront d’établir des corrélations entre des déplacements de personnes et de marchandises et des flux financiers. TRACFIN sera ainsi en droit de demander des éléments d’identification des personnes ayant payé ou bénéficié d’une prestation ainsi que des éléments d’information relatifs à la nature de cette prestation et, s’il y a lieu, aux bagages et marchandises transportés. Cela est essentiel en matière de lutte contre le terrorisme, comme nous l’avons vu lors des débats sur la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, puis lors des événements qui ont secoué notre pays en janvier dernier.

Pour notre part, nous sommes sceptiques vis-à-vis des technologies qui font passer les activités de pêche des services de renseignement de la pêche au harpon à la pêche au chalut, pour reprendre les propos de M. Jean-Marie Delarue. Je ne peux manquer, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de la défense, messieurs les rapporteurs, d’être troublé par les déclarations de cet homme, que le Sénat tout entier a toujours entouré d’un immense respect, à juste titre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Sur ce projet, il a eu des mots que nous ne pouvons pas oublier. Je vous en citerai quelques-uns, sans vous faire une longue lecture : « Le projet, dit-il, banalise donc totalement la surveillance de personnes qui n’ont rien à voir avec l’enquête. » Par ailleurs, M. Delarue demande : « Le recueil et la conservation de milliards de données pendant cinq ans sont-ils proportionnés au besoin de trouver, par exemple, une douzaine de personnes suspectées de terrorisme ? » Il ajoute enfin : « Cela me permet d’évoquer un point important : outre les données collectées, la CNCTR doit pouvoir contrôler les dispositifs de recueil des données eux-mêmes. »

Je pourrais encore lire d’autres citations. Je crois en tout cas qu’il ne faut pas oublier M. Delarue, car il a identifié de véritables problèmes pour les libertés et plusieurs risques de dérive.

Plusieurs dispositions du projet de loi autorisent, à ce titre, la collecte massive de données de connexion et permettent ainsi des agrégations d’informations, les « métadonnées », qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, vont bien au-delà de ce que l’on obtient en accédant au seul contenu d’une communication privée.

En particulier, nous pensons à la technologie dite de l’« IMSI catching », qui permet de capter, par le biais d’une fausse antenne relais, les données de connexion de toutes les personnes détenant un périphérique électronique dans une zone géographique déterminée.

À tout le moins faudrait-il s’assurer que ces documents, lorsqu’ils ne sont pas en rapport avec l’autorisation, soient détruits sans délai et non dans un délai de trois mois.

Il faut ainsi consolider les avancées réelles contenues dans le présent projet de loi, dans le sens d’un meilleur contrôle, mais aussi d’une meilleure coordination européenne ; cela n’est pas qu’un vœu pieux.

Nous tenons également à rappeler les propositions contenues dans le rapport du procureur Marc Robert consacré à la cybercriminalité et au renforcement des moyens des services de police. Ce n’est qu’en modernisant notre arsenal juridique que nous pourrons engager une synergie positive pour aller de l’avant.

Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, les amendements déposés par le RDSE s’inscrivent dans notre tradition républicaine ; ils rappellent la nécessité d’encadrer légalement l’activité des services de renseignement, activité nécessaire, activité légitime pour protéger nos concitoyens mais aussi pour garantir le respect des valeurs de la République, à laquelle nous sommes tous, je n’en doute pas, profondément attachés.

Applaudissements sur les travées du RDSE, sur quelques travées du groupe socialiste ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de David Rachline

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à rendre hommage à tous ces hommes et femmes de la communauté du renseignement qui œuvrent chaque jour, parfois au péril de leur vie, tels nos deux agents tués en Somalie en 2013, à notre sécurité et à la défense de nos intérêts. J’associe à cet hommage leur famille, car je sais combien celle-ci constitue un soutien pour ces hommes et ces femmes de l’ombre et qu’il est parfois difficile de vivre aux côtés de ces derniers.

Ne disposant que de très peu de temps, je me focaliserai sur la seule et unique question que nous devons nous poser sur ce texte : la sécurité des Français sera-t-elle mieux assurée et, concomitamment, leur Liberté, avec un grand « L » comme dans la devise de notre pays, sera-t-elle garantie ? Malheureusement, nous croyons intimement que la réponse est non.

Tout d’abord, qu’apporte ce texte en matière de sécurité ?

Vous vous en doutez, je ne nierai pas les risques importants qui pèsent sur notre pays, en particulier celui qui est relatif au terrorisme islamiste. Il n’est pas non plus question pour moi de nier que nos services de renseignement, spécialement ceux qui sont chargés de la sécurité intérieure, se trouvent parfois dépourvus face à l’immensité de la tâche. Mais, comme ce texte traite du renseignement, il me semble nécessaire de rappeler que le renseignement est un préalable à la décision et à l’action et non une fin en soi.

Or, à l’aune des derniers événements, ce n’est pas tant, me semble-t-il, de renseignements dont on a manqué, mais de décisions et d’actions. Les Merah, Koulibaly, Kouachi, j’en passe et des pires, étaient-ils de parfaits inconnus pour nos services ? Nous savons bien que non. Nous ne manquons donc pas tellement de renseignements, sauf, sans doute, dans les prisons, mais notre libertaire garde des sceaux préfère protéger nos prisonniers plutôt que le reste de la population, …

Debut de section - PermalienPhoto de David Rachline

… ce qui pose évidemment un certain nombre de problèmes. En revanche, nous manquons cruellement, par exemple, de juges antiterroristes.

Or, je le rappelle, vous êtes depuis des décennies collectivement responsables de la diminution des moyens et des effectifs dans ce domaine. Vous avez pratiquement ruiné notre pays à cause de vos politiques et de votre soumission à Bruxelles et à ses sacro-saintes règles budgétaires. Désormais, nous n’avons plus les moyens d’assurer correctement la sécurité des Français sans les priver d’une partie de leur liberté.

Nous manquons également de courage politique pour lutter contre nos ennemis de l’intérieur. Il est intolérable que des imams, parfois interdits de séjour, puissent prêcher le djihad dans certaines mosquées en toute impunité. Pas besoin de les espionner, ils le font ouvertement. Nous le savons tous ! Il est intolérable que des étrangers condamnés pour terrorisme vivent encore sur notre sol, logés et nourris aux frais du contribuable.

Ensuite, ce texte limite-t-il la liberté ? Clairement, la réponse est oui. L’hétérogénéité des opposants à ce texte en est une preuve indiscutable. C’est la surveillance généralisée avec, comme l’ont souligné d’autres collègues avant moi, les « boîtes noires » installées chez les opérateurs, les IMSI catchers ou les algorithmes. Tout citoyen devient suspect, alors que – ne nous voilons pas la face ! – les foyers de radicalisation sont connus.

Ce texte marque clairement un basculement vers une surveillance généralisée, et ce sans aucune garantie d’efficacité. Trop de renseignement tue le renseignement !

L’absence des juges dans le processus devrait conduire les compatriotes de Montaigne à s’interroger sur l’absence totale de séparation des pouvoirs.

Debut de section - PermalienPhoto de David Rachline

Faute de temps, je reviendrai lors de la discussion des articles sur les critères que vous avez retenus, qui sont dignes des « heures les plus sombres de notre histoire », selon votre formule favorite, pour engager des actions de renseignement et sur les pouvoirs hallucinants attribués au Premier ministre.

Pour conclure, je souhaite vous faire part des mesures très concrètes, elles, et très faciles à mettre en œuvre que nous préconisons pour lutter contre le terrorisme islamiste, la criminalité organisée, le trafic en tout genre, notamment de drogue, bref, contre tous les risques qui menacent nos concitoyens, nos entreprises et notre territoire.

Nous préconisons un rétablissement immédiat des frontières nationales, garantes de liberté et de sécurité, que vous avez idéologiquement et scandaleusement fait disparaître.

Nous préconisons également une politique pénale très forte, avec, notamment, la fin des remises de peine, une expulsion immédiate de tous les étrangers condamnés pour des faits graves, une déchéance de la nationalité française pour ceux qui auraient une double nationalité. En clair, nous préconisons le retour à un État de droit et à l’exercice des fonctions régaliennes, qui sont là pour protéger les citoyens et garantir, en principe, leurs libertés !

M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de par sa nature secrète, le monde du renseignement suscite bien des fantasmes, des interrogations et des craintes, parfois à juste titre. Un projet de loi relatif au renseignement entraîne donc naturellement les mêmes effets, et c’est notre rôle de parlementaire que de nous assurer que les libertés individuelles ne sont pas menacées.

Le texte que la Haute Assemblée examine aujourd’hui a soulevé des polémiques et des interrogations aussi bien dans les rangs des partis politiques qu’au sein de l’opinion publique. Les travées du Sénat ne font pas exception à la règle – l’examen du projet de loi ne manquera pas, mes chers collègues, de faire apparaître des clivages entre nous, comme ce fut le cas à l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, tout le socle juridique de la mise en œuvre des techniques de renseignement repose sur la loi de 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Cela signifie que notre droit positif se fonde sur une loi adoptée avant la « démocratisation » du téléphone mobile et l’internet grand public, une loi qui n’est donc plus en phase avec les enjeux de la société numérique.

L’enjeu du présent texte est précisément de s’adapter aux évolutions technologiques, de donner un cadre légal à des activités de renseignement, souvent déjà existantes, d’offrir à nos services de renseignement les moyens juridiques et techniques d’agir et de mieux protéger nos agents dans l’accomplissement de leur mission.

L’examen du projet de loi intervient, certes, dans un contexte sensible, plusieurs semaines après les événements ayant meurtri la France en janvier dernier. Mais, loin de constituer un texte de circonstance – les travaux préparatoires avaient débuté bien avant les attentats perpétrés contre Charlie Hebdo –, il représente une évolution législative nécessaire. Dès 2012, cette évolution avait été sollicitée par les services de renseignement eux-mêmes, lors de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Une modification législative avait également été recommandée par la mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement conduite en 2013 par les députés Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère.

Il s’agit, bien sûr, de doter les services concernés d’outils afin de faire face à la recrudescence de la menace terroriste, une menace diffuse, intérieure, qui prend de nouveaux visages et qui, désormais, se nourrit des ressources du numérique. La cyberattaque dont a fait l’objet TV5 Monde, en avril dernier, en est la preuve. Mais il ne s’agit pas d’un texte ayant pour seul objet de s’armer contre le terrorisme. Celui-ci a aussi vocation à donner à nos services les moyens de protéger la souveraineté nationale contre les tentatives d’ingérence et d’espionnage à l’encontre de nos actifs scientifiques et économiques et de protéger des pillages nos entreprises françaises. À cet effet, je tiens à saluer le remarquable travail mené de concert par nos deux collègues, Philippe Bas et Jean-Pierre Raffarin, qui ont su apporter les garanties supplémentaires indispensables au texte adopté par nos collègues députés.

Permettez-moi de revenir rapidement sur quelques-unes de ces avancées.

La pose de boîtes noires chez les fournisseurs d’accès à internet, les fameux algorithmes et les IMSI catchers, figure parmi les techniques ayant suscité un certain émoi et fait craindre une surveillance de masse. Avec ces algorithmes, il s’agit, pour les agents, de repérer un élément particulier dans les connexions qui les mettra sur la piste de crimes ou de délits à caractère terroriste en préparation. Force est de constater que l’utilisation quotidienne d’algorithmes par les grands acteurs du web – je pense à Amazon, Google et bien d’autres encore – à des fins qui sont, elles, mercantiles n’a jamais suscité de réactions aussi violentes que celles qui sont provoquées par ce projet de loi.

Le Sénat est fidèle à sa réputation de protecteur des libertés individuelles. Ainsi, notre commission des lois a respecté un principe simple : plus la technique employée est intrusive pour la vie privée, plus elle doit être encadrée par des « garde-fous ». C’est pourquoi les IMSI catchers ont fait l’objet de restrictions dans leur collecte d’informations. Sans un encadrement exigeant, un tel dispositif porterait atteinte au secret de la vie privée, pour ce qui concerne, notamment, un individu localisé dans le périmètre de détection, mais ne faisant pas l’objet de la demande d’autorisation. La commission en a tenu compte : le texte prévoit désormais que seuls les numéros des boîtiers de téléphones et des cartes SIM feront l’objet d’un recueil par IMSI catcher. Ces appareils ne pourront être autorisés qu’à la seule fin de prévention d’acte terroriste. De plus, ils seront soumis au principe de contingentement. Dans ces conditions, parler de « surveillance de masse » me semble aujourd'hui excessif.

Pour l’accès au disque dur, que vous avez vous-même, monsieur le rapporteur, assimilé au fait de « s’introduire dans le cerveau » d’un individu tant le caractère intrusif est fort, l’avis exprès et collégial de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sera nécessaire et la durée d’autorisation a été réduite à trente jours. Une fois encore, cela atteste de la volonté de prévenir tout abus.

La question du contrôle étant fondamentale en ce domaine, la commission a choisi de renforcer le contrôle des instances prévues par le texte, avec l’accroissement de l’indépendance fonctionnelle de la CNCTR, au travers de moyens financiers et humains, et la simplification de la saisine du Conseil d’État par cette commission. Qui plus est, grâce à la proposition de loi organique, nous apportons une nouvelle preuve de l’attachement du Sénat à sa fonction de contrôle de l’action du Gouvernement. Que les commissions des lois de chaque assemblée puissent exprimer leur avis sur le candidat présenté pour présider la CNCTR est légitime et constitue une garantie démocratique supplémentaire ! L’évaluation du Parlement s’exercera aussi par le biais de la délégation parlementaire au renseignement, qui dispose, grâce aux modifications introduites sur l’initiative de Jean-Pierre Raffarin, d’un pouvoir d’information.

Enfin, dès le début du texte, le cadre légal a été clarifié et renforcé avec l’introduction de l’article 1er A, aux termes duquel les activités des services de renseignement s’exercent dans le respect du principe de légalité sous le contrôle du Conseil d’État, comme l’ont souligné la plupart de mes collègues. Les finalités pouvant justifier le recours aux techniques de renseignement ont été redéfinies. Objectivement, elles étaient trop larges.

Parce que les travaux en commission ont permis de placer des garde-fous indispensables ; parce que les rapporteurs ont, me semble-t-il, trouvé un juste équilibre entre sécurité et liberté ; parce que ce texte représente un progrès juridique pour les services de renseignement et ne fait pas l’économie d’un contrôle par une autorité indépendante et d’un droit au recours juridictionnel effectif et parce que les services de renseignement constituent, à mon avis, des outils indispensables pour conduire une politique publique de sécurité visant à protéger nos concitoyens, je voterai, comme de nombreux collègues de mon groupe, en faveur du projet de loi dans la version issue des travaux de la commission des lois.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lecture de la presse nous ramène quelques mois en arrière, au débat sur la loi de programmation militaire. Rappelez-vous les critiques : ce texte était une « catastrophe pour les libertés publiques », une « horreur ». Or l’article 13 est plus protecteur des libertés publiques que le droit qui prévalait jusqu’alors.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Vous vous en souvenez, monsieur Sueur, nous avions tenu bon, en expliquant que cette disposition visait à apporter des garanties et n’était en rien la catastrophe annoncée.

Selon certains, le contrôle des services de renseignement devrait relever de l’autorité judiciaire. Je l’ai lu ! J’ai même entendu certains juges l’affirmer. Comme si la police administrative – préventive – devait être confondue avec la police judiciaire – répressive –, comme l’a fort bien souligné M. le rapporteur Philippe Bas. Même s’il faut s’assurer qu’aucune de ces polices n’empiète sur l’autre – il est vrai que, pour certains services, le passage de la police administrative à la police judiciaire est un moment délicat –, il faut rappeler que notre système juridique repose sur cette distinction et souligner que le contentieux administratif doit relever des juridictions administratives et, en l’espèce, de la plus haute d’entre elles, le Conseil d’État. Lui aussi est le protecteur des libertés publiques, comme le prouve l’existence du recours pour excès de pouvoir. Pour les amateurs d’histoire, j’ajoute que, en de nombreuses occasions, le Conseil d’État a davantage protégé les libertés publiques que certaines autorités judiciaires. Souvenez-vous de l’arrêt Canal par exemple !

Suivant les propositions de notre excellent rapporteur Philippe Bas, la commission des lois a augmenté les pouvoirs de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et, surtout, développé les modalités de recours devant le Conseil d’État. Je salue par ailleurs l’avis pertinent de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la houlette de l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin – c’est vous dire l’expérience dont il dispose sur de tels sujets.

Certains s’inquiètent légitimement d’une mise sous écoute permanente de la société. À cet égard, il est vrai que le Patriot Act américain peut inquiéter. Les parlementaires américains ont d’ailleurs fini par considérer que l’écoute tous azimuts n’était pas nécessairement utile et efficace. Reste que notre législation est largement insuffisante, car les techniques de renseignement ont beaucoup évolué. Les seules interceptions de sécurité de la loi de 1991, ou de ses compléments, doivent faire l’objet d’une approche globale – comme le fait ce projet de loi que nous devons soutenir – en raison non seulement de la menace terroriste, mais aussi de la menace que représente la grande criminalité organisée ou de celle qui pèse sur notre économie : la lutte contre l’espionnage industriel et économique, dans le contexte de mondialisation que nous connaissons, constitue plus que jamais un défi.

La tension permanente entre sécurité et liberté, qui est inhérente à tout État de droit, doit nous conduire à permettre la nécessaire utilisation des diverses techniques par les services de renseignement mais rend indispensable l’exigence d’un contrôle, lequel doit être d’autant plus strict que les techniques sont plus intrusives dans la vie privée des personnes soumises à ces investigations. C’est pourquoi il faut se féliciter que notre commission des lois ait inscrit dans un article liminaire les règles fixant les principes de respect de la vie privée et de légalité des autorisations de mise en œuvre des techniques de renseignement. Comme l’a noté Jacques Mézard, cela créera un cadre juridique pour une éventuelle jurisprudence.

Les services de renseignement ne sauraient considérer le contrôle comme une entrave, même si, parfois, on se dit que cela pourrait être le cas. L’intérêt majeur du projet de loi est en effet de donner un cadre légal complet et une véritable protection juridique à leurs agents. D’une manière générale, le cadre défini par la loi de 1991 pour les interceptions de sécurité doit représenter pour nous un modèle. Cette loi est tout de même extraordinaire ! Rappelons-nous du contexte qui a prévalu à son élaboration, à savoir la révélation des écoutes illégales. Qu’a donc fait le législateur à cette époque ? Il a institué une Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité composée d’un haut magistrat et de deux parlementaires, dont le rôle consistait à donner un avis au Premier ministre. Cet avis portait évidemment sur les interceptions de sécurité puisque ce n’est que par la suite que nous avons connu les fadettes et beaucoup d’autres choses…

Depuis que la CNCIS existe, je peux affirmer – j’en ai été membre un certain temps –, après avoir relu tous les rapports publiés depuis 1992, que toutes les interceptions de sécurité ont fait l’objet d’un examen attentif. Je crois, du reste, que 99, 9 % des demandes des services qui ont été autorisées par la commission ont reçu un avis favorable du Premier ministre. Pourtant, il y en a eu, et il y en a aujourd’hui encore, un certain nombre !

Si la structure de la CNCIS était légère, elle n’a jamais été mise en défaut. Son efficacité a toujours reposé sur l’examen attentif des motifs des demandes et – ce qui est aussi important – sur le suivi permanent du résultat des interceptions. La limitation de durée des autorisations est l’une des garanties fondamentales de l’efficacité du contrôle. Nous y reviendrons au cours des débats.

À ce stade de la discussion générale, je ne pourrai pas développer mon propos sur les diverses dispositions qui figurent dans le texte – même si, profitant de la présence de Mme la garde des sceaux, j’aurais volontiers évoqué la question du renseignement pénitentiaire…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Je crois que nous pouvons aboutir à un équilibre permettant l’efficacité des dispositifs tout en s’éloignant nettement de la surveillance généralisée de tous nos concitoyens, notamment en ce qui concerne les données de connexion. Le travail important réalisé par la commission des lois sur le nouvel article L. 851-1 du code de la sécurité intérieure doit nous convaincre que les écoutes ne seront pas permanentes et ne concerneront pas tout le monde.

La commission des lois, dans la tradition de notre assemblée, a toujours veillé à la protection de la vie privée et à garantir les libertés publiques. C’est pourquoi elle a considérablement renforcé le contrôle de la CNCTR, qui, pour être efficace, ne doit pas disposer d’une équipe pléthorique. Plus les membres de la commission seront nombreux, moins elle sera efficace, j’en suis convaincu. Regardez le travail accompli par la CNCIS avec une petite équipe : elle a toujours su exercer ses responsabilités, même dans l’urgence absolue.

Par ailleurs, je me réjouis bien entendu que la proposition de loi organique soumette la nomination du président de la CNCTR à la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution. C’était indispensable, et c’était déjà le cas pour le président de la CNCIS.

J’insisterai aussi sur la nécessité pour la CNCTR, comme c’est le cas actuellement pour la CNCIS, de disposer de tous les éléments de mise en œuvre des diverses techniques. Personnellement, je pense qu’il serait dommageable, même en cas d’urgence absolue – que l’on peut du reste difficilement distinguer de l’urgence –, de s’abstraire de tout contrôle, hormis le cas des mesures de surveillance internationale, qui font l’objet de dispositions spécifiques au nouvel article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure.

La limitation de la durée des autorisations constitue l’une des meilleures garanties des libertés. On doit veiller à ce que les productions soient traitées rapidement, faute de quoi elles ne servent à rien. Leur stockage sans traitement suscite alors de véritables interrogations. En tout cas, cette limitation ne peut servir d’alibi à un manque de moyens. M. le Premier ministre nous a annoncé que les moyens seraient là…

Il est également indispensable de veiller à la définition des catégories relatives à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la nation, au premier rang desquelles figure bien entendu le terrorisme. Une définition précise est indispensable : je vous renvoie, à ce titre, au texte du nouvel article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.

Si le projet de loi traite d’abord du renseignement, on n’aurait garde d’oublier qu’il comporte un volet sur le terrorisme, en complément de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme de novembre 2014, que nous avions largement approuvée, et sur le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes. En outre, le texte donne de nouvelles attributions à la délégation parlementaire au renseignement, ce qui, après la période d’acclimatation qu’a connue l’institution – j’ai été l’un des premiers présidents ès qualités de cette délégation parlementaire –, est tout à fait envisageable. Un climat de confiance s’est désormais institué entre le Parlement et les services de renseignement.

En définitive, le projet de loi, qui, je l’espère, rencontrera une large adhésion, est équilibré grâce notamment à la contribution du Sénat sur la protection de la vie privée. Il doit permettre aux agents des services de renseignement, dont la tâche est souvent méconnue par l’opinion publique, mais indispensable et parfois dangereuse, d’avoir une règle de conduite claire et cohérente à laquelle ils devront se tenir. C’est pourquoi notre groupe soutiendra le texte de la commission des lois, en souhaitant vivement que l’évaluation du fonctionnement de ces dispositifs puisse intervenir dans des délais raisonnables. Qu’une loi soit bonne ou mauvaise, elle doit être évaluée ! La loi relative au renseignement ne sera une bonne loi qu’à condition de bien respecter toutes les garanties nécessaires aux libertés publiques.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir est un moment important pour notre démocratie. Les récents attentats ont démontré que la France et l’Europe étaient la cible de terroristes qui, à l’instar de notre société, sont hyper-connectés. Lors d’un précédent débat consacré à internet et à la liberté de la presse, j’avais appelé l’attention sur les enjeux d’un terrorisme utilisant le web et les réseaux sociaux comme outils de radicalisation et de recrutement.

Les événements récents ont placé les services de renseignement au cœur des débats. Je veux rappeler ici la mission essentielle de service public qu’accomplit le renseignement. Au nom de la représentation nationale et de mon groupe, je tiens à saluer le travail de ces services. Aussi le projet de loi peut-il être l’occasion de sortir des fantasmes inhérents à leurs activités.

Dans la défense de nos institutions, de notre démocratie et de nos concitoyens, le renseignement joue en effet un grand rôle. Rendons hommage à ces hommes de l’ombre qui ne défilent pas le 14 juillet, mais dont l’efficacité permet de gagner une bataille, quand ce n’est pas une guerre ! Comme l’a très bien rappelé Jean-Pierre Raffarin, une partie de leur tâche consiste à recueillir des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des « intérêts fondamentaux de la nation », et pas seulement à celle des « intérêts publics ». À mon sens, il s’agit d’une précision capitale, qui renvoie ainsi non seulement à une définition du code pénal, mais surtout à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Si, par nature, l’appareil de renseignement a vocation à travailler dans le secret, cela ne peut pas se faire en dehors de la légalité. Ainsi, certains faits divers politiques ont encouragé le développement d’une représentation collective biaisée du renseignement, au point que les actions des services ont été assimilées à de la « barbouzerie ». Certaines affaires obscures ont précisément eu lieu lorsqu’il n’existait pas de véritable cadre législatif adéquat. Paradoxalement, c’est au moment où l’on envisage l’encadrement légal de ces activités que certains s’insurgent et agitent le spectre d’une surveillance généralisée, digne de Big Brother. Force est pourtant de constater que le cadre juridique actuel est obsolète en raison de la numérisation globale des activités humaines. L’ère numérique a bouleversé les modes de communication et d’information. L’utilisation des smartphones et des réseaux sociaux, le développement massif d’un panel de produits connectés et les échanges de données personnelles, qui représentent en réalité des métadonnées, ont créé une situation nouvelle.

La loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques n’est plus adaptée aux enjeux liés à internet. Cette augmentation de ressources, qui ne sont pas toutes reconnues par la loi comme des données personnelles, et leur accessibilité par les services de renseignement créent un déséquilibre entre respect des libertés et sécurité. De fait, le législateur est placé devant une situation assez paradoxale : des citoyens sans recours contre des méthodes jugées intrusives et des services de renseignement dépourvus, dans le même temps, de cadre légal pour en tirer parti.

Mes chers collègues, la tâche est d’autant plus rude que nous ne pouvons ignorer les risques liés à la dégradation du contexte sécuritaire. Alors que les menaces de toutes ampleurs ne cessent de se diversifier, la France, pays des droits de l’homme et des libertés, doit concilier ses idéaux et les nécessités de l’intérêt général. Ainsi, il nous appartient d’inscrire dans la loi un juste équilibre pour nos services et pour les citoyens, en encadrant les méthodes de recueil de renseignements tout en respectant les libertés individuelles des Français.

L’incertitude juridique actuelle pèse sur les modes d’action des services de renseignement : elle porte gravement atteinte à leur légitimité et entrave leur mission de service public, qui concourt à la défense et à la sécurité de la France et de ses citoyens. Comme le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Jean-Pierre Raffarin, l’a clairement expliqué, le projet de loi doit renforcer tant l’efficacité que la sécurité de nos agents, qui sont appelés à travailler dans la clandestinité. Cet objectif est pour moi essentiel : nous devons clarifier et encadrer le champ d’action des services de renseignement.

Je tiens à rappeler que les activités de renseignement ont été définies par le Livre blanc sur la défense de 1994 et réaffirmées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, en vertu duquel elles font partie intégrante de la fonction « connaissance et anticipation », une fonction stratégique au même titre que la dissuasion, la protection et l’intervention.

Il importe également de signaler que la menace terroriste n’est pas la seule préoccupation des services de renseignement. De fait, les activités de renseignement sont réparties entre plusieurs services, dont les missions et les domaines d’investigation diffèrent. Remarquez que, dans de nombreux pays, notamment anglo-saxons, ces activités, ainsi que l’analyse des méthodes employées, sont regroupées sous le concept d’intelligence, qui recouvre à la fois le renseignement militaire, la lutte contre la criminalité organisée – une activité primordiale compte tenu de l’internationalisation des mafias, notamment en Europe –, le contre-espionnage et toutes les activités liées aux guerres économique et technologique.

Par ailleurs, n’oublions pas que, entre la veille économique ou industrielle et l’espionnage, les frontières peuvent être floues. D’ailleurs, si ces activités semblent a priori relever de la responsabilité des entreprises, donc des acteurs privés, certains États étrangers, apparemment libéraux, leur consacrent des politiques qui dépassent les limites de la seule protection.

Je voudrais rappeler aussi que, du point de vue de la sécurité du pays, les services de renseignement n’ont pas failli. Ainsi, les responsables entendus par la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, dont j’ai eu l’honneur de faire partie et qui, après avoir tenu cinquante auditions, a adopté un rapport excellent, ont clairement affirmé que, compte tenu des moyens légaux dont ils disposaient, leur capacité d’identification des terroristes et leur réactivité opérationnelle étaient restées intactes. Dès lors, le problème relève aussi de la justice : il tient en réalité à la neutralisation de terroristes potentiels, avant leur passage à l’acte, grâce à une détection a priori et individuelle.

Cette observation me conduit, mes chers collègues, à appeler votre attention sur une autre dichotomie : alors que nous travaillons à encadrer les missions de nos services de renseignement, il importerait que celles de la justice le soient également, notamment en ce qui concerne l’application des peines prononcées contre ceux qui mettent en péril la sécurité des citoyens. Certes, la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a été adoptée, avec l’approbation du Sénat ; mais nous devons veiller à sa parfaite application. En effet, les citoyens ne pourront accepter la mise en place de mesures collectives visant à identifier les terroristes si une réponse pénale ferme et crédible ne suit pas !

Si la finalité de la mission des services n’est pas la surveillance générale et permanente des citoyens, je comprends les inquiétudes que ceux-ci peuvent nourrir à l’idée que des informations soient recueillies à l’aide de dispositifs techniques de proximité dont le spectre de collecte peut être élargi à plusieurs personnes. En particulier, la possibilité de placer des sondes sur les infrastructures internet comporte des risques importants. Néanmoins, il convient de préciser que les algorithmes visent à détecter les communications clandestines, et non, contrairement à une idée reçue, à opérer des traitements statistiques.

Certes, les services peuvent être exposés à des marges d’erreur, mais ils sauront les prendre en compte. Ainsi, les scientifiques du monde numérique nous ont alertés sur le risque de « faux positifs » lié aux procédés de profilage. À la vérité, ce type de risques commande surtout de renforcer les moyens humains de nos services. Parce que la science ne peut pas tout, nous devons faire preuve de vigilance à l’égard des systèmes utilisés. Un algorithme ne remplacera pas un officier de police judiciaire, même si celui-ci doit disposer de moyens pour mener son enquête.

Selon moi, la vraie question est : quelle politique publique de renseignement souhaitons-nous conduire au service de la protection des citoyens ? De ce point de vue, nous pouvons nous féliciter des modifications que la commission des lois du Sénat a apportées au projet de loi. À l’article 4, en particulier, elle a consacré le principe d’une voie de recours pour les citoyens, ce qui était nécessaire compte tenu du large recueil de données autorisé par la nouvelle Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Par ailleurs, le nouvel article L. 773-7 du code de justice administrative donne au Conseil d’État de larges attributions contentieuses : annulation de l’autorisation de collecte de données, destruction des données obtenues illégalement, condamnation de l’État à indemniser le préjudice subi et même possibilité de saisir le procureur de la République. Ainsi, les garanties maximales du contentieux administratif seront étendues au contentieux du renseignement illégalement collecté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

Pour finir, mes chers collègues, je voudrais vous faire partager un point de vue plus personnel. J’estime que le projet de loi ne constitue pas la refonte de la politique de renseignement dont la France a besoin. En effet, cette refonte devrait s’accompagner de dotations et de moyens budgétaires accordés aux besoins en ressources humaines et technologiques. Sous ce rapport, il ne s’agit pas de recruter massivement des analystes : les données et les analyses ne sont rien si elles ne peuvent être utilisées et justifiées dans la légalité.

Ainsi donc, même si le projet de loi permet de pallier une situation « a-légale », il convient de ne pas être naïf quant à la réalité de la menace et à l’ampleur de la mission des services. Ni la loi ni la science ne pourront se substituer à l’intelligence et à l’expérience humaines. Tâchons donc que nos services disposent de conditions optimales pour exercer pleinement la mission de service public que les Français méritent !

Pour ma part, je voterai le projet de loi : il permettra d’améliorer les conditions de travail de nos services, qui, agissant dans la légalité, verront leur légitimité confortée. C’est aussi cela, la démocratie !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, une partie de l’opinion publique pense que la menace terroriste passera vite. C’est une erreur profonde.

Les chiffres dont M. le Premier ministre a fait état à cette tribune sont vrais : le nombre de Français qui partent pour la Syrie ou pour l’Irak ne cesse de s’accroître, de même que le nombre de ceux qui meurent dans ces pays, notamment dans des attentats suicides. De plus en plus nombreux sont aussi les réseaux, très sophistiqués, qui incitent les jeunes et les moins jeunes à s’engager pour des œuvres de mort. Telle est la réalité, qui nous commande de nous engager et de nous mobiliser.

On a fait observer que tous les dispositifs qui existent n’ont pas permis d’empêcher les attentats du mois de janvier dernier. Cela est vrai, mais quelles conséquences faut-il en tirer ? Qu’il ne faudrait rien faire, qu’il faudrait se résigner, que rien ne serait utile ? Je ne suis pas du tout d’accord. Nous savons bien, pourtant, que c’est grâce aux services de renseignement français que des attentats ont été déjoués !

De même que nous devons affirmer que la sécurité est une liberté, et que pour cette raison nous devons faire preuve de la plus grande vigilance, de même nous devons affirmer, comme nombre d’orateurs viennent de le faire, qu’un juste équilibre doit être trouvé entre la sécurité nécessaire et les indispensables libertés. Car la plus grande victoire des terroristes serait que nous renoncions à nos libertés !

Un travail important a été accompli, successivement, par le Gouvernement, l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat. Nous sommes d’accord avec nombre des amendements que M. le rapporteur Philippe Bas et M. le rapporteur pour avis Jean-Pierre Raffarin ont présentés.

Madame la garde des sceaux, je me réjouis profondément que notre commission ait adopté un amendement présenté par le groupe socialiste, et par d’autres en même temps, à l’effet d’exclure le ministère de la justice du champ des services de renseignement, à quelque titre que ce soit. Ce principe est très important, car, comme vous l’avez fort bien expliqué, c’est l’identité du ministère et ses missions qui sont en cause. Il ne sera pas dit que Mme la garde des sceaux aura été mise en minorité sur ce point par la commission des lois du Sénat, comme elle l’a malheureusement été dans l’autre assemblée.

Il n’y a que deux ou trois amendements de M. le rapporteur avec lesquels nous sommes en désaccord. En particulier, monsieur Bas, nous regrettons que la commission des lois ait, sur votre initiative, inséré à l’article 1er un alinéa 21 aux termes duquel l’administration pénitentiaire pourrait demander aux services de renseignement de mettre en œuvre une technique de renseignement.

Soyons très clairs : si j’estime normal que les personnels du ministère de la justice, particulièrement ceux de l’administration pénitentiaire, puissent signaler des faits aux services de renseignement, nous considérons qu’il n’est pas de leur rôle de solliciter ou de mettre en œuvre une technique particulière. Je crains en effet que le maintien de cette disposition ne ruine les effets de la suppression de la référence au ministère de la justice à l’alinéa précédent.

Le renseignement pénitentiaire, le rapport de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe en affirme clairement la nécessité. Seulement, cette activité ne doit aucunement porter atteinte à la spécificité des personnels pénitentiaires, garantie par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, que le Sénat a adoptée. Ce qui, bien entendu, n’interdit nullement des coopérations et des échanges d’informations en vue du bien commun. Nous reviendrons sur ces questions.

Pour le reste, nombre d’amendements touchent aux données personnelles ; ils sont précieux pour le respect de la vie privée et visent à préciser que la finalité du projet de loi est la lutte contre le terrorisme, à l’exclusion de toute autre finalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Le groupe socialiste, au nom duquel je prends la parole, a déposé quarante-quatre amendements, qui tous tendent à protéger les libertés ou à accroître les contrôles.

Il n’y a pas lieu d’opposer les Français entre eux : nous sommes tous attachés à la sécurité et nous devons tous être attachés aux libertés. À cet égard, je dis clairement que les associations de citoyens qui ont présenté des critiques et des propositions, et dont certaines ont été citées à cette tribune, méritent le respect. Au reste, un certain nombre de leurs propositions ont été entendues, par la commission des lois ou par le groupe socialiste qui les défendra sous la forme d’amendements. Je suis persuadé que, en définitive, le travail du Sénat permettra des avancées.

Nous avons également présenté des propositions en ce qui concerne les pouvoirs de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. En particulier, nous proposons que deux membres de cette commission puissent demander une nouvelle délibération. La commission des lois a déjà souhaité que trois de ses membres puissent saisir le Conseil d’État, ce qui est très important.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nous avons aussi présenté un amendement tendant à assurer à la commission un accès aux renseignements « direct, complet et permanent ».

La commission des lois a longuement débattu de la centralisation des données, à laquelle certains sont attachés. M. Cazeneuve, en particulier, a fait valoir qu’une centralisation de l’ensemble des données était impossible, pour des raisons liées aux techniques mises en œuvre, qui sont multiples et complexes. En réponse à un certain nombre d’interrogations, nous avons donc voulu, quelle que soit la réalité géographique – encore que le terme ne convienne pas très bien –, que la commission ait un accès direct aux données, sans intermédiaire, complet, exhaustif, permanent, 365 jours par an et vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Je remercie M. le ministre Jean-Yves Le Drian d’avoir accepté ce contrôle complet, y compris sur l’ensemble des éléments techniques : plateformes, pôles, etc. Je tiens à le dire publiquement, car trop souvent par le passé on s’est réfugié derrière le secret-défense. Si celui-ci doit bien évidemment être respecté, dès lors que l’on crée une commission de contrôle qui a d’amples pouvoirs, il faut que celle-ci puisse les exercer dans toute leur plénitude.

Pour ce qui concerne les algorithmes, qui suscitent des réactions d’extrême méfiance, vous savez qu’il existe des sites d’apologie du terrorisme très sophistiqués, très cryptés et très décryptés. Ces sites sont dangereux, parce qu’ils recrutent des jeunes et des moins jeunes pour ces activités d’horreur et de mort. Or les algorithmes permettront justement aux services d’identifier les personnes qui se connectent fréquemment à ces sites. Est-ce une atteinte aux libertés ? Une telle atteinte – si atteinte il y a – est nécessaire si l’on veut lutter contre le terrorisme. Néanmoins, ces algorithmes doivent avoir un objectif précis et ne pas ressembler aux dispositifs qui existent dans d’autres pays, qui consistent à capter des milliards et des milliards de données sans aucune finalité.

Nous avons déposé un amendement, j’espère qu’il sera retenu, visant à interdire toute reproduction durable, provisoire, transitoire ou accessoire des informations ou documents traités par algorithmes. Autrement dit, veillons à assurer la sécurité de manière efficace, mais soyons rigoureux, stricts, vigilants et intransigeants en ce qui concerne le respect des libertés publiques ! Les interceptions et les intrusions ne pourront donc avoir lieu qu’en cas de nécessité absolue, justifiée et motivée.

Par ailleurs, nous préconiserons, à travers l’un de nos amendements, que l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes se fasse uniquement à la suite d’une décision de justice. Nous proposerons également de supprimer l’alinéa qui vise à inscrire dans ce fichier les personnes ayant fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Les associations qui s’occupent des personnes ayant des troubles psychiques y tiennent. En effet, ce n’est pas parce qu’un citoyen a des troubles psychiques qu’il doit être considéré comme un terroriste en puissance. Nous devons débattre de ce point, car il s’agit d’une question de fond.

Pour terminer, …

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

N’oubliez pas que l’on souhaite réduire le temps de parole…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. … je dirai que nous avons encore beaucoup de travail à faire, mais je pense que nous sommes sur une voie qui est utile à ce pays. En tout cas, une chose est sûre : jusqu’à présent, il n’existait pas de dispositif législatif en France pour encadrer les services de renseignement. La délégation parlementaire au renseignement a d’ailleurs souligné dans de nombreux rapports à quel point cela était anormal. Cette anormalité doit prendre fin. En tant que Républicains – le mot a un certain succès ces jours-ci –, nous devons œuvrer pour que le renseignement ne soit pas absent de la loi et qu’il trouve toute sa place au sein de nos institutions républicaines.

Applaudissements sur les travées du g roupe socialiste et au banc de s commission s .

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collèges, l’un des principaux reproches formulé par notre groupe à l’encontre du projet de loi est qu’il reste encore profondément déséquilibré entre les nécessités opérationnelles des services et les exigences de protection des libertés, notamment celles qui ont trait à la vie privée. En outre, nous estimons que la légalisation de nouvelles techniques de recueil de renseignements, avec un champ de collecte qui n’a cessé de s’élargir, porte en elle le risque de dérives vers une collecte massive. À cet égard, le régime de renouvellement des autorisations mériterait d’être plus strictement encadré.

Une collecte massive et indifférenciée débouche inéluctablement sur une surveillance généralisée de la société. Cela est d’autant plus dangereux que le monde du renseignement est, par nature, comme on le sait, tenté d’obéir à ses propres règles et de s’affranchir d’un véritable contrôle politique. Ce sont autant de risques contre lesquels il faut se prémunir, ce que le projet de loi ne fait pas suffisamment.

À la suite des avis, pour le moins réservés, rendus par quelques autorités administratives indépendantes, en particulier celui de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, les risques de surveillance massive ont certes été atténués, aussi bien dans le projet de loi initial que par les travaux de l’Assemblée nationale, mais ils n’ont pas totalement disparu, loin s’en faut. L’ensemble du dispositif a néanmoins été affiné et plus strictement encadré. Il est par exemple positif que l’usage de ce qu’on appelle dans le langage courant les « boîtes noires » ait été réservé au seul objectif de la lutte contre le terrorisme. De la même façon, avec une définition plus précise de la notion d’entourage des personnes susceptibles de faire l’objet d’une surveillance, il est appréciable que le périmètre des écoutes téléphoniques ait été limité.

Pour ce qui est du contrôle des services, un premier pas dans l’harmonisation des modalités de contrôle de la CNCTR a aussi été effectué. En revanche, il reste beaucoup à faire sur la composition de cette commission pour éviter qu’elle soit pratiquement entre les seules mains du Premier ministre.

Le point sur lequel j’insisterai plus précisément concerne le déséquilibre sur lequel repose le système de collecte de renseignements qui sera mis en place.

Dans une démocratie telle que la nôtre, lorsque l’on introduit de nouvelles techniques de renseignement en décuplant leurs capacités, il est nécessaire de mettre en place des garde-fous démocratiques. Ces garde-fous résident dans l’accroissement des modalités de contrôle de ces techniques. Faute d’un tel contrôle par des institutions garantes du respect des lois votées au nom du peuple français, les organismes qui les mettent en œuvre continueront, à coup sûr, de fonctionner suivant leur logique propre.

La marque de ce déséquilibre est ainsi très nette en ce qui concerne la collecte du renseignement lui-même. Si celle-ci est précisément encadrée en amont, bien que certains critères de sélection soient contestables, les choses sont en revanche très floues sur la manière dont ces données alimenteront par la suite divers fichiers. Par qui et avec quels moyens ces fichiers seront-ils concrètement contrôlés ? C’est l’une des grandes faiblesses du projet de loi.

À cet égard je partage pleinement, et je les reprends à mon compte, les critiques pertinentes faites sur cette question par la présidente de la CNIL, Mme Falque-Pierrotin. En l’état actuel du texte, il n’existe, par exemple, aucun moyen de vérifier avec exactitude que ces fichiers seront tenus conformément aux objectifs et à la durée de conservation fixés par la loi. Il est d’ailleurs significatif que le texte lui-même ne fasse pas référence au rôle que devrait jouer la CNIL dans ce domaine. En effet, à la différence du régime auquel sont actuellement soumis tous les autres fichiers, qu’ils soient publics, privés ou de police, il n’est pas envisagé que la CNIL puisse exercer des pouvoirs d’inspection et de contrôle sur ces nouveaux fichiers.

Le contrôle effectif de la destination des renseignements recueillis dans ces fichiers est donc une question fondamentale. Ce contrôle doit aussi s’exercer sur la problématique de la durée de conservation des données. Ainsi, pour apprécier de façon crédible le respect de la durée définie par la loi, il serait nécessaire d’en confier la vérification à un organisme qui ait de réels moyens en la matière.

De la même façon, comment vérifier efficacement que les renseignements obtenus sur les téléphones mobiles à partir des IMSI catchers se limiteront bien à ce qui aura été prévu par la loi ?

Ce sont autant de questions auxquelles le projet de loi n’apporte pas de réponses. À l’heure où les parlementaires des États-Unis s’interrogent eux-mêmes sur le bien-fondé de la surveillance de masse opérée par l’une de leurs agences de renseignement, il serait paradoxal que nous n’en tirions pas tous les enseignements.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’emblée de saluer le travail de nos services de renseignement, intérieurs comme extérieurs, qui veillent au quotidien à la sécurité des Français et à la défense de nos intérêts vitaux. Les attentats de janvier dernier, la montée plus générale de la menace terroriste, le départ de centaines, peut-être bientôt de milliers, de Français pour combattre dans les rangs de Daech réaffirment la nécessité pour la France d’être dotée de services de renseignement efficaces avec des moyens à la hauteur de leurs objectifs.

Je considère que le projet de loi relatif au renseignement va dans la bonne direction, dans la mesure où il vise à moderniser les moyens de ces services et à placer leurs missions dans un cadre légal. S’il suscite des débats aussi animés dans l’opinion publique et au Parlement, c’est pour la simple et légitime raison qu’il touche à des enjeux très sensibles : notre liberté et notre sécurité.

Si la liberté est en tête de notre devise républicaine, la sûreté est, comme la liberté, consacrée au rang de droit naturel et imprescriptible de l’homme par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Trouver le bon équilibre permettant de consacrer ces deux droits n’est pas chose facile. C’est pourtant l’objectif que doit, in fine, atteindre ce texte.

En plaçant les activités des services de renseignement dans un cadre légal, le projet de loi renforce leur légitimité et leur efficacité, garantes de notre sécurité. En effet, le spectre légal des techniques pouvant être mises en œuvre par les services a été élargi, leurs missions plus clairement définies et la protection des agents renforcée.

Alors même que la France est l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un tel cadre légal et que les menaces auxquelles notre nation est confrontée sont de plus en plus diverses et transnationales, un tel renforcement me paraît nécessaire. Outre le terrorisme, nous devons faire face aux dangers posés par les États faillis, la prolifération nucléaire, le crime organisé, les cyberattaques, pour ne citer que quelques exemples.

Un tel dispositif est d’autant plus nécessaire que la France est aujourd’hui, rappelons-le, le pays européen réellement engagé sur des théâtres d’opérations extérieures. Cet engagement fait de nous un acteur important et crédible sur la scène internationale, mais aussi une cible privilégiée, voire une cible de premier rang par rapport à d’autres pays.

Vient alors la question de notre liberté. Il est essentiel que les citoyens français aient confiance en nos services de renseignement ; il est essentiel qu’ils sentent leurs droits, leurs libertés et leur vie privée protégés autant que faire se peut. Cette liberté est essentielle à notre démocratie, consacrée par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme. Il est du rôle du Parlement de veiller à ce que ces droits soient respectés. Pour ce faire, nous devons nous assurer que les activités des services de renseignement respectent deux principes essentiels : la nécessité et la proportionnalité.

Si la rédaction initiale du projet de loi n’était pas satisfaisante sur ce point, les débats parlementaires, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, sont allés et vont dans le bon sens. Aussi je salue à mon tour le travail du rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et du rapporteur de la commission des lois.

Le recours aux différentes techniques de renseignement est désormais mieux encadré, répondant ainsi aux craintes de nombreux citoyens, par exemple s’agissant de l’utilisation d’algorithmes ou du recueil des données de connexion par les IMSI catchers. Je ne crois pas, à ce titre, que le texte instaure la « surveillance de masse » souvent annoncée. S’il est vrai que davantage de données seront recueillies par les services, leur exploitation est limitée et encadrée. Le débat parlementaire permettra en outre d’apporter des clarifications. Soyons nets : nos services n’ont de toute façon ni les moyens d’établir un scénario à la Orwell ni intérêt à le faire.

Les travaux parlementaires ont également permis de renforcer les modalités de contrôle du recours à ces techniques par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et par le Conseil d’État. L’indépendance, la légitimité et l’efficacité de ce contrôle ont en effet été renforcées. Sur ce point, la proposition de loi organique de nos collègues Jean-Pierre Raffarin et Philippe Bas relative à la nomination du président de la CNCTR permettra de renforcer, à juste titre, le pouvoir législatif.

Ainsi, sur le sujet essentiel et sensible que représente l’activité de nos services de renseignement, je considère que le projet de loi, sous le bénéfice des amendements qu’auront adoptés nos deux assemblées et des compléments et améliorations qu’elles y auront apportés, est acceptable. Le débat qui l’accompagne est nécessaire. Néanmoins, il doit s’agir non pas de choisir entre notre liberté et notre sécurité, mais bien d’établir un juste équilibre entre ces deux droits, tous deux essentiels à notre démocratie.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 13 mai dernier, la Chambre des représentants des États-Unis a voté, par 338 voix contre 88, l’abolition de la section 215 du Patriot Act, la loi antiterroriste adoptée après les attentats du 11 septembre 2001.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Depuis lundi, à zéro heure GMT, la NSA a dû fermer toutes ses boîtes noires. Au même moment, le gouvernement français présente un projet de loi dont la mesure majeure est précisément la même que celle de la section 215 : le traitement de masse des données numériques de l’ensemble de la population.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Le vote des représentants américains, républicains et démocrates confondus, et, surtout, les raisons de ce vote permettent de prendre conscience de l’erreur majeure que s’apprête à commettre le gouvernement français.

Le ministre de l’intérieur s’indigne vertement, avec les accents de la bonne conscience outragée, chaque fois que l’on compare son projet de loi au Patriot Act. Pourtant, l’article L. 851-4 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de ce projet de loi, qui prévoit la surveillance de masse de l’ensemble des Français, est bien la réplique de la section 215 du Patriot Act, qui vient d’être rejetée massivement par les congressistes américains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

L’intérêt de l’exemple américain est que la décision des parlementaires découle de quinze ans de mise en œuvre du Patriot Act et que, contrairement aux débats au Parlement français qui ne peuvent s’appuyer sur aucune expérience, elle résulte du constat unanime que quinze ans de recours au traitement de masse des données ont entraîné une formidable régression, à l’exact opposé du résultat recherché.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

La première raison de cette régression, c’est bien sûr la formidable atteinte aux libertés publiques qu’entraîne la surveillance généralisée.

Le Gouvernement affirme que le projet de loi ne menace pas la vie privée, car les boîtes noires ne collectent que les métadonnées – adresses IP des ordinateurs, adresses des courriels de l’émetteur et du récepteur d’un message, numéros de téléphone, adresse des pages web consultées –, et non les contenus qui seraient les seuls à permettre l’accès à des données personnelles. Ce raisonnement, auquel beaucoup se sont laissés prendre, est une véritable escroquerie intellectuelle qu’il est facile de démonter à l’aide d’exemples simples.

M. X, marié et père de deux enfants, se connecte tous les quinze jours depuis son ordinateur dont l’adresse IP l’identifie avec certitude à un site de rencontres extraconjugales. Dans les mêmes conditions, M. Y se connecte une fois par semaine à un site de rendez-vous homosexuels. Ceux qui peuvent recueillir ces données n’ont pas besoin de savoir quel est le contenu des pages web visitées ; ils ont connaissance, avec ces seules métadonnées, de détails extrêmement personnels dont il n’est pas difficile d’imaginer les exploitations possibles.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Des exemples analogues peuvent être facilement trouvés dans les domaines politiques, religieux, ethniques. Ils prouvent ce que le Gouvernement s’évertue à cacher depuis le début du débat parlementaire sur ce texte : les métadonnées sont beaucoup plus intrusives que les contenus eux-mêmes. Elles offrent une information synthétique et déjà catégorisée, alors qu’il est très difficile et, surtout, très long d’extraire automatiquement et de façon fiable de telles informations du contenu des conversations ou des images échangées.

Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, les métadonnées sont bien des données personnelles, souvent ultrapersonnelles, et vous ne pouvez continuer à prétendre le contraire. Vous allez me répondre que les algorithmes ne vont pas cibler les amateurs de sites de rencontres. J’en suis bien conscient, et il s’agit là d’un exemple parmi cent autres pour illustrer le caractère intrusif des métadonnées. Mais l’usage de ces algorithmes a un autre grave inconvénient : le nombre très élevé de « faux positifs »…

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

… qui transformeront en suspects – et là je parle du terrorisme, ciblé par l’article L. 851-4 – des milliers de personnes qui n’ont rien à se reprocher. C’est une nouvelle « loi sur les suspects ».

Les IMSI catchers, susceptibles de capter les conversations téléphoniques de tous les utilisateurs situés dans leur rayon d’action, les « boîtes noires » permettant de collecter les métadonnées de millions de Français, les logiciels espions capables d’écouter et de voir dans des lieux privés sont quelques exemples des dérapages – donc des futurs scandales – permis par le texte dans sa version actuelle.

Vous nous affirmez que ces dérapages ne peuvent avoir lieu en France, car vous avez pris toutes les précautions. C’est aussi ce que disaient les promoteurs de la section 215 du Patriot Act.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Bien entendu, ces dérapages ont eu lieu aux États-Unis. Ils ont abouti à des scandales de grande ampleur, en premier lieu l’affaire Snowden et la découverte de l’espionnage généralisé par la NSA, au point de donner la nausée à l’opinion publique de ce pays démocratique et à ses représentants.

Ces empiétements majeurs sur les libertés individuelles n’auraient sans doute pas à eux seuls entraîné le vote de rejet du Congrès, tant reste gravé aux États-Unis le traumatisme du 11 septembre 2001. Si les représentants américains ont décidé de remplacer le Patriot Act par le Freedom Act le 13 mai dernier et de supprimer la section 215, c’est parce qu’ils sont désormais convaincus, preuves à l’appui, que la surveillance généralisée n’a entraîné aucune amélioration dans la lutte contre le terrorisme.

Tout d’abord, les scandales de toute nature liés aux abus considérables ont fortement décrédibilisé les services de renseignement américains. Ils ont également entraîné une crise profonde entre les États-Unis et leurs principaux alliés qui entravera pendant longtemps la lutte commune contre le terrorisme. Enfin, la mise en œuvre du Patriot Act n’a pas empêché l’attentat de Boston ou d’autres dangers, qui n’ont été évités que grâce à d’autres moyens ou même parfois par le simple hasard.

Il est frappant de constater, lorsqu’on lit les comptes rendus des commissions de la Chambre des représentants, que ce qui a le plus fortement déterminé leur vote, ce sont les auditions des responsables du renseignement, qui ont été dans l’impossibilité de leur démontrer quelque efficacité de l’énorme dispositif mis en place depuis dix ans. Pis, les documents révélés par Edward Snowden montrent une pléthore de notes internes à la NSA – qui n’étaient pas rendues publiques à l’époque – se plaignant de la difficulté sans cesse croissante de trier dans une masse de données devenues ininterprétables et asphyxiant les services chargés de leur analyse.

Une grave menace pour les libertés, des inconvénients majeurs et l’absence de résultats positifs, il n’en faut pas plus, me semble-t-il, pour refuser sans état d’âme et sans être traité de laxiste, sempiternel argument des partisans du quadrillage, plusieurs dispositions du texte de loi présenté par le Gouvernement.

Je ne voudrais pas qu’il y ait de méprise : le projet de loi relatif au renseignement est un texte nécessaire, destiné à fixer un cadre légal cohérent et complet aux activités des services de renseignement. Mais, sous sa forme actuelle, il comprend quatre dispositions qui ne peuvent décemment figurer dans le corpus législatif d’une démocratie sans qu’en soient fixées les limites et les conditions d’application beaucoup plus précisément qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

En premier lieu, les IMSI catchers doivent être strictement paramétrés, dès leur conception et leur fabrication, afin qu’ils ne puissent intercepter que les conversations émanant de numéros de téléphone dûment spécifiés et non toutes les conversations de tous les téléphones dans leur rayon d’action.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

En deuxième lieu, les logiciels espions doivent être restreints à la capture des échanges sortant ou rentrant d’un domicile et non à l’intrusion à l’intérieur du domicile, qui n’a jamais été autorisée en France jusqu’à ce jour sans décision d’un juge judiciaire – je regrette que Mme la garde des sceaux soit absente de l’hémicycle au moment où je prononce cette phrase.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

En troisième lieu, l’interception des communications internationales permet notamment la collecte de masse des données de nos concitoyens à l’étranger ou en France. Rien dans la loi n’interdit leur communication dans le cadre des échanges entre services de renseignement alliés. S’il est compréhensible de jeter un voile pudique sur ces pratiques, au moins faut-il préciser que ces échanges ne peuvent concerner, dans des proportions significatives, nos propres concitoyens – c’est le sens d’un amendement que j’ai déposé.

Enfin et surtout, l’article L. 854–1 du code de la sécurité intérieure, celui qui autorise la surveillance par les boîtes noires des connexions de l’ensemble de la population, doit être supprimé. Un traitement de masse des données personnelles par l’État n’est pas compatible avec la vie d’une société démocratique.

Ces conditions me paraissent indispensables pour pouvoir voter un projet de loi nécessaire – parce qu’il réglemente des pratiques aujourd’hui totalement « a-légales » –, mais qui n’est acceptable que dans la mesure où il ne remet pas en cause les principes de base de notre démocratie.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’exercice auquel nous sommes en train de nous livrer est pour le moins insolite : il consiste au fond à mettre en lumière une activité qui prospère plutôt dans l’ombre, la discrétion, la confidentialité, voire le secret, comme si nous devions résoudre un paradoxe ou réduire un oxymore.

La volonté du Gouvernement, à travers le projet de loi, c’est de donner un cadre légal aux activités de nos six services de renseignement sur le territoire national. Donner un cadre légal, certes, mais, dans le même temps, faire droit à celles et à ceux qui s’inquiètent que ces activités, les moyens mis en œuvre pour les exercer, les conditions de cette mise en œuvre puissent aboutir à une immixtion dans la vie privée, à une atteinte à la liberté individuelle.

Tous autant que nous sommes ici savons cela, et notre sensibilité politique personnelle nous conduit à nous positionner soit plus en faveur de la défense d’une liberté que nous avons au cœur, soit plus en faveur de la défense de notre sécurité. Tenir l’un sans lâcher l’autre, l’exercice est difficile, mais le Gouvernement a le courage de soumettre à notre réflexion ce sujet délicat.

Alors que le projet de loi était en gestation, notre pays a été sauvagement frappé au début du mois de janvier. Je ne reviens pas sur ces événements à la fois tragiques et cruels, mais ceux-ci nous rappellent la nécessité pour une nation de se prémunir contre de telles attaques, bien entendu préparées dans le secret. C’est à ce niveau de secret que l’action doit se faire plutôt de manière anticipée.

Notre pays a besoin de services de renseignement à la fois forts, efficaces – efficacité pour déjouer les attentats, les attaques cybernétiques qui peuvent porter gravement atteinte à la souveraineté de notre pays, efficacité dans la défense des intérêts vitaux également, comme le Premier ministre le rappelait tout à l’heure –, mais également respectueux des droits fondamentaux et qui agissent donc dans un cadre juridique sans nuire à l’exercice serein de la démocratie et à l’État de droit, sans nuire à l’efficacité de son travail, indispensable à la sécurité des Français, indispensable à la défense des intérêts économiques, scientifiques et sociaux.

Le projet de loi fait écho à la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Or les techniques et les moyens de communication qui se sont développés depuis cette époque ont beaucoup évolué : téléphone portable, internet, réseaux sociaux, techniques d’intrusion, de géolocalisation, de balisage, de sonorisation. Le projet de loi donne donc un cadre, détermine les techniques autorisées, précise les conditions d’utilisation, les autorisations en amont, les dérogations éventuelles, les dérogations concernant certaines interventions en cas de danger imminent.

Certains voient dans le projet de loi – nous venons de l’entendre – une version française de tout ou partie du Patriot Act américain. Bien sûr, il arrive devant le Parlement après les tueries de janvier 2015, celle de Verviers, de Copenhague, mais qui pourrait penser qu’il s’agit d’un texte d’opportunité ? Ce n’est pas le cas puisqu’il a été initié voilà plus d’un an. Il vise à légaliser des pratiques, à protéger également nos agents – à qui je veux rendre hommage – dans l’exercice de leur métier et surtout à rappeler aux Français qu’ils peuvent compter sur leur engagement, ici ou ailleurs, au risque de leur vie.

Pour conclure, je voudrais dire que l’activité des services de renseignement éveille bien des fantasmes, souvent alimentés par la littérature et le cinéma. Or un État ne vit pas dans les fantasmes. En posant un cadre légal, le projet de loi doit éloigner des fantasmes tant les activistes, en leur rappelant que nous sommes dans un État de droit où les officines et les barbouzes n’ont pas leur place, que ceux qui seraient habités par la peur de ne plus vivre dans un État de droit.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes très chers collègues, au sommet de la pyramide est placé Big Brother. Big Brother est infaillible et tout-puissant ! C’est l’affaire Snowden qui aura démontré que nous ne sommes désormais plus très éloignés du monde effrayant de 1984 imaginé par George Orwell. En 2013, les révélations de ce jeune informaticien sur les pratiques de la NSA ont en effet mis en lumière un système de surveillance de masse exercée en ligne, précipitant la fin du mythe originel d’internet.

Quarante ans après sa naissance, internet, synonyme de liberté, se révèle être aussi un instrument de puissance qui nous échappe, support d’un monde d’hyper-surveillance et de vulnérabilité. Tel est le diagnostic réalisé l’année dernière par la mission commune d’information sur la gouvernance mondiale de l’internet, voulue par le groupe UDI-UC, dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteur.

Forte de ce constat, notre mission a réfléchi au rôle que devraient jouer la France et l’Europe dans cette gouvernance. Parmi les soixante-trois propositions sur un ensemble de sujets, étaient évoqués l’urgence d’un cadre juridique renouvelé et modernisé, le nécessaire renforcement de l’encadrement légal des activités de renseignement, mais aussi l’indispensable amélioration de leur contrôle politique. C’est dire si je suis, comme vous tous, préoccupée par les questions de sécurité, que je considère comme un droit fondamental. Tout comme je considère comme fondamental – ce n’est pas opposable – le respect de nos libertés.

Sur ce sujet, à en juger le texte initial du Gouvernement, je dois dire que nous revenons de loin. C’est ici au Sénat, grâce au travail effectué par Philippe Bas pour la commission des lois et par Jean-Pierre Raffarin pour la commission des affaires étrangères, qu’il a été sensiblement amélioré. Je remercie d’ailleurs la commission des lois d’avoir intégré certains de mes amendements. Néanmoins, en l’état, ce texte est encore source de grande inquiétude. Je ferai à cet égard plusieurs remarques.

Première remarque : une législation exclusivement nationale reste à mon sens insuffisante. Aujourd'hui, si chaque membre de l’Union européenne s’interdit d’espionner sa propre population, il obtient néanmoins des renseignements sur celle-ci auprès de ses voisins. C’est ce qu’Edward Snowden a qualifié de « bazar européen » lors de son audition au Parlement européen.

Il faut donc un cadre juridique européen harmonisé de contrôle des échanges d’informations entre services de renseignement, et ce sans préjudice de la compétence exclusive de l`État français en matière de politique de renseignement. Il faut aussi se préoccuper de la sécurité de nos réseaux et de nos infrastructures. Je l’ai expliqué dans un autre rapport fait au nom de la commission des affaires européennes en 2013 : nous sommes sur bien des sujets, et sur celui-ci en particulier, une « colonie du monde numérique ».

Deuxième remarque, et c’est un point à mes yeux rédhibitoire : ce texte, à travers les mesures proposées, qui n’ont en rien prouvé leur efficacité, instaure la suspicion numérique généralisée. Ce n’est pas pour rien si tant d’institutions expertes et qualifiées, comme le Conseil national du numérique, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, l’INRIA - l’Institut national de recherche en informatique et en automatique -, les barreaux, le Conseil national des droits de l’homme nous alertent quant aux graves risques d’abus de dispositifs par nature intrusifs. Hier, au sujet d’une question prioritaire de constitutionnalité, le rapporteur au Conseil d’État lui-même a recommandé à l’institution qu’il représente de saisir le Conseil constitutionnel.

Il y a tout d’abord la question des métadonnées, c’est-à-dire des données sur les données. Parce qu’elles seraient, nous dit-on, moins intrusives que le contenu lui-même, elles pourraient être collectées et traitées sans que cela constitue un risque pour le droit à la vie privée de nos concitoyens. Eh bien, c’est tout le contraire ! En raison de la montée en puissance des capacités de traitement des données en masse, le « big data », et aussi de la numérisation de toute l’activité humaine, ces métadonnées sont devenues plus révélatrices du comportement des modes de vie, des opinions, des usagers que nous sommes.

Il y a ensuite la question des « boîtes noires », les fameux algorithmes, posées chez les fournisseurs d’accès à internet, les hébergeurs de sites web ou encore les grands services en ligne que l’on utilise au quotidien et où se trouvent les métadonnées de chaque internaute.

Disons-le clairement, le projet de loi tel qu’il a été voulu par le Gouvernement s’apparente bien à un Patriot Act à la française : une loi d’exception, prise au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 et qui a abouti à l’émission de plus de 200 000 national security letters – lettres de sécurité nationale – permettant d’avoir accès aux données d’usagers de télécommunications entre 2003 et 2006.

Non content d’alerter sur les potentielles dérives d’une détection algorithmique et de démontrer qu’un programme informatique, même bien réglé, produit systématiquement des erreurs, l’INRIA souligne également l’inefficacité de cette technique algorithmique, apportant la preuve qu’ils sont facilement contournables, même sans connaissance technique et informatique élaborée.

Ironie du sort, comme l’a rappelé notre collègue Claude Malhuret, au moment où le Congrès américain remet en cause la reconduite de l’article 215 du Patriot Act, sans tirer de conclusions de l’application de celui-ci lors des quinze dernières années, nous nous apprêtons à légiférer aujourd’hui pour amplifier notre dispositif légal du renseignement avec des conséquences démocratiques mais aussi économiques imprévisibles.

Outre le fait qu’il convient de supprimer des dispositifs dits de « boîtes noires » et de prendre quelques garanties supplémentaires, que j’aurai l’occasion d’évoquer lors de la discussion des articles, concernant notamment les « professions protégées », il faut absolument donner à la CNIL la possibilité d’un contrôle a posteriori des fichiers. C’était d'ailleurs la recommandation n° 54 de notre rapport.

Enfin, troisième remarque : il est important de préciser une menace sous-jacente à ce texte, à savoir la création de « failles » par les services de renseignement qui seront autant de portes dérobées dans les algorithmes cryptographiques, des failles accessibles tant aux agences de sécurité qu’aux terroristes et autres cybercriminels. Il a été démontré que les programmes de surveillance de masse comme ceux de la NSA fragilisent les dispositifs de sécurité d’internet. Ils rendent encore plus vulnérables les entreprises et les infrastructures critiques des États et, donc, leurs données. Les conséquences économiques liées à la crise de confiance numérique sont d'ailleurs devenues telles aux États-Unis que l’agence fédérale américaine chargée d’élaborer les standards de chiffrement souhaite désormais s’émanciper de la NSA.

Mes chers collègues, je dirai, en conclusion, qu’à l’hyper-surveillance, qui nous touche tous, doit correspondre la mise en place d’hyper-moyens de contrôle de la surveillance, seul rempart contre l’arbitraire. La France et les Français ont besoin d’être protégés, mais ils ont aussi besoin de voir leur démocratie et ses valeurs protégées sur le long terme.

Pour avoir participé ce matin, dans le cadre du deuxième forum de la gouvernance de l’internet, à un débat sur ces sujets, je vous mets en garde. À la question posée par un atelier intitulé « La sécurité peut-elle être le résultat d’un algorithme ? », la réponse a bien sûr été négative. La conclusion a été qu’une fois les dispositifs établis, nul ne pouvait garantir l’utilisation qui en serait faite. Quel que soit le gouvernement, il sera toujours tentant de mettre le doigt dans le pot de confiture.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la réponse que je ferai au nom de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, et en mon nom personnel sera assez brève en raison de la visite d’État du roi d’Espagne. Nous aurons l’occasion de revenir sur l’ensemble des sujets lors de l’examen des amendements.

Je retiens de ce débat que nous avons la même volonté d’établir une politique publique du renseignement à la fois efficace, moderne et protectrice. Nous partageons également la volonté de trouver un point d’équilibre entre efficacité et contrôle. Si j’ai bien entendu Philippe Bas et Jean-Pierre Raffarin, nous sommes sur le point d’aboutir. Grâce à l’engagement des uns et des autres, des compromis ont pu être trouvés ou sont en voie de l’être sur plusieurs sujets sensibles : la finalité du renseignement, la durée de conservation des données, les modalités de centralisation des données collectées afin de favoriser leur contrôle ou la protection de certaines professions. Le Premier ministre l’a clairement dit : la volonté du Gouvernement est bien de travailler de concert avec le Parlement dans un esprit de responsabilité et d’efficacité, avec le souci de parvenir à un consensus chaque fois que cela sera possible.

Les travaux de l’Assemblée nationale ainsi que ceux de la commission des lois et de la commission des affaires étrangères du Sénat – je remercie d’ailleurs leur rapporteur et tous ceux qui ont travaillé sur ce texte – ont déjà enrichi le projet de loi. Je ne doute pas que l’état d’esprit constructif qui anime la Haute Assemblée permettra de parvenir à un résultat de grande qualité.

Vous avez été nombreux à souligner la gravité de la menace terroriste. En ma qualité de ministre de la défense, j’y suis confronté quotidiennement. Je ne reviendrai pas sur ce diagnostic partagé.

J’ai constaté avec intérêt que chacun reconnaissait que notre législation était devenue, dans cet environnement, lacunaire et obsolète. Il importe donc de trouver les voies d’élaboration d’un cadre de nature à intégrer la révolution numérique dans un dispositif qui n’était absolument pas pris en compte dans la loi de 1991. Car la révolution numérique, qui a bouleversé les techniques et les missions de renseignement, a aussi modifié l’action des groupes terroristes ! Vous l’avez dit, monsieur Raffarin, ce texte est en train de devenir une loi de maturité. À cet égard, nos débats permettront encore de le faire progresser.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais appeler votre attention sur plusieurs sujets qui me paraissent préoccupants ou qui me semblent nécessiter des précisions. C’est le cas des moyens techniques, notamment des moyens intrusifs, susceptibles d’affecter la protection de la vie privée dont disposeront nos services de renseignement. Beaucoup d’interventions ont été consacrées à ce sujet – je pense en particulier à M. Mézard et à Mmes Cukierman et Benbassa.

Permettez-moi de revenir sur un certain nombre de points majeurs rappelés par le Premier ministre : toutes les techniques nouvelles sont soumises à une autorisation. Le texte n’autorise que des techniques de surveillance ciblée, strictement proportionnée aux objectifs poursuivis. Contrairement à ce qui a été soutenu par certains, il ne s’agit en aucun cas d’établir un système de surveillance de masse.

Ainsi, la surveillance en temps réel par recueil direct sur les réseaux ne sera possible que si une personne est au préalable individuellement identifiée comme représentant ou pouvant représenter une menace terroriste. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sera consultée et devra émettre un avis. Ces techniques de surveillance en temps réel permettront le recueil des seules données de connexion à l’exclusion du contenu des correspondances.

De même, s’agissant de la détection sur données anonymes, les opérateurs ne transmettront aux services de sécurité que les données de nature à caractériser l’existence d’une menace terroriste. Ces données, qui ne concernent que le terrorisme et non pas d’autres sphères de l’activité publique ou privée, seront donc sélectionnées – j’insiste sur ce point – au moyen d’algorithmes. Il ne s’agit en aucun cas de cette surveillance généralisée et massive évoquée ici ou ailleurs ! Un certain nombre d’amendements adoptés par les députés et visant à dissiper tout malentendu sur ce sujet figurent dans le texte de loi.

Je tiens à redire ici, en tant que ministre de la défense, que cette technique est nécessaire à l’efficacité des services de renseignement. On ne comprendrait pas que, face à des réseaux clandestins se jouant des modes de surveillance classique, nous ne fassions rien. Nous devons donc tout faire pour repérer ces réseaux et ces filières. Cette capacité est pour nous cruciale – MM. Détraigne et Sueur l’ont dit également – afin d’entraver et de prévenir des actes terroristes sur notre sol. Il importe toutefois que ce dispositif soit soumis à des règles draconiennes, ce qui sera le cas.

Je rappelle qu’un amendement spécifique relatif aux algorithmes, déposé par le Gouvernement, a été adopté par les députés pour tenir compte des préoccupations exprimées par certains parlementaires ou commentateurs. Le dispositif tel qu’il sera institué, dans une perspective expérimentale, est ainsi prévu pour une durée temporaire, en l’occurrence trois ans, et sa prolongation dépendra de la décision du Parlement. Chaque algorithme fait l’objet d’un renouvellement, le cas échéant, tous les quatre mois, sachant que le premier ne vaut que pour deux mois. Il s’agit, là encore, d’une garantie supplémentaire, en sus du contrôle permanent de la CNCTR sur la proportionnalité et la finalité de ce type d’interventions.

Par ailleurs, le Gouvernement vous proposera de préciser dans le texte, par voie d’amendement, que les données de connexion retenues par les algorithmes devront être rapidement détruites, s’il n’est pas confirmé que les personnes auxquelles elles correspondent méritent d’être surveillées au nom de la prévention du terrorisme. Je le précise, car ce sujet donne lieu à de nombreuses incompréhensions, voire à des illusions. Il n’y a rien de commun entre ce texte et le Patriot Act américain, quoi qu’en pense M. Malhuret. Je tiens d’ailleurs à lui faire remarquer que ce dispositif – cela relève de la responsabilité des autorités américaines – ne sera pas supprimé, mais transformé en Freedom Act, lequelreprendra les mêmes mesures ; les excès et les conséquences néfastes du Patriot Act, qui ont pu être observés jusqu’à présent, ne disparaîtront donc pas. Nous ne nous situons ni dans le même contexte ni dans la même logique.

Je souhaite revenir sur deux autres points qui ont été évoqués.

Le premier concerne les mesures de surveillance internationale.

Le Premier ministre l’a dit dans son intervention liminaire, ces mesures ne faisaient l’objet jusqu’à présent d’aucune organisation réglementaire. Ainsi, la loi de 1991 n’avait pas intégré ce dispositif de surveillance, pourtant essentiel. Le projet de loi y remédie, et c’est un progrès décisif pour le droit.

J’ajoute que ces mesures de surveillance internationale doivent faire l’objet de deux décrets : un décret en Conseil d’État « classique », et un autre, non public, qui sera tout de même communiqué à la CNCTR, au Conseil d’État et à la délégation parlementaire au renseignement. Ce décret « non classique » fixera les modalités techniques de recueil des données nécessaires lors des interceptions au niveau international. Le Gouvernement a souhaité préciser dans la loi elle-même le contenu du décret classique, afin de faire montre encore plus clairement de sa volonté de transparence.

Ce sujet ressortissant de la compétence du ministre de la défense, le Gouvernement a déposé un amendement que je défendrai demain visant à définir l’objet des autorisations, leur durée de validité, les instruments de contrôle de la CNCTR et la nature du droit au recours devant le Conseil d’État, lequel sera ouvert, le cas échéant, à l’encontre de ces mesures de surveillance internationale. Cela constitue une première dans notre droit, mais aussi une avancée significative dans l’esprit d’équilibre entre contrôle et efficacité que j’évoquais précédemment.

Le deuxième point, évoqué par M. Hyest, concerne le rôle du Conseil d’État et la place du juge judiciaire. Je rappelle, comme il l’a fait, que le renseignement relève de la police administrative et que son contentieux concerne la légalité des décisions du Premier ministre. Par ailleurs, le renseignement ne relève pas du champ de l’article 66 de la Constitution, lequel énonce que l’autorité judiciaire est « gardienne de la liberté individuelle », dès lors que, en vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cet article ne commande la compétence du juge judiciaire que pour les mesures privatives de liberté. Or celles-ci ne sont pas en cause ici. Il est donc logique, comme cela a été dit, que le juge administratif soit compétent pour connaître de la légalité des techniques de renseignement. C’est le point de vue que défendent à la fois, au nom du Gouvernement, la garde des sceaux et le ministre de l’intérieur.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les remarques que je souhaitais faire avant que nous ne débutions l’examen des articles du projet de loi, examen qui permettra au Gouvernement de préciser de nouveau sa position dans une volonté d’ouverture et de compromis entre le contrôle et l’efficacité.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Monsieur le président, je demande l’examen par priorité, demain, mercredi 3 juin, à la reprise de la séance du soir, des articles 2 et 3 du projet de loi. Je tiens en effet à être présent au Sénat lorsque seront examinées les dispositions de ce texte relatives aux algorithmes de la surveillance internationale, dans la mesure où celles-ci relèvent en grande partie de ma compétence.

Aux termes de l’ordre du jour prévu, ces dispositions devaient être examinées jeudi 4 juin. Or, ce jour-là, je serai retenu à l’Assemblée nationale par l’examen en séance publique du projet de loi actualisant la programmation militaire. Je vous remercie de votre compréhension.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Quel est l’avis de la commission sur cette demande de priorité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Il n’y a pas d’opposition ?...

La priorité est ordonnée.

La suite de la discussion du projet de loi et de la proposition de loi organique est renvoyée à la séance de demain, mercredi 3 juin 2015.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Hervé Marseille.