Ce vide juridique s’est longtemps traduit par une réticence forte à toute intrusion du pouvoir législatif dans le champ des services de renseignement : comment encadrer des prérogatives étatiques qui relèvent du secret d’État ? Comment légaliser des pratiques dont les fins, par essence, sont censées justifier les moyens ?
La difficulté était inhérente à la mission dérogatoire de renseignement. Il est aussi probable qu’entrait en ligne de compte la crainte compréhensible que l’encadrement par le droit ne nuise à l’efficacité des renseignements. Tout l’enjeu est bien là : obtenir les renseignements nécessaires, mais dans le respect du droit et des libertés fondamentales.
À l’invitation, notamment, de la Cour européenne des droits de l’homme, la France s’est dotée d’une législation dans ce domaine par la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Cette loi prévoyait que les interceptions de sécurité ne pouvaient se faire qu’à titre exceptionnel.
L’absence actuelle d’un corpus juridique encadrant l’activité des services de renseignement expose notre pays à des risques non négligeables en matière de sécurité juridique ; elle peut en outre empêcher toute exploitation devant le juge des informations collectées.
Dans le contexte international de déstabilisation et d’insécurité que nous connaissons, mais aussi dans le contexte national du départ de près de 1 300 djihadistes français, et donc de leur potentiel retour des théâtres d’opérations syriens et irakiens, ce projet de loi doit donner aux services de renseignement les moyens de mener à bien leurs missions, indispensables à la protection de nos concitoyens. On ne peut pas faire de renseignement sans moyens. M. Raffarin a eu raison de dire que l’un des éléments fondamentaux de ce projet était de donner aux services les moyens financiers nécessaires pour faire leur travail.
Le présent texte s’attache ainsi à achever la réforme des services de renseignement, d’une part, en définissant dans la loi les principes et les finalités de la politique publique du renseignement et, d’autre part, en encadrant l’utilisation des techniques de recueil du renseignement.
Personne ne saurait nier que les événements de janvier dernier ont inévitablement accéléré le train des réformes qui doivent mettre un point final à l’état d’exception de ces services. Nous devons toutefois insister sur le fait qu’ils ne doivent pas conduire à ratifier sans débat de fond un texte aussi important que celui-ci, et qui ne saurait en aucun cas être neutre en matière de libertés. Le débat doit avoir lieu, mes chers collègues, sans concession et sans démagogie.
À titre liminaire, je réitérerai l’un de mes combats habituels, monsieur le président de la commission des lois : le juge administratif est devenu au fil des réformes successives le juge de droit commun des voies de fait, …