… à rebours de la lettre comme de l’esprit de la Constitution de 1958 qui, en son article 66, fait du juge judiciaire le gardien des libertés individuelles.
Je persiste et je signe. Certes, j’entends les messages contradictoires. Pourtant, bien que cet ordre abonde en figures compétentes, emblématiques et profondément respectables, tel le vice-président du Conseil d’État, il y aura toujours une porosité inévitable entre l’État et le juge administratif.
À ce titre, nous insistons sur l’importance de prévoir des contre-pouvoirs à l’emprise des services de renseignement sur la vie de nos concitoyens. S’il faut des moyens pour les services de renseignement, comme nous en sommes convaincus, il faut aussi que ceux-ci puissent faire l’objet de vrais contrôles. Il n’est pas question d’entraver ces services dans leur action, mais bien de s’assurer que cette dernière se fait dans le respect d’une légalité spécifique.
À quoi sert-il ainsi d’instaurer une commission nationale de contrôle des techniques de renseignement si cette dernière ne donne qu’un avis consultatif ? Nous proposons donc que l’avis de cette commission lie son destinataire, le Premier ministre. Qui sait, mes chers collègues, quelle personnalité occupera ce poste dans les prochaines années ? Ne faisons pas le hasardeux pari pascalien de croire que l’attachement aux libertés est intrinsèque à la fonction.
L’importance de cet avis est encore plus grande quand les techniques de renseignement sont appliquées à des parlementaires, des avocats ou des magistrats. Il y va du bon fonctionnement de notre démocratie. Dans le cas spécifique des avocats – il est tout naturel que je plaide pour cette profession –, nous ne pouvons comprendre que le texte actuel autorise les services administratifs à mettre en œuvre des mesures d’interception ou d’intrusion qui sont normalement interdites à l’autorité judiciaire.
Pour ces mêmes raisons, nous sommes attachés au renforcement, proposé dans le texte, des missions des délégations parlementaires au renseignement.
Il est également indispensable que, chaque année, un rapport soit établi – je le dis alors que je n’aime pas les rapports ! §, et que les parlementaires membres de ces délégations aient accès à tout.
Sur les techniques de renseignement elles-mêmes, les technologies de l’information et, en particulier, le numérique ont opéré une révolution telle qu’elle nécessite que l’on change de paradigme de pensée. Nous avions eu l’occasion de le rappeler ici même lors du débat engagé par le RDSE, voilà deux mois, sur le sujet « Internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».
Il est inacceptable de considérer que, sur internet, tout peut s’écrire, y compris le pire, et que tout peut se préparer ; dans notre système judiciaire, comme vous le savez, madame la garde des sceaux, on en est souvent resté à la presse papier et au bon vieux tract.
Nous saluons le renforcement des prérogatives de TRACFIN, qui lui permettront d’établir des corrélations entre des déplacements de personnes et de marchandises et des flux financiers. TRACFIN sera ainsi en droit de demander des éléments d’identification des personnes ayant payé ou bénéficié d’une prestation ainsi que des éléments d’information relatifs à la nature de cette prestation et, s’il y a lieu, aux bagages et marchandises transportés. Cela est essentiel en matière de lutte contre le terrorisme, comme nous l’avons vu lors des débats sur la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, puis lors des événements qui ont secoué notre pays en janvier dernier.
Pour notre part, nous sommes sceptiques vis-à-vis des technologies qui font passer les activités de pêche des services de renseignement de la pêche au harpon à la pêche au chalut, pour reprendre les propos de M. Jean-Marie Delarue. Je ne peux manquer, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de la défense, messieurs les rapporteurs, d’être troublé par les déclarations de cet homme, que le Sénat tout entier a toujours entouré d’un immense respect, à juste titre.