Bien entendu, ces dérapages ont eu lieu aux États-Unis. Ils ont abouti à des scandales de grande ampleur, en premier lieu l’affaire Snowden et la découverte de l’espionnage généralisé par la NSA, au point de donner la nausée à l’opinion publique de ce pays démocratique et à ses représentants.
Ces empiétements majeurs sur les libertés individuelles n’auraient sans doute pas à eux seuls entraîné le vote de rejet du Congrès, tant reste gravé aux États-Unis le traumatisme du 11 septembre 2001. Si les représentants américains ont décidé de remplacer le Patriot Act par le Freedom Act le 13 mai dernier et de supprimer la section 215, c’est parce qu’ils sont désormais convaincus, preuves à l’appui, que la surveillance généralisée n’a entraîné aucune amélioration dans la lutte contre le terrorisme.
Tout d’abord, les scandales de toute nature liés aux abus considérables ont fortement décrédibilisé les services de renseignement américains. Ils ont également entraîné une crise profonde entre les États-Unis et leurs principaux alliés qui entravera pendant longtemps la lutte commune contre le terrorisme. Enfin, la mise en œuvre du Patriot Act n’a pas empêché l’attentat de Boston ou d’autres dangers, qui n’ont été évités que grâce à d’autres moyens ou même parfois par le simple hasard.
Il est frappant de constater, lorsqu’on lit les comptes rendus des commissions de la Chambre des représentants, que ce qui a le plus fortement déterminé leur vote, ce sont les auditions des responsables du renseignement, qui ont été dans l’impossibilité de leur démontrer quelque efficacité de l’énorme dispositif mis en place depuis dix ans. Pis, les documents révélés par Edward Snowden montrent une pléthore de notes internes à la NSA – qui n’étaient pas rendues publiques à l’époque – se plaignant de la difficulté sans cesse croissante de trier dans une masse de données devenues ininterprétables et asphyxiant les services chargés de leur analyse.
Une grave menace pour les libertés, des inconvénients majeurs et l’absence de résultats positifs, il n’en faut pas plus, me semble-t-il, pour refuser sans état d’âme et sans être traité de laxiste, sempiternel argument des partisans du quadrillage, plusieurs dispositions du texte de loi présenté par le Gouvernement.
Je ne voudrais pas qu’il y ait de méprise : le projet de loi relatif au renseignement est un texte nécessaire, destiné à fixer un cadre légal cohérent et complet aux activités des services de renseignement. Mais, sous sa forme actuelle, il comprend quatre dispositions qui ne peuvent décemment figurer dans le corpus législatif d’une démocratie sans qu’en soient fixées les limites et les conditions d’application beaucoup plus précisément qu’elles ne le sont aujourd’hui.