Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la réponse que je ferai au nom de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, et en mon nom personnel sera assez brève en raison de la visite d’État du roi d’Espagne. Nous aurons l’occasion de revenir sur l’ensemble des sujets lors de l’examen des amendements.
Je retiens de ce débat que nous avons la même volonté d’établir une politique publique du renseignement à la fois efficace, moderne et protectrice. Nous partageons également la volonté de trouver un point d’équilibre entre efficacité et contrôle. Si j’ai bien entendu Philippe Bas et Jean-Pierre Raffarin, nous sommes sur le point d’aboutir. Grâce à l’engagement des uns et des autres, des compromis ont pu être trouvés ou sont en voie de l’être sur plusieurs sujets sensibles : la finalité du renseignement, la durée de conservation des données, les modalités de centralisation des données collectées afin de favoriser leur contrôle ou la protection de certaines professions. Le Premier ministre l’a clairement dit : la volonté du Gouvernement est bien de travailler de concert avec le Parlement dans un esprit de responsabilité et d’efficacité, avec le souci de parvenir à un consensus chaque fois que cela sera possible.
Les travaux de l’Assemblée nationale ainsi que ceux de la commission des lois et de la commission des affaires étrangères du Sénat – je remercie d’ailleurs leur rapporteur et tous ceux qui ont travaillé sur ce texte – ont déjà enrichi le projet de loi. Je ne doute pas que l’état d’esprit constructif qui anime la Haute Assemblée permettra de parvenir à un résultat de grande qualité.
Vous avez été nombreux à souligner la gravité de la menace terroriste. En ma qualité de ministre de la défense, j’y suis confronté quotidiennement. Je ne reviendrai pas sur ce diagnostic partagé.
J’ai constaté avec intérêt que chacun reconnaissait que notre législation était devenue, dans cet environnement, lacunaire et obsolète. Il importe donc de trouver les voies d’élaboration d’un cadre de nature à intégrer la révolution numérique dans un dispositif qui n’était absolument pas pris en compte dans la loi de 1991. Car la révolution numérique, qui a bouleversé les techniques et les missions de renseignement, a aussi modifié l’action des groupes terroristes ! Vous l’avez dit, monsieur Raffarin, ce texte est en train de devenir une loi de maturité. À cet égard, nos débats permettront encore de le faire progresser.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais appeler votre attention sur plusieurs sujets qui me paraissent préoccupants ou qui me semblent nécessiter des précisions. C’est le cas des moyens techniques, notamment des moyens intrusifs, susceptibles d’affecter la protection de la vie privée dont disposeront nos services de renseignement. Beaucoup d’interventions ont été consacrées à ce sujet – je pense en particulier à M. Mézard et à Mmes Cukierman et Benbassa.
Permettez-moi de revenir sur un certain nombre de points majeurs rappelés par le Premier ministre : toutes les techniques nouvelles sont soumises à une autorisation. Le texte n’autorise que des techniques de surveillance ciblée, strictement proportionnée aux objectifs poursuivis. Contrairement à ce qui a été soutenu par certains, il ne s’agit en aucun cas d’établir un système de surveillance de masse.
Ainsi, la surveillance en temps réel par recueil direct sur les réseaux ne sera possible que si une personne est au préalable individuellement identifiée comme représentant ou pouvant représenter une menace terroriste. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sera consultée et devra émettre un avis. Ces techniques de surveillance en temps réel permettront le recueil des seules données de connexion à l’exclusion du contenu des correspondances.
De même, s’agissant de la détection sur données anonymes, les opérateurs ne transmettront aux services de sécurité que les données de nature à caractériser l’existence d’une menace terroriste. Ces données, qui ne concernent que le terrorisme et non pas d’autres sphères de l’activité publique ou privée, seront donc sélectionnées – j’insiste sur ce point – au moyen d’algorithmes. Il ne s’agit en aucun cas de cette surveillance généralisée et massive évoquée ici ou ailleurs ! Un certain nombre d’amendements adoptés par les députés et visant à dissiper tout malentendu sur ce sujet figurent dans le texte de loi.
Je tiens à redire ici, en tant que ministre de la défense, que cette technique est nécessaire à l’efficacité des services de renseignement. On ne comprendrait pas que, face à des réseaux clandestins se jouant des modes de surveillance classique, nous ne fassions rien. Nous devons donc tout faire pour repérer ces réseaux et ces filières. Cette capacité est pour nous cruciale – MM. Détraigne et Sueur l’ont dit également – afin d’entraver et de prévenir des actes terroristes sur notre sol. Il importe toutefois que ce dispositif soit soumis à des règles draconiennes, ce qui sera le cas.
Je rappelle qu’un amendement spécifique relatif aux algorithmes, déposé par le Gouvernement, a été adopté par les députés pour tenir compte des préoccupations exprimées par certains parlementaires ou commentateurs. Le dispositif tel qu’il sera institué, dans une perspective expérimentale, est ainsi prévu pour une durée temporaire, en l’occurrence trois ans, et sa prolongation dépendra de la décision du Parlement. Chaque algorithme fait l’objet d’un renouvellement, le cas échéant, tous les quatre mois, sachant que le premier ne vaut que pour deux mois. Il s’agit, là encore, d’une garantie supplémentaire, en sus du contrôle permanent de la CNCTR sur la proportionnalité et la finalité de ce type d’interventions.
Par ailleurs, le Gouvernement vous proposera de préciser dans le texte, par voie d’amendement, que les données de connexion retenues par les algorithmes devront être rapidement détruites, s’il n’est pas confirmé que les personnes auxquelles elles correspondent méritent d’être surveillées au nom de la prévention du terrorisme. Je le précise, car ce sujet donne lieu à de nombreuses incompréhensions, voire à des illusions. Il n’y a rien de commun entre ce texte et le Patriot Act américain, quoi qu’en pense M. Malhuret. Je tiens d’ailleurs à lui faire remarquer que ce dispositif – cela relève de la responsabilité des autorités américaines – ne sera pas supprimé, mais transformé en Freedom Act, lequelreprendra les mêmes mesures ; les excès et les conséquences néfastes du Patriot Act, qui ont pu être observés jusqu’à présent, ne disparaîtront donc pas. Nous ne nous situons ni dans le même contexte ni dans la même logique.
Je souhaite revenir sur deux autres points qui ont été évoqués.
Le premier concerne les mesures de surveillance internationale.
Le Premier ministre l’a dit dans son intervention liminaire, ces mesures ne faisaient l’objet jusqu’à présent d’aucune organisation réglementaire. Ainsi, la loi de 1991 n’avait pas intégré ce dispositif de surveillance, pourtant essentiel. Le projet de loi y remédie, et c’est un progrès décisif pour le droit.
J’ajoute que ces mesures de surveillance internationale doivent faire l’objet de deux décrets : un décret en Conseil d’État « classique », et un autre, non public, qui sera tout de même communiqué à la CNCTR, au Conseil d’État et à la délégation parlementaire au renseignement. Ce décret « non classique » fixera les modalités techniques de recueil des données nécessaires lors des interceptions au niveau international. Le Gouvernement a souhaité préciser dans la loi elle-même le contenu du décret classique, afin de faire montre encore plus clairement de sa volonté de transparence.
Ce sujet ressortissant de la compétence du ministre de la défense, le Gouvernement a déposé un amendement que je défendrai demain visant à définir l’objet des autorisations, leur durée de validité, les instruments de contrôle de la CNCTR et la nature du droit au recours devant le Conseil d’État, lequel sera ouvert, le cas échéant, à l’encontre de ces mesures de surveillance internationale. Cela constitue une première dans notre droit, mais aussi une avancée significative dans l’esprit d’équilibre entre contrôle et efficacité que j’évoquais précédemment.
Le deuxième point, évoqué par M. Hyest, concerne le rôle du Conseil d’État et la place du juge judiciaire. Je rappelle, comme il l’a fait, que le renseignement relève de la police administrative et que son contentieux concerne la légalité des décisions du Premier ministre. Par ailleurs, le renseignement ne relève pas du champ de l’article 66 de la Constitution, lequel énonce que l’autorité judiciaire est « gardienne de la liberté individuelle », dès lors que, en vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cet article ne commande la compétence du juge judiciaire que pour les mesures privatives de liberté. Or celles-ci ne sont pas en cause ici. Il est donc logique, comme cela a été dit, que le juge administratif soit compétent pour connaître de la légalité des techniques de renseignement. C’est le point de vue que défendent à la fois, au nom du Gouvernement, la garde des sceaux et le ministre de l’intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les remarques que je souhaitais faire avant que nous ne débutions l’examen des articles du projet de loi, examen qui permettra au Gouvernement de préciser de nouveau sa position dans une volonté d’ouverture et de compromis entre le contrôle et l’efficacité.