Intervention de Philippe Bas

Réunion du 3 juin 2015 à 21h45
Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement — Article 2, amendement 180

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, rapporteur :

Je vais être ennuyeux, et je demande à mes collègues et à MM. les ministres de m’en excuser.

Nous avons un débat très intéressant. Toutes les convictions méritent d’être exprimées. Il y a des sujets qui relèvent des convictions et des opinions ; il y en a d’autres qui relèvent des réalités et des faits. Je crois que nous ne pouvons pas progresser dans notre discussion si nous ne sommes pas un minimum en accord sur les réalités et les faits, ainsi que sur le droit.

Au chapitre des réalités, il y a les réalités juridiques. C’est le contenu du texte. S'agissant des algorithmes, je voudrais rappeler, puisque c’est le sujet qui focalise le plus d’inquiétudes, les dispositions adoptées par la commission des lois, qui reprennent la base fournie par le vote de l’Assemblée nationale. Ces dispositions ont pour objet de créer un certain nombre de garanties, utiles je l’espère, qui visent – il suffit de lire le texte pour s’en apercevoir – à cibler l’utilisation des algorithmes, c'est-à-dire à faire l’exact contraire d’une surveillance de masse.

Il s’agit de prendre connaissance non pas de communications, mais de connexions. Il s’agit de prévoir une durée extrêmement brève – deux mois au lieu de quatre – d’utilisation du dispositif. Il s’agit d’imposer la présentation de justifications, fondées notamment sur l’évaluation des résultats obtenus au cours des deux premiers mois d’expérience, en cas de demande de renouvellement de l’utilisation de la technique avec le même algorithme. L’amendement n° 180, du Gouvernement, auquel la commission est favorable, vise également à restreindre la durée d’exploitation des algorithmes.

Surtout, la commission des lois a voulu définir avec la plus grande précision ce que seraient ces traitements automatisés dans un champ technique donné. Il s’agit en quelque sorte de rechercher une aiguille de platine dans une botte de foin. On pose un détecteur de métal, et il nous indique la présence de métal. Ce peut être du fer, de l’or, de l’argent ou encore de l’étain ; on ne le sait pas à l’avance. Simplement, on a spécifié ce qu’on recherche, parce qu’on ne veut pas examiner chaque brin de paille. Nous ne voulons pas faire de surveillance de masse. Je ne connais pas un seul de nos collègues qui l’accepterait – le président de la commission des lois, rapporteur, et le président de la commission des affaires étrangères, rapporteur pour avis, pas davantage que les autres.

Je viens d’énumérer des faits juridiques. La nature des techniques entre également en ligne de compte. Ces techniques ne permettent même pas de détecter qui sont les personnes dont le comportement a été repéré grâce à la mise en œuvre d’un algorithme. Si jamais le service qui exploite les informations a besoin d’aller plus loin, parce qu’il a recueilli des éléments qui pourraient le justifier, il devra demander une autorisation. C’est aussi un point très important.

Il faut enfin souligner l’étendue des contrôles. Vous avez précédemment étendu les contrôles par vos votes, mes chers collègues. Vous avez défini le cahier des charges du contrôle de la légalité des autorisations d’utilisation des techniques de renseignement. Vous avez précisé que l’utilisation de moyens disproportionnés par rapport aux fins poursuivies était illégale. La commission indiquera au Premier ministre qu’il ne doit pas autoriser l’utilisation de ces moyens. Si d’aventure il l’autorise, la commission pourra saisir le Conseil d'État, protecteur des libertés publiques, qui annulera, le cas échéant en référé, c'est-à-dire en quelques heures, la mise en œuvre de la technique de renseignement incriminée. Que pouvons-nous faire de mieux ?

Certains proposent l’interdiction pure et simple des algorithmes. La question de notre responsabilité se pose. Je suis tout à fait d'accord – je l’ai dit hier – pour ne pas instrumentaliser l’aggravation réelle de la menace terroriste en vue d’obtenir que le Parlement souscrive à ce projet de loi. Je crois en effet que, même si la menace terroriste ne s’était pas aggravée, il faudrait légiférer en matière de renseignement pour créer un cadre légal, car il n’en existe pas actuellement. N’oublions pas que, indépendamment, je le répète, de l’aggravation de la menace terroriste, ce sont des intérêts fondamentaux de la nation qu’il s’agit de poursuivre à travers l’autorisation de techniques de renseignement. Nous avons cette responsabilité.

Le bon équilibre ne consiste pas à tout interdire frileusement sous prétexte qu’il est possible de faire de mauvais usages de toutes les techniques de renseignement, même les plus simples ; il consiste à encadrer ces techniques. C’est si vrai qu’un journal du soir, qui a déjà été cité, a fort justement relevé le travail que nous sommes en train d’effectuer, alors même que ce journal ne peut être soupçonné de soutenir le projet de loi.

Je crois que c’est Claude Malhuret qui aime à citer Le Monde. Je vais moi aussi le citer : « L’ironie a voulu que le Sénat américain ait voté sur le Freedom Act le jour même où, au Sénat français, s’ouvrait la discussion du projet de loi sur le renseignement, texte sur lequel le gouvernement a demandé la procédure d’urgence » - c’est vrai – « et qui a déjà été adopté par les députés. » La suite de l’article est plus intéressante encore : « Sagement, la commission des lois du Sénat a introduit plusieurs modifications au projet de loi, dans le sens d’un contrôle plus étroit des algorithmes de surveillance et de l’utilisation des “IMSI-catchers”, valises qui captent les communications de téléphones portables […]. »

Si même Le Monde salue notre travail, c’est certainement parce qu’il a pour effet de renforcer la protection des libertés publiques.

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