Nous touchons là à une question extrêmement importante où des préoccupations de natures différentes semblent s’opposer les unes aux autres et nourrissent le débat.
Certains sénateurs, comme Jean-Jacques Hyest ou Jean-Pierre Sueur, ainsi que ceux qui – j’en suis convaincu – les rejoignent dans cette argumentation, considèrent que la durée de conservation des interceptions de sécurité et autres données de connexion constitue un élément de la protection des libertés. Le raisonnement développé par Jean-Jacques Hyest et Jean-Pierre Sueur, deux sénateurs qui connaissent bien ces sujets, repose sur une argumentation assez simple : plus la durée de conservation des interceptions de sécurité est courte, plus la protection des libertés individuelles est garantie.
Si cette argumentation a sa propre cohérence, son propre sens et sa propre force, elle se heurte cependant à quelques problèmes concrets, qui résultent de la véritable nature de l’activité opérationnelle des services de renseignement, qui font face à un niveau de menace très élevé. Pour illustrer cette confrontation, j’évoquerai des situations qui montrent que la question de la durée de conservation ne peut être appréhendée au travers du seul prisme des amendements en discussion. D’autres considérations entrent, aujourd’hui, en ligne de compte.
Ainsi, au cours d’enquêtes judiciarisées, nous avons constaté que des individus, empêchés de commettre les actes funestes auxquels ils se préparaient, et qui en apparence agissaient seuls, ont en réalité bénéficié de l’aide d’un ensemble de complices qui, tout en participant à des opérations à caractère terroriste, n’étaient pas toujours tous conscients de la nature des actions auxquelles ils participaient.
Sans en révéler le contenu, je prendrai l’exemple de l’une de ces enquêtes, en évoquant uniquement les éléments déjà rendus publics : dans l’affaire concernant M. Coulibaly, nous savons que des complices ont été mobilisés pour procéder, d’abord, à l’achat et à la vente de véhicules, puis avec l’argent obtenu à l’achat et à la vente d’armes. Or ces individus présents dans l’entourage de M. Coulibaly n’avaient pas nécessairement conscience qu’en se livrant à de tels trafics ils contribuaient à l’accomplissement d’un acte terroriste.
De surcroît, les services de renseignement sont parfois confrontés à des situations où les interceptions de sécurité concernent des communications dans une langue rare, ce qui entraîne, tout d’abord, la mobilisation de moyens de traduction importants. Cela implique, ensuite, que la traduction puisse faire l’objet d’interprétations complexes, notamment lorsque sont utilisées des données cryptées. Par ailleurs, des interceptions ultérieures peuvent révéler d’autres éléments nécessitant que l’on revienne sur le contenu de l’interception initiale.
De telles enquêtes sont très souvent complexes à traiter, y compris en matière de police administrative, de sorte que si l’on réduisait le délai de conservation des interceptions de sécurité, comme vous le proposez, la perte en ligne opérationnelle serait très significative !
J’ai déjà développé cette argumentation, de façon extrêmement précise, à l’occasion de l’examen de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, alors que le Parlement, fidèle aux propos que Jean-Jacques Hyest avait développés en 1991, a tenu – en particulier, Alain Richard et Jean-Pierre Sueur, je m’en souviens – le même discours qu’aujourd’hui.
Or, depuis cette date, j’ai constaté qu’à côté de ces principes il y avait une réalité !