Sans me prononcer sur la question particulière qui est en débat, je tiens à faire état du malaise que peuvent susciter certains des arguments présentés au cours des dernières minutes.
Soit, comme on nous l’a assuré, le projet de loi a été préparé de longue date, de sorte que, même si le contexte est difficile, nous pouvons l’examiner dans la sérénité et selon nos modes de délibération habituels. Dans ce cas, l’argument avancé par MM. Sueur et Hyest est parfaitement recevable : le Parlement ayant considéré à plusieurs reprises, contre l’avis du Gouvernement, que le délai de trente jours était excessif et devait être ramené à dix jours, nous devrions nous en tenir à cette ligne de conduite.
Soit le projet de loi est, dans certaines de ses dispositions, justifié par un contexte, ce qui n’aurait rien de choquant. Certes, on affirme depuis le début du débat qu’il n’en est rien, mais j’ai du mal à le croire… Quoi qu’il en soit, si c’est le contexte – dégonflons l’hypocrisie – qui demande des mesures d’exception, même si l’expression déplaît, alors dans ce cas nous devrions nous ranger à l’avis de M. le ministre, qui dispose de l’appréciation la plus sûre et la plus directe de la situation.
Si la menace est élevée, si la République est en danger, il faut nous annoncer clairement que nous connaissons une situation exceptionnelle, appelant des décisions exceptionnelles, que nous devons assumer. Nous y sommes d’ailleurs prêts. Mais ne nous mettez pas en permanence en porte-à-faux !
Nous entendons que les risques sont grands. Seulement, si nous prévoyons des dispositifs exceptionnels, nous devons les entourer de garanties supplémentaires, en commençant par les limiter dans le temps. À propos d’une autre disposition, ne nous a-t-on pas dit qu’elle devait être limitée dans son usage à la lutte contre le terrorisme et dans le temps à une durée de trois ans ? Si l’on considère que les services de renseignement ont aujourd’hui besoin, pour faire face à l’afflux de problèmes et de menaces auquel ils sont confrontés, de mesures particulières adaptées à une situation particulière, pourquoi pas ? Mais limitons leur usage à deux ou trois ans. En tout état de cause, ne brandissons pas ce contexte pour ouvrir une brèche dans une position que le Parlement a constamment maintenue : oui à un dispositif exceptionnel, mais pour une durée limitée.
Si l’on accepte l’idée, qui se comprend, que nos services de renseignement ont besoin de plus de pouvoirs et de facilités, il n’en demeure pas moins important de renforcer le contrôle en aval. Je conçois parfaitement que les services aient besoin de latitude pour agir ; mais que l’on donne alors aux citoyens et à ceux qui les représentent la possibilité de vérifier, via l’intervention des structures habituelles, que tout s’est déroulé dans des conditions satisfaisantes après-coup – car il ne s’agit pas de gêner sur le moment l’action des services.
À cet égard, je regrette que, hier, ma proposition de renforcer les responsabilités de la délégation parlementaire au renseignement n’ait pas été retenue. Je proposerai tout à l’heure que l’on renforce les responsabilités de la CNIL pour s’assurer que les fichiers mis en place à partir des données pourront être contrôlés dans des conditions qui garantissent le secret de la défense nationale.
S’il en est ainsi, je suis tout à fait d’accord pour ramener à dix jours le délai de conservation des données afin de limiter dans le temps une mesure exceptionnelle, d’autant que la représentation nationale disposera de contrôles a posteriori lui garantissant que cette mesure aura été utilisée d’une manière conforme à ce qu’elle pouvait attendre.
Monsieur le ministre, monsieur Karoutchi, je ne crois pas qu’une telle position mette en cause l’esprit républicain de nos fonctionnaires et de nos services. Il ne fait aucun doute qu’ils agissent avec le souci de respecter la loi et dans un esprit républicain. Simplement, nous connaissons les circonstances dans lesquelles ils sont appelés à intervenir. Nous savons aussi qu’un service de renseignement ne peut pas être comparé à un service d’aide à domicile ou à un service administratif quelconque. Il présente des caractéristiques particulières et agit dans des circonstances particulières, avec des pouvoirs particuliers, qui justifient que la République se préoccupe de contrôler la manière dont il travaille.
Donnons plus de pouvoirs à nos services, mais prévoyons aussi les limites nécessaires dans le temps et instaurons des mécanismes de contrôle a posteriori !
Ce qui me gêne dans ce débat, depuis le début, c’est que l’on ne veut pas trancher. Si l’on nous demande d’agir dans un contexte particulier, ce que nous pouvons comprendre, alors nous prendrons les mesures nécessaires, mais en les assortissant de garanties supplémentaires. Si, à l’inverse, l’on considère que le débat doit se dérouler de façon tout à fait normale, vu qu’il est engagé depuis deux ans, alors qu’on ne reproche pas au Parlement de mettre en danger la République parce qu’il est simplement fidèle à sa doctrine !