Or nous ne devons pas laisser les terroristes, contre lesquels ce texte a été élaboré, nous dicter ce choix, sauf à accepter à l’avance de perdre le combat.
Ces terroristes, du moins ceux qui ont agi sur notre sol, notre société a contribué, hélas !, à les fabriquer ! Nous devons donc nous demander pourquoi et comment. Je ne me hasarderai pas à suggérer des réponses, lesquelles sont forcément très complexes. Je crains de toute façon que l’exécutif ne veuille pas les entendre, car il juge que la répression est la seule véritable réponse.
Je le répète, rien ne justifie l’horreur des actes terroristes dont nous sommes les témoins, car je sais que ne pas le dire, c’est s’exposer à l’accusation, indigne, de complaisance. Or vouloir comprendre le phénomène, ce n’est pas le justifier. En revanche, produire des lois répressives sans vouloir comprendre est une faute éthique et un manquement grave à l’art de gouverner.
Les membres de mon groupe ne sont pas les seuls à faire part de leurs appréhensions face à ce projet de loi. Même si, grâce au travail de la commission des lois et de son rapporteur, ce texte a été amélioré dans le sens d’une plus grande protection de nos libertés, il reste largement intrusif et inquiétant pour les défenseurs des droits humains. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats, les associations de défense des libertés individuelles et publiques, sans compter les hébergeurs et les acteurs de la filière numérique : la liste est longue de ceux qui nous mettent en garde.
Dès 2014, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen avait souligné, dans une enquête, que « les programmes de surveillance constituent une nouvelle étape vers la mise en place d’un État ultra-préventif s’éloignant du modèle du droit pénal en vigueur dans les sociétés démocratiques ». Ce projet de loi est un nouveau pas en ce sens. L’extension des techniques couplée à celle des motifs de surveillance pourrait aboutir à des dérives incontrôlables.
Le présent texte permettra aux services de renseignement d’accéder à plus de données encore, sachant que ceux-ci ne parviennent pas à analyser les données, pourtant bien moins volumineuses, déjà en leur possession ni à arrêter les terroristes avant qu’ils ne commettent leurs crimes. Soyons sérieux : aurons-nous jamais en nombre suffisant la main-d’œuvre hautement qualifiée d’ingénieurs et de linguistes indispensable pour effectuer ce travail d’analyse ?
Ironie de l’histoire, nous allons voter notre petit Patriot Act à nous quand Barack Obama signe, outre-Atlantique, son Freedom Act. Nous ne voulons donc rien apprendre des erreurs de ceux qui nous ont précédés ? Freedom aux États-Unis, liberté ici : ces mots ont le même sens, monsieur le secrétaire d’État.
Les deux premiers articles de ce projet de loi dessinent les contours d’une nouvelle utopie orwellienne. Je vous le demande, mes chers collègues : lequel d’entre nous a déjà vu des IMSI catchers, des boîtes noires ? Qui sait ce qu’est un algorithme ? Alors qu’un certain nombre d’entre nous utilisent encore des téléphones d’un autre âge, allons-nous, ignorants du raffinement des technologies modernes, adopter un texte susceptible de se transformer en arme redoutable entre les mains d’hommes, de femmes ou de régimes moins scrupuleux ?