Intervention de Dominique de Legge

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 17 juin 2015 à 9h03
Actualisation de la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et diverses dispositions concernant la défense — Examen du rapport pour avis

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge, rapporteur pour avis :

La commission des finances s'est saisie pour avis du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Ce projet de loi vise à procéder à l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 du 18 décembre 2013. Le rapport pour avis que je vous présente porte essentiellement sur les cinq premiers articles, y compris le rapport annexé à l'article premier, car ce sont ceux qui concernent la programmation financière et la trajectoire des ressources humaines.

Les éléments essentiels de cette actualisation ont été annoncés par le Président de la République à la suite du conseil de défense du 29 avril dernier.

Il s'agit notamment de tenir compte de l'évolution de la situation internationale et de la menace terroriste sur notre territoire.

L'actualisation permet également de tirer les conséquences, sur le plan programmatique, de la réalité du calendrier de cession de la bande des fréquences « 700 MHz » et de l'abandon des sociétés de projet.

Concrètement, ce projet de loi d'actualisation comporte, sur le plan de la programmation financière et de l'évolution des effectifs, trois décisions d'importance majeure.

Premièrement, les recettes exceptionnelles (REX) prévues par la LPM pour la période 2015-2019 sont, dans une très large mesure, remplacées par des crédits budgétaires : ce sont plus de 5 milliards d'euros de recettes exceptionnelles qui seront remplacés par des crédits budgétaires.

Le projet de loi répond ainsi à la principale objection qui nous avait conduits à ne pas adopter le budget de la défense pour 2015 : celui-ci prévoyait 2,2 milliards d'euros de recettes de cession de fréquences dont on savait qu'ils ne seraient pas perçus en 2015.

On peut regretter que cette question n'ait pas été tranchée plus tôt malgré les signaux d'alarme qui ont été tirés, notamment par notre commission, et que le Gouvernement se soit entêté à mettre en oeuvre un « plan B » consistant en la fameuse opération de cession-relocation de matériel militaire à travers des sociétés de projet.

Comme notre rapporteur général, j'ai d'ailleurs posé au ministre de la défense la question, pour l'instant sans réponse, du coût de cette obstination : quel est le montant des frais d'avocats et autres conseils qui ont été engagés pour étudier la faisabilité de ce projet, alors qu'un rapport réalisé par l'inspection générale des finances (IGF), le contrôle général des armées (CGA) et la direction générale de l'armement (DGA) - fort opportunément classifié confidentiel-défense - indiquait dès juillet 2014 que la vente des fréquences ne serait pas au rendez-vous et émettait de fortes réserves sur les sociétés de projet ? Je vous proposerai d'ailleurs un amendement visant à permettre aux commissions parlementaires de demander la déclassification d'informations secrètes.

Toujours est-il que la raison a finalement prévalu : les REX, rebaptisées « recettes de cession », ne s'élèvent plus qu'à 930 millions d'euros au total de 2015 à 2019 et ne sont plus composées que de cessions immobilières, pour 630 millions d'euros, et de cession de matériels militaires, pour le solde.

Deuxièmement, le présent projet de loi prévoit d'augmenter les ressources totales du ministère de la défense pour la période allant de 2016 à 2019. Ce sont ainsi 3,8 milliards de crédits budgétaires supplémentaires qui seront répartis sur ces quatre années, dont 2,5 milliards d'euros après 2017.

Enfin, 18 750 équivalents temps plein (ETP) seront maintenus sur les 33 675 suppressions initialement prévues dans la LPM, ce qui permettra une redéfinition du contrat opérationnel des forces terrestres. Celles-ci devront être capables de déployer 7 000 hommes durant une année sur le territoire national, avec la possibilité de monter jusqu'à 10 000 hommes pendant un mois. En conséquence, le format de la force opérationnelle terrestre (FOT) sera porté de 66 000 hommes à 77 000 hommes.

La réduction nette des effectifs du ministère de la défense s'élèvera à 6 918 ETP sur la période 2015-2019.

Le coût de cette moindre déflation des effectifs représente 2,8 milliards d'euros sur les 3,8 milliards d'euros de crédits supplémentaires dont bénéficie la défense.

Le milliard d'euros restant sera affecté pour moitié à l'entretien programmé des matériels (EPM) et pour l'autre moitié aux programmes d'équipement majeurs. Les programmes d'armement bénéficieront également du redéploiement de 1 milliard d'euros de crédits, grâce la baisse du coût des facteurs et des indices économiques sur lesquels se basent les clauses d'indexation des contrats d'armement passés par le ministère.

Le risque aurait été que le constat de gains de pouvoirs d'achat du ministère de la défense conduise à des annulations de crédits. Le projet de loi prévoit au contraire que ces gains sont conservés par le ministère et consacrés à des dépenses d'équipement.

Vous le voyez, le projet de loi d'actualisation de la LPM va de mon point de vue dans le bon sens, celui d'un renforcement et d'une sécurisation des moyens de la défense, ce que nous avions réclamé lors de l'examen de la loi de finances pour 2015.

Il remédie aux principaux reproches que l'on pouvait adresser à la LPM et au budget 2015. Lors de l'examen de ce budget par notre commission puis par le Sénat, je l'avais qualifié d'insincère. Cela m'avait d'ailleurs valu quelques reproches. Pour autant, tout le monde savait que les recettes prévues ne seraient pas au rendez-vous. Je suis au regret de dire que les décisions annoncées par le Président de la République et ce projet de loi ne font que conforter cette analyse.

Notre vote représentait un appel solennel adressé au Président de la République et au Gouvernement et je me réjouis qu'il ait été entendu.

Pour autant, ce projet de loi n'est pas parfait et il nous faudra maintenir notre vigilance pour que la défense bénéficie effectivement des ressources prévues dans le cadre de cette programmation actualisée.

C'est d'ailleurs le sens de trois amendements que je vous proposerai, visant à mieux sanctuariser les crédits de la défense.

Le premier porte sur les opérations extérieures (OPEX). Le projet de loi prévoit de maintenir la provision OPEX à 450 millions d'euros. C'est évidemment très en-dessous du coût prévisible des OPEX pour les années à venir. En 2014, leur coût a représenté 1,12 milliard d'euros, soit un dépassement de 650 millions d'euros. Le principe d'un financement interministériel demeure, mais dans la mesure où ce financement s'effectue dans le cadre de la solidarité interministérielle, le ministère de la défense y contribue largement : 400 millions d'euros en 2014, dont près de 120 millions d'euros pour les seules OPEX. Je constate pour le regretter que toutes les missions ne contribuent pas à ce financement interministériel. Le manque à gagner pour la défense s'élève à 79 millions d'euros selon la Cour des comptes et à 54 millions d'euros selon un mode de calcul plus favorable. Ce point n'a pas été contesté par le ministre de la défense lors de son audition.

On aboutit à un mécanisme qui rogne les moyens de nos armées lorsque celles-ci sont engagées sur des théâtres extérieurs.

Cela est d'autant plus dommageable que s'ajoute désormais le coût des opérations intérieures - et en particulier celui de la fameuse opération Sentinelle - qui pèsent entièrement sur la mission « Défense ».

Je rappelle que le ministère de la défense est également en auto-assurance pour les surcoûts liés aux dysfonctionnements du système de paie Louvois.

C'est pourquoi je vous présenterai tout à l'heure un amendement visant à ce que le ministère de la défense ne contribue pas au financement du dépassement de la provision OPEX.

Les deux autres amendements visent les cessions immobilières.

Il s'agit, tout d'abord, de rétablir la clause de sauvegarde prévue par l'actuelle LPM et supprimée par le projet de loi et, ensuite, de parer au risque présenté par la loi « Duflot ». La plus grande part des recettes viendra de la cession des emprises parisiennes. Si la décote « Duflot » s'applique, les recettes prévues ne seront pas aux rendez-vous.

Au-delà de ces amendements, je voudrai appeler l'attention de notre commission sur deux points qui méritent une vigilance particulière.

Premièrement, l'entretien des matériels : les équipements de nos forces engagées en opération extérieure s'usent de manière accélérée, notamment dans la bande sahélo-saharienne en raison de conditions d'usage extrêmement abrasives. Un effort important doit être fait pour leur régénération. Sinon les forces armées ne pourront maintenir leur niveau d'engagement actuel. Le présent projet de loi y affecte 500 millions d'euros supplémentaires, alors que les besoins sont chiffrés à plus de 800 millions d'euros par l'État-major des armées.

Il conviendra de suivre cette question avec attention, car l'usure des matériels ne se voit pas sur le plan budgétaire tant que les réparations ne sont pas effectuées, mais représente bien une consommation des ressources de l'État. Indolore sur le coup pour le budget de l'État, cette usure constitue en réalité un passif qui s'accumule, et donc une dépense différée, car il faudra bien reconstituer ces ressources matérielles si l'on souhaite maintenir les capacités opérationnelles de nos troupes.

Le second point de vigilance concerne les ressources dégagées par redéploiement des crédits, soit un milliard d'euros. Elles reposent sur l'hypothèse que les indices économiques (taux de change, inflation, etc.) se maintiendront à un niveau bas durant le reste de la période de programmation. Il faudra surveiller leur évolution réelle et en tirer éventuellement les conséquences le moment venu.

Pour finir, je vous rappelle que la LPM n'a qu'une valeur programmatique, les décisions normatives dans le domaine budgétaire relevant exclusivement des lois de finances, et que ces dispositions devront donc être traduites concrètement au moment des discussions budgétaires à venir.

Malgré ces réserves et sous le bénéfice des amendements que je vais vous présenter, je vous propose de donner un avis favorable au projet de loi, notamment pour ce qui concerne les articles 1er, 2, 3, 4 et 4 bis qui ont trait à la programmation financière et la trajectoire des ressources humaines.

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