Si j’interviens à ce moment du débat, ce n’est pas pour rappeler l’aggravation récente des situations de détresse sociale que rencontre la société française en raison, d’une part, du chômage de masse et, d’autre part, du glissement d’un certain nombre de nos concitoyens dans les différents régimes de minima sociaux, après l’épuisement de leurs droits aux allocations chômage. Je laisserai donc de côté toutes les considérations de politique générale sur la lutte contre la pauvreté. Je souhaite me concentrer sur le thème de la proposition de loi, à savoir la lutte contre les discriminations au titre de la pauvreté.
Je me suis longuement interrogé sur cette approche. La question qui nous est posée est en réalité très profonde, car il convient d’aborder le problème de la pauvreté sous un autre angle que l’angle strictement matériel. Nous devons non seulement nous interroger sur le regard porté par chacun de nos concitoyens sur celui ou celle qui est en situation de pauvreté, mais aussi nous interroger sur le regard que les pauvres portent sur eux-mêmes. Bien souvent, ces deux regards coïncident et aboutissent à la dévalorisation des personnes en détresse, ce qui représente peut-être le premier obstacle sur le chemin d’un retour à l’estime de soi, étape pourtant indispensable pour retrouver les capacités, les ressources et le ressort qui permettent à ces personnes au fond du trou de commencer à en sortir.
Tout ce qui, dans le débat public, peut contribuer à accorder davantage de considération à nos concitoyens en situation de pauvreté, indépendamment de la nécessité du traitement matériel de la pauvreté – qui est un enjeu politique majeur sur lequel j’ai moi-même dressé un certain nombre de constats –, me paraît aller dans la bonne direction. Toutefois, la commission des lois a relevé que le critère de « vulnérabilité » constituerait le vingt et unième motif de sanction pénale pour fait de discrimination, menant ainsi l’analyse juridique qui lui revient. Or je crains qu’un tel cumul de critères au fil des années n’ait pas beaucoup de sens et ne soit pas réellement efficace dans le cadre de la lutte contre les discriminations. En réalité, nous devrions réfléchir à une refonte complète de cette approche qui, faite d’ajouts successifs, se révèle beaucoup trop ponctuelle.
Laissons cependant de côté ces considérations juridiques, tout comme les considérations économiques que j’évoquais précédemment. Admettons donc que cette proposition de loi est une main tendue et qu’elle mérite à ce titre, malgré tous ses défauts – pardon à son auteur ! –, de recevoir une sanction positive de la part du législateur. C’est pourquoi, à titre personnel, et après avoir beaucoup hésité, je voterai le texte, non sans avoir rappelé que l’ensemble de mon groupe a décidé de s’abstenir.