Intervention de François Bonhomme

Réunion du 18 juin 2015 à 15h00
Débat sur le thème : « comment donner à la justice administrative les moyens de statuer dans des délais plus rapides ? »

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « Ce qui, à l’heure actuelle, déconcerte le plaideur et déconsidère la justice, c’est la lenteur. Il y a une lenteur nécessaire pour que le procès soit sérieux, mais il y a aussi une lenteur abusive ». Tel était déjà le constat dressé par le professeur Jean Rivero, voilà plus de vingt-cinq ans.

La question des délais de jugement n’est donc pas neuve. L’accroissement de la capacité de jugement des juridictions administratives reste l’un des objectifs affichés dans le rapport de notre confrère Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial de la mission « Conseil et contrôle de l’État » de la loi de finances pour 2015.

L’enveloppe budgétaire de cette mission a crû cette année de moins de 1 % par rapport à 2014, mais le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » a vu ses crédits progresser de 2, 2 %, pour se porter à 383, 3 millions d’euros.

Si l’objectif principal de ce programme en matière de performance est bien la réduction des délais de jugement, pourtant, aux yeux de beaucoup, la justice administrative reste compliquée et, en tout cas, bien trop lente.

Cette réduction des délais de jugement est encouragée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui exige « un délai raisonnable de jugement ». Ce principe a d'ailleurs été repris par le législateur dans la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice ; l’objectif était alors de ramener ce délai à un an maximum.

Cet objectif peut être considéré comme atteint, en 2014, avec un délai moyen de huit mois et quinze jours devant le Conseil d’État, de six mois et dix jours devant la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, de onze mois devant les cours administratives d’appel, et de dix mois devant les tribunaux administratifs.

Pour 2015, des délais moyens de dix mois sont envisagés tant pour les tribunaux administratifs que pour les cours administratives d’appel, ce qui correspondrait à une stabilisation pour les premiers et à une diminution d’un mois pour les secondes.

Certes, des efforts ont été faits en matière de renforcement des moyens humains, avec la création, en 2015, de trente-cinq emplois supplémentaires, principalement en faveur des tribunaux administratifs, avec quatorze postes de magistrats administratifs, et à destination de la CNDA. C’est un bon début !

Cette maîtrise globale des délais est une ambition d’autant plus nécessaire que l’on observe une augmentation du nombre d’affaires enregistrées devant toutes les juridictions administratives. Cette progression s’est établie, pour les seuls tribunaux administratifs, à 15, 6 % au premier semestre 2014.

De même, la charge de travail du Conseil d’État a augmenté avec le traitement des questions prioritaires de constitutionnalité.

Bien évidemment, comme les autres juridictions, les juridictions administratives ont été, surtout ces dernières années, victimes d’un engorgement en raison de la judiciarisation de notre société, qui conduit à une multiplication du nombre de litiges portés devant les tribunaux. Il y a donc une forte pression contentieuse qui fragilise les juridictions.

Par ailleurs, parce que cet indicateur de délai de dix mois agrège la totalité des affaires en stock, il ne reflète pas la réalité. Cette présentation est donc quelque peu biaisée. En effet, ces dix mois correspondent à une moyenne entre des contentieux très disparates.

Certains contentieux administratifs sont contraints par des délais très brefs, comme les référés ou le contentieux électoral.

À ce sujet, madame la ministre, si nous n’avions pas eu un redécoupage des cantons aussi baroque et, pour tout dire, un peu incohérent, il est vraisemblable que cela n’aurait pas nourri un contentieux d’une si grande ampleur en 2014. Je le dis d’autant plus facilement, madame la ministre, que vous n’y êtes pas pour grand-chose, puisque ce génial découpage provenait du ministre de l’intérieur. Ma foi, il a produit un résultat assez remarquable, en tout cas sur le plan électoral…

D’autres, contentieux administratifs, portant sur des questions très sensibles et pourtant ordinaires qui intéressent nos concitoyens et les élus, tels l’urbanisme, le tracé des lignes à grande vitesse, les déclarations d’utilité publique, les travaux publics et les permis de construire, sont traités bien plus lentement que la moyenne affichée ne le laisse supposer.

Quel projet n’a pas été compromis par la lenteur des procédures ? Il en va de même pour les dossiers relevant du contentieux fiscal. C’est cette réalité que dénoncent régulièrement nos concitoyens.

Or, force est de le constater, particulièrement en matière de droit de l’urbanisme, un grand nombre de recours abusifs, voire malveillants, sont recensés, qui font obstacle à l’exécution des travaux et alourdissent le travail des juridictions.

De fait, l’introduction d’un recours contentieux suffit, dans la généralité des cas, à bloquer des projets, alors même que rien dans le code de l’urbanisme ne confère un caractère suspensif aux recours. Cette situation trouve sa source notamment dans le refus des financeurs de s’engager sur un projet tant qu’il n’est pas purgé de tout contentieux. C’est même devenu, pour certains, une stratégie de blocage à part entière.

Or, lorsqu’un recours est déposé, il faut bien souvent attendre dix-huit mois pour obtenir un avis. On voit bien que tout cela n’est pas favorable aux projets de nature économique.

À la suite du rapport remis en 2013 à la ministre du logement par M. Daniel Labetoulle, une ordonnance de juillet 2013 apporte des solutions intéressantes contre ces recours abusifs. Elle encadre l’intérêt du requérant à agir dans le temps et dans l’espace, et permet surtout au juge de condamner le requérant de mauvaise foi à verser des dommages et intérêts au bénéficiaire d’un permis de construire s’il estime que celui-ci a subi un préjudice excessif.

Pour réduire les délais de traitement du contentieux, l’ordonnance prévoit qu’un porteur de projet d’urbanisme pourra désormais régulariser son permis de construire en cours d’instance. C’est une amélioration importante.

Ces procédures de simplification contentieuse ont permis à la juridiction administrative de faire face à l’augmentation du contentieux et de réduire quelque peu ses délais de jugement.

Pour autant, il semble que le nombre de recours n’ait pas faibli et, aujourd’hui, les professionnels de l’immobilier estiment qu’ils bloquent la création de près de 35 000 logements sociaux. Tout le monde y perd, qu’il s’agisse de l’impact direct sur le secteur de la construction et de l’impact indirect sur l’emploi.

La question centrale ne tient-elle pas à la complexité de notre droit, à la qualité déclinante de son écriture, qui offre toujours matière à recours ?

Qu’en est-il, madame la ministre, du permis environnemental, qui pourrait contribuer à réduire le nombre des autorisations exigibles et, de ce fait, les possibilités de contentieux ?

De manière générale, ne convient-il pas de redéfinir la fonction et l’objet même du procès administratif, et le considérer non pas seulement comme un procès fait à un acte, mais selon une conception plus triangulaire, où l’intérêt propre du requérant serait examiné ?

Enfin, les requérants seraient sans doute moins nombreux si les risques liés à l’introduction de leurs recours étaient plus prégnants. Il y a là un point d’équilibre qui me semble avoir été parfois perdu de vue, et il n’est pas sûr que l’État de droit en soit le grand gagnant.

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