Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil de l’Union européenne a autorisé la prolongation du dispositif de l’octroi de mer pour cinq ans, à condition qu’il soit procédé à quelques aménagements avant la fin de ce mois. Nous sommes donc conduits à voter dans l’urgence un régime fiscal sans pouvoir le transformer en profondeur. En effet, voilà moins de trois mois, le 25 mars dernier, le Gouvernement engageait la procédure accélérée pour modifier la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, et nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 11 juin dernier.
La commission mixte paritaire a adopté dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale les articles définissant les importations et les livraisons, les extensions du champ des exonérations, les bases d’imposition pour l’octroi de mer, la déductibilité de l’octroi de mer ayant grevé certains biens d’investissement, la possibilité, pour les entreprises franchissant le seuil d’assujettissement à l’octroi de mer, de déduire la taxe supportée par certains biens d’investissement et l’octroi de mer régional.
Enfin, la commission mixte paritaire a supprimé l’exonération de plein droit pour certaines entreprises, en fixant des modalités de détermination du chiffre d’affaires de référence au regard de l’assujettissement.
Ainsi, la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer est modernisée. C’est une très belle avancée ! Il s’agit d’une première évolution après la grève générale de 2009 en Guadeloupe et en Martinique, conduite par Élie Domota et le LKP au nom de la lutte contre la vie chère qui pénalise les ultramarins. Pour autant, il manque à mon sens une étape majeure, dont nous devrons rapidement envisager le franchissement et qui consisterait à étudier objectivement les conséquences sociales et économiques de l’octroi de mer.
L’adoption de ce texte permettra, dans l’immédiat, de répondre aux besoins de financement des collectivités ultramarines, en conformité avec les exigences européennes. Nous sommes bien conscients des limites de ce mode de fiscalité. Si l’insularité, l’éloignement et les différentes contraintes géographiques imposent aux services publics ultramarins des adaptations particulières, il faudra cependant trouver de nouvelles solutions. Nous avons cinq ans pour engager un véritable débat sur la fiscalité des outre-mer et le financement des collectivités ultramarines. L’octroi de mer pose question en matière de justice sociale et représente un enjeu pour le fonctionnement des services publics en outre-mer. Au terme de nos travaux, nous n’avons pas remis en cause les équilibres et le fonctionnement de cet impôt, eu égard à l’enjeu financier pour les collectivités d’outre-mer.
L’octroi de mer constitue une part importante des ressources des communes et des collectivités territoriales. À l’heure où la situation financière de ces dernières est de plus en plus fragile du fait de la baisse des dotations de l’État, nous avons pu mesurer à quel point l’octroi de mer est crucial, en particulier pour le financement de l’action publique locale, cet impôt représentant la première recette fiscale des collectivités, d’un montant de près de 1, 146 milliard d'euros par an. C’est une ressource très difficilement substituable, qui peut représenter jusqu’à 40 % des recettes fiscales.
Bien sûr, les spécificités perdurent, par exemple sur le marché antillo-guyanais, instance de concertation inter-régionale vouée à se développer. Les discussions et les accords entre les trois régions de Guyane, de Guadeloupe et de Martinique montrent que les conseils régionaux continuent d’œuvrer ensemble pour une meilleure application du dispositif d’octroi de mer et souhaitent qu’une véritable dynamique perdure. Dans cette région, le rôle de la commission inter-régionale qui sera mise en place est précis. Elle permettra la concertation sur la mise en œuvre de l’octroi de mer et l’évaluation de l’ensemble des échanges de biens sur les marchés de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique. La rotation de sa présidence a fait l’objet d’échanges vifs et sincères avec le Gouvernement, tant au Sénat qu’à l'Assemblée nationale.
Je salue le travail accompli par les parlementaires, qui a permis de mieux préciser le cadre dans lequel les régions des Antilles et de la Guyane inscriront leurs échanges mutuels. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir pris l’engagement de rendre plus souples les relations avec les douanes, notamment en ce qui concerne les contentieux et la transmission des données essentielles à l’élaboration des différentiels par les conseils régionaux.
L’octroi de mer suscite aussi bien des convoitises. En Guyane, cette recette, censée être reversée intégralement aux communes, est pourtant ponctionnée chaque année de 27 millions d’euros au profit du conseil général. Il s’agit d’une exception locale contestée par les communes, qui sont déjà classées parmi les plus démunies.
Cette très vieille taxe avait pour objectif de protéger la production locale et de soutenir les filières de production. Or, les taux de chômage étant très élevés, il apparaît clairement que les productions locales ne décollent pas.
Ce constat nous conduit à nous interroger sur les conséquences de l’adoption de ce projet de loi, qui aboutira à la taxation de centaines d’entreprises de production agricole ou industrielle dont le chiffre d’affaires est compris entre 300 000 et 550 000 euros. Certes, ces entreprises bénéficieront de contreparties et pourront en particulier déduire une partie de leurs dépenses d’investissement du montant de leurs impôts.
De plus, ce modèle économique fondé sur l’importation est complexe, compte tenu de l’application de taux différents en fonction des particularités et des politiques locales. Surtout, c’est un impôt inéquitable, qui frappe d’abord les consommateurs, notamment les plus pauvres d’entre eux. Les familles ayant le plus d’enfants sont pénalisées par le surcoût de leurs achats. Une convergence avec la TVA est évoquée de façon récurrente ; cette question devra un jour être abordée.
Le développement économique même est touché. L’octroi de mer me semble être une mauvaise TVA sociale. Taxer les importations pour favoriser la production locale est une chose, mais taxer ce qui ne peut pas être produit localement est injuste. Consacrer cette recette au financement du service public et, par conséquent, à celui de son fonctionnement représente une déperdition pour le financement de l’économie réelle. L’octroi de mer ne saurait être utilisé comme l’instrument d’une forme de protectionnisme éducateur ; trop souvent, il étouffe l’économie locale et fragilise le développement des services publics de l’État.
Si l’article 7 du texte élaboré par la commission paritaire contribue à clarifier les champs d’exonération, l’exonération n’est pas systématique. Indépendamment de la capacité de l’État à payer l’impôt, quel que soit son montant, les gestionnaires locaux rationnent les consommables et ajustent leurs commandes de matériel à l’impôt, et non l’inverse. J’avais défendu ici un amendement visant à exonérer les importations nécessaires au bon fonctionnement des services publics de l’État, par exemple celles d’équipements nécessaires aux forces de sécurité.
Les demandes d’exonération aux collectivités territoriales aboutissent de plus en plus difficilement dans un contexte tendu de baisse des dotations de l’État. Soit l’État adapte son budget à l’inflation des coûts d’entretien et d’approvisionnement de ses services dans les outre-mer, soit on exonère et on soulage les gestionnaires et les services publics nationaux de la contrainte exercée par cet impôt.
Le projet de loi modifiant la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer procède au toilettage de l’octroi de mer qu’il était urgent d’accomplir pour répondre aux exigences du Conseil de l’Union européenne. Je partage à cet égard les conclusions de notre rapporteur. Ce texte nous fait prendre conscience des enjeux, des atouts, des bénéfices et des résistances sur le sujet. Nous devons définir de nouvelles ressources pour les territoires ultramarins afin de favoriser leur développement économique, dans le respect des populations les plus fragiles et de l’autorité de l’État.
Ces débats confirment que le sujet est complexe et que nos échanges en vue de trouver d’autres solutions doivent se poursuivre. Un important travail conduit en concertation avec les élus ultramarins est nécessaire afin de faire évoluer ce mode de recette ancestral, qui compte, reconnaissons-le, parmi les plus atypiques de notre administration.
Une réflexion approfondie doit être menée pour refondre la fiscalité et, plus globalement, répondre aux besoins de financement du développement des territoires ultramarins. Il nous reste cinq ans pour proposer un nouveau modèle juridiquement sécurisé. Je tiens toutefois, madame la ministre, à saluer le rattrapage du retard qu’avait pris l’élaboration de ce texte. La sagesse et l’expertise des parlementaires ont permis d’aboutir à une loi fruit de la synthèse des travaux des deux chambres, que nous validerons ce soir.
Afin de respecter le droit européen et de préserver une ressource vitale pour les collectivités locales et territoriales, le groupe UDI-UC unanime votera le texte élaboré par la commission mixte paritaire.