Pierre-Joseph Proudhon a tenu sur le fédéralisme des propos qui peuvent nourrir aujourd'hui notre réflexion sur la démocratie sociale, au prix d’une certaine adaptation – nous ne sommes plus au XIXe siècle.
Le code du travail comprend un appareil de normes très dense. Retenons-en les principes fondamentaux –l’Organisation internationale du travail indique bien la voie de ce point de vue – et permettons, dans le cadre du dialogue au sein de l’entreprise, des dérogations sur des sujets lourds par accord majoritaire.
D'ailleurs, ce débat sur un code du travail plus accessible, plus efficient et mieux adapté aux réalités du terrain a été relancé récemment par l’essai rédigé par l’éminent Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen. Selon notre ancien collègue, « si nous ne parvenons pas à dissiper la défiance actuelle et si nous continuons à penser que c’est à coup de lois successives qu’on réduira le chômage, nous continuerons sur la voie où nous sommes. Une voie qui nous mène, hélas, vers un avenir politique et social menaçant. » Ces paroles me semblent empreintes de sagesse !
Vous le voyez, monsieur le ministre, il s’agit non pas de lubies, de dogmatisme, mais d’efficacité économique et sociale, au travers d’un renouveau du dialogue social.
Le projet de loi, à l’aune de ces perspectives révolutionnaires, au sens où l’on inverse totalement la méthode, reste un peu conservateur.
Ainsi, comme Mme la rapporteur l’a souligné, la question des seuils a été effleurée, mais pas traitée au fond. Pourtant, j’ai en tête les propos volontaristes tenus par le Président de la République lors de sa rentrée sociale du 20 août 2014 : il avait alors appelé chacun à « admettre la nécessité de lever un certain nombre de verrous ». Vous-même et votre collègue le ministre de l’économie étiez d’ailleurs initialement très ambitieux en matière de rehaussement et de simplification des seuils…
Aujourd’hui, qu’en est-il ? Certes, la délégation unique du personnel, la DUP, est rendue possible pour les entreprises de 200 à 300 personnes, mais cela ne concerne potentiellement que 3 000 entreprises et 600 000 salariés. Certes, un organe sui generis pourra voir le jour pour les entreprises employant plus de 300 personnes, mais rien n’est prévu pour les entreprises de 50 à 300 salariés. Quant aux entreprises comptant moins de 11 salariés, la création législative des commissions paritaires régionales interprofessionnelles, les CPRI, est un peu perçue comme un chiffon rouge.
On le voit, la souplesse introduite pour les entreprises de plus de 200 salariés a pour contrepartie l’immobilisme ou la création de nouveaux dispositifs s’appliquant aux entreprises en deçà de ce seuil.
Les entreprises de 1 à 50 salariés auront à faire face à pas moins d’une soixantaine de nouvelles obligations, aux termes du dossier de presse distribué lors de votre conférence du 9 juin dernier, monsieur le ministre. Ce « changement de monde » effraie légitimement de nombreux chefs d’entreprise.
En outre, soyons attentifs à ne pas alourdir les dispositions relatives à la DUP. Je pense en particulier au fait que les suppléants pourront siéger aux côtés des titulaires, à la suite de l’adoption d’un amendement à l’Assemblée nationale. Tout cela a un coût, à la charge de l’employeur. Il ne faudrait pas « tuer le produit » avec des dispositions qui constitueraient des freins. Pour ma part, je proposerai, au contraire, d’accélérer la mise en place des DUP, au travers d’un amendement qui a été adopté par la commission des affaires sociales.
Venons-en aux commissions paritaires régionales, dispositif dont l’introduction dès l’article 1er du projet de loi a valeur de symbole, y compris pour les chefs d’entreprise concernés. Nombre d’entre eux conduisent le dialogue social au quotidien et accompagnent même volontiers leurs salariés dans leurs démarches pour se loger ou régler des questions administratives. En effet, il est dans leur intérêt de contribuer au bien-être de salariés dont le savoir-faire est précieux et qu’ils ont souvent formés.
La création des commissions paritaires régionales est perçue comme une contrainte supplémentaire par 66 % de ces chefs d’entreprise. Si, sur le papier, le dispositif que vous avez imaginé semble imposer peu de contraintes, reste le problème de l’effet cliquet ! Toute nouvelle instance cherche à établir sa légitimité et à renforcer ses pouvoirs. Le législateur peut tout à fait décider demain de leur attribuer des prérogatives qu’il n’entend pas leur confier aujourd'hui… Cette situation explique les inquiétudes des chefs d’entreprise.
D'ailleurs, la CFDT, à l’issue de la présentation de votre projet de loi, a publié un communiqué de presse, dans lequel elle se réjouissait de la création des commissions paritaires, mais demandait qu’une mission de médiation leur soit confiée. Et voilà que, par le biais de l’adoption d’un amendement à l’Assemblée nationale, cette demande a été satisfaite… De la même manière, le texte prévoit désormais l’accès aux locaux de l’entreprise.
À cet égard, j’ai eu la surprise de recevoir un courrier recommandé avec accusé de réception adressé par une centrale syndicale, qui entendait porter ainsi à la connaissance du parlementaire que je suis ses arguments dans la perspective de l’examen du présent projet de loi. J’ai trouvé la méthode un peu spéciale… Si c’est ainsi que l’on s’adresse aux parlementaires, je n’ose imaginer comment sont traités les chefs d’entreprise !
Nous défendrons un amendement de suppression de l’article 1er. À tout le moins, cet article devra être récrit totalement. D'ailleurs, Mme la rapporteur s’est attelée à cette tâche, en élaborant une rédaction qui fait confiance aux partenaires sur le terrain.