Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 26 juin 2015 à 9h30
Modernisation du droit de l'outre-mer — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission, amendement 2012

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

Malgré le manque d’ambition de ce texte, la commission des lois a tenu à examiner ce dernier avec attention afin de conforter ses avancées, aussi modestes soient-elles, et de répondre aux besoins de nos concitoyens d’outre-mer. Il conviendrait cependant de l’enrichir de réflexions de long terme. Tel aurait pu être l’enjeu de la navette parlementaire si la procédure accélérée n’avait pas été engagée.

J’en profite pour saluer l’excellent travail de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, qui a adopté jeudi dernier un rapport très documenté, intitulé Domaines public et privé de l’État outre-mer : 30 propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile. Comme vous le voyez, s’agissant au moins du titre, elle n’y est pas allée de main morte ! Les conclusions de ce rapport permettraient d’enrichir utilement le texte qui nous est aujourd'hui soumis. Plusieurs des propositions qu’il contient ont d’ailleurs donné lieu à des amendements au présent projet de loi.

Avant de présenter les modifications adoptées par la commission des lois, permettez-moi d’aborder deux points.

Le premier s’adresse au législateur que nous sommes. Nous devrions être plus attentifs, mes chers collègues, à l’applicabilité des lois dans les différentes collectivités ultramarines. Si nous nous y efforçons, le résultat n’est pas encore satisfaisant. Le Gouvernement, en particulier le ministère des outre-mer, devrait lui aussi s’interroger plus systématiquement sur la mise en œuvre des dispositions législatives dans les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie.

En effet, la discussion de textes législatifs consacrés aux outre-mer a souvent pour conséquence paradoxale de renvoyer la question de l’application de dispositions dans ces territoires à une ordonnance. Nous pourrions peut-être inscrire dans la loi que ces dispositions sont applicables outre-mer.

Le second point que je souhaite aborder porte justement sur les ordonnances. Nous ne pouvons que regretter que tous les textes relatifs aux outre-mer proposent de renouveler des habilitations arrivées à échéance. Nous constatons que le Gouvernement, quel qu’il soit, rencontre des difficultés à publier dans les délais impartis les ordonnances que le Parlement l’a habilité à prendre. À cet égard, l’exemple de l’habilitation pour le droit du travail à Mayotte qui court depuis le mois de novembre 2012 est très significatif. Pourtant, le Gouvernement demande aujourd'hui de nouvelles habilitations pour prendre les ordonnances qu’il n’a pu prendre dans les délais prévus ! On peut s’interroger sur l’utilité de certaines de ces ordonnances ou sur le travail des administrations centrales en la matière.

N’oublions pas que ces ordonnances ont pour objectif d’améliorer la vie de nos concitoyens ultramarins. Il serait bon que le Premier ministre, responsable de la coordination du travail gouvernemental, adresse des directives claires à l’ensemble des membres du Gouvernement pour que leur administration apporte sans restriction un soutien technique au ministère des outre-mer dans leurs secteurs respectifs de compétences.

Malgré ces deux réserves, la commission des lois du Sénat a adopté trente et un amendements, dont l’un de notre collègue M. Thani Mohamed Soilihi. Outre de nombreux amendements rédactionnels ou de précision, qui donneront lieu à des débats sur la manière dont la loi est rédigée, la commission a adopté des modifications qui s’articulent autour de deux axes.

Le premier a consisté à améliorer et à sécuriser les dispositions que je qualifierai de « court terme » du projet de loi. Ainsi la commission a-t-elle notamment défini plus précisément les ressources de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, LADOM, et la composition de son conseil d’administration. Elle a ensuite fixé à cinq ans, au lieu de six, la durée du processus d’intégration à la fonction publique des contractuels des communes et des groupements de communes de la Polynésie française afin d’inciter ces collectivités à agir rapidement, ce qui ne sera peut-être pas possible. Elle a précisé le périmètre du détachement dans cette collectivité d’outre-mer, qui concernerait les seuls fonctionnaires et non les contractuels, comme en métropole.

Le second axe a consisté à encadrer les demandes d’habilitation du Gouvernement, notamment en réduisant les délais pour la publication des ordonnances ou en précisant le périmètre de certaines d’entre elles. La discussion des amendements nous conduira à en reparler puisque le Gouvernement demande de nouvelles habilitations. En septembre 2012, M. Jean-Pierre Sueur, alors président de la commission des lois, avait d’ailleurs interpellé à ce sujet le ministre des outre-mer de l’époque, M. Victorin Lurel. Il lui avait demandé si, à force d’habilitations, il comptait faire de Mayotte la « Terre des ordonnances ». Au vu des textes qui s’enchaînent, je pourrais aujourd’hui renouveler cette interrogation.

Pour conclure, il me semble indispensable d’engager sur certains sujets abordés dans le présent projet de loi une réflexion de long terme. Je citerai deux exemples.

Tout d’abord, l’encadrement des procédures comptables de LADOM ne sera pas suffisant. Il conviendrait d’adapter le budget de cette agence à l’accroissement de ses missions et de lui permettre d’agir dans certaines collectivités, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.

Ensuite, prolonger pour la quatrième fois l’activité des agences des cinquante pas géométriques en Guadeloupe et en Martinique représente une fuite en avant, le risque étant que la situation n’ait pas évolué à l’issue de cette nouvelle prolongation.

Il est nécessaire de proposer une solution pérenne en séance publique en coordination avec la délégation sénatoriale à l’outre-mer qui a présenté, comme je l’ai dit tout à l’heure, un rapport très intéressant sur cette problématique.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, je regrette que le Gouvernement continue de déposer des amendements après la réunion de commission. En effet, plusieurs amendements du Gouvernement sur des sujets nouveaux ont été déposés jusqu’à hier en fin d’après-midi. À l’instant, vous en avez même annoncé un autre dont je ne sais s’il a été déposé ou s’il le sera bientôt – je l’ai appris en séance, alors que c’est quand même une information importante pour le rapporteur ! Certes, le délai limite ne s’applique pas aux amendements du Gouvernement, qui fait ce qu’il veut ; mais il est d’usage que celui-ci respecte ce délai. En outre, la simple courtoisie voudrait au moins que le rapporteur soit averti du dépôt de nouveaux amendements. Cet usage semble se perdre, ce que l’on peut regretter pour un travail harmonieux et de qualité au Parlement.

Ainsi, mes chers collègues, sous réserve des amendements qu’elle vous proposera de voter, la commission des lois invite le Sénat à adopter le projet de loi tel qu’issu de ses travaux.

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