Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue à mon tour la présence dans nos tribunes du président Gaël Yanno et de M. Roch Wamytan. Je remercie en outre notre collègue de la commission des lois Pierre Frogier des éclairages qu’il a bien voulu apporter à la commission pour le bon aboutissement de ses travaux.
Nous avons une longue histoire derrière nous, commencée dans la violence et dans le deuil, lesquels ont été surmontés par les accords de Matignon signés le 26 juin 1988, voilà maintenant exactement vingt-sept ans. Ces accords ont été suivis de nombreuses discussions entre Calédoniens, sous l’égide de l’État.
Les accords du 26 juin 1988 prévoyaient l’organisation dans les dix ans d’une consultation sur l’éventualité de l’accès de la Nouvelle-Calédonie à l’indépendance. Juste avant l’échéance, l’accord de Nouméa a engagé un nouveau processus prévoyant un premier référendum au plus tard en 2019.
L’accord de Nouméa a été très rapidement suivi, le 20 juillet 1998, d’une révision de la Constitution, laquelle a précédé l’adoption par le Parlement de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Le régime constitutionnel applicable aujourd'hui repose sur les articles 76 et 77 de la Constitution.
L’organisation d’une consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté pose toutefois des problèmes compliqués.
Le premier d’entre eux réside dans la constitution de la liste électorale. Il est entendu que seuls doivent pouvoir participer à la consultation sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie les citoyens dont les attaches avec cette collectivité sont jugées suffisantes ; comment apprécier ce caractère suffisant ?
Deux points au moins ne font l’objet d’aucune contestation parmi les acteurs de la vie politique calédonienne, et cela depuis longtemps.
Tout d’abord, chacun s’accorde à reconnaître que les électeurs qui ont été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 approuvant l’accord de Nouméa et qui figurent donc sur la liste électorale spécialement dressée à l’époque doivent naturellement pouvoir prendre part à la future consultation sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Ensuite, il est admis que les électeurs relevant du statut civil coutumier et qui sont inscrits à ce titre sur le fichier informatique établi par la Nouvelle-Calédonie à partir des registres de l’état civil coutumier doivent également pouvoir prendre part au vote.
Il faut naturellement que cette liste fasse l’objet des vérifications nécessaires, afin d’éviter toute erreur sur l’authenticité des inscriptions. Cela peut soulever ici ou là des problèmes particuliers concernant l’orthographe des noms ; des recoupements sont nécessaires.
Nous avons donc là, à tout le moins, deux références incontournables. Elles permettent de constituer la liste électorale pour la consultation de 2019 avec une base certaine, sans avoir à demander aux électeurs de se faire inscrire individuellement lorsqu’ils relèvent de l’une de ces deux catégories. C’est tout de même beaucoup plus simple !
Au-delà de ces deux catégories, se posent des questions qui ont envenimé le débat politique au cours des dernières années.
Il était plus que temps, dans la perspective de la future consultation sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, d’établir des règles, de façon que l’on puisse déterminer le plus clairement possible qui pourrait être inscrit d’office sur la liste électorale spéciale et qui ne le pourrait pas, étant entendu que celui qui n’est pas inscrit d’office peut, lui aussi, faire valoir des droits, notamment du fait qu’il a ses centres d’intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie.
Le débat politique n’a cessé de se tendre à l’approche de l’examen par le Parlement d’un texte organique qui détermine les conditions de l’inscription d’office et fixe également la procédure à suivre, le rôle des commissions administratives spéciales pour l’inscription sur les listes électorales et celui d’une commission d’experts chargée d’harmoniser le travail des commissions administratives spéciales.
Je dois dire que le texte du projet de loi organique tel qu’il avait été soumis au Conseil d’État, puis adopté par le conseil des ministres et déposé sur le bureau du Sénat suscitait de profondes réserves, lesquelles se sont exprimées récemment au congrès de Nouvelle-Calédonie. Le Parlement était saisi de dispositions qui non seulement ne faisaient pas consensus, mais créaient même de graves oppositions entre Calédoniens.
Le nombre d’inscriptions en litige n’était pas nécessairement très élevé, mais les dissensions étaient fondées sur des raisons de principe. En effet, être inscrit, ou non, sur la liste spéciale, c’est se voir reconnaître, ou non, son identité calédonienne. L’enjeu est donc très fort, ce qui justifie les débats auxquels cette question a donné lieu. Elle est en effet essentielle, car il s’agit avant tout d’une question d’identité.
Je regrette, pour ma part, que le consensus n’ait pu être trouvé avant la rédaction de ce projet de loi organique, ce qui aurait évité beaucoup de tensions, lesquelles se sont manifestées à l’occasion de la visite récente du président de l’Assemblée nationale en Nouvelle-Calédonie. En effet, lors de cette visite, une manifestation a rassemblé 10 000 Calédoniens et a déclenché, à la faveur d’un certain nombre d’initiatives, dont celle de notre collègue M. Pierre Frogier, la réunion du comité des signataires qui s’est tenue le 5 juin dernier et qui a abouti, fort heureusement, à un accord.
Cet accord se traduit par l’adjonction de deux catégories à celles qui peuvent faire l’objet d’une inscription d’office sur la liste spéciale pour la consultation sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Ce sont, en premier lieu, les électeurs nés après le 1er janvier 1989 qui ont été inscrits d’office sur la liste électorale pour l’élection des assemblées de province et – car les conditions sont cumulatives– dont l’un des parents a été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 sur l’entrée en vigueur de l’accord de Nouméa.
Ce sont, en deuxième lieu, les natifs de Nouvelle-Calédonie qui seraient inscrits sur la liste électorale spéciale des membres du congrès et des assemblées de province. Pour ces derniers, la qualité de citoyen calédonien résultant de l’appartenance au corps électoral restreint pour l’élection des assemblées provinciales et du congrès de Nouvelle-Calédonie présume de manière incontestable que l’électeur a le centre de ses intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie.
Sur le fondement de cet accord, lequel s’étend également à la composition des commissions administratives spéciales et au rôle de la commission d’experts chargée d’harmoniser les jurisprudences, en quelque sorte, des commissions administratives spéciales, des amendements ont été présentés par le Gouvernement et intégralement adoptés par la commission des lois.
Ainsi, le Parlement n’a pas à rendre des arbitrages en faveur d’une partie des Calédoniens contre les autres, mais tout simplement à valider et à apporter sa consécration à l’accord conclu le 5 juin dernier.
La commission des lois connaît bien ces questions. En effet, le précédent président de la commission des lois, M. Jean-Pierre Sueur, a conduit l’an dernier une délégation de membres de la commission des lois en Nouvelle-Calédonie. La commission a donc pu se prononcer avec toutes les informations nécessaires, après avoir auditionné l’ensemble des parties prenantes sur ce texte que je soumets à l’approbation du Sénat.