Intervention de Clotilde Valter

Réunion du 7 juillet 2015 à 14h30
Réforme de l'asile — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Clotilde Valter, secrétaire d'État :

Avant que nous n’examinions ce texte dans le cadre de la nouvelle lecture au Sénat, je veux vous rendre compte de l’action du Gouvernement face à la crise migratoire à laquelle l’Europe est confrontée.

Comme l’avait souligné le ministre de l’intérieur lors de l’examen du texte en première lecture, un afflux migratoire sans précédent a conduit déjà près de 150 000 personnes à entrer clandestinement dans l’espace Schengen depuis le début de l’année. Si ces migrants ne relèvent pas tous de l’asile, c’est à l’évidence le cas de plusieurs d’entre eux, tels de nombreux Syriens, des Érythréens et des Irakiens.

Face à ce défi, l’ensemble des États membres de l’Union européenne a un intérêt commun. La position de la France est sans ambiguïté : nous souhaitons mettre en place à nos frontières extérieures des dispositifs efficaces d’identification des migrants, de relocalisation de ceux qui ont manifestement besoin de protection et de retour de ceux qui relèvent, non de l’asile, mais de l’immigration irrégulière. Cette identification doit être faite dès le pays de première entrée dans l’espace Schengen, au sein de hotspots.

En contrepartie, une solidarité européenne renforcée est nécessaire, notamment grâce à une meilleure répartition des demandeurs d’asile en besoin manifeste de protection. En outre, pour agir sur les causes des mouvements migratoires et faire diminuer les flux irréguliers, il faut établir une coopération renforcée avec les pays d’origine et de transit des migrants.

Telle est la position, partagée avec notre partenaire allemand, que le ministre de l’intérieur a présentée devant le Parlement – au Sénat lors de la première lecture et à l’Assemblée nationale lors de la nouvelle lecture ; c’est aussi la position que la France a défendue à l’occasion du Conseil européen des 25 et 26 juin derniers.

Je le constate, si la situation n’est pas encore pleinement satisfaisante, certains États rechignant à l’effort de solidarité, ces principes ont été actés lors du dernier Conseil européen. Nous voulons que l’Europe apporte à la crise migratoire actuelle une réponse équilibrée, à la hauteur des enjeux, et nous y travaillons ; c’est une nécessité. Le ministre de l’intérieur participera ainsi au prochain Conseil européen informel Justice et affaires intérieures, qui se tiendra le 9 juillet à Luxembourg pour rechercher un accord approfondi sur ces sujets.

Néanmoins, il ne suffit pas de défendre des positions au niveau européen. Il faut aussi que la France dispose, pour être à la hauteur d’elle-même, de procédures d’asile qui soient efficaces, rationnelles, réactives et conformes aux standards européens. Tel est donc l’objet du projet de loi qui vous est soumis ; ce texte constitue ainsi l’une des réponses que nous devons apporter à la situation migratoire, dont l’actualité souligne la gravité.

Avant d’entrer dans le détail du texte, je veux rappeler l’esprit dans lequel celui-ci a été rédigé. Il est le fruit d’une large concertation et d’un diagnostic étayé. Si l’on veut traiter d’un droit aussi complexe et aussi fondamental que le droit d’asile, il faut en effet prendre le temps de l’écoute et de la concertation.

C’est ce que Manuel Valls a fait en veillant à associer à notre démarche des parlementaires tant de la majorité que de l’opposition, comme votre collègue Valérie Létard. La République, c’est aussi cela : prendre le temps de partager un diagnostic, en sortant des postures politiques, pour bâtir des réformes.

C’est sur ces fondements que les travaux du Parlement ont eu lieu. Si je regrette que la commission mixte paritaire n’ait pas abouti, je veux toutefois souligner les convergences très fortes existant entre députés et sénateurs, à la fois sur le constat et sur les objectifs de la réforme de l’asile.

Le constat, c’est l’embolie de notre système d’asile et l’existence de régions en tension accueillant la majorité des demandes d’asile.

Je développerai plus précisément les objectifs de la réforme.

Premier objectif, nous entendons réduire la durée totale de l’examen d’une demande d’asile à neuf mois en moyenne. À l’heure actuelle, celle-ci peut en effet facilement excéder deux ans, contre moins d’un an en moyenne chez nos voisins européens. Or des procédures trop longues non seulement freinent l’accès au statut de réfugié pour les demandeurs fondés à l’obtenir, mais encore rendent notre dispositif plus vulnérable aux tentatives de détournement à des fins d’immigration irrégulière. La priorité est donc de réduire les délais à toutes les étapes de la procédure !

Voilà pourquoi l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, juridiction spécialisée maintenue et même renforcée par ce texte, seront dotées en 2015 d’importants moyens humains supplémentaires : cinquante-cinq équivalents temps plein additionnels ont été octroyés à l’OFPRA et sont d’ores et déjà recrutés. C’est un effort exceptionnel qu’a consenti le Gouvernement et qui a été encore amplifié par le récent plan présenté par Bernard Cazeneuve et Sylvia Pinel, selon lequel de nouveaux recrutements auront lieu avant la fin de l’année 2015.

De tels renforts permettront à l’OFPRA d’accélérer dès 2016 ses procédures, pour limiter à trois mois la durée moyenne d’examen d’une demande d’asile. Quant à la CNDA, elle bénéficiera d’un renfort de magistrats et de rapporteurs, afin de pouvoir examiner en moins de cinq semaines les demandes en procédure accélérée et en moins de cinq mois les demandes en procédure normale.

Nous devons également simplifier nos procédures d’asile en amont. Les délais d’enregistrement des demandes par les préfectures sont beaucoup trop longs. Ils doivent être ramenés à trois jours grâce à la création de guichets uniques de l’accueil du demandeur d’asile, guichets qui regrouperont sur un même site les agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, et des préfectures. Ces guichets s’ouvriront de manière progressive sur l’ensemble du territoire au cours de l’année 2015 et leur création s’accompagnera de la mise en place d’un nouveau système d’information unifié.

Enfin, nous devons savoir distinguer entre les demandes d’asile qui méritent un examen approfondi et celles pour lesquelles la réponse semble évidente et qui peuvent donc être traitées plus rapidement.

C’est aussi de cette façon que nous réduirons les délais de procédure, car l’OFPRA sait traiter rapidement des demandes qui sont manifestement fondées, telles que celles des Syriens ou des chrétiens d’Irak. À l’inverse, d’autres demandes ne nécessitent pas un examen approfondi, dans la mesure où elles ne reposent sur aucun motif sérieux.

Pour cette raison, le présent texte réforme les placements en procédure prioritaire, cette dernière devenant la procédure accélérée.

Sur ce point, ce projet de loi réalise deux avancées essentielles. Tout d’abord, il confie à l’OFPRA, qui seule a accès au contenu de la demande, le soin de décider en dernière instance si un dossier doit ou non faire l’objet d’une procédure accélérée. Ensuite, il garantit au demandeur d’asile en procédure accélérée les mêmes droits qu’à un demandeur en procédure normale ; sa demande est examinée plus vite, mais ses droits sont intégralement respectés.

Notre deuxième objectif consiste à améliorer l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile. Actuellement, notre système est bien trop inégalitaire et n’honore pas la République. Certains demandeurs sont hébergés en Centre d’accueil pour demandeurs d’asile, ou CADA, et bénéficient donc d’un accompagnement administratif, social et juridique dont chacun loue la qualité ; ce n’est en revanche pas le cas des autres demandeurs – les deux tiers – qui soit sont pris en charge dans des structures d’hébergement d’urgence, soit sont tout simplement livrés à eux-mêmes et survivent tant bien que mal dans des campements de fortune. Cette différence de traitement n’est pas tolérable sur le territoire de la République.

D’ici à 2017, l’hébergement en CADA doit donc devenir la norme et l’hébergement d’urgence, l’exception. Pour ce faire, nous allons augmenter le nombre de places en CADA. Nous en avons déjà créé 4 000 de plus en deux ans et nous avons l’ambition d’en ouvrir encore 8 200 d’ici à l’année prochaine – 4 200 dans le cadre d’un appel à projets lancé par le ministère de l’intérieur il a un mois, auxquelles s’ajoutent 4 000 nouvelles places prévues par le plan, que je mentionnais précédemment, présenté par Bernard Cazeneuve et Sylvia Pinel.

L’effort de l’État n’a jamais été aussi fort pour garantir un accueil digne des demandeurs d’asile ; cela représente un accroissement du parc de 50 % par rapport à la situation qui prévalait en 2012 !

Nous devons ensuite en finir avec les allocations éclatées dont bénéficient les demandeurs d’asile. L’allocation temporaire d’attente et l’allocation mensuelle de subsistance seront fondues en une allocation unique, qui prendra en compte la situation familiale de chaque demandeur.

Enfin, nous allons mettre en place un véritable hébergement directif. Comme vous le savez, l’accueil des demandeurs d’asile dans nos territoires peut être difficile à administrer lorsqu’un trop grand nombre d’entre eux converge en même temps vers une même ville.

Aujourd’hui, deux territoires, la région parisienne et la région lyonnaise, chère au rapporteur François-Noël Buffet, concentrent plus de la moitié des demandes – sans parler des difficultés rencontrées dans d’autres régions, que je n’ignore pas. Or c’est la République qui offre l’asile à ceux qui en ont besoin, et non tel ou tel territoire.

Par conséquent, afin de mieux répartir l’effort, nous prévoyons de mettre en place une orientation directive des demandeurs. Concrètement, le versement d’une allocation dépendra de la sollicitation, puis de l’acceptation d’un hébergement. Si un demandeur ne souhaite pas bénéficier des conditions d’accueil prévues par la République, ou s’il ne souhaite pas aller là où une place est disponible pour le recevoir, il aura naturellement droit à un examen de sa demande d’asile. En revanche, il ne pourra bénéficier de l’hébergement ni des allocations prévues.

Enfin, le troisième objectif de cette réforme consiste à renforcer les droits des demandeurs d’asile, dans un souci d’égalité et de juste transposition des normes européennes.

Ainsi, le demandeur d’asile pourra bénéficier d’un conseil de son choix à l’OFPRA.

Les demandeurs d’asile en situation de vulnérabilité pourront également bénéficier d’un examen et d’une prise en charge adaptés à leur situation. Je fais bien sûr référence aux mineurs, mais aussi aux femmes victimes, en tant que femmes, des pires atrocités. Pensons notamment aux viols de guerre – aux viols comme arme de guerre –, qui, depuis le début de la guerre civile en Syrie, ont détruit la vie de nombreuses femmes, et ainsi brisé des communautés entières.

Enfin, la loi permettra à tous les demandeurs d’asile de bénéficier, pendant l’examen de leur demande, d’un droit au maintien sur le territoire leur garantissant l’accès à l’ensemble des droits qui, aujourd’hui, ne sont reconnus qu’aux demandeurs en procédure normale.

Je sais que ces objectifs sont très largement partagés sur les travées de cet hémicycle ; je crois pouvoir en effet affirmer qu’il y a eu entre les deux chambres un accord sur l’essentiel et des désaccords tactiques sur le reste, d’où l’échec de la commission mixte paritaire. Je sais donc que vous êtes, en grande majorité, attachés à cette réforme.

À cet égard, je veux rendre hommage à l’esprit tout à fait constructif qui a prévalu lors de ces débats ; je formule le vœu que celui d’aujourd’hui le soit aussi et témoigne de la même ambition pour notre pays.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’observe d’ailleurs que votre commission n’a pas rétabli l’ensemble du texte que vous aviez adopté en première lecture, même si elle a choisi de réintroduire les dispositions qui vous tiennent à cœur ; ainsi en va-t-il de la composition du conseil d’administration de l’OFPRA, qui, dans une version différente de celle de l’Assemblée nationale, répond aux préoccupations du Gouvernement.

Vous avez par ailleurs remis en cause l’amendement du Gouvernement, adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale, relatif aux délais de demande de l’aide juridictionnelle. Si j’en crois l’exposé de votre amendement, vous craigniez en effet que cela réduise l’accès à cette aide. Je veux vous rassurer sur ce point : cela n’est en aucun cas l’objet de cette mesure, l’accès à cette aide demeure de droit. Il s’agissait simplement d’une mesure technique permettant d’éviter les délais supplémentaires que pouvaient susciter des demandes tardives d’aide juridictionnelle.

En outre, vous avez rétabli la mention symbolique d’un délai de trois mois pour la décision de l’OFPRA. Vous connaissez l’avis du Gouvernement sur cette mesure, qui n’a pas réellement d’effet juridique, mais qui semble souligner que tous les dossiers, toutes les demandes se valent.

Or telle n’est pas la vérité. En procédure normale, certains dossiers nécessitent une analyse approfondie, parce qu’ils sont complexes, voire très complexes. Laisser symboliquement à l’OFPRA la possibilité de prolonger au-delà de trois mois ses délais d’instruction, c’est tout simplement reconnaître qu’accorder ou refuser le droit d’asile est une question sérieuse, qui peut nécessiter un examen approfondi et du temps. Le Gouvernement préfère, pour sa part, en rester à la notion de « délai moyen de trois mois ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous présentera trois amendements, dont je souhaite vous indiquer succinctement le contenu.

Deux d’entre eux sont des amendements de précision. L’un vise la date d’entrée en vigueur des différentes mesures que contient le projet de loi. Comme vous le savez, certaines de ces mesures transposent une directive qui sera d’effet direct dans les jours qui viennent, tandis que d’autres nécessitent un délai technique pour permettre leur mise en œuvre pleine et entière et l’adoption des dispositions réglementaires indispensables. Notre objectif, c’est d’aller aussi vite que possible, c’est-à-dire faire en sorte que l’ensemble de la réforme soit effectif avant la fin de l’année, intégrer nos exigences européennes et avoir un système efficace.

Le troisième amendement vise l’affectation de magistrats administratifs professionnels à la CNDA. Le Gouvernement, après échange avec le Conseil d’État, a estimé que la modernisation de l’action de la CNDA, que le texte conforte dans ses compétences, supposait de permettre aux magistrats administratifs d’occuper les fonctions de président de section et de président de chambre, sans que cette affectation soit limitée à une durée de six ans, afin d’avoir des juges plus forts, une cour plus forte et un système d’asile plus fiable encore.

Tel est l’objet de l’amendement du Gouvernement. Si celui-ci n'était pas adopté, les onze juges professionnels actuellement affectés à la CNDA devraient être remplacés au 31 décembre 2015, ce qui rendrait plus difficile le travail de la Cour pour intégrer la réforme.

J’espère que ces amendements seront votés par le Sénat, de manière à figurer dans le texte qui fera l’objet de la lecture définitive à l’Assemblée nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, alors que le Sénat entame l’examen de ce texte en nouvelle lecture, je veux souligner les contributions qui nous viennent de l’ensemble des groupes.

Je pense notamment au travail qu’ont effectué le rapporteur, M. François-Noël Buffet, sous l’autorité du président de la commission des lois, M. Philippe Bas, le rapporteur pour avis, M. Roger Karoutchi, ainsi que les sénateurs Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Sueur et Catherine Tasca, pour le groupe socialiste. Je pense également à la précision et à l’expertise de Mmes Valérie Létard, Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain et citoyen, et Esther Benbassa.

Vous avez tous un regard acéré sur la question de l’asile et je ne doute pas que nos préoccupations se rejoignent à l’occasion de cette nouvelle lecture. Je vous remercie de tout le travail que vous avez réalisé.

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