Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne vous le cache pas : je trouve que le texte que nous avons à examiner en nouvelle lecture est meilleur que celui qui nous avait été soumis en première lecture. Il est vrai que – contre toute attente, si je puis dire – l’Assemblée nationale n’a finalement pas remis en cause un certain nombre d’améliorations que la Haute Assemblée avait apportées au texte.
En ma qualité de rapporteur pour avis de la commission des finances, je pense notamment à un certain nombre de mesures financières, en particulier à la possibilité de solliciter une participation financière des demandeurs d’asile dans les lieux d’hébergement, à l’ajout d’un délai précis à partir de l’entrée sur le territoire français pour que le dépôt d’une demande d’asile ouvre droit à l’allocation, à la possibilité de suspendre l’allocation et l’hébergement en cas de comportement violent, à la création d’un véritable statut des centres provisoires d’hébergement, les CPH.
Il y a encore un peu de chemin à parcourir, madame la secrétaire d'État, sur la distinction entre les demandeurs et les déboutés du droit d’asile, ainsi que sur le maintien des seconds en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, ou CADA. Il n'y a pas de raison que les déboutés puissent bloquer des places dans ces centres, quand il n’y en a pas suffisamment – c’est le moins que l’on puisse dire – pour les demandeurs d’asile dont la situation est en cours de traitement !
Par ailleurs – je le dis pour faire plaisir à M. le rapporteur –, j’aurai l’occasion de représenter tout à l'heure un amendement de la commission des finances sur l’entrée sur le marché du travail.
Toutefois, madame la secrétaire d'État, si le texte est meilleur, il n’est, globalement, toujours pas satisfaisant.
Certes, comme j’ai déjà eu l’occasion de le lui dire, je ne doute pas de la volonté du ministre de l’intérieur de faire en sorte que les choses se passent mieux, de manière plus régulière ou encore que les délais d’instruction des dossiers et, par conséquent, de versement de l’allocation soient plus courts.
Ainsi, depuis deux ou trois ans, le Gouvernement a augmenté les effectifs de l’OFPRA et, dans une moindre mesure, ceux de la CNDA. C’est un effort que je reconnais bien volontiers ! Sauf que, en réalité, la hausse du nombre d’agents de l’OFPRA et de la CNDA amenés à traiter les dossiers a été infiniment plus faible que celle du nombre de demandeurs d’asile, lequel a augmenté de 30 %, voire de 40 % en cinq ans ! Dans ces conditions, chaque agent a, par définition, plus de dossiers à traiter.
Par conséquent, prévoir qu’il devra être statué sur la demande d’asile dans un délai de neuf mois à compter de l’introduction de celle-ci est un vœu pieux, d'autant que cette obligation n’est pas assortie de sanction. Que vaut, en droit français, une mesure dont le non-respect n’entraîne pas de conséquences ?
Par conséquent, je crains que nous ne raccourcissions pas les délais, et cela d’autant plus, madame la secrétaire d’État, que la pression exercée par les événements en Méditerranée est forte. Bien que rien ne soit définitivement conclu, la France est entrée dans un système qui, elle en convient elle-même, n’est pas anormal, la Commission européenne lui demandant d’accepter des quotas supplémentaires. On parle de 7 000 à 10 000 demandeurs d’asile supplémentaires qui seraient pris en charge par la France dans les deux années qui viennent.
Cela signifie autant de demandeurs d’asile supplémentaires – en plus de ceux qui ont été traités cette année –, ainsi que, évidemment, des délais d’instruction encore plus longs. Or, quel que soit l’effort pour en construire de nouvelles, le nombre de places en CADA restera de 24 000 ou 25 000 pour 65 000 ou 70 000 demandeurs d’asile.
On est dans un système fou ! On crée des postes, mais, par définition, ils ne sont pas assez nombreux pour permettre une accélération des délais. On verse des allocations, mais on ne sait pas à quel niveau s’arrêter, faute de connaître le nombre de demandeurs d’asile qu’on aura à traiter.
Je comprends le ministre de l’intérieur, qui dit que les critères de la demande d’asile sont objectifs et qui, à partir de là, demande ce que l’on peut faire. Effectivement, c’est une bonne question ! Est-ce qu’on se laisse aller jusqu’à la situation allemande ? Dans ce pays, il y a 300 000 ou 400 000 demandes d’asile et il a fallu réquisitionner des casernes, des écoles… Allons-nous choisir de nous mettre dans cette situation ? Ou allons-nous, pour trouver des solutions, utiliser la liste des pays d’origine ou réfléchir sur les critères fixés ?
Il a été proposé – je comprends que cela fasse débat – de faire en sorte que les centres à partir desquels sont étudiées les demandes d’asile soient situés dans les pays de départ plutôt que sur le territoire du pays d’arrivée.
On le sait, madame la secrétaire d’État, l’élément essentiel, c’est que l’on va avoir, globalement, 15 000 acceptations. On le sait aussi, sur les quelque 50 000 déboutés du droit d’asile, on va, au mieux – les meilleures années ! – en raccompagner entre 5 000 et 10 000 aux frontières. On sait donc que nous fabriquons nous-mêmes systématiquement, tous les ans, quelque 40 000 sans-papiers.
Comment les traiter ? Comment faire ? Comment travailler sur le sujet ? La réalité, tous les Français en sont conscients, c’est qu’il y a aujourd’hui une rupture dans la société. Le problème n’est pas que celle-ci s’inquiète au-delà de la mesure – encore que –, c’est qu’elle ne dispose pas d’éléments concrets, cadrés, à partir desquels elle pourrait avoir des certitudes.
Ce qui manque à la société française en ce qui concerne les mouvements migratoires comme le droit d’asile, c’est une définition de ce qui est sûr. Elle a besoin de connaître les règles applicables et les conditions de traitement des dossiers.
Ce n’est pas en annonçant que vous allez évacuer un ou deux camps ici ou là, alors qu’il n’existe pas de structure supplémentaire et que l’on apprend, en parallèle, que l’Europe va accepter 9 000 à 10 000 demandeurs d’asile supplémentaires, que vous allez rassurer les Français !
Je le dis sincèrement, le ministre de l’intérieur a une bonne perception des choses. Il a une vision, laquelle consiste à vouloir réduire le délai de l’instruction, ce qui est, en réalité, la seule solution. Sauf que nous sommes démunis par rapport à l’augmentation du nombre des dossiers. On joue sur les mots : certains pays ayant été radiés de la liste, le nombre de demandes a certes baissé sur un an, mais de façon tout à fait conjoncturelle. En réalité, le nombre de demandes reprend à la hausse. De ce fait, comme les effectifs affectés au traitement des dossiers n’augmentent pas, les délais d’instruction continueront d’être très longs, d’autant que le texte a ajouté un certain nombre de capacités de recours.
Madame la secrétaire d’État, c’est simple : les Français vous jugeront sur pièces. Allez-vous consacrer les moyens suffisants pour permettre le raccompagnement des personnes aux frontières ?
Ce texte, qui devait, à l’origine, être relatif à l’immigration, est devenu – je le regrette infiniment – un texte sur « le droit des étrangers », ce qui ne veut strictement rien dire ! Faut-il comprendre que cet intitulé va permettre d’attribuer un certificat de travail à un ingénieur américain venu en France ? Ce n’est évidemment pas le sujet !
Il fallait lier le projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile et le texte sur l’immigration, afin de définir des solutions globales et acceptables pour l’ensemble de la République et la représentation nationale. On n’a pas voulu le faire, ce qui va, à mon sens, nous conduire à des désagréments assez lourds, surtout compte tenu de la situation générale.
En tout cas, je constate que le texte lui-même comporte des avancées. Tout à l’heure, je présenterai à nouveau, au nom de la commission des finances, un amendement ô combien important sur l’entrée dans le marché du travail. Sauf erreur de ma part, sauf à avoir mal lu les chiffres, les statistiques du chômage continuent d’augmenter. Si on m’explique que le marché du travail est plus souple et plus ouvert pour les demandeurs d’asile dont la situation n’a pas encore été traitée, il faudra m’expliquer où ils trouvent des emplois !