Intervention de Valérie Létard

Réunion du 7 juillet 2015 à 14h30
Réforme de l'asile — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, deux ans quasiment jour pour jour après l’installation du comité de concertation par le prédécesseur de M. Bernard Cazeneuve au ministère de l’intérieur, nous allons adopter le projet de loi relatif à la réforme de l’asile.

Sur cette réforme attendue et nécessaire, nos débats approfondis auront permis d’explorer toutes les pistes d’amélioration et de poser toutes les bonnes questions. Quant au texte final, après l’échec de la commission mixte paritaire, ce sont nos collègues de l’Assemblée nationale qui auront le dernier mot.

Bien évidemment, comme beaucoup d’entre nous dans cet hémicycle, je regrette que nous n’ayons pu déboucher sur un texte commun lors de la commission mixte paritaire. L’objectif que nous visons était, je le crois, partagé : donner une plus grande efficacité à notre dispositif, permettre une meilleure prise en charge des demandeurs d’asile pendant la procédure d’examen de leur dossier et faciliter l’intégration des bénéficiaires de l’asile.

Nous avons débattu de ce projet de loi dans un contexte difficile. L’arrivée massive de migrants aux frontières sud de l’Europe, la situation en Libye, en Syrie et au Yémen, les attaques répétées des mouvements de l’islam radical pour déstabiliser nos démocraties ont pesé sur nos débats.

Dans ces conditions, il a parfois été tentant de céder à des discours simplificateurs ou de prôner « la mesure capable de régler le problème ». Toutefois, dans ce dossier, la solution simple n’existe pas. L’exemple de ce qui se passe à Calais est là pour nous le rappeler. Un migrant résolu à passer en Grande-Bretagne refusera obstinément de présenter une demande d’asile en France, quand bien même nous lui proposerions cette solution, assortie d’un accompagnement adapté.

J’ai bien noté, madame la secrétaire d’État, l’effort supplémentaire fourni par notre pays grâce au nouveau plan pour l’accueil des migrants que vous avez présenté le 16 juin dernier. Les moyens supplémentaires seront bienvenus, en particulier les moyens en personnel pour renforcer les équipes de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et ceux de l’Office français pour l’immigration et l’intégration, l’OFII, qui en a lui aussi vraiment besoin.

La polémique sur les quotas au niveau européen a rappelé, une fois encore, que l’Europe doit trouver les moyens de faire face de manière solidaire à cette vague de migrants. La lutte contre les passeurs, les navires mobilisés en Méditerranée, le renforcement du régime Frontex, l’instruction des dossiers d’asile dans les pays d’origine, comme vient de le rappeler M. Karoutchi, et la politique de codéveloppement avec les pays d’origine sont autant de problèmes que nous ne pouvons traiter qu’au niveau européen, comme j’avais déjà eu l’occasion de le souligner dans nos précédents débats. En clair, si ce texte est une nécessité pour traiter l’urgence, il faut aussi s’intéresser à la cause de cette dernière. Et c’est à l’échelle européenne qu’il faudra nous pencher de façon déterminée sur toutes ces questions.

S’agissant du texte du projet de loi en nouvelle lecture, tel qu’il ressort du débat en commission des lois le 30 juin dernier, je souhaiterais souligner son caractère équilibré. Les rapporteurs de chaque assemblée ont su, sur de nombreux articles, trouver une rédaction commune qui vous a été présentée. Je tiens à saluer M. le rapporteur, parce que je sais qu’elle a été le fruit d’un long et fastidieux travail pour obtenir des accords difficilement envisageables avant son intervention ! Je le remercie chaleureusement, car nous partions de très loin. C’est tout l’honneur du travail accompli par les rapporteurs.

L’article L. 743-3-1, qui avait été l’un des points d’achoppement de notre débat en première lecture, a été définitivement supprimé. La rédaction de l’article L. 743-4 est pleinement satisfaisante et répond au souci que j’avais exprimé en première lecture de dégager une position de compromis acceptable par tous.

Permettez-moi également de me féliciter que figure désormais dans le texte des deux assemblées la possibilité de missions déconcentrées de l’OFPRA à l’article 7 et d’audiences foraines de la CNDA à l’article 10. Comme je l’avais indiqué en première lecture, le principe d’un schéma d’orientation directif des demandeurs d’asile, associé à la création de futures grandes régions, conduisait logiquement à se poser la question d’une organisation déconcentrée de l’OFPRA. Et cette déconcentration à venir trouvait logiquement son corollaire au niveau de la CNDA, par la possibilité que lui ouvre le texte de tenir des audiences foraines dans les territoires.

Schéma d’hébergement régionalisé, déconcentration de l’OFPRA et de la CNDA, nous avons là un axe qui pourrait utilement se développer. M. Karoutchi le rappelait tout à l’heure, les moyens humains supplémentaires ne sont certes pas énormes, mais si nous organisons de façon déconcentrée l’ensemble du dispositif, cela permettra peut-être de réduire des délais. Et en ajoutant à l’organisation territoriale des moyens supplémentaires, on devrait, je l’espère, arriver à quelque chose de positif !

Toutefois, quelques points restent en débat. Le texte issu des travaux de la commission maintient, à juste titre, une position volontariste sur le raccourcissement des délais. Cet élément est essentiel si nous voulons atteindre l’objectif d’une procédure examinée en neuf mois.

La commission des lois a également choisi de rétablir l’article 14 bis, supprimé en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale. Cet article, adopté par la commission sur mon initiative, constitue à mes yeux une pièce maîtresse de la réforme. En effet, comment se préoccuper de l’asile en ignorant le sort des personnes qui seront déboutées au sortir de la procédure ?

Comme j’avais eu l’occasion de le dire lors de notre débat précédent, nous ne pouvons pas nous contenter de les ramener au sort d’étrangers en situation irrégulière. Leur démarche les a signalés aux autorités administratives : ce ne sont plus des clandestins anonymes. À ce titre, nous devons les amener au retour dans des conditions dignes, conformément à la proposition phare de notre rapport sur la réforme de l’asile. La création de centres dédiés pour les étrangers déboutés du droit d’asile est l’un des derniers maillons de la chaîne. Je souhaite que l’Assemblée nationale accepte, en dernière lecture, de reconsidérer les arguments qui ont convaincu le Sénat du bien-fondé d’adopter cette disposition à titre expérimental.

Un dernier point me semble encore discutable dans la rédaction retenue par les rapporteurs pour le deuxième alinéa de l’article L. 744-2, qui définit les modalités d’élaboration du schéma régional d’accueil des demandeurs d’asile.

En première lecture, sur ma proposition, le Sénat avait retenu la nécessité d’associer étroitement les communes et intercommunalités compétentes en matière d’habitat à l’élaboration du schéma régional, partant du principe qu’il reviendrait à ces collectivités de le mettre en œuvre et de l’accompagner.

Cela me paraissait également la meilleure manière de créer, par une démarche concertée, les conditions d’une acceptation positive de l’accueil des demandeurs par la population d’un territoire. Quand les élus locaux emboîtent le pas, il est forcément plus simple et plus aisé de préparer les populations et de le faire dans la meilleure harmonie territoriale possible !

La rédaction retenue par le texte actuel d’un avis du comité régional de l’habitat et de l’hébergement ne me paraît pas la plus pertinente. Le champ d’intervention de ce comité est vaste. Certains des sujets qu’il a en charge sont certes en lien avec cette question, mais elle risque de se retrouver traitée un peu à la marge. Elle me semble pourtant demander la plus grande attention, puisqu’elle est au cœur des préoccupations de nos élus locaux.

Pour participer moi-même à un Comité régional de l’habitat, je sais qu’on peut évoquer ces sujets. Je sais aussi qu’un CRH fait intervenir beaucoup d’acteurs associés et que ce sujet sera noyé dans la masse. Or il est vraiment nécessaire que les élus le traitent sur un mode particulier, sous la présidence du préfet, lequel veillera à obtenir des élus locaux une véritable coproduction, aboutissement d’une démarche réellement acceptée. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement visant à rétablir le texte adopté par le Sénat en première lecture.

Telles étaient les observations que je souhaitais formuler à l’occasion de cette nouvelle lecture.

Mes chers collègues, permettez-moi, en conclusion, de saluer une fois de plus la qualité de notre débat et du travail du rapporteur de la commission des lois. À n’en pas douter, notre assemblée a largement contribué à enrichir le contenu de ce projet de loi !

Je voudrais également saluer de nouveau la grande qualité d’écoute et d’ouverture dont a fait preuve M. le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, tout au long de cette discussion à l’égard de notre assemblée.

Nous souhaitions faire œuvre utile. Je pense que nous y sommes parvenus. Je me félicite que nos débats m’aient permis d’introduire dans le texte du Sénat les propositions du rapport qui me semblaient essentielles pour assurer un traitement équilibré des demandeurs d’asile.

Cette réforme est une première étape essentielle dans la construction d’une politique d’ensemble cohérente de l’accueil des étrangers dans notre pays. Elle aura atteint son but lorsque la procédure accélérée permettra d’accorder très rapidement l’asile à tous ceux qui en relèvent et qui en ont grand besoin.

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