Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 29 juin 2011 à 14h30
Exercice du droit de préemption — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission, amendement 11

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi consacrée au droit de préemption urbain.

C’est une bonne chose, d’abord parce que le sujet mérite un texte ad hoc, ensuite parce que cela illustre, me semble-t-il, l’intérêt croissant des élus pour les outils de politique foncière. Il est toutefois regrettable que nous demeurions bien en deçà de la grande loi d’orientation foncière que nous attendons tous, et dont la nécessité a été réaffirmée par l’ensemble des partis politiques, dans une belle unanimité, à l’occasion des États généraux du logement réunis le 8 juin dernier au Théâtre du Rond-Point.

À travers l’examen des huit articles que comporte cette proposition de loi issue des travaux de la commission, nous n’aborderons pas uniquement la réforme d’un outil d’urbanisme, aussi précieux soit-il. Le DPU « convoque » devant la Haute Assemblée des enjeux aussi essentiels que le droit de propriété, l’usage des sols ou le juste du prix du foncier. Autant de questions qui touchent au cœur de notre pacte républicain.

J’évoquerai tout d’abord la question du droit de propriété.

Le respect de la propriété est sans doute l’une des plus anciennes manières de réguler une communauté humaine et de garantir la paix : pensons aux conséquences dramatiques des conflits territoriaux qui durent depuis des temps immémoriaux, ou, à l’inverse, au commandement gravé sur les tables de la loi qui proclame depuis l’Ancien Testament : « Tu ne voleras point » !

Du reste, les révolutionnaires ne s’y sont pas trompés, qui en ont fait l’un des fondements de la République depuis la toute première du nom : le droit de propriété figure déjà dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, où il est défini dès l’article II comme l’un « des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme… »

Toutefois, dans leur sagesse, les rédacteurs de la Déclaration de 1789 ont pris soin de rappeler que les droits individuels ont également des limites, afin de permettre le bon fonctionnement de la communauté humaine et de garantir le respect de chacun. Ainsi, l’article IV dispose que « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits… »

Cet équilibre est précieux. Nous devons le garder à l’esprit au cours de nos débats, car le droit de propriété, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, est trop souvent brandi comme un bouclier contre l’intérêt général. Or c’est mal comprendre le droit de propriété que de le placer au-dessus de ce qui fait société. Telle n’était pas l’intention des révolutionnaires ni des constituants, qui ont fait de la Déclaration de 1789 le préambule des Constitutions de 1946 et de 1958.

Ce qui fait société, c’est notamment notre façon de vivre ensemble et de partager des espaces. Ainsi, et j’aborde à présent le second point de mon intervention, l’intérêt général commande d’intervenir sur la destination des sols.

L’usage des sols relève de l’intérêt national : il doit donc être défini dans un cadre qui garantisse son caractère démocratique, équilibré et soucieux du bien commun.

Au sortir de la guerre, il fallait impérativement trouver les moyens de nourrir tous les Français, car un besoin essentiel de la personne était en jeu : subsister. Pour cela, le législateur a adopté une grande loi de remembrement rural.

Aujourd’hui, dans nos villes, un autre besoin fondamental est en jeu : avoir un toit au-dessus de la tête. Le droit au logement ayant été reconnu comme un objectif à valeur constitutionnelle, il faut créer les conditions qui permettront à chacun de bien se loger. Cela commande d’intervenir sur le foncier et sa destination.

La prééminence de l’intérêt général dans l’usage des sols mérite d’être réaffirmée dans le code de l’urbanisme, lequel manque encore d’un article fondateur sur ce sujet. Il est donc indispensable de poser, en ouverture de ce code, une sorte de boussole qui fixe le cap de l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires qu’il rassemble, comme de celles qu’il rassemblera à l’avenir.

C’est la raison pour laquelle les sénateurs socialistes ont déposé un amendement tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er de la présente proposition de loi, qui affirmerait, de manière solennelle, que « la destination prioritaire des sols est de servir l’intérêt général ».

Cette affirmation est d’ailleurs parfaitement cohérente avec la vocation assignée aux plans locaux d’urbanisme, les PLU. Les collectivités territoriales, garantes de l’intérêt général, ont la responsabilité de définir des destinations sectorisées sur leur territoire. Le DPU est l’un des outils qui permettent de mettre en œuvre le schéma ainsi établi. C’est même un outil puissant, dont l’usage doit être encouragé.

Les sénateurs socialistes proposent donc d’approfondir le DPU dans deux directions.

Tout d’abord, l’amendement n° 11 vise à reformuler les finalités du droit de préemption, en y intégrant explicitement trois motifs supplémentaires de recours à ce droit.

Il s’agit en premier lieu de la réalisation de projets de transports en commun. Toute infrastructure lourde de transports collectifs nécessite d’importantes acquisitions foncières. La modification de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme que nous proposons permettra de faciliter ces opérations.

En deuxième lieu, nous suggérons de permettre la préemption pour constitution de réserves foncières. Cet ajout est essentiel à mes yeux, et je pense pouvoir m’exprimer également au nom de mes collègues présidents d’établissements publics fonciers : il donne un fondement juridique solide aux politiques de réserves foncières menées par les collectivités.

Je tiens à souligner que, dans les grandes agglomérations et les zones tendues – ces fameuses zones auxquelles vous êtes très sensible, monsieur le secrétaire d’État –, ce sont les territoires ayant, par tradition, constitué de réserves foncières qui produisent aujourd'hui le plus de logements – tant mieux ! – et sont donc les mieux à même de répondre aux besoins de la population. Ces pratiques doivent impérativement être encouragées, d’autant qu’elles ne portent leurs fruits qu’à moyen et long termes.

En dernier lieu, l’amendement n°11 complète les motifs de préemption par l’acquisition de lots de copropriété en plan de sauvegarde ou en difficulté mais n’ayant pas atteint le stade de l’insalubrité. En effet, le DPU actuel ne peut s’exercer dans les copropriétés dégradées, ce qui limite les opérations de rénovation urbaine et contribue à précipiter l’aggravation de l’état de ces copropriétés.

Cette disposition sera sans doute un outil utile pour l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, dans le cadre tant de ses missions traditionnelles que de celles qui lui ont été confiées par le Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, le PNRQAD.

J’y vois également, en ma qualité d’élu d’un territoire de montagne, un nouvel outil pour les copropriétés à vocation immobilière délaissées par leurs propriétaires qui ont bénéficié d’investissements défiscalisés et qui, après quelques années d’utilisation, ne remettent pas leurs logements en état d’être loués.

Les collectivités territoriales, mais aussi les organismes HLM et les établissements publics d’aménagement auxquels le droit de préemption est délégué, pourraient ainsi acquérir des droits de vote dans les copropriétés et faire émerger de nouvelles majorités. Je suis convaincu que M. le secrétaire d’État y serait sensible.

J’en viens à la seconde direction d’approfondissement du DPU que nous proposons. Celle-ci consiste en la création de zones d’opérations futures d’intérêt communautaire. En effet, encourager l’usage du DPU est indissociable d’une réflexion sur les échelles de gouvernance.

Dans la mesure où la loi définit, depuis les lois Grenelle 1 et 2, qui furent largement améliorées par la Haute Assemblée, un objectif de mise en cohérence à l’échelle intercommunale des documents de planification et d’urbanisme, l’échelle de l’aire urbaine s’affirme progressivement, quoique pas toujours assez vite, comme celle de l’aménagement.

À partir de ce constat, nous proposons de doter les intercommunalités à fiscalité propre d’un nouvel outil, les zones d’opérations futures. Un tel outil serait une sorte de zone d’aménagement différé, ZAD, mais à maîtrise locale, contrairement aux ZAD existantes qui relèvent de l’État. Cela permettrait une gouvernance plus opérationnelle. Quant au DPU, il pourrait, dans ces secteurs, demeurer communal ou être délégué à l’établissement public de coopération intercommunale, l’EPCI. Les avantages des ZAD, notamment en termes de blocage des prix, seraient reproduits à l’identique dans les zones d’opérations futures.

Telles sont les pistes d’approfondissement que nous proposons.

J’évoquerai maintenant un « point de vigilance » lié au fonctionnement du DPU : si la collectivité doit, c’est bien légitime, respecter un certain nombre de règles du jeu en cas de préemption, le cédant doit lui aussi s’astreindre à jouer cartes sur table.

Par exemple, la transmission de propriété peut-elle s’affranchir de l’intérêt général dès lors qu’elle se fait à titre non onéreux ? Nous répondons que non.

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