Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile après que la commission mixte paritaire a fait apparaître, sur un nombre important de sujets, une contradiction irréductible entre les positions des deux chambres. La divergence majeure et insurmontable tient à la vision sécuritaire adoptée par la droite sénatoriale sur la question des déboutés.
Aggravé par les amendements de la commission des lois du Sénat, en nouvelle comme en première lecture, le projet de loi retire aux demandeurs d’asile une série de droits fondamentaux.
Je pense d’abord au droit à l’égalité, puisqu’on prévoit de discriminer les demandeurs d’asile, soumis à des procédures expéditives, en opérant un tri selon leur nationalité ou selon des critères fondés sur les préjugés, et non sur des différences vérifiables touchant à la qualité des demandes.
Je pense ensuite au droit pour les demandeurs d’asile de saisir un juge lorsqu’une décision de l’administration leur semble injuste. En effet, la possibilité de saisir la justice contre une décision négative reste illusoire ou purement formelle dans de nombreux cas. Les délais de recours imposés à des justiciables par définition désorientés, qui sont dans certains cas d’une semaine, voire seulement de quarante-huit heures, et le temps laissé aux juges pour étudier les dossiers sont beaucoup trop brefs pour que les demandeurs d’asile aient une chance réelle de faire valoir leurs arguments devant la justice.
En outre, ce projet de loi limite la possibilité pour les demandeurs d’asile de choisir où et avec qui ils habitent, sans compter qu’il leur impose des obligations de présence dans certains lieux d’hébergement, sous peine de voir leur demande radiée. Un tel cantonnement nous paraît disproportionné pour des personnes qui appellent avant tout à l’aide et auxquelles on ne reproche aucun délit.
Dans une tribune publiée dans La Croix le 23 juin dernier, plusieurs associations travaillant auprès des réfugiés ont dénoncé ces pratiques et ce détournement du droit d’asile à des fins de politique migratoire : « Si des hommes, des femmes et des enfants ne retournent pas vers des foyers lointains, quittés dans l’urgence et à contrecœur, c’est souvent parce qu’ils ne peuvent pas y retourner, tout simplement. Peut-être que leur instinct de survie est plus fort qu’une procédure faillible et menée à la hâte ? Les traiter comme des délinquants et les punir ne mettra pas fin à la misère ni aux crises humanitaires qu’ils cherchent à fuir. »
En première lecture, aucune de nos propositions d’amélioration en faveur d’un véritable droit d’asile n’a été adoptée ; inutile d’espérer, donc, que la majorité sénatoriale en fera grand cas en nouvelle lecture. C’est le principe de réalité !
Nous avons néanmoins déposé trois amendements, dont l’objet, simple, consiste à revenir sur les mesures indignes que la droite sénatoriale a réintroduites en commission dans le projet de loi. Il s’agit, d’une part, des dispositions imposant un hébergement sous peine de clôture de l’examen de la demande d’asile ou de suspension de l’allocation financière, et, d’autre part, de l’assignation à résidence des demandeurs d’asile déboutés, c’est-à-dire de leur enfermement administratif, et du refus d’accès aux hébergements d’urgence pour ces derniers.
Aux cyniques qui font de la question une affaire comptable, quand ce n’est pas un problème de plomberie, les réfugiés étant comparés à des fuites d’eau, j’aimerais rappeler quelques chiffres.
Tout d’abord, il faut considérer que la France accorde l’asile en première instance à 17 % des demandeurs, quand ce taux était en 2014 de 39 % au Royaume-Uni, de 40 % en Belgique, de 42 % en Allemagne, de 67 % en Finlande et de 45 % en moyenne dans l’Union européenne.
Ensuite, les Érythréens, qui, avec les Soudanais, peuplent majoritairement les campements parisiens, avaient jusqu’au mois de mai dernier bien peu de chances d’obtenir le statut de réfugié : seulement 14, 8 % d’entre eux obtenaient gain de cause en première instance, alors qu’ils sont 100 % à obtenir une décision favorable en Suède et quelque 85 % dans la plupart des autres pays européens.
Les Soudanais ne sont guère mieux traités, puisque 279 d’entre eux ont obtenu le statut de réfugié en 2014, quand 990 ont vu leur demande refusée. Pour eux, les proportions sont inversées des deux côtés de la Manche : près de 75 % reçoivent une réponse positive au Royaume-Uni et ils sont autant à voir leur demande rejetée en France.
Quant aux Syriens, qui font la fierté de l’OFPRA avec leur taux d’acceptation de 96 %, quelque 40 % d’entre eux n’obtiennent pas le statut de réfugié, mais une simple protection subsidiaire.
Délogés de leurs installations successives, les migrants de Paris ont été victimes ces dernières semaines d’une véritable chasse, qui a abouti à un plan en demi-teinte. Si nous nous réjouissons que la création de 9 500 places d’hébergement supplémentaires ait été annoncée, nous regrettons que cette mesure, dont nous surveillerons la mise en œuvre, s’accompagne d’une série de dispositions expéditives : multiplication par deux du nombre de retours volontaires des migrants économiques, optimisation du remplissage des centres de rétention administrative, dernière étape avant le renvoi forcé, et « nouveaux dispositifs de préparation au retour » aux contours encore flous. Ces diverses dispositions éclipsent largement la bonne nouvelle et masquent mal la politique du chiffre qui semble encore guider le Gouvernement.
Mes chers collègues, le mot « républicain » a beau être à la mode ces temps-ci, la tendance est à l’oubli, et la devise de notre pays n’y échappe pas. « Liberté, égalité, fraternité » : hélas, le sens des mots se perd. Dans son ouvrage La Devise « Liberté, égalité, fraternité », l’enseignant-chercheur Michel Borgetto rappelle que, telle qu’on l’envisageait sous la Révolution, « la fraternité avait pleine vocation à embrasser tous ceux qui, Français mais aussi étrangers, luttaient pour l’avènement ou le maintien de la liberté et de l’égalité ».
Aujourd’hui, la fraternité républicaine devrait tendre vers une forme d’entraide entre citoyens de toutes origines, au service de la solidarité et d’un monde meilleur. Le projet de loi dans sa rédaction adoptée par la commission n’étant pas inspiré par ces principes, nous ne le voterons pas !