Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 23 juillet 2015 à 10h30
Adaptation de la procédure pénale au droit de l'union européenne — Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en nouvelle lecture, le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne.

Ce texte avait initialement pour objet de transposer en droit interne trois décisions-cadres issues du programme de Tampere de 1999 : celle du 27 novembre 2008 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements et aux décisions de probation aux fins de surveillance des mesures de probation et des peines de substitution ; celle du 23 octobre 2009 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions relatives à des mesures de contrôle en tant qu’alternatives à la détention provisoire ; enfin, celle du 30 novembre 2009 relative à la prévention et au règlement des conflits de compétence dans le cadre des procédures pénales.

Ces décisions-cadres visent le même objectif : faciliter l’exécution en France de décisions prises dans d’autres États membres imposant un contrôle judiciaire ou une peine assortie d’obligations ou d’injonctions, et, inversement, permettre l’exécution de semblables mesures prises en France dans un autre État membre.

Sous l’impulsion du rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Dominique Raimbourg, le champ d’application du texte a été largement élargi, et ce dans trois nouvelles directions : la correction d’erreurs dans notre droit, l’aménagement des peines et les droits des victimes.

J’ai déjà eu l’occasion de dire dans cet hémicycle l’attachement du groupe écologiste à une refonte globale des procédures d’enquête et d’instruction qui soit conforme aux principes énoncés par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme. Toutefois, je veux saluer ici le travail de nos collègues députés, au premier rang desquels les écologistes, qui ont contribué à ce que ce texte contienne de véritables avancées et garantisse mieux certains droits.

Ainsi, nous nous félicitons de l’adoption de mesures telles que la possibilité de domiciliation des victimes chez un tiers au moment du dépôt de plainte, ou encore la facilitation du recours aux peines alternatives que sont le sursis avec mise à l’épreuve et la contrainte pénale.

Il faut toutefois nous rendre à l’évidence : cet enthousiasme est loin d’être partagé, tant au sein de notre commission des lois que sur les bancs de cet hémicycle. Ce n’est d’ailleurs rien de moins qu’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui, sur l’initiative de notre rapporteur François Zocchetto, a été adoptée mardi dernier par notre commission.

Il semble que les motivations des auteurs de cette motion et les raisons qui ont conduit à l’échec de la commission mixte paritaire se rejoignent. En effet, notre rapporteur considère que « l’insertion par les députés de vingt-huit articles additionnels n’ayant pas pour objet, à l’exception de l’un d’entre eux, de transposer de tels textes européens apparaissait contraire aux dispositions de l’article 45 de la Constitution sur le droit d’amendement. L’introduction de ces “cavaliers législatifs”, dont certains n’apparaissent, au surplus, pas opportuns sur le fond, a donc conduit la commission des lois à relever un premier motif d’inconstitutionnalité. »

Un autre point de crispation, qui a suscité des débats houleux, tant sur les bancs de l’Assemblée nationale qu’au sein de la commission mixte paritaire, est l’introduction, par le Gouvernement, de l’article 5 septdecies A relatif à l’information des employeurs en cas d’infraction liée à la pédophilie. Cette mesure, prise à la suite de plusieurs affaires de pédophilie ayant mis en cause des enseignants ou des professionnels exerçant leur activité au contact de mineurs, pose le difficile problème de l’équilibre entre l’impératif de protection des mineurs et l’indispensable respect du principe constitutionnel de présomption d’innocence.

Toutes ces mesures sont capitales, en premier lieu pour les victimes, mais, malheureusement, nous n’en débattrons probablement pas. La motion sera, selon toute vraisemblance, adoptée d’ici à quelques minutes, et le texte sera définitivement voté dans l’après-midi par nos collègues députés, sans que nous, sénateurs, ayons pu ne serait-ce que discuter du fond du projet de loi. Je le regrette, et ce d’autant plus que le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale contient, j’en suis convaincue, de véritables avancées, notamment en matière de droits des victimes.

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