Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 16 septembre 2015 à 21h30
Accueil des réfugiés en france et en europe — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Même ces derniers jours, l’État n’a fait que déléguer l’organisation de l’accueil aux mairies, sans avoir lui-même rien prévu, ni en termes de sécurité, ni matériellement, et encore moins financièrement. Pendant ce temps, l’Allemagne débloquait 6 milliards d’euros.

Calais reste toujours un point noir, et ce ne sont pas les barbelés et les maigres aménagements concédés qui transformeront ce campement de la misère et de la honte.

On a beaucoup glosé sur les motifs de l’Allemagne : déficit démographique, manque de main-d’œuvre qualifiée, etc. On s’est aussi beaucoup réjoui de ce que l’on présente comme un revirement récent. Je pense surtout que l’Allemagne est en train de réécrire son histoire. Ayant tiré toutes les leçons de son passé nationaliste, raciste et antisémite, elle a d’abord dit par des actes, et pas seulement par des discours : « plus jamais ça ! ». Portée par sa population, elle administre à ses citoyens, notamment à sa jeunesse, une belle leçon. L’histoire n’est pas seulement affaire de « devoir de mémoire ». Elle impose que soient posés des actes donnant du sens à l’existence d’une nation.

En ne redoutant pas l’afflux de populations nouvelles, elle montre en outre une belle capacité à se transformer sans crainte, pendant que, chez nous, la peur de l’étranger continue d’être distillée dans les esprits par tant de politiciens.

L’Allemagne a provisoirement rétabli les contrôles à certaines de ses frontières. S’est-elle ainsi rendue aux arguments des laudateurs d’une Europe forteresse ? Oui et non ! Elle rappelle d’abord à ses voisins européens l’indignité de leur attitude, et tente par ce moyen et quelques autres de les faire enfin fléchir.

La France fut certes un pays d’immigration. Entre un tiers et un quart des personnes qui vivent dans notre pays en serait issu. Reste que, pour l’essentiel, la France ne s’est montrée « accueillante » envers ses immigrés qu’en période de développement industriel, lorsqu’elle avait besoin de main-d’œuvre. Ainsi, dans les années 1920, après la Première Guerre mondiale, dont le pays était sorti exsangue, notre pays a massivement accueilli des immigrants. Ceux-ci sont d’abord, alors, des Italiens, des Espagnols, des Polonais, des hommes en âge de travailler qui feront plus tard venir leurs familles ou épouseront des Françaises. Dans les années 1960-1970 vient le tour des Maghrébins – musulmans et non européens, quant à eux –, ce qui finira par changer la donne. Il faut des bras pour une économie en pleine expansion : ce sont les Trente Glorieuses.

Voilà qui a fait de la France un pays d’immigration.

Difficile en revanche de parler sans nuance d’une France « terre d’accueil ». Cet accueil fut souvent hésitant, et différencié selon l’histoire, la religion, la perception des populations accueillies. Je pourrais parler des Arméniens fuyant les massacres dans l’Empire ottoman ; des Juifs, aussi : après l’avènement de Hitler et l’Anschluss, des centaines de milliers d’entre eux cherchèrent à quitter l’Allemagne et l’Autriche. En 1938, les délégués de trente-trois pays se réunirent à Évian. La France, comme la plupart des États conviés, invoqua sans scrupules diverses raisons, notamment économiques, pour ne plus accepter de réfugiés. On connaît la suite : les camps de la mort. En 1939, le gouvernement français à majorité radical-socialiste de Daladier ne sut pas davantage gérer dignement l’accueil des quelque 500 000 Républicains espagnols arrivés à la suite de la prise de la Catalogne. Dois-je rappeler enfin le sort des Harkis, condamnés après 1962 à croupir dans des camps aux conditions indignes ?

Les lenteurs, la désorganisation, ainsi que les craintes qui ont marqué, ces derniers mois, la gestion des flux de réfugiés actuels, s’inscrivent dans le prolongement de cette histoire. Elles sont évidemment liées à la provenance, à la religion et à la couleur de peau des demandeurs d’asile, aujourd’hui majoritairement musulmans, issus du Moyen-Orient et d’Afrique. Le contexte français d’islamophobie, rampante ou déclarée, la confusion entretenue entre « musulmans » et terrorisme, ne sont évidemment pas étrangers à l’attentisme dont a fait preuve l’exécutif.

La France, cette France qu’on nous dit « éternelle », solidaire, humaniste, terre de refuge de tous les persécutés, cette France-là, voici des mois que je la cherche.

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