Intervention de Paul de Viguerie

Réunion du 27 janvier 2009 à 16h00
Mise en oeuvre du grenelle de l'environnement — Discussion d'un projet de loi

Paul de Viguerie, rapporteur de la section du cadre de vie du Conseil économique, social et environnemental :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du président du Conseil économique, social et environnemental, M. Jacques Dermagne, je vous remercie de m’inviter à rendre compte de l’avis de notre assemblée, qui a été adopté le 28 mai dernier par 154 voix sur 187 votants.

Je remercie le président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine, et le rapporteur, M. Bruno Sido, de nous avoir permis, dès le mois de juin dernier, de faire part de nos observations à la commission des affaires économiques.

Le Conseil économique, social et environnemental se trouve depuis plus de dix ans au premier rang des acteurs institutionnels qui participent à la construction d’une politique nationale, européenne et mondiale de lutte contre les effets désastreux du changement climatique.

Avec sa contribution au débat national sur l’environnement et le développement durable en octobre 2007, il a pris toute sa place dans les échanges du Grenelle de l’environnement, en reprenant l’ensemble des soixante-dix rapports et avis adoptés au cours des deux dernières mandatures, dont la plupart portaient sur les trois dimensions, économique, sociale et environnementale, du développement durable.

Nous avons la prétention de penser que ces travaux ont contribué à la prise de conscience de l’ensemble des acteurs de la société civile composant notre assemblée.

Monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, entre l’avant-projet de loi dont vous nous aviez saisis pour avis au début du mois de mai 2008 et le texte présenté au Parlement par le Gouvernement, il n’y avait pas de différences essentielles. Mais, depuis le 28 mai dernier, la dynamique du Grenelle de l’environnement s’est intensifiée, et ce dès le point d’étape tenu le 23 septembre dernier : nous en voulons pour preuves le projet de loi, amendé par l’Assemblée nationale, qui est aujourd'hui soumis au Sénat, la loi de finances de 2009 et les nombreux textes de nature réglementaire qui ont été publiés.

Le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, qui a été adopté par le conseil des ministres le 7 janvier dernier, devrait concrétiser nombre des engagements du Grenelle de l’environnement et de l’actuel projet de loi. Surtout, et cela doit être souligné, le paquet « énergie-climat », qui a été adopté sous présidence française de l’Union européenne, et le plan de relance rendu nécessaire par la crise profonde que traverse notre économie conduisent à accélérer les efforts de tous pour atteindre les objectifs ambitieux fixés en matière d’économie d’énergie et de lutte contre le changement climatique. Ainsi, nombre des questions ou des interrogations de notre assemblée exprimées au travers de cet avis ont été entendues et plusieurs de nos préconisations devraient trouver une traduction concrète.

En outre, le Conseil économique, social et environnemental avait souhaité que l’ensemble des textes donnant corps et vie à l’avant-projet de loi vous soient soumis avant la fin de l’année 2008, mesdames, messieurs les sénateurs. L’actualité économique ne l’a pas permis, mais cela sera fait, semble-t-il, d’ici à l’été.

Certaines des mesures proposées en mai dans l’avant-projet de loi d’orientation faisaient déjà débat. Je pense notamment aux dispositions relatives à l’agriculture, aux déchets ou à la définition des énergies renouvelables. Nous constatons que ces débats perdurent, même s’ils avancent. Le processus du Grenelle de l’environnement n’est pas achevé, loin de là, ce qui prouve qu’il vit. Institutionnaliser un comité de suivi devrait encourager encore la maturation des questions en débat, présentes et à venir.

Je reprendrai maintenant devant vous quatre des principaux axes ayant fondé la démarche que le Conseil économique, social et environnemental s’est efforcé de suivre.

Premièrement, la priorité absolue est donnée à l’effort de formation, de recherche et d’innovation, afin de développer une politique de l’offre.

Deuxièmement, il est impératif d’assurer une cohérence des mesures budgétaires, fiscales et financières.

Troisièmement, ces deux premières politiques doivent être mises en œuvre selon une gouvernance combinant équité et efficacité dans toutes ses dimensions.

Quatrièmement, l’État et, plus largement, les différents acteurs publics ou issus de la société civile doivent montrer l’exemple.

S’agissant du premier axe, il convient de mettre en place une politique de l’offre à la hauteur des défis à relever. Il y a urgence à agir, et c’est bien à cette tâche qu’il faut s’atteler. Tel est le sens de la priorité qui doit être donnée à la formation, à la qualification et au développement accéléré de la recherche.

Il y a là, à n’en pas douter, un formidable gisement d’emplois ; l’exploiter nécessite d’accomplir un effort sans précédent, afin de ne laisser personne au bord du chemin. La bataille pour l’emploi et la lutte contre le changement climatique se gagneront en même temps ou ne se gagneront pas ! La réussite dépendra en grande partie de la capacité de tous les corps professionnels à s’approprier expertise et nouvelles technologies ou compétences.

Au mois de mai dernier, le Conseil économique, social et environnemental estimait déjà que « tous les moyens juridiques et financiers devaient être fléchés dès aujourd’hui et pour les dix-huit mois à venir sur ce chantier ». C’est encore plus vrai aujourd'hui !

L’édiction de normes donne à la fois un point d’arrivée et un délai. Le Conseil partage les objectifs ainsi fixés. Toutefois, deux interrogations demeurent.

Dans le secteur du bâtiment, les innovations sont là – nous les connaissons –, mais nous sommes encore loin du compte pour qu’elles soient à la portée de tous les métiers et de toutes les entreprises. Dans ce domaine, nos inquiétudes concernent davantage l’ancien que la construction neuve. Fondé sur les textes législatifs « Grenelle I » et « Grenelle II », le plan « bâtiment » présenté le 23 janvier dernier permettra certainement de relever un tel défi.

Dans le secteur des transports, nous assistons tous les jours à une formidable mutation. Seules des technologies nouvelles pouvant être mises à la portée de tous permettront de réaliser rapidement des progrès sensibles dans des délais que je qualifierai d’« acceptables ».

Le temps des grandes infrastructures dans le domaine du fret ferroviaire ou des transports urbains « propres » est un temps long. Il est très directement pris en compte et reconnu comme tel par ce texte. Or la réponse aux défis représentés par les transports individuels, toujours nécessaires eu égard à une métropolisation accrue, doit être trouvée dans un temps court.

Dans le même sens, le projet de loi aborde la nécessité de repenser la conception de l’aménagement urbain. Le Grenelle II introduit une certaine révision de notre droit de l’urbanisme. Nous nous en félicitons.

S’agissant du deuxième axe, dans votre assemblée comme dans la nôtre, les regards sont tournés vers les conséquences financières et budgétaires et la cohérence des mesures à prendre en ce domaine. Au mois de mai, le Conseil économique, social et environnemental a formulé explicitement ses interrogations à cet égard, sinon son inquiétude, en l’absence d’une visibilité à court et à moyen termes sur les réponses apportées ou envisagées.

À ce stade de mon intervention, je souhaite rappeler à cette tribune la volonté qui est la nôtre.

Pour assurer l’avenir et le succès du Grenelle, dont elle entérine la dynamique et les résultats, cette première loi est une étape essentielle et primordiale. Le Conseil économique, social et environnemental était, et est toujours, soucieux de voir assurer aux yeux de l’opinion publique la faisabilité et la crédibilité de ce texte au cours de l’ensemble du processus législatif.

À notre sens, quatre observations peuvent inspirer le travail, présent et futur, de votre assemblée.

D’abord, un équilibre nouveau entre les efforts contributifs de toutes les parties prenantes – État, collectivités, entreprises et usager final – doit être trouvé et affiché clairement.

Ensuite, le « signal prix » est l’une des conditions du succès, nous en sommes persuadés, mais il ne peut être dissocié de la dynamique de l’offre, et donc de la politique industrielle amenée à se développer.

En outre, la neutralité fiscale a été posée comme principe par notre Conseil. Nous nous féliciterions de ce qu’il soit définitivement validé.

Enfin, comme nous l’avons souligné, il convient de travailler à mettre en ligne et en cohérence tous les instruments financiers à notre disposition, et sans doute d’en inventer de nouveaux, par exemple des quotas énergie-carbone pour les bâtiments, de façon à récompenser financièrement les propriétaires vertueux.

En effet, la marge de manœuvre de chacune des institutions concernées est chaque jour plus étroite. La diminution du pouvoir d’achat et le rétrécissement actuel de l’épargne, même sous les formes les plus sécurisées, compromettent la confiance dans un retour rapide sur investissement grâce aux économies d’énergie engendrées.

S’agissant du troisième axe, en matière de gouvernance, une étape importante a été franchie avec la révision constitutionnelle adoptée par le Congrès le 21 juillet dernier. Nous le rappelons, le socle constitué par la stratégie nationale de développement durable doit constituer le fil rouge de tous les textes qui nous seront soumis.

C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité que cette stratégie fasse l’objet d’un débat annuel, sanctionné par un vote dans les deux assemblées parlementaires et précédé de l’avis préalable et systématique du Conseil économique, social et environnemental.

Par ailleurs, les collectivités locales jouent et joueront un rôle de plus en plus essentiel dans la mise en œuvre de la stratégie nationale. Le Conseil national des élus, quelles que soient les décisions qui seront prises, doit pouvoir délibérer de l’ensemble des mesures envisagées et programmées. En effet, l’action et les interventions des collectivités territoriales, liées à l’évolution de la fiscalité locale, ont des conséquences directes sur les comptes publics.

Enfin, nous approuvons l’inscription de la dimension environnementale dans la gouvernance de toute entreprise. Le Conseil économique, social et environnemental a estimé que l’avant-projet manifestait une volonté politique forte dans ce domaine. Sa rédaction traduit bien notre souhait de voir ces questions encore largement débattues et approfondies.

S’agissant du quatrième axe, le projet de loi pose en principe l’exemplarité de l’État. Deux aspects, entre autres, y contribuent.

Tout d’abord, le titre III, qui traite de la politique de santé, nous parait extrêmement important. L’État est le garant et le régulateur de cette politique. C’est la première fois, à notre connaissance, qu’un texte de portée générale pose comme principe la mise en œuvre d’une politique globale de santé publique prenant en compte des facteurs environnementaux.

Ensuite, si le Conseil économique, social et environnemental a pu contribuer à éclairer vos débats et vos votes passés et futurs, il en est d’autant plus heureux qu’il entend poursuivre avec vous cette démarche. Il en sera ainsi à l’occasion de sa saisine par le Premier ministre, datée du 20 janvier dernier, sur le projet d’introduction d’un indicateur « empreinte écologique » dans l’analyse de la performance économique et du progrès social.

La réforme de la Constitution, au mois de juillet dernier, a rétabli la saisine parlementaire du Conseil économique, social et environnemental. C’est dire que nous restons à votre entière disposition, sur ce sujet comme sur tout autre.

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