Intervention de Évelyne Didier

Réunion du 27 janvier 2009 à 16h00
Mise en oeuvre du grenelle de l'environnement — Discussion d'un projet de loi

Photo de Évelyne DidierÉvelyne Didier :

Nous saluons la qualité des travaux qui ont réuni pendant de longs mois des représentants des collectivités territoriales, des organisations non gouvernementales, des professionnels, des syndicats, de l’État et, peut-être dans une moindre mesure, du Parlement.

Nous nous félicitons, à ce titre, de l’initiative du président de la commission des affaires économiques, qui, avec l’accord de M. le rapporteur, a constitué un groupe sénatorial de suivi du Grenelle de l’environnement, dont les nombreuses auditions ont débuté dès l’automne 2007. Les échanges au sein des différents groupes de travail ont permis d’éclairer utilement le Parlement sur des dossiers aussi divers et techniques que le réchauffement climatique, la biodiversité, les déchets, ainsi que sur les enjeux en termes de santé publique. Ces débats furent source de renseignements précieux.

Cette démarche est d’autant plus louable qu’elle illustre une nouvelle forme de gouvernance à laquelle nous souscrivons : établissant un lien direct avec la société civile, elle renforce la prise de conscience de nos concitoyens.

Monsieur le ministre d’État, devant nos collègues députés vous avez affirmé « qu’il était plus facile d’être dans le déni ou dans le mépris de l’autre, de lancer des anathèmes plutôt que d’élaborer avec tous les acteurs de la société un diagnostic réel, sincère et sans concession ». Je vous rassure, nous partageons le diagnostic grave établi par les scientifiques, nous sommes conscients, comme la majorité de nos concitoyens, de l’urgence qu’il y a d’agir, et nous sommes déterminés à mener la lutte jusqu’au bout.

Cependant, si le constat est partagé, il est de notre responsabilité politique d’affirmer, dès la discussion générale, que la protection de l’environnement et la mise en œuvre des droits qui y sont attachés, ainsi que de ceux qu’il nous reste à consacrer, nécessitent des politiques publiques fortes au service de l’homme et de l’intérêt général : autrement dit, les préoccupations environnementales et sociales sont intimement liées.

Le projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dit « Grenelle I », décline de bonnes intentions, parfois des objectifs plus précis, en répondant inégalement, selon les domaines, aux attentes qu’il a suscitées. Nous pouvons, d’ores et déjà, même si c’est de façon incomplète, avoir une idée de la manière dont le Gouvernement souhaite les mettre en œuvre.

Tout d’abord, le projet de loi portant engagement national pour le l’environnement, dit « Grenelle II », a été déposé sur le bureau du Sénat le 12 janvier. C’est un texte très technique et, en même temps, très politique, dont l’étude demande un travail approfondi. Ce texte n’a pas encore été examiné précisément, il est donc difficile de préjuger du résultat final. Cependant, en l’état actuel, des mesures structurantes font défaut en termes de fiscalité, ainsi que dans les domaines de la santé, de la protection des lanceurs d’alerte ou de la responsabilité sociale et environnementale.

Ensuite, les mesures en faveur de l’environnement contenues dans les lois de finances ne sont pas plus satisfaisantes. Rappelons que les quatre cinquièmes du financement de la réforme échappent à l’autorisation budgétaire annuelle. Le plan triennal de financement du Grenelle révèle en effet que, sur 7, 3 milliards d’euros qui seront consacrés à la mise en œuvre des orientations de celui-ci, seulement 17 % de cette somme prendra la forme de crédits budgétaires, tandis que 38 % consistera en allégements fiscaux nouveaux et 45 % en ressources affectées aux opérateurs ou en contributions de la Caisse des dépôts et consignations.

Nous avons eu l’occasion de donner notre sentiment sur ce que vous appelez, monsieur le rapporteur, le « verdissement » des mesures fiscales, qu’il s’agisse du prêt acquisition à taux zéro, du crédit d’impôt prévu dans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, de l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de l’éco-prêt rénovation à taux zéro et du crédit d’impôt développement durable.

Le prêt à taux zéro ne doit pas être considéré comme la réponse miracle au désengagement financier de l’État : il s’agit, d’abord et avant tout, d’un cadeau aux établissements bancaires. On pourrait d’ailleurs disserter longuement sur les pratiques discriminatoires de certains établissements dans l’attribution des prêts ! L’efficacité de telles mesures est discutable, là où un engagement financier fort de l’État serait nécessaire.

Que penser des objectifs ambitieux affichés en matière de maintien de la biodiversité lorsque le programme « Urbanisme, paysage, eau et biodiversité » est amputé d’une partie des crédits prévus pour la mission « Écologie, développement et aménagement durables » ? Quelle portée accorder à vos bonnes intentions, quand l’Office national des forêts, dont on connaît le rôle dans la préservation de la biodiversité, voit ses crédits diminuer chaque année ? Depuis vingt-trois ans, cet établissement public a perdu près de 37 % de ses effectifs !

D’autres coupes budgétaires pourraient être dénoncées, et nous ne manquerons pas de le faire au cours des débats. Ainsi, le sort réservé aux budgets de la recherche et de l’éducation a provoqué, encore ces dernières semaines, la colère des enseignants, des lycéens et des chercheurs. Pourtant, plusieurs articles de ce projet de loi présentent la recherche et l’enseignement comme les moteurs du développement durable !

Enfin, vous comptez beaucoup sur l’engagement des collectivités locales. Celles-ci n’ont d’ailleurs pas attendu pour prendre en compte les impératifs de protection de l’environnement. Cependant, l’État ne peut pas se désengager financièrement à leur détriment, sauf à mettre en péril le grand chantier que nous souhaitons tous lancer. À ce titre, la révision générale des politiques publiques prive nos territoires de personnels et de compétences qui étaient utiles aux collectivités territoriales.

Vous comprendrez donc que l’appréciation que nous portons sur le projet de loi ressorte quelque peu ternie de l’examen des financements réellement engagés.

Sur le fond, le projet de loi « Grenelle I » présente certaines avancées, tandis qu’il marque au contraire un recul sur d’autres points au regard des exigences formulées au sein des groupes de travail. De plus, les avancées doivent souvent être relativisées, compte tenu des récentes décisions prises dans le cadre des politiques gouvernementales.

En ce qui concerne la lutte contre le réchauffement climatique, nous sommes d’accord avec les objectifs affichés et les efforts consentis sur le plan européen, en dépit d’un contexte politique difficile. Diviser par quatre nos émissions de CO2 entre 1990 et 2050, réduire de 20 % les émissions de CO2 dans le secteur des transports à l’horizon 2020, porter à 23 % la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique en 2020 : cela constitue une feuille de route cohérente, même si l’urgence nous aurait poussés à demander plus. Cependant, il ne convient pas de fixer des objectifs inatteignables !

En tout état de cause, la mise en place du système d’échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre sur un marché évidemment « libre et non faussé » ne sert pas l’objectif de réduction des émissions de tels gaz ! Rappelons que le bilan des mécanismes d’échanges n’a pas été dressé. Cette spéculation sur la tonne de dioxyde de carbone au service de l’environnement me semble être une fausse bonne idée !

En ce qui concerne le secteur des transports, vos politiques en faveur de l’ouverture à la concurrence du transport des marchandises et, bientôt, du transport des voyageurs entraînent l’abandon des lignes de proximité les moins rentables, laissant aux collectivités locales la responsabilité d’assurer la desserte de leurs territoires !

Prenons l’exemple de la SNCF : cette entreprise, qui était complètement intégrée, est en train d’être découpée et segmentée, afin d’éliminer les activités non rentables et de confier les plus lucratives au secteur privé. C’est là une pratique habituelle ! Est-ce promouvoir un développement véritablement durable ? Cette politique remet dangereusement en cause les objectifs affichés en termes de report modal. Quant aux futures « autoroutes ferroviaires », elles ne suffiront pas à assurer une véritable relance du fret ferroviaire.

Enfin, en ce qui concerne le bâtiment, la précarité énergétique, tant dans le logement social que dans le secteur privé, n’est pas prise en compte dans le texte. De nombreuses personnes n’ont pas les moyens de financer les travaux visant à réaliser des économies d’énergie. Je pense, notamment, aux propriétaires disposant de ressources modestes qui ont économisé toute leur vie pour acquérir une petite maison : ils auront énormément de mal à faire face à ces dépenses.

En ce qui concerne les mesures relatives à la biodiversité, nous soutenons la mise en place d’une « trame verte », pour rétablir les continuités écologiques, et celle d’une « trame bleue », qui constitue son équivalent pour les milieux aquatiques. Nous reviendrons sur ces sujets lorsque nous aborderons les articles concernant la politique de l’eau.

Dans le secteur agricole, l’objectif est de réduire l’usage des produits phytosanitaires et de porter à 6 % en 2013, puis à 20 % en 2020, la part de la SAU consacrée à l’agriculture biologique, contre 2 % actuellement. Ce sont de bonnes mesures, mais quelle crédibilité accorder sur ce point au Gouvernement ? Comment oublier les débats sur les organismes génétiquement modifiés ou la philosophie qui guide, depuis la loi d’orientation agricole jusqu’à la réforme de la politique agricole commune, vos choix en faveur d’une agriculture intensive ? Là encore, ce projet de loi met en avant l’agriculture biologique, sans prévoir de soutien réel à ce mode de production.

S’agissant des agrocarburants, nous nous réjouissons que le projet de loi vise ceux de deuxième et troisième générations. En effet, la question du coût environnemental des agrocarburants ne doit pas être ignorée. Nous savons qu’ils présentent de sérieux inconvénients en termes d’érosion des sols et d’atteinte à la biodiversité. De plus, ces cultures ont commencé à se développer au détriment des productions destinées à l’alimentation des populations, ce que nous ne pouvons accepter !

Les chapitres consacrés à la prévention des risques pour l’environnement et la santé et à la prévention de la production de déchets mériteraient une loi de programmation détaillée.

On sait que les avancées en la matière s’obtiennent au prix de luttes difficiles. Je pense ici au règlement sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques, dit REACH, qui, sous la pression de lobbies puissants, est malheureusement resté en deçà des objectifs de départ. L’engagement d’instaurer une responsabilité élargie des producteurs de déchets est un premier pas. Cependant, la réflexion n’a pas été poussée assez loin pour que la production de déchets soit réduite à la source. Nous aurons également l’occasion d’en reparler.

Nous défendrons l’instauration d’un moratoire sur la construction d’incinérateurs. On connaît les conséquences du fonctionnement de telles installations sur la santé des populations, ce qui nous rend responsables, dès aujourd’hui, de l’adoption des mesures nécessaires pour préserver la santé de nos concitoyens.

Enfin, nous porterons une attention particulière, comme nous l’avions fait lors de l’élaboration de la loi relative à la responsabilité environnementale, à la responsabilité sociale des entreprises, notamment celle des sociétés mères.

Promouvoir un développement durable suppose une refonte radicale de nos modes de production et de consommation, mais également une lutte contre les inégalités entre les peuples et les individus. C’est pourquoi les sénateurs du groupe CRC-SPG soutiendront des mesures visant non seulement à améliorer la protection de l’environnement, mais également à promouvoir les intérêts sociaux.

Tant que le Gouvernement continuera de croire que l’économie libérale et la croissance verte peuvent tout résoudre, toutes les bonnes intentions sous-tendant le Grenelle de l’environnement resteront lettre morte ! Notre collègue Daniel Raoul a dit qu’il faudrait choisir entre la RGPP et le Grenelle ; je pense, quant à moi, qu’il faudra un jour choisir entre l’économie libérale et le développement durable !

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