Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, dès 1977, André Gorz parlait du « bon sens de constater que, même stabilisée, la consommation de ressources limitées finira inévitablement par les épuiser complètement, et que la question n’est donc point de ne pas consommer de plus en plus, mais de consommer de moins en moins : il n’y pas d’autre moyen de ménager les stocks naturels pour les générations futures ».
De 1977 à 2009, il nous aura fallu vingt-deux ans pour accéder au « bon sens », en ordre dispersé, pour ne pas dire dans le désordre, et avec plus ou moins de conviction, il faut bien le reconnaître.
André Gorz ajoutait : « C’est cela le réalisme écologique. » J’estime, pour ma part, que c’est sans doute là ce qui nous manque encore : le réalisme écologique, trop souvent concurrencé par un autre réalisme, moins efficace, le réalisme politique. C’est à ce dernier que nous devons peut-être la trop grande distance entre le consensus des comités opérationnels du Grenelle et la traduction législative qui nous est proposée. Je déplore cette situation. « Notre maison brûle » toujours, et nous ne regardons que du coin de l’œil l’incendie se répandre.
Vous me direz, monsieur le ministre d’État, que nous ne restons plus sans rien faire, comme le prouvent le processus du Grenelle, ses heures de concertation et de débat, ses kilomètres de papier noircis de propositions et de contributions.
Pourtant, si l’effet d’affichage et le volontarisme sont incontestables, les actes posés nous laissent à ce stade, mes collègues et moi-même, sur notre faim. De même qu’il ne suffit pas d’établir un diagnostic pour soigner, il ne suffit pas de prescrire des médicaments – comprenez : fixer des objectifs et des principes – pour guérir, c’est-à-dire modifier la donne.
Je prendrai deux exemples : le logement et l’urbanisme. Ces deux problématiques sont au cœur du quotidien des Français, en même temps qu’au centre de la lutte contre le changement climatique. Hélas, toutes deux sont insuffisamment traitées dans le projet de loi qui nous est soumis.
S’agissant tout d’abord du logement, j’observerai que le bâtiment est le secteur le plus consommateur d’énergie en France : il absorbe 42, 5 % de l’énergie finale totale – excusez du peu ! – et il est responsable, à lui seul, de 23 % des émissions nationales de gaz à effet de serre.
Au sein de ce secteur, le tertiaire est une piste de travail importante, en raison des surfaces qu’il représente : 850 millions de mètres carrés, dont la moitié relève du secteur public. La mise à niveau de ce parc et, pour les constructions neuves, la fixation d’exigences élevées sont donc indispensables.
Quelques grandes entreprises et certains promoteurs l’ont bien compris : ils testent de nouvelles méthodes de construction, par exemple à l’occasion de la réalisation d’un nouveau siège social ou de quelques rares « opérations blanches ». Leurs efforts se concentrent toutefois sur la production neuve, et non sur la réhabilitation, qu’il faudra encourager, de même qu’il faudra soutenir les efforts des PME, dont le patrimoine immobilier est souvent vieillissant.
Des collectivités territoriales travaillent également sur la question. Un bilan « carbone » adapté à leurs problématiques a en effet été expérimenté par l’ADEME au cours des deux dernières années. Nombre d’entre elles ont d’ailleurs anticipé, dans leurs règlements d’urbanisme et dans leurs modes de gestion internes, la RT 2010, voire, sous certaines conditions, la RT 2015.
On voit également fleurir des panneaux photovoltaïques sur les toits d’écoles, de bâtiments communaux, de logements sociaux, de piscines, et des chaudières à bois commencent aujourd'hui à équiper des centres de loisirs, des mairies, des crèches ou des salles polyvalentes.
L’État n’en est pas là ! Il pourra donc s’inspirer de l’expertise développée par les autorités locales.
Le logement proprement dit représente, quant à lui, 2, 6 milliards de mètres carrés. Le défi majeur s’inscrit donc dans ce secteur, où les consommations d’énergie sont les plus importantes, où les ménages de France verront la traduction concrète des mesures que nous serons amenés à adopter.
Outre, bien entendu, la taille du parc, on peut voir deux raisons principales à cette situation : les logements consomment « mal », avec un recours majoritaire aux énergies fossiles, et trop, puisque leurs besoins en énergie s’élèvent à 240 kilowattheures par mètre carré et par an en moyenne.
Dans ce contexte, les objectifs pour la construction neuve qui devront être atteints en matière de basse consommation dès 2012, voire dès maintenant pour les opérations de renouvellement urbain, et à partir de 2020 en matière d’énergie passive sont pertinents, à condition toutefois que les filières professionnelles suivent, notamment en termes de disponibilité des matériaux et des techniques et de formation des artisans. Tel n’est pas le cas aujourd'hui ; j’attire donc l’attention du législateur et des acteurs locaux sur ce point.
Je continue par ailleurs à m’inquiéter des conditions dans lesquelles le parc ancien sera réhabilité. Le projet de loi définit en effet un objectif annuel de rénovation de 400 000 logements à compter de 2013, ce qui est énorme ! Les moyens mobilisés pour y parvenir nous laissent perplexes.
Je voudrais évoquer particulièrement, à cet instant, la question du parc social.
L’article 5 du projet de loi tend à fixer comme objectif « la rénovation de l’ensemble du parc de logements sociaux ». Cette formule suggère que l’ensemble du parc aurait besoin d’être rénové, ce qui est inexact. Dans ce domaine, je voudrais rétablir quelques vérités qui paraîtront peut-être surprenantes à certains, car elles sont méconnues.
La performance énergétique moyenne des logements sociaux – 160 kilowattheures par mètre carré et par an – est meilleure que celle du parc privé – 250 kilowattheures par mètre carré et par an.