Intervention de Alain Marc

Réunion du 12 octobre 2015 à 16h00
Fonctionnement du service public de l'éducation — Débat sur les conclusions d'une commission d'enquête

Photo de Alain MarcAlain Marc :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis quelques années, l’opinion est de plus en plus souvent alertée par les signes de dégradation des comportements scolaires traduisant un rejet des valeurs de l’école républicaine. Ces actes se multiplient et découragent les enseignants.

Les exemples, malheureusement nombreux, ont été parfaitement identifiés dans le rapport Faire revenir la République à l’École : refus d’assister à certains cours ou activités scolaires ou périscolaires, revendications identitaires exprimées au moyen de tenues vestimentaires à connotation clairement religieuse ou de régimes alimentaires spécifiques, absentéisme à répétition au moment de la célébration de fêtes religieuses, contestation systématique de certains contenus d’enseignement, comportements sexistes ou discriminatoires entre les élèves, notamment à l’encontre des jeunes filles, propos racistes, antisémites ou anti-Français, refus de la mixité, prosélytisme et pressions sur des élèves ne respectant pas certaines prescriptions religieuses, mise en cause de la légitimité des professeurs à intervenir sur certaines questions comme l’histoire des religions.

Ce rejet des valeurs républicaines à l’école a trouvé sa forme la plus poussée au lendemain des attentats de janvier 2015, lors de la minute de silence ou à l’occasion de débats auxquels ces dramatiques événements ont donné lieu en classe, entre élèves et enseignants. Des propos inadmissibles ont été tenus à cette occasion et certains élèves ont refusé de participer à la minute de silence.

Ces incidents ne peuvent pas trouver leur explication dans l’insuffisance des moyens du service public de l’éducation : la France se place en tête des pays européens par son investissement éducatif dans le domaine de l’apprentissage de la citoyenneté.

Depuis les années quatre-vingt-dix, notre pays mobilise dans ses programmes et instructions scolaires les trois principales dimensions qui peuvent constituer une éducation à la citoyenneté : premièrement, des cours d’éducation civique spécifiquement identifiés ; deuxièmement, une participation des élèves tant aux instances de gouvernance des établissements dans le secondaire qui permettent un engagement dans les affaires publiques de l’école - délégués de classe, représentants au conseil d’administration ou au conseil de la vie lycéenne – qu’à des débats dans l’heure de vie de classe ; troisièmement, enfin, des projets d’action éducative visant à ouvrir les jeunes à des actions de responsabilisation citoyenne dans et hors de l’école.

Globalement, le modèle français d’éducation à la citoyenneté présente théoriquement toutes les apparences d’un modèle pédagogique solide et bien articulé entre diffusion des connaissances et compétences autour de la citoyenneté et mise en action des élèves visant à leur faire acquérir attitudes et comportements citoyens au travers d’actes concrets dans lesquels ils s’engagent.

Alors que, dans d’autres pays européens, les notions à acquérir et réflexions à engager par les élèves en matière de citoyenneté sont intégrées dans d’autres disciplines humanistes, la France est le seul pays européen où les cours d’éducation civique sont, depuis le primaire jusqu’à la fin du lycée, à la fois clairement identifiés et, le plus souvent, dotés d’horaires spécifiques.

La crise de légitimité qui affecte le modèle républicain, liée en partie aux nouveaux défis lancés par la mondialisation, semble constituer l’un des facteurs du malaise actuel du système éducatif français. Dans ce contexte, face aux diverses manifestations du phénomène de repli identitaire, il apparaît indispensable que l’éducation civique s’adapte dans ses approches et sa pédagogie.

L’éducation civique doit alors se donner les méthodes nécessaires pour faire comprendre à l’élève que le repli identitaire doit être combattu.

Car le repli identitaire, c’est le communautarisme, qui constitue une menace pour l’unité de la République parce qu’il réduit l’identité de l’individu au périmètre exigu d’une seule appartenance : religieuse, ethnique, sexuelle, etc.

Le repli identitaire, c’est l’opposé du projet d’émancipation de l’individu né avec les premiers humanistes et transformé en volonté politique par la philosophie des Lumières. L’effet le plus diviseur du communautarisme sur la société est le multiculturalisme, cette coexistence au sein de la société de plusieurs systèmes de référence qui deviennent alors incompatibles avec les valeurs et les principes régissant les institutions communes et le droit commun.

Sur ce terrain, l’école a encore un rôle à jouer pour faire comprendre aux élèves la nécessité non seulement de respecter les lois du pays dans lequel ils sont appelés à vivre, mais également, et surtout, de s’en approprier les valeurs et les principes et de les intérioriser !

La crise de la cohésion sociale que nous connaissons actuellement complique aussi dangereusement l’enseignement de l’histoire qui se retrouve « déchirée » par la confrontation des mémoires de groupes. Cette discipline, qui a toujours mis son honneur dans la recherche de la vérité, est aujourd’hui en danger, parce qu’elle risque d’être réduite au plus petit dénominateur commun d’une histoire officielle composée de célébrations, de repentances et d’interdits, sous prétexte d’éviter les dissensions et les procès de mémoire. Non, ce n’est pas cela l’histoire de France !

C’est pourquoi, si l’on favorise chez les enfants la compréhension de la différence entre l’histoire et la mémoire, l’éducation civique pourra alors expliquer que ni le juge ni l’élu n'ont vocation à écrire l’histoire.

Autre réflexion : les premiers rudiments du civisme devraient être enseignés dès les années de maternelle, en même temps que les premières appropriations de la langue, dont ils sont indissociables. L’importance des premières années dans la maîtrise de la lecture et de l’écriture de la langue maternelle, voire simultanément d’une langue étrangère ou régionale, est avérée. L’appropriation précoce du langage est indissociable de l’éducation civique, dans la mesure où l’incapacité de communiquer est l’un des facteurs qui engendrent la violence.

La perte des repères républicains à l’école est aussi souvent corrélée au niveau scolaire des enfants et des jeunes. Être bien formé, faire preuve d’esprit critique suppose à la fois une bonne appropriation de la langue et la réussite scolaire.

Aussi, je crois sincèrement que nous ne faisons pas ce qu’il faut au moment où tout se joue, c’est-à-dire à l’école maternelle. Plutôt qu’à une réforme des rythmes scolaires qui n’améliorera en rien nos performances scolaires et qui grève déjà le budget de nos communes, travaillons donc à proposer des activités en dehors de l’école – peut-être avec les collectivités locales –, des activités de structuration de la langue par le biais du jeu, par exemple, et ce dès la maternelle.

Pour conclure, je tiens à saluer le travail accompli par la commission d’enquête : elle a eu la volonté de sortir du déni et a permis de donner la parole aux personnels de l’éducation nationale qui vivent, constatent et subissent, dans leur quotidien, ces atteintes aux valeurs de l’école républicaine.

Je terminerai en rapportant le témoignage du mathématicien Laurent Lafforgue, qui a été auditionné par la commission d’enquête : « Si vous souhaitez que l’école de la République soit aimée de nouveau, rétablissez des enseignements qui nourrissent. Accordez la priorité absolue à la lecture, à l’écriture, à la grammaire, et à tout ce qui assure la maîtrise de notre langue. »

Mes chers collègues, ayons la simplicité du bon sens, revenons aux fondamentaux, et nous rendrons l’école républicaine et ses valeurs dignes de respect !

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