Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, Vincent Eblé et les membres du groupe socialiste et républicain ont déposé une proposition de loi ordinaire et une proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française. Je précise qu’une proposition de loi organique était nécessaire puisque cette initiative concerne également les collectivités d’outre-mer.
Vincent Eblé reformule ainsi une vieille question : comment s’assurer de la connaissance de la loi et de son respect alors que l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi » s’impose à tous ?
Voilà donc la question de la publication de la loi qui nous revient. Elle date en fait de l’Ancien Régime – peut-être est-elle même plus ancienne. Sous l’Ancien Régime, la publication était simple : elle se faisait à son de trompe ou au bruit de tambour. La Révolution française a instauré la publication au Bulletin des Lois auquel a succédé, à partir de 1870, le Journal officiel de la République française.
Cent trente ans après, l’ordonnance du 20 février 2004 a introduit une dérogation à ce principe de la publication sur support papier, en permettant, dans certains cas, une publication sous forme électronique.
Cette ordonnance a pour grande vertu de donner la même force probante à la publication électronique qu’à la publication papier.
Vous le savez, il restait deux exceptions : d’une part, un certain nombre de publications sensibles en termes de droits de la personne ne pouvaient être reproduites que sur du papier. Une liste dressée par décret fixe ces catégories d’actes individuels : elle vise notamment les changements de nom, la francisation des noms ou prénoms, l’acquisition de la nationalité française, la naturalisation, la perte de la nationalité française, ainsi que les annonces judiciaires et légales qui mentionnent les condamnations pénales.
En définitive, seulement 8 % des textes publiés au Journal officiel de la République française ne le sont que sur papier. Inversement, des actes administratifs publiés au Journal officiel de la République française ne font l’objet que d’une publication sous forme électronique : les actes réglementaires et les décisions individuelles concernant l’organisation administrative de l’État, les décisions individuelles et non réglementaires relatives aux fonctionnaires et agents publics, aux magistrats et aux militaires, ainsi que certains documents relatifs au budget de l’État comportant des annexes très lourdes et des décisions individuelles émanant des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques.
Aujourd’hui, environ 40 % des textes publiés au Journal officiel de la République française le sont uniquement par voie électronique.
L’objet des deux propositions de loi présentées par Vincent Eblé est simple : « mettre un terme à la version papier de la publication du Journal officiel de la République française pour ne conserver que la version électronique ».
Ces modifications s’appliqueraient rapidement sur l’ensemble du territoire national, puisqu’elles entreraient en vigueur le 1er janvier 2016. Elles seraient étendues aux collectivités ultramarines pour lesquelles la publication au Journal officiel de la République française est régie par des dispositions spéciales, ce qui justifie le vote d’une loi organique. Je rappelle qu’il existe une édition papier pour la Polynésie, qui n’est pas concernée par ces deux textes.
La dématérialisation du Journal officiel est préconisée depuis de longues années par la Cour des comptes et de nombreux parlementaires, le nombre d’abonnés à la version papier ayant chuté de 33 500 à 2 261 entre 2004 et 2015, 90 % des abonnements étant souscrits par des administrations. Cela signifie que l’on ne compte plus qu’environ 220 particuliers abonnés, ce qui relativise les craintes relatives à la « fracture numérique » ; nous y reviendrons.
À l’inverse, on a constaté une montée en flèche des abonnements à la version électronique du Journal officiel : on en dénombrait un peu moins de 66 000 au 31 décembre 2014, 1, 6 million de visites de cette version étant recensées.
La dématérialisation permet de fournir le Journal officiel à titre gratuit – l’abonnement à la version papier coûte 360 euros par an –, rapidement et à la même heure sur tout le territoire, alors qu’aujourd’hui l’édition papier ne parvient outre-mer qu’avec ou un deux jours de retard. De surcroît, la version électronique inclut l’ensemble des pièces non publiées actuellement dans l’édition papier.
La dématérialisation permettra une économie relativement modeste, de l’ordre de 400 000 euros, le coût de l’impression s’élevant à 1 million d’euros, pour un produit des abonnements d’environ 600 000 euros. Elle s’accompagnera d’un impact écologique moindre.
Par ailleurs, la dématérialisation n’entraînera aucune suppression d’emplois. L’impression est aujourd’hui confiée à une société coopérative, la société anonyme de composition et d’impression du Journal officiel, la SACIJO. Un accord social a été conclu avec l’État, qui prévoit certes une diminution du nombre d’emplois, mais non liée à la dématérialisation.
En ce qui concerne la légalité de la dématérialisation, le Conseil constitutionnel sera appelé à examiner, par le biais de la proposition de loi organique, la constitutionnalité de cette modification.
Deux questions constitutionnelles se posent.
En premier lieu, la dématérialisation constitue-t-elle un obstacle à l’accès au Journal officiel, et donc à la connaissance de la loi par l’ensemble des citoyens ? Je répondrai par la négative, la version papier n’apportant pas plus de garanties à cet égard que la version numérisée, au contraire. Si la consultation de cette dernière exige de recourir à un ordinateur, sa mise à disposition « permanente et gratuite » est garantie par la loi, alors que la lecture du Journal officiel sur papier impose de se déplacer en certains lieux ou d’acheter le numéro en cause.
Toutefois, la commission a adopté un amendement présenté par Pierre-Yves Collombat et Jacques Mézard, tendant à permettre à chacun d’obtenir de l’administration la communication sur papier d’un extrait du Journal officiel. Comme Alain Richard et Alain Marc l’ont souligné, l’adoption de cet amendement expose l’administration à devoir faire face à des demandes massives de reproduction, ce qui pourrait susciter des difficultés. La navette parlementaire permettra sans doute d’affiner la disposition.
En second lieu, comment s’assurer de la préservation de la vie privée ? Les moteurs de recherche permettent de collecter diverses informations relatives à la nationalité, aux changements de patronyme et de constituer des fichiers illégaux. À cet égard, la proposition de loi prévoit que la publication des actes s’effectuera dorénavant sous forme électronique, mais « dans des conditions garantissant qu’ils ne [feront] pas l’objet d’une indexation par des moteurs de recherche ».
Différents dispositifs peuvent être employés à cette fin. Il convient, à cet égard, de saluer le travail accompli par la direction de l’information administrative et légale, la DILA. On peut notamment évoquer la présence d’un formulaire, l’accès à l’acte publié uniquement à partir du sommaire du numéro du Journal officiel recherché par date, ou encore le recours à un système de sécurité de type « captcha ».
Concernant l’application de cette mesure dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, le président du Sénat a, en application des articles 74 et 77 de la Constitution, consulté l’ensemble des assemblées délibérantes de ces collectivités sur la proposition de loi organique. La commission permanente de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna a émis un avis favorable. Les avis des autres assemblées délibérantes n’étant pas parvenus à la présidence du Sénat dans le délai d’un mois, ils sont réputés favorables.
En conclusion, j’invite le Sénat à adopter ces textes relativement importants pour nos institutions.