Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, si nul n’est censé ignorer la loi, encore faut-il que les citoyens y aient accès. Le choix d’un mode de publication unique sous forme imprimée pour tout l’Hexagone ne s’est imposé que progressivement. Il a été perçu comme une conquête, révolutionnaire allais-je dire, tant pour les administrations et services publics que pour les citoyens.
C’est l’Assemblée constituante qui a introduit un seul mode de publication des lois et règlements pour l’ensemble de la République. La publication par lecture publique, réimpression ou affiche ainsi qu’à son de trompe ou bruit de tambour n’a été supprimée, en principe, qu’en 1795. Le code civil de 1803 a consolidé ces règles. Quant au Bulletin des lois, créé en 1790, il subsista jusqu’en 1931, simultanément avec le Journal officiel, créé, lui, en 1870.
La dématérialisation du Journal officiel n’a commencé qu’avec l’ordonnance du 20 février 2004. Elle a d’abord unifié et simplifié les règles de publication des lois et règlements : un délai unique a été retenu sur l’ensemble du territoire national, à l’exception des collectivités ultramarines situées dans le Pacifique Sud ; est ainsi assurée la diffusion quasiment instantanée de la règle de droit en tout point du territoire.
L’ordonnance a édicté des règles communes pour les lois et autres actes normatifs publiés au Journal officiel. Le principe est celui d’une double forme de publication, sous forme électronique et sur papier, assorti de deux exceptions. La première exception, motivée par le souci de ne pas porter atteinte à la vie privée des personnes, est la publication exclusive sur papier des actes individuels, notamment ceux qui sont relatifs à l’état et à la nationalité. À l’inverse, l’ordonnance du 20 février 2004 permet au pouvoir réglementaire de définir les catégories d’actes administratifs faisant l’objet uniquement d’une publication sous forme électronique. Le décret en Conseil d’État du 29 juin 2004 en a fixé la liste.
Les deux propositions de loi, organique et ordinaire, dont nous sommes saisis aujourd’hui marquent une nouvelle étape de cette longue histoire. Le but est une dématérialisation aussi complète que possible du Journal officiel.
On constate en effet, depuis plusieurs années, une baisse continue du nombre d’abonnements à la version papier. Les chiffres cités en commission sont particulièrement éloquents : entre 2004 et 2015, le nombre d’abonnés à la version papier a chuté de 33 500 à 2 261, dont 90 % sont des administrations et 10 % des particuliers, soit environ 200 personnes. L’impression du Journal officiel pour ses quelque 2 000 abonnés actuels représente une demi-heure d’activité pour les rotatives. Quant aux abonnements à l’édition papier outre-mer, la situation est encore plus éloquente : on en dénombre seulement douze pour les collectivités d’outre-mer. À l’inverse, au 31 décembre 2014, on comptait 65 932 abonnés au sommaire de la version électronique du Journal officiel, tandis que 1, 6 million de visites de la version électronique authentique du Journal officiel étaient recensées.
Certes, une partie de la population ne dispose pas encore d’internet ou ne peut y recourir en raison de l’âge ou de l’absence de couverture suffisante du territoire. Mais, en une décennie, l’internet s’est considérablement démocratisé : selon l’INSEE, 83 % des ménages avaient, en 2014, accès à internet, une proportion en progrès constant puisqu’un peu plus de 64 % des ménages déclaraient disposer d’un accès à internet à leur domicile en 2010, 56 % en 2008 et seulement 12 % en 2000.
En outre, comme l’ont remarqué les différents orateurs en commission, la version électronique offre des fonctionnalités supplémentaires, appelées à croître, par rapport au support papier : une navigation plus fluide, des recherches par mot clé ou encore un accès plus simple au droit à partir du site Légifrance. Autre avantage de l’édition électronique, elle est immédiatement disponible en permanence, alors que la consultation du format papier dans les préfectures et les communes nécessite un déplacement aux heures d’ouverture des services.
Sur le plan des coûts, la dématérialisation devrait procurer une économie d’environ 400 000 euros, donnée d’importance dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons.
S’agissant du personnel de la société anonyme de composition et d’impression des journaux officiels, la SACIJO, dont les droits doivent être préservés, un protocole social a été signé entre les organisations syndicales et l’État le 29 juin dernier. Comme l’a fait remarquer notre rapporteur, la baisse du nombre d’emplois, de 211 à 150, n’est pas une conséquence directe de la dématérialisation du Journal officiel, mais celle d’un phénomène plus général de numérisation. Enfin, personne n’est affecté spécifiquement à la version papier plutôt qu’à la version électronique.
Dans un souci de prise en compte des exclus de l’internet, la commission des lois a prévu que tout usager pourrait obtenir communication d’un extrait papier du Journal officiel. Sans doute serait-il nécessaire d’affiner ce dispositif pour éviter les demandes répétitives ou abusives, en s’inspirant de ce qui est prévu pour la communication des documents administratifs.
Notre groupe approuve entièrement cette réforme, qui procurera des économies opportunes, tout en confortant le droit à l’information des citoyens.