Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui amenés à débattre sur les pôles d’excellence rurale.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé, à la fin de l’année 2008, vouloir lancer un nouvel appel à projets des pôles d’excellence rurale. Cet appel à projets aurait pour objectif de soutenir les projets de mutualisation de services publics dits innovants, tels que des relais de services publics ou encore des maisons de santé, ainsi que le développement durable des territoires.
Au préalable, il paraît judicieux de dresser un bilan des premiers projets labellisés depuis les trois dernières années.
Les pôles d’excellence rurale, qui avaient pour objectif de favoriser le développement des territoires ruraux, au même titre que les pôles de compétitivité envers les zones urbaines, ont connu, lors de leur lancement, un vif intérêt. En témoignent les 800 dossiers déposés en 2005, lors du premier appel à projets.
Ces pôles ont été créés afin de soutenir des initiatives locales, porteuses de projets créateurs d’emplois et innovants, autour de partenariats public-privé.
Sur le territoire, ce sont 379 projets qui ont reçu le label « pôle d’excellence rurale » en juin et décembre 2006. Ainsi, à titre d’exemple, dans le département des Côtes-d’Armor, quatre projets ont été labellisés. Le premier s’intitule « De l’amélioration de l’offre de soins à la production de biocarburants », le deuxième « Agricultures durables et nouveaux marchés », le troisième « Valorisation touristique du patrimoine rural en Trégor-Goëlo » et le quatrième « Cheval en Penthièvre ».
Les premiers éléments récoltés au plan local par les acteurs de PER concernent le manque de temps pour préparer et concrétiser les différentes actions.
En effet, les difficultés s’accumulent parfois, comme l’a souligné Jean Boyer – temps de coordination, permis de construire, normes, comité de défense contre les projets –, et cela pénalise financièrement la bonne volonté des acteurs locaux.
Dans les motivations des PER transparaissent des faiblesses réelles du territoire. Les PER traduisent une volonté de compensation de politiques qui ont fait défaut.
Je prendrai deux exemples.
Le premier concerne l’amélioration de l’offre de soins et la construction de trois maisons de santé. Il traduit le souci majeur des élus locaux de créer toutes les conditions pour accueillir ou maintenir des professionnels de santé en milieu rural.
Maire d’une commune proche de ce PER, je vais devoir accueillir la semaine prochaine un médecin roumain, car il est devenu impossible de faire venir des médecins français dans nos secteurs, et ce n’est pas la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » qui va régler le problème, tant s’en faut ! Alors, construire des maisons de santé, c’est bien, à condition que des professionnels veuillent bien s’y installer demain.
L’autre exemple concerne le PER « Cheval en Penthièvre », un projet d’animation équestre autour du haras national de Lamballe. Ce PER tente de compenser l’affaiblissement progressif des effectifs des haras nationaux et la politique d’abandon du Gouvernement. À intervalles réguliers, des menaces de fermeture définitive pèsent sur les deux seuls haras bretons subsistant : Lamballe et Hennebont.
Les pôles auraient à peine besoin d’exister s’il n’y avait eu auparavant toutes ces politiques d’abandon de la ruralité. Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux voté en 2005 avait permis de mettre en évidence toutes les faiblesses de la ruralité sans apporter de solutions réellement efficaces.
L’ensemble des projets labellisés, représentant un investissement global de 1, 2 milliard d’euros, devait permettre la création de 35 000 emplois dont 13 000 emplois directs. La participation financière de l’État était de 235 millions d’euros.
Dans votre bilan, monsieur le secrétaire d’État, vous vous félicitez d’avoir mis en place « un outil concret au service de la relance grâce aux investissements et aux créations d’emplois ». Cependant, lors du conseil des ministres du 13 mai dernier, vous annonciez la création de 6 000 emplois directs sur les 13 000 prévus, soit moins de la moitié !
Aujourd’hui, qui peut assurer que ces territoires ruraux connaissent véritablement la relance et le nouveau dynamisme tant espéré à travers la mise en place de ces pôles ? En témoignent les nombreux PER encore au stade de la mise en place. Comment le Gouvernement peut-il donc présenter un bilan si positif ?
Vous souhaitez lancer d’ici peu une troisième vague d’appel à projets. Aussi, il me semble important de faire remonter certaines des réserves et limites exprimées au sujet de la mise en œuvre de cette politique.
Concernant le mode de sélection, l’Union nationale des acteurs et des structures du développement local, l’UNADEL a émis quelques réserves. En effet, l’appel à projets consiste à mettre en concurrence les porteurs de projets. Au lieu d’encourager la coopération en faveur du développement de ces territoires, ce système favorise la concurrence des territoires. Ne serait-il donc pas judicieux de définir de nouvelles modalités de sélection des projets candidats ? Le but n’est-il pas d’aménager harmonieusement et de manière solidaire le territoire ?
Pour ce qui est du financement, les pôles d’excellence rurale ne prennent en charge que l’investissement. Ils n’apportent pas les ressources nécessaires au fonctionnement des équipements réalisés. Leur rôle ne risque-t-il pas d’être trop ponctuel et de laisser à terme aux collectivités locales la charge totale des projets ?
Cette labellisation s’ajoute à de nombreuses procédures existantes, comme les pays, les projets européens « Leader + » animés par les groupes d’action locaux, et le volet territorial des contrats de plan État-région. N’y a-t-il pas un risque de perte de lisibilité et de compréhension ?
La sélection des pôles par l’État est faite au détriment des collectivités territoriales, alors que ces dernières sont sollicitées afin de compléter le plan de financement, notamment les régions, qui sont les collectivités « chefs de file » en matière d’aménagement du territoire et de développement économique.
Les délais de mise en œuvre des projets paraissent inadaptés aux contraintes locales. À ce jour, 357 PER ont effectivement engagé leur projet d’investissement mais seul 100 l’ont fait en totalité, selon un article du 15 mai 2009, que l’on peut consulter sur le site internet « Portail du Gouvernement ».
En conclusion, il me semble prématuré d’engager une nouvelle vague d’appel à projets tant que les projets labellisés n’auront pas été complètement finalisés.
Je m’interroge aussi sur le mode de gouvernance des différents pôles, aussi bien PER que pôles de compétitivité. En effet, le principe des partenariats imposés public-privé accorde aux entreprises privées une place prépondérante dans l’aménagement du territoire.
Ce mode de gouvernance accentue également la disparité entre les territoires. Effectivement, les territoires bien dotés d’entreprises dynamiques et pouvant investir dans les partenariats public-privé vont profiter de cette aubaine au détriment des autres territoires.
La ruralité a besoin d’une égalité de traitement dans de multiples domaines. Complémentaire et interactive avec les zones urbaines, elle mérite mieux que des pôles d’excellence rurale. L’excellence est un « éminent degré de qualité, en un genre ». Sans vouloir atteindre ce niveau ponctuel ni créer quelques arbres pour cacher la forêt, nous demandons le maintien des services de proximité et des services publics dans leur globalité – soins, sécurité, écoles, poste, communications, déplacements –, ainsi que le soutien aux activités économiques, touristiques et agricoles.
Nous sommes loin du compte et ce ne sont pas la réforme territoriale et la volonté de l’État de contraindre les dépenses des collectivités locales qui vont contribuer, demain, au renouveau si attendu des espaces ruraux. Mais il n’est pas interdit de faire beaucoup plus et beaucoup mieux.