Intervention de Christophe-André Frassa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 octobre 2015 à 9h25
Réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collective — Nomination d'un rapporteur et examen du rapport et des textes de la commission

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa, rapporteur :

Ce rapport est un legs de Jean-Jacques Hyest, spécialiste reconnu du droit des entreprises en difficulté, matière austère et technique, mais fondamentale pour notre économie. Un droit des entreprises en difficulté efficace, ce sont des entreprises et des emplois sauvés.

Je souhaite rendre hommage à Jean-Jacques Hyest : il a été l'auteur de plusieurs rapports et rapporteur de plusieurs textes au Sénat depuis le début des années 2000, en particulier la loi de sauvegarde de 2005, qui a créé la procédure de sauvegarde à côté du redressement judiciaire et de la liquidation judiciaire. Il a aussi été, plus récemment, à l'origine de la création de la sauvegarde financière accélérée en 2010.

Jean-Jacques Hyest a mené la presque totalité des auditions de ce rapport, me laissant, notamment, l'audition du ministère de la justice. Ce sont ses conclusions et ses propositions qu'il m'appartient aujourd'hui de soumettre à la commission.

Je ne m'étends pas sur les évolutions récentes de cette branche du droit des entreprises et sur ses grands principes, que les ordonnances ne remettent pas en cause : vous pourrez trouver des éléments dans le rapport. Alors que, dans ce domaine, il y avait autrefois une grande loi par décennie, nous constatons néanmoins une accélération des réformes depuis 2005, sans doute en raison du contexte économique.

Qu'apportent les deux ordonnances ? Elles se situent dans le prolongement des réformes précédentes, depuis la grande réforme conduite par Robert Badinter en 1984 et 1985, qui a posé de nouveaux et de bons principes.

Ainsi, ces ordonnances veulent rendre les procédures de prévention plus attractives pour les entreprises, notamment la conciliation, pour inciter bien sûr les entreprises à solliciter le tribunal le plus tôt possible en cas de difficulté économique, de préférence aux procédures curatives que sont les procédures collectives (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires). Elles développent les ponts entre prévention et procédures collectives, dans la continuité de la sauvegarde financière accélérée. Elles améliorent le fonctionnement des procédures judiciaires, comme toute réforme, rééquilibrent les procédures en faveur des créanciers, en les incitant à trouver un accord avec le débiteur en conciliation et en leur ouvrant la possibilité de présenter un plan alternatif en sauvegarde ou en redressement judiciaire, renforcent le rôle du parquet, garant de l'ordre public économique, pour contrôler le bon déroulement des procédures et les droits de toutes les personnes intéressées et tendent à mieux garantir l'impartialité du tribunal et tirent les conséquences de certaines questions prioritaires de constitutionnalité dans ce domaine.

Deux nouvelles procédures sont créées : la sauvegarde accélérée, qui systématise les principes de la sauvegarde financière accélérée, et le rétablissement professionnel, procédure simplifiée destinée aux petits entrepreneurs sans salarié ni actif, sans tous les effets de la liquidation judiciaire, pour permettre le « rebond » en cas de difficulté économique.

Les ordonnances apportent également de nombreuses modifications ponctuelles, pour préciser, clarifier ou corriger certaines dispositions.

D'un point de vue statistique, sur 69 000 procédures ouvertes en 2013 au titre du livre VI du code de commerce, on compte 2 500 mandats ad hoc et conciliations, 1 500 sauvegardes, 16 000 redressements judiciaires et presque 40 000 liquidations judiciaires. La réalité des procédures, c'est d'abord la liquidation. Pour autant, le volume d'emplois n'est pas réparti de la même manière et de nombreux emplois sont sauvés grâce à ces procédures, en particulier en prévention et en sauvegarde. La plupart des liquidations sont sans salarié, ce qui justifie la nouvelle procédure de rétablissement professionnel, encore très peu utilisée, sans doute en raison d'incompréhensions sur ses conditions d'ouverture. Nous y reviendrons dans les amendements.

Sous l'influence du ministère de l'économie, avec l'expérience du comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), le droit des entreprises en difficulté tend de plus en plus à devenir une « boîte à outils », pour gérer au cas par cas des dossiers de grandes entreprises. Je ne suis pas sûr que cette évolution soit toujours souhaitable, même s'il faut évidemment concilier approche économique et approche juridique en la matière. Il en résulte une complexité croissante, en particulier pour les petites entreprises, qui hésitent déjà beaucoup à s'adresser au tribunal.

Je n'entre pas davantage dans les détails des ordonnances, le rapport les présente de façon précise et complète, et nous discuterons de certains points à l'occasion des amendements.

En dehors de dispositions ponctuelles, pour lesquelles je vous proposerai des amendements, ces ordonnances ont été largement approuvées par les acteurs concernés et ont été mises en oeuvre de façon apparemment satisfaisantes, dans les tribunaux de commerce, à compter de juillet 2014.

Pour mémoire, la loi pour la croissance et l'activité d'août 2015 a apporté sa contribution à la réforme du droit des entreprises en difficulté, avec le mécanisme de « cession forcée » que le Gouvernement n'avait pas osé instaurer dans les ordonnances, et avec le regroupement devant le même tribunal des procédures concernant les sociétés d'un même groupe : c'est une initiative de François Pillet, à porter au crédit du Sénat et attendue depuis longtemps par les praticiens.

Alors pourquoi ce rapport sur les projets de loi de ratification de ces deux ordonnances ?

C'est une démarche vertueuse puisqu'il s'agit de faire sur les dispositions de ces ordonnances un travail d'analyse approfondi, comme sur un projet de loi, en tenant compte néanmoins de ce que les ordonnances sont en vigueur. Puisque nous avons accepté de déléguer notre pouvoir législatif dans cette matière, dans la loi du 2 janvier 2014 de simplification du droit des entreprises, il nous appartient de contrôler l'usage fait de cette délégation. Je rappelle que ces deux ordonnances comportent au total 131 articles : ce n'est donc pas au moment où nous devrons ratifier, sans doute par un amendement de dernière minute du Gouvernement, que nous pourrons faire ce travail de fond.

La même question se posera sans doute pour l'ordonnance réformant le droit des contrats et des obligations, à laquelle le Sénat était résolument opposé...

L'objectif est d'intégrer les amendements que nous adopterons ce matin dans le projet de loi sur la justice du XXIème siècle, en ratifiant l'ordonnance, car l'article 50 de ce projet de loi modifie des dispositions issues de ces ordonnances ou des dispositions connexes. Nous aurons donc un débat avec le Gouvernement à l'occasion de ce texte.

Au terme des travaux conduits de concert avec Jean-Jacques Hyest, je soumets à votre approbation 25 amendements, qu'il a directement inspirés, pour compléter les deux projets de loi de ratification que je vous propose d'adopter. Ces amendements concernent soit des dispositions issues des ordonnances, pour la plupart, soit des dispositions directement connexes, dans certains cas.

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