Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 octobre 2015 à 9h25
Mesures de surveillance des communications électroniques internationales — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, rapporteur :

Voici une queue de comète du projet de loi relatif au renseignement, définitivement adopté par le Parlement le 24 juin dernier. Dans sa décision du 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions relatives à la surveillance des communications électroniques internationales, non pas pour des raisons de fond, mais pour incompétence négative du législateur : en renvoyant à deux décrets en Conseil d'État, dont l'un ne devait pas être publié, le législateur n'a pas exercé la plénitude de ses compétences.

Les techniques de surveillance des communications internationales se sont développées depuis les années 2000, à la suite de décisions du chef de l'État et du Gouvernement, sur une base juridique qui n'était pas prévue pour de telles activités : les règles de police administrative relatives aux interceptions de sécurité établies par la loi du 10 juillet 1991. Les nouvelles techniques n'ont pas pour objet de surveiller les résidents français, mais sont néanmoins exploitées sur notre sol et, de façon exceptionnelle, les communications entre des personnes dont les numéros ou identifiants techniques sont rattachables au territoire français peuvent se trouver interceptées. Il convenait de sortir ces situations de ce no man's land juridique.

Le Gouvernement a choisi de s'en remettre à une initiative parlementaire, celle de Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale. Afin toutefois de parer à tous les risques d'inconstitutionnalité sur le fond, j'ai déposé en septembre une proposition de loi très proche et demandé au Président du Sénat, qui l'a accepté, de faire usage de la faculté que lui confère l'article 39 de la Constitution de demander l'avis du Conseil d'État sur la conformité de ce texte à nos principes constitutionnels et conventionnels. La Haute juridiction a levé tous nos doutes le 15 octobre dernier par l'avis qui vous a été adressé.

Les informations qui transitent par les câbles internationaux auxquels la France est reliée peuvent être exploitées par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Les flux comportant, à la source comme à la réception, des identifiants nationaux seront écartés automatiquement ; le projet de loi garantit l'impossibilité d'y accéder, ce que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) pourra vérifier. Ensuite, les flux mixtes, c'est-à-dire les communications dont l'émetteur ou le récepteur peut être rattaché par son identifiant ou son numéro au territoire national, seront exploités dans les conditions de droit commun de la surveillance intérieure, telles que définies par la loi sur le renseignement. Enfin, les communications émises ou reçues à l'étranger feront l'objet de ce régime spécifique.

Je me suis rendu à deux reprises dans les locaux de la DGSE pour observer le fonctionnement du système, vérifier la réalité des garanties offertes aux personnes et la finesse du système de sélection des informations. Les flux sont importants ; le travail des services consiste à les trier et à se rapprocher des cibles préalablement identifiées. Le texte prévoit que le Premier ministre pourra donner une autorisation portant sur une zone géographique, ou ciblant des organisations particulières, voire des personnes. Cette autorisation fera l'objet d'une communication a posteriori à la CNCTR.

Le Conseil d'État a estimé que la nouvelle rédaction de la proposition de loi tenait compte des griefs formulés par le Conseil constitutionnel ; que la différence de régime entre la surveillance des étrangers et des résidents français était justifiée et que la conciliation entre la protection de la sécurité nationale et le respect de la vie privée et du secret des correspondances n'était pas manifestement déséquilibrée ; que le dispositif était conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur l'application de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au respect de la vie privée et familiale. Enfin, le Conseil d'État a considéré que les possibilités de recours des personnes surveillées étaient suffisantes : toute personne pourra s'assurer auprès de la CNCTR qu'elle ne fait pas l'objet d'une surveillance irrégulière (la commission ne confirmant ni infirmant l'existence d'une éventuelle surveillance) ; si, de sa propre initiative ou saisie par un particulier, la CNCTR estime qu'une garantie fondamentale est méconnue, son président ou trois de ses neuf membres pourront saisir le Conseil d'État. Celui-ci déclare dans son avis que cette procédure, quoique moins aisée que la procédure nationale, donne un moyen de recours au citoyen surveillé à l'étranger. C'est d'un grand raffinement dans la protection des droits des citoyens ! Peu d'États s'en préoccupent à ce point.

Fort de ces analyses, j'ai considéré pouvoir vous proposer d'approuver le texte de la proposition de loi, auquel j'ai apporté quelques amendements.

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